Université Rennes I, M2 Maths F. Nier Théorie spectrale et théorie de la diffusion Chap I Opérateurs bornés sur un espace de Hilbert Structure de C ∗-algèbre 1 1.1 Définition H espace de Hilbert complexe, produit scalaire ( , ) antilinéaire à gauche et linéaire à droite et k k la norme associée. 1) L’ensemble L(H) des applications linéaires continues sur H muni des opérations usuelles est une algèbre involutive, l’involution étant définie par passage à l’adjoint. L’adjoint A∗ de A ∈ L(H) est défini via le théorème de représentation de Riesz par (A∗ ϕ , ψ) = (ϕ , Aψ) , 2) Au moins trois topologies naturelles sur L(H) : — Topologie de la norme : kAk = supψ6=0 kAψk kψk ∀ϕ, ψ ∈ H . avec kAk2 = kA∗ Ak . — Topologie forte : topologie la moins fine rendant les toutes les applications A → Aψ continues de L(H) dans (H, k k). La convergence d’une suite se note s − limn→∞ An = A et signifie limn→∞ An ψ = Aψ pour tout ψ ∈ H (convergence simple). — Topologie faible : associée à la famille d’applications A → (ϕ , Aψ) à valeurs dans C et paramétrée par (ϕ, ψ) ∈ H × H. La convergence se note w − limn→∞ An = A et signifie limn→∞ (ϕ , An ψ) = (ϕ , Aψ) pour tout (ϕ, ψ) ∈ H × H. Avec l’identité de polarisation (ϕ , ψ) = 1 + k+ϕ + ψk2 − k−ϕ + ψk2 + i k+iϕ + ψk2 − i k−iϕ + ψk2 kk , 4 adaptée en remplaçant hϕ , ψi par (ϕ , Aψ) , on peut ne considérer que les applications A → (ψ , Aψ) . 3) En vertu du théorème de l’application ouverte, si A ∈ L(H) est une bijection alors A−1 ∈ L(H). Avec la topologie de la norme L(H) a une structure de C ∗ -algèbre (les autres topologies sont liées à la structure de W ∗ -algèbre ou algèbre de Von Neumann évoquée plus loin). 1 1.2 C ∗ -algèbre, spectre. Définition 1.1 On appelle C ∗ -algèbre une algèbre de Banach sur C involutive, i.e. munie d’une involution antilinéaire A → A∗ avec (AB)∗ = B ∗ A∗ , telle que kAk2 = kA∗ Ak . Elle est dite unitaire si elle contient une unité. Exemples : C 0 ([0, 1]; C) muni des opérations usuelles et de la conjugaison complexe est une C ∗ - algèbre commutative unitaire. Mn (C) est non commutative si n > 1. L’algèbre des fonctions continues sur [0, 1] s’annulant en 0 est non unitaire. Exercice : Vérifier que L(H) est bien une C ∗ -algèbre, en particulier que kA∗ Ak = kAk2 . 1.3 Spectre Les résultats de ce paragraphe ont un sens sur une algèbre de Banach quelconque, en particulier L(E) où E est un espace de Banach. Définition 1.2 Soit A une algèbre de Banach unitaire et soit A ∈ A. On appelle ensemble résolvant de A ̺(A) = {z ∈ C , (z − A) inversible dans A} . Le spectre de A en est le complémentaire : σ(A) = C \ ̺(A) = {z ∈ C , (z − A) non inversible dans A} Pour un opérateur A ∈ L(E), E espace de Bananch, on rappelle que “(z − A)−1 non inversible” signifie “(z − A)−1 non injectif” ou “(z − A)−1 non surjectif”. Exemple : a) Si E = Cn muni du produit scalaire usuel et A = L(Cn ) ∼ Mn (C) avec sa norme kAk = maxx6=0 kAxk kxk , le spectre de A est l’ensemble de ses valeurs propres. 2 b) Si E = L (R; C) muni du produit scalaire usuel, le spectre de l’opérateur qui à u ∈ L2 (R; C) associe Au donnée par Au(x) = x(1(0,1]∪(2,3) (x))u(x) a pour spectre σ(A) = [0, 1] ∪ [2, 3] . Proposition 1.3 ̺(A) est un ouvert de C. z → (z − A)−1 définit une application holomorphe sur ̺(A) à valeur dans L(H). Pour z1 , z2 ∈ ̺(A) on a (z1 − A)−1 − (z2 − A)−1 = (z2 − z1 )(z1 − A)−1 (z2 − A)−1 . (1.1) première formule de la résolvante Preuve : Pour z0 ∈ ̺(A), (z0 − A)−1 ∈ A. On écrit (z − A) = (z − z0 ) + (z0 − A) = (z0 − A) 1 + (z − z0 )(z0 − A)−1 | {z } {z } | inversible 2 norme petite où le deuxième facteur s’inverse par la série de Neumann (1 + ε)−1 = −1 |z − z0 | k(z0 − A) k < 1 . La formule de la résolvante vient de P∞ j=0 (−ε) j pour (z2 − A)−1 [z2 − A − (z1 − A)] (z1 − A)−1 = (z2 − z1 )(z1 − A)−1 (z2 − A)−1 . Exercice : Autre écriture (z2 − A)−1 = [1 + (z2 − z1 )(z1 − A)−1 ]−1 (z1 − A)−1 . Exercice : Vérifier que l’ensemble des éléments inversibles de A est un ouvert. Proposition 1.4 Pour A ∈ A, on note r(A) = supλ∈σ(A) |λ| le rayon spectral de A. On a : 1. r(A) ≤ kAk et σ(A) est compact. 1/k 2. r(A) = limk→∞ Ak . Preuve : 1) Pour |z| > kAk, on écrit (z − A) = z(1 − z1 A) et on utilise la série de Neumann avec 1 A < 1. z 1 ) avec 2) L’application z → (1 − zA)−1 = z −1 (z −1 − A)−1 est holomorphe dans D(0, r(A) P ∞ (1 − zA)−1 = j=0 (zA)j . On en écrit pour ε > 0 1 A = 2iπ k Z Γr (1 − zA)−1 dz . avec Γ = z k+1 1−ε |z| = r(A) k On obtient Ak ≤ Cε r(A) avec Cε = supz∈Γ k(1 − zA)−1 k et finalement 1−ε k 1/k A ≤ Cε1/k r(A) . 1−ε Pour |z|k > r(Ak ), on multiplie l’identité Ak − z k = (A − z)[ Pk−1 j=0 )A j k−1−j z ] par (Ak − z k )−1 et on voit que (A − z) est inversible, i.e. z ∈ ̺(A). Ainsi r(A)k ≤ r(Ak ) ≤ Ak . On en déduit 1/k r(A) ∀ε > 0 , ∃Cε > 0, ∀k ∈ N, r(A) ≤ Ak ≤ Cε1/k . 1−ε On encadre les limites sup et inf quand k → ∞ puis on montre l’égalité avec ε → 0. k k k k Exercice : Pour k entier, comparer les quantités, r(A) , r(A ), A et kAk . Démontrer les relations ou donner des exemples (avec des matrices) pour les relations strictes. 1.4 Spectre d’un élément auto-adjoint ou normal On travaille maintenant dans une C ∗ -algèbre unitaire A. 3 Définition 1.5 Soit A une C ∗ -algèbre. On dit que A ∈ A est auto-adjoint si A = A∗ . On dit que A est normal s’il commute avec son adjoint, A∗ A = AA∗ . On commence par un résultat sur le rayon spectral. Proposition 1.6 Le rayon spectral d’un élément normal A de A est égal à sa norme : si AA∗ = A∗ A . r(A) = kAk Preuve : 1) Considérons d’abord le cas auto-adjoint A∗ = A . Pour un entier n ≥ 2, les relations kBk2 = kB ∗ Bk et A∗ = A donnent On en déduit −n −(n−1) 2n 2−n n−1 n−1 2 n−1 2 −n n−1 2 A = A2 A2 = (A2 )2 = A2 . 2n 2−n A = kAk . ∀n ∈ N , La formule du rayon spectral de la Proposition 1.4-2) donne n 1/k r(A) = lim Ak = lim A2 2−n = kAk . n→∞ k→∞ 2) Si A est normal. On écrit pour n ∈ N∗ −n−1 2n 2−n n 2−n−1 ∗ 2n 2−n 2 A = (A ) A = (A∗ A)2 . Comme A∗ A est auto-adjoint, on en déduit n 2−n n 2−n−1 = r(A∗ A)1/2 = kA∗ Ak1/2 = lim (A∗ A)2 r(A) = lim A2 n→∞ n→∞ et on conclut encore avec kA∗ Ak = kAk2 . D’une façon générale σ(A∗ ) = σ(A) . En particulier si A est auto-adjoint σ(A) doit être symétrique par rapport à l’axe réel. En fait il est réel. Proposition 1.7 Le spectre d’un élément auto-adjoint de A est réel : σ(A) ⊂ R si A∗ = A . Preuve : Tout d’abord pour A ∈ A et z ∈ C, la série P n∈N (zA)n n! converge et définit ezA . On vérifie e(z1 +z2 )A = ez1 A ez2 A et les deux premiers termes donnent ∂z ezA = AezA . Considérons maintenant un élément auto-adjoint A = A∗ . L’identité (e−itA )∗ = X [(−itA)n ]∗ n! n∈N 4 = eitA conduit à −itA 2 −itA ∗ −itA e = (e = k1k = 1 . )e (k1k = 1 vient de k1k2 = k1k) Pour z ∈ C tel que Im z > 0, l’application t → e−it(A−z) est continue sur R et vérifie −it(A−z) −itA itz e = e e ≤ e−t Im z . On voit alors que i(A − z) Z +∞ e−it(A−z) dt = 1 0 et (A − z) est inversible. Ainsi σ(A) ⊂ {z ∈ C, Im z ≤ 0} et par symétrie σ(A) ⊂ R . k k k k Exercice : Que donne la comparaison des quantités, r(A) , r(A ), A et kAk , dans une C ∗ -algèbre commutative ? 1.5 Calcul fonctionnel continu Théorème 1.8 Soit A un C ∗ -algèbre et soit A un élément normal de A, (A∗ A = AA∗ ). Il existe un unique morphisme de C ∗ -algèbres unitaires Φ : C 0 (σ(A); C) → A tel que Φ(1) = 1 Φ(z) = A . De plus ce morphisme est une isométrie, kΦ(f )k = maxz∈σ(A) |f (z, z̄)| et pour tout f ∈ C 0 (σ(A)) on a σ(f (A)) = f (λ, λ̄) , λ ∈ σ(A) (On note z : z → z l’application identité sur σ(A), P (z) un polynôme holomorphe et P (z, z) un polynôme des variables (z, z)) . Remarque : Une fonction continue sur C ou une partie de C est une fonction des deux variables réelles x et y avec z = x + iy. Ici il est plus commode d’utiliser la notation f (z, z̄) qui prolonge P l’écriture des polynômes P (z, z̄) = α+β≤n cα,β z α z̄ β . La notation f (z) comme P (z) est réservée pour les fonctions ou polynômes holomorphes. Ainsi la conjugaison sur C 0 (σ(A); C) est donnée par f (z, z) = f (z, z) comme pour les polynômes et coïncide avec la définition g(x, y) = g(x, y) dans l’écriture avec les coordonnées réelles. Corollaire 1.9 Dans une C ∗ -algèbre unitaire A, pour tout élément normal A ∈ A, AA∗ = A∗ A, la sous-C ∗ -algèbre engendrée par {A, 1} est isomorphe à C 0 (σ(A); C) . Définition 1.10 L’image de la fonction f par le morphisme Φ du théorème sera simplement notée Φ(f ) = f (A). Lemme 1.11 a) Tout morphisme de C ∗ -algèbres unitaires Φ̃ : B → B ′ tel que Φ̃(1) = 1 est une contraction ∀B ∈ B, Φ̃(B) ≤ kBk . b) De plus si Φ̃ est injectif alors Φ̃ est une isométrie, son image est fermée dans B ′ et isomorphe à B. 5 Preuve : Nous ne démontrons d’abord que l’assertion a). La preuve b) sera démontrée en même temps que le Théorème 1.8 après en avoir établi un cas particulier. Pour B ∈ B, onremarque que λ ∈ ̺(B ∗ B) implique λ ∈ ̺(Φ̃(B ∗ B)) du fait de Φ̃((λ − B ∗ B)−1 ) λ − Φ̃(B ∗ B) = Φ̃(1) = 1. On utilise alors la relation entre norme et rayon spectral pour B ∗ B pour écrire : 2 2 ∗ Φ̃(B) = Φ̃(B) Φ̃(B) = r(Φ̃(B ∗ B)) ≤ r(B ∗ B) = kB ∗ Bk = kBk . Lemme 1.12 Pour A ∈ A et un polynôme complexe d’une variable P = P j le spectre de P (A) = m j=0 cj A est donné par : σ(P (A)) = {P (λ) , Pm j=0 cj X j ∈ C[X], λ ∈ σ(A)} . Preuve : ⊃ : Si λ ∈ σ(A), on écrit comme précédemment P (A) − P (λ) = (A − λ)Q(A, λ) avec Q(X, λ) = P (X)−P (λ) X−λ −1 Q(A, λ)(P (A) − P (λ)) ∈ C[X]. L’assertion P (λ) 6∈ σ(P (A)) donnerait (A − λ)−1 = ! Donc P (λ) ∈ σ(P (A)). ⊂ : Pour µ ∈ σ(P (A)), on factorise le polynôme P (X)−µ = a(X −λ1 ) . . . (X −λn ) dans C (a = 0 cas trivial). Si aucun des λ1 , . . . , λn n’appartient à σ(A) alors P (A) − µ = a(A − λ1 ) · · · (A − λn ) est inversible ! Donc un des λi appartient à σ(A). Mais alors P (λi ) − µ = 0. Preuve du Théorème 1.8 : On commence par rappeler que comme σ(A) est un compact de C, les polynômes P (z, z) ∈ C[X, Y ] forment un ensemble dense de C 0 (σ(A); C). Dans le cas autoadjoint, A = A∗ on a σ(A) ⊂ R et l’ensemble des polynômes holomorphes P (z) ∈ C[X] forment un ensemble dense de C 0 (σ(A); C). a) Unicité de Φ : Pour un opérateur normal A ∈ A, les hypothèses Φ(1) = 1 et Φ(z) = A P P implique Φ(z) = A∗ et Φ(P ) = j,k≤m cj,k Aj (A∗ )k pour P (z, z) = j,k cj,k z j z k . Comme Φ doit être une contraction, il y a une seule façon de prolonger Φ à C 0 (σ(A); C). b) Φ est injectif : Supposons qu’il existe f0 ∈ C 0 (σ(A); C) tel que Φ(f0 ) = 0 et f0 6≡ 0. Alors on peut trouver z0 ∈ σ(A) et ε0 > 0 tels que f0 (z, z̄) 6= 0 si |z − z0 | ≤ ε0 . On prend une fonction χ0 ∈ C 0 (σ(A); C) qui vaut 1 si |z − z0 | ≤ ε0 /2 et qui s’annule pour |z − z0 | ≥ ε0 . On a Φ(χ0 ) = Φ( χf00 )Φ(f0 ) = 0. On remarque que z → (z − z0 )−1 (1 − χ0 (z, z̄)) appartient à C 0 (σ(A); C) et on obtient : Φ((z − z0 )−1 (1 − χ0 (z, z̄)))(A − z0 ) = Φ(1 − χ0 ) = Φ(1) = 1 . On a alors trouvé z0 ∈ σ(A) tel que (A − z0 ) est inversible ! ! c) Pour f ∈ C(σ(A); C), le spectre de Φ(f ) est inclus dans f (σ(A)) : Supposons µ 6∈ f (σ(A)). Alors g = (f − µ)−1 ∈ C 0 (σ(A); C) et Φ(g)(Φ(f ) − µ) = Φ((f − µ)−1 )Φ(f − µ) = Φ(1) = 1 6 et µ 6∈ σ(Φ(f )) . d) Si A = A∗ , σ(Φ(f )) = f (σ(A)) pour tout f ∈ C 0 (σ(A); C) : D’après le Lemme 1.12, le résultat est vrai pour les polynômes holomorphes. Pour f ∈ C 0 (σ(A); C) et µ = f (z0 ) avec z0 ∈ σ(A), on peut trouver une suite (Pn (z))n∈N de polynômes holomorphes (A autoadjoint) telle que limn→∞ kPn − f k = 0 et Pn (z0 ) = µ pour tout n ∈ N. Si µ 6∈ σ(Φ(f )), comme l’ensemble des éléments inversible de A est un ouvert et limn→∞ kΦ(Pn ) − Φ(f )k = 0, Φ(Pn ) − µ est inversible pour n ≥ N0 avec N0 assez grand. Mais cela contredit le Lemme 1.12. e) Preuve du théorème et de son corollaire dans le cas autoadjoint : Si A = A∗ on a pour f ∈ C 0 (σ(A); C), kΦ(f )k2 = Φ(|f |2 ) = r |f |2 = max |f |2 (λ) = kf k2 . λ∈σ(A) f ) Preuve du Lemme 1.11-b) : Pour un morphisme Φ̃ : B → B ′ et en reprenant la preuve du Lemme 1.11-a), il s’agit de prouver r(Φ̃(A)) = r(A) que pour A = B ∗ B = A∗ . Supposons r(Φ̃(A)) < r(A). On peut prendre une fonction f ∈ C 0 (σ(A); C) non identiquement nulle et supportée dans ] − r(A), −r(Φ̃(A))[∪]r(Φ̃(A), r(A)[. On utilise le théorème dans le cas autoad- joint avec A et Φ̃(A) en utilsant la notation f (A) et f (Φ̃(A)) de la Définition 1.10. On a alors kf (A)k = max|x|≤r(A) |f (x)| > 0 et f (Φ̃(A)) = max|x|≤r(Φ̃(A)) |f (x)| = 0 . Or pour un po- lynôme on a Φ̃(P (A)) = P (Φ̃(A)) et par densité et continuité sur C 0 (σ(A); C) on en déduit Φ̃(f (A)) = f (Φ̃(A)) = 0 tandis que f (A) 6= 0. Cela contredit l’hypothèse d’injectivité ! g) Fin de la preuve : L’injectivité de Φ a été démontrée au b). Le Lemme 1.11-b) nous assure maintenant que Φ est un isomorphisme. Le résultat sur le spectre de Φ(f ) s’en déduit. ′ ∗ ′ Exercice : Montrer que si Φ̃ : B → B est un morphisme de C -algèbres avec B et B unitaires alors Φ(1) = P avec P 2 = P ∗ = P . Montrer que Φ̃ est une contraction (On pourra introduire la sous-algèbre P B ′ B et se ramener au cadre du Lemme 1.11). 1.6 Eléments positifs On travaille ici dans une C ∗ -algèbre unitaire A. Définition 1.13 On dit qu’un élément A de A est positif (on ne rajoute pas ou nul) et on note A ≥ 0 si A = A∗ et σ(A) ⊂ R+ . Proposition 1.14 Pour A ∈ A, on a l’équivalence A ∗ A ≥ 0 ⇔ A = A et 1 − ≤1 . kAk De plus l’ensemble A+ des éléments positifs est un cône convexe fermé. 7 Preuve : Pour A = A∗ on utilise le calcul fonctionnel x ≤1 A ≥ 0 ⇔ σ(A) ∈ [0, kAk] ⇔ ∀x ∈ σ(A), 0 ≤ 1 − kAk x 1 − A ≤ 1 . ≤ 1 ⇔ ⇔ sup 1 − kAk kAk x∈σ(A) Par le même raisonnement, si C = C ∗ est de norme kCk ≤ 1, l’élément 1 − C est positif. Pour A ≥ 0 et un scalaire λ ≥ 0, λA 6= 0, on a 1 − λA kλAk = 1− A kAk , d’où la propriété de cône. Pour la convexité on peut se ramener à kAk = kBk = 1 et on écrit pour A, B ∈ A+ , kAk = kBk = 1 et t ∈ [0, 1] k1 − (1 − t)A − tBk ≤ (1 − t) k1 − Ak + t k1 − Bk ≤ 1 . Comme C = 1 − (1 − t)A + tB est autoadjoint avec kCk ≤ 1, 1 − C ≥ 0 . Le caractère fermé s’obtient encore en restreignant à kAn k = 1 . Proposition 1.15 A ≥ 0 ⇔ ∃B ∈ A , A = B∗B . Remarque : Si on suppose B ≥ 0 alors B est unique et B = √ A. Dans le cas A = L(H), on retrouve la définition usuelle de A ≥ 0 : ∀ψ ∈ H , (ψ , Aψ) = kBψk2 ≥ 0 . Avant de démontrer cette proposition, on en déduit le Corollaire 1.16 Un morphisme de C ∗ -algèbres préserve la positivité. Preuve : ⇒ : A ≥ 0 signifie A = A∗ et σ(A) ⊂ [0, kAk]. On prend B = √ A donné par le calcul fonctionnel. ⇐ : Si A = B ∗ B alors A est autoadjoint et le calcul fontionnel permet d’introduire A+ = x+ (A) et A− = x− (A) donnés par x+ = max(x, 0) (resp. x− = − min(x, 0)). Les opérateurs A, A+ et A− commutent, avec de plus les relations A = A+ − A− , A+ A− = 0 et enfin (BA− )∗ (BA− ) = A− AA− = A− (A+ − A− )A− = −A3− ∈ −A+ . On pose BA− = S + iT avec S = BA− +(BA− )∗ 2 et T = BA− −(BA− )∗ , 2i S ∗ = S et T ∗ = T . On calcule (BA− )(BA− )∗ + (BA− )∗ (BA− ) = 2S 2 + 2T 2 ∈ A+ (BA− )(BA− )∗ = 2S 2 + 2T 2 + A3− ∈ A+ . 8 On utilise alors le Lemme 1.17 ci-dessous pour avoir R− ⊃ σ((BA− )∗ (BA− )) \ {0} = σ((BA− )(BA− )∗ ) \ {0} ⊂ R+ . Cela conduit à −A3− = (BA− )∗ (BA− ) = 0 et A = A+ ∈ A+ . Lemme 1.17 Pour C, D ∈ A, on a σ(CD) \ {0} = σ(DC) \ {0} . Preuve : Pour λ ∈ ̺(CD), la relation D(λ − CD) = (λ − DC)D entraîne DC = (λ − DC)D(λ − CD)−1 C puis DC 1 + D(λ − CD)−1 C = λ 1 + D(λ − CD)−1 C − λ et enfin (λ − DC) 1 + D(λ − CD)−1 C = +λ . Par ailleurs l’identité D [(λ − CD)−1 CD − CD(λ − CD)−1 ] C = 0 conduit à (λ − DC) 1 + D(λ − CD)−1 C = 1 + D(λ − CD)−1 C (λ − DC) . Ainsi tout λ non nul appartenant à ̺(CD) appartient à ̺(DC) . Conséquences : 1. Tout élément de A est une CL de 4 éléments ≥ 0 : A = AR + iAI = AR+ − AR− + iAI+ − iAI− avec AR = (A + A∗ )/2, AI = (A − A∗ )/2i et kAR ou I,± k ≤ kAk . 2. Sur A, on définit une relation d’ordre partiel (A+ est un cône convexe) par A ≥ B ⇔ A − B ∈ A+ . 3. Pour B ∈ A, on a (preuve en exercice) : kBk2 = kB ∗ Bk = inf {λ ∈ R+ , λ − B ∗ B ≥ 0} . Définition 1.18 On dit qu’une forme linéaire ω sur A est positive si ω(A) ≥ 0 pour tout A ∈ A+ . Proposition 1.19 Une forme linéaire sur A est positive ssi elle est continue et kωk = ω(1) . 9 Preuve : ⇒ : La positivité de ω((A + iλB)∗ (A + iλB)) pour tout λ ∈ C donne ω(B ∗ A) = ω(AB ∗ ) et |ω(B ∗ A)|2 ≤ ω(B ∗ B)ω(A∗ A) . Avec B = 1, cela donne |ω(A)|2 = |ω(1A)| ≤ ω(1)ω(A∗ A) . Comme kAk2 − A∗ A ≥ 0, on a aussi ω(kAk2 − A∗ A) ≥ 0 et par conséquent |ω(A)|2 ≤ kAk2 ω(1)2 . ⇐ : Supposons ω continue et kωk = ω(1). Pour A ≥ 0, on a 1 − A kAk A A ≤ ω(1) × 1 . ω(1 − 1 − ) ≤ kωk kAk kAk ≤ 1 et donc La linéarité donne alors ω(A) ≥ 0 . Définition 1.20 On appelle état sur A, une forme linéaire positive sur A telle que ω(1) = 1 . On dit qu’un état ω sur A est pur si toute forme linéaire positive majoré par ω est de la forme λω avec λ ∈ [0, 1] . Exemple : 1. Th. Riesz-Markov : Pour un espace topologique compact (X, T ), un état sur C 0 (X; C) est une mesure de probabilité. Les états purs sont les masses de Dirac. P 2. Sur L(H), ωψ (A) = (ψ , Aψ) pour ψ ∈ H, kψk = 1, ou ω(A) = i∈N λi (ψi , Aψi ) avec P ψi ∈ H, λi ≥ 0 et kψk = 1, i∈N λi = 1 sont des états. Les ωψ , ψ ∈ H, sont des états purs. Le Théorème de Gelfand généralise comme suit le calcul fonctionnel continû pour les opérateurs normaux. Théorème 1.21 Une C ∗ -algèbre commutative avec unité A est isomorphe à C 0 (X; C) où X est l’espace topologique compact des caractères sur A (coïncidant ici avec les états purs) muni de la topologie faible (i.e. associé à la famille de fonctions ω → ω(A) paramétrée par A ∈ A). On termine par quelques relations de comparaison. Proposition 1.22 Pour deux éléments A et B de A on a les relations logiques : 1. (A ≥ B ≥ 0) ⇒ (kAk ≥ kBk) . 2. (A ≥ 0) ⇒ (kAk A ≥ A2 ) . 3. (A ≥ B ≥ 0) ⇒ (C ∗ AC ≥ C ∗ BC ≥ 0 , ∀C ∈ A) . 10 4. (A ≥ B ≥ 0 et λ > 0) ⇒ ((λ + B)−1 ≥ (λ + A)−1 ) . Preuve : 1) A ≤ kAk entraîne 0 ≤ B ≤ kAk. Cette dernière relation se traduit par kAk−x ≥ 0 pour tout x ∈ σ(B). On en déduit kBk = r(B) ≤ kAk . 2) kAk x ≥ x2 pour x ∈ σ(A) ⊂ [0, kAk]. On conclut avec le calcul fonctionnel. 3) A − B = D∗ D implique C ∗ AC − C ∗ BC = (DC)∗ (DC) ≥ 0 . 4) Pour λ > 0, on utilise 3) avec C = (B + λ)−1/2 sur (A + λ) ≥ (B + λ) ≥ 0 . Ainsi A1 = (B +λ)−1/2 (A+λ)(B +λ)−1/2 ≥ 1 vérifie σ(A1 ) ⊂ [1, +∞). Pour x ≥ 1 on a 0 ≤ en déduit 0 ≤ 1 A1 1 x ≤ 1. On = (B +λ)1/2 (A+λ)−1 (B +λ)1/2 ≤ 1 et on réutilise 3) avec C = (B +λ)−1/2 . Corollaire 1.23 Pour A, B ∈ A et α ∈ (0, 1] on a les relations logiques : 1. (0 ≤ A ≤ B) ⇒ (0 ≤ Aα ≤ B α ) . 2. (0 ≤ A ≤ B et 0 6∈ σ(A)) ⇒ (log(A) ≤ log(B)) . Exercice : Démontrer cette proposition en utilisant xα = log A = limα→0+ Aα −1 α sin(πα) π . R∞ 0 wα−1 A(A + w)−1 dw et Exercice : Donner un exemple dans M2 (C) montrant que 0 ≤ A ≤ B n’entraîne pas 0 ≤ A2 ≤ ! 1 1 B 2 (Essayer A = et une matrice diagonale pour B) . 1 2 1 Calcul fonctionnel borélien Jusqu’à maintenant nous n’avons pas utilisé le fait que A = L(H) et d’autres topologies que celle donnée par la norme sur A. Les topologies fortes et faibles, moins fines, donnent un peu de souplesse. Rappelons que dans ce cas A ≥ B se traduit par ∀ψ ∈ H , (ψ , Aψ) ≥ (ψ , Bψ) . Preuve de l’équivalence énoncée ci-dessus : Dans un sens, la relation A − B ≥ C ∗ C entraîne ∀ψ ∈ H , (ψ , (A − B)ψ) = kCψk2 ≥ 0 . Inversement si pour D = A − B ∈ L(H), (ψ , Dψ) ≥ 0 pour tout ψ ∈ H, l’identité (ψ , D∗ ψ) − (ψ , Dψ) = −2i Im(ψ , Dψ) assure D∗ = D . Si σ(D) ∩ (−∞, 0) 6= ∅, le calcul fonctionnel continue donne l’existence d’une fonction continue ϕ réelle supportée dans (−∞, 0) telle que ϕ(D) 6= 0. L’opérateur ϕ2 (D)D = ϕ(D)Dϕ(D)∗ est positif. Par le calcul fonctionnel continu il 11 est aussi négatif car σ(ϕ2 (D)D) = {xϕ(x)2 , x ∈ R− } . En utilisant la première implication on en déduit ∀ψ ∈ H , 0 ≤ (ψ , ϕ2 (D)Dψ) ≤ 0 . Cela conduit à ϕ2 (D)D = 0 et donc à ϕ(D) = 0. Enfin pour un espace topologique (X, T ) compact ou localement compact, on note B(X) la tribu des boréliens et L∞ (X; C) l’ensemble des fonctions boréliennes bornées de X dans C . 2.1 Construction générale Proposition 2.1 Une famille filtrée (Aα )α∈J , (J est muni d’un ordre partiel et toute paire {α, β} ⊂ J admet un majorant dans J ) croissante (α ≤ β implique Aα ≤ Aβ ) d’éléments Aα ≥ 0 de L(H), majorée (il existe B ∈ L(H) tel que Aα ≤ B pour tout α ∈ J ), admet une borne supérieure A = sup Aα ∈ L(H) . α∈J De plus on a A = s − limα↑ Aα . Remarque : Le cas d’une famille filtrée croissante majorée quelconque (Bα )α∈J se ramène au cas d’une famille positive en considérant Aα = Bα − Bα0 pour α ≥ α0 , α0 fixé. Preuve : Pour tout ψ ∈ H, la famille ((ψ , Aα ψ))α∈J est une famille filtrée croissante de R majorée par (ψ , Bψ). On pose alors sup(ψ , Aα ψ) = lim(ψ , Aα ψ) = w − lim Aα = Q(ψ, ψ) , α↑ α∈J α↑ et avec l’identité de polarisation on peut définir une forme sesquilinéaire Q(ϕ, ψ) = limα↑ (ϕ , Aα ψ) . Pour ϕ, ψ ∈ H de norme 1, on écrit 1 [+((+ψ + ϕ) , Aα (+ψ + ϕ)) − ((−ψ + ϕ) , Aα (−ψ + ϕ)) 4 +i((+iψ + ϕ) , Aα (+iψ + ϕ)) − i((−iψ + ϕ) , Aα (−iψ + ϕ))] |Q(ϕ, ψ)| ≤ lim α↑ ≤ kBk [kψk + kϕk]2 ≤ 4kBk . Cela conduit à |Q(ϕ, ψ)| ≤ 4kBkkϕkkψk pour des ϕ et ψ quelconque. Avec le théorème de représentation de Riesz, on en déduit qu’il existe A ∈ L(H) tel que ∀ϕ, ψ ∈ H , (ϕ , Aψ) = Q(ϕ, ψ) = lim(ϕ , Aα ψ) , α↑ c’est à dire A = w − limα↑ Aα avec les encadrements 0 ≤ Aα ≤ A ≤ B qui assure aussi la borne kAk ≤ 1kBk . 12 Il reste à vérifier la convergence forte. La famille (A − Aα )α∈J forme une famille décroissante d’opérateurs positifs. En particulier on peut écrire pour α ∈ J , (A − Aα )1/2 2 ≤ sup (φ , (A − Aα )φ) ≤ sup (φ , Aφ) ≤ kAk , kφk2 kφk2 φ6=0 φ6=0 et pour tout ψ ∈ H 2 2 k(A − Aα )ψk2 ≤ (A − Aα )1/2 (A − Aα )1/2 ψ ≤ kAk [(ψ , Aψ) − (ψ , Aα ψ)] où le dernier membre tend vers 0 . Cela prouve limα↑ Aα ψ = Aψ pour tout ψ ∈ H . Lemme 2.2 Soit (X, T ) un espace topologique compact. On suppose qu’il existe un morphisme Φ de C ∗ -algèbres de C 0 (X; C) dans L(H) tel que Φ(1) = 1. Pour tout ψ ∈ H, la forme linéaire f ∈ C 0 (X; C) → (ψ , Φ(f )ψ) ∈ C définit une mesure borélienne positive µψ,Φ sur X de masse totale kψk2 (de probabilité si kψk = 1) . De plus la relation, ∀ψ ∈ H , (ψ , Φ(f )ψ) = Z f (x) dµψ,Φ (x) . (2.1) X définit un élément de L(H) pour toute fonction borélienne bornée f ∈ L∞ (X) . Preuve : |µψ,Φ (f )| ≤ kψk2 kΦ(f )k ≤ kψk2 maxλ∈X̄ |f (λ)| . On applique le théorème de Riesz-Markov. Enfin le second membre de (2.1) est défini pour toute fonction borélienne bornée sur X et a une norme majorée par supx∈X |f (x)| . On conclut en utilisant à nouveau les identités de polarisation. Théorème 2.3 Soit (X, T ) un espace topologique compact et Φ un morphisme de C ∗ -algèbres de C 0 (X; C) dans L(H). Alors le prolongement de Φ défini par (2.1) est un morphisme de C ∗ algèbres de L∞ (X) (avec la norme supx∈X |f (x)|) dans L(H) . De plus, si une famille filtrée (fα )α∈J de L∞ (X) et f ∈ L∞ (X) vérifient pour toute mesure de Radon µ de masse finie sur X lim α↑ Z X |f − fα |2 dµ , (2.2) alors s − limα↑ Φ(fα ) = Φ(f ) au sens de la limite forte des opérateurs. Remarque : — Le morphisme de L∞ (X; C) dans L(H) n’est en général pas injectif même si sa restriction à C 0 (X; C) l’est. (Penser au calcul fonctionnel pour (Au)(x) = xu(x) sur L2 ([0, 1], dx).) . 13 — La convergence supposée dans (2.2) intervient dans plusieurs cas. Tout d’abord le théorème de convergence dominée donne ce résultat si J = N et (fn )n∈N est une suite de fonctions boréliennes uniformément bornée et convergeant simplement vers f . Mais d’autres cas avec J ensemble filtrant quelconque sont utiles ici : La régularité intérieure et extérieure des mesures de Radon donne pour tout borélien E, en notant K les compacts et Ω les ouverts, Z lim |1E − 1K |2 dµ ≤ µ(E) − sup µ(K) = 0 K↑E X K⊂E Z lim |1E − 1Ω |2 dµ ≤ lim µ(Ω) − µ(E) = 0 . Ω↓E (µ ≥ 0) Ω↓E X Un autre cas est celui d’un sup d’une famille croissante de fonctions continues (avec µ ≥ 0). Soit (fα )α∈J une famille filtrée croissante uniformément majorée de fonctions continues à valeurs réelles, alors f (x) = supα∈J fα (x) = limα↑ fα (x) est une fonction borélienne et sup α∈J Z fα dµ = lim α↑ X Z fα dµ = X Z f dµ = X Z sup fα dµ . (2.3) X α∈J En effet la mesurabilité de f vient de f −1 ((a, +∞)) = ∪α fα−1 ((a, +∞)) et la convergence des intégrales se fait par recouvrement du compact X par des voisinages de xj,ε tels que fα (x) ≥ f (x) − ε pour x ∈ Vxj,ε et α ≥ αj,ε . Preuve : Le point délicat de la preuve du théorème est de vérifier la propriété d’algèbre Φ(f )Φ(g) = Φ(f g). Pour cela nous allons travailler pas à pas, un peu comme dans la preuve du Théorème de Riesz-Markov, en vérifiant sur des cas particuliers la propriété de convergence forte qui permet de composer les passages à la limite. On note K un compact de X, Ω un ouvert de X, E un borélien de X, χ une fonction continue sur X telle que 0 ≤ χ ≤ 1 . La definition (2.1) et le résultat (2.3) pour les bornes supérieures de fonctions continues donnent Φ(1Ω ) = sup Φ(χ) χ≤1Ω et la Proposition 2.1 assure alors Φ(1Ω ) = s − lim Φ(χ) . χ↑1Ω La convergence forte donne pour ψ ∈ H , (ψ , Φ(1Ω1 )Φ(1Ω2 )ψ) = lim lim (ψ , Φ(χ1 )Φ(χ2 )ψ) = lim lim χ1 ↑1Ω1 χ2 ↑1Ω2 Z = 1Ω1 ∩Ω2 dµψ,Φ = (ψ , Φ(1Ω1 × 1Ω2 )ψ) , χ1 ↑1Ω1 χ2 ↑1Ω2 X 14 Z χ1 χ2 dµψ,Φ X en utilisant à nouveau (2.3) . Par passage au complémentaire on en déduit Φ(1E1 )Φ(1E2 ) = Φ(1E1 1E2 ) avec chaque Ei compact ou ouvert. On procède de même avec Φ(1E ) = sup Φ(1K ) K↑E la Proposition 2.1 et la régularité intérieure des mesures de Radon pour obtenir Φ(1E1 )Φ(1E2 ) = Φ(1E1 × 1E2 ) pour tout E1 , E2 ∈ B(X) . Cela donne Φ(s1 s2 ) = Φ(s1 )Φ(s2 ) pour toute paire de fonctions étagées. On termine en écrivant qu’une fonction f ∈ L∞ (X) positive est limite d’une suite croissante de fonction étagée (sn )n∈N et Φ(f ) = sup Φ(sn ) . n∈N On utilise la Proposition 2.1 et cette fois-ci la convergence dominée pour obtenir Φ(f1 )Φ(f2 ) = Φ(f1 f2 ) pour deux fonctions fi ∈ L∞ (X), f1 ≥ 0 et f2 ≥ 0. Le cas général f1 , f2 ∈ L∞ (X), s’obtient par combinaison linéaire. Ainsi Φ : L∞ (X) → L(H) est un morphisme de C ∗ -algèbres. Le dernier résultat de convergence se déduit maintenant de la propriété de morphisme d’algèbre en écrivant pour ψ ∈ H : ∗ 2 k(Φ(f ) − Φ(fα ))ψk = (ψ , (Φ(f ) − Φ(fα )) (Φ(f ) − Φ(fα ))ψ) = Z X |f − fα |2 dµψ,Φ . Définition 2.4 Dans le cadre du théorème 2.3 , la famille (PE )E∈B(X) PE = Φ(1E ) pour E borélien de X est appelée mesure à valeur projection orthogonale car elle vérifie — P∅ = 0, PX = 1 , — PE∩E ′ = PE PE ′ et PE∗ = PE , — si (En )n∈N est une suite de boréliens disjoints et E = ⊔n∈N En PE = s − lim N →∞ N X n=0 ⊥ PEn = ⊕ PEn . n∈N De plus si PB0 = 1 pour B0 ∈ B(X), on dit que P est portée par B0 . Remarque : On rappelle que pour une projection orthogonale P = P 2 = P ∗ , son image est fermée et H = Ran P ⊕⊥ ker P . Dans un espace localement compact (X, T ), le complété de l’ensemble des fonctions à support compact est C00 (X) = {f ∈ C 0 (X), X ∪ {∞} . limx→∞ f (x) = 0} , qui est un idéal fermé de C 0 (X̄) , X̄ = 15 Corollaire 2.5 Le résultat du théorème est encore valable si (X, T ) est un espace localement 0 compact et si le morphisme Φ : C(0) (X) → L(H) vérifie supC00 (X)∋χ↑1 Φ(χ) = 1 . Preuve : Il suffit de définir Φ(ϕ + λ) = Φ(ϕ) + λ sur C 0 (X̄) = C00 (X) ⊕ C. On applique le théorème pour réaliser ensuite que l’hypothèse supC00 (X)∋χ↑1 Φ(χ) = 1 entraîne Φ(1X ) = 1 et que la mesure (PE )E∈B(X̄) est portée par X . 2.2 Application Le théorème général s’applique au morphisme Φ(f ) = f (A, A∗ ) avec A normal et X = σ(A) ou X = C. Définition 2.6 Si A ∈ L(H) est normal, A∗ A = AA∗ , et pour ψ ∈ H, on définit la mesure de Radon µψ,A sur X = σ(A) (ou X = C) par ∀f ∈ ∗ C00 (X) , (ψ , f (A, A )ψ) = Z f dµψ,A . σ(A) Proposition 2.7 Pour A ∈ L(H) normal, on définit un morphisme de C ∗ -algèbres de L∞ (X), X = σ(A) ou X = C par (2.1) avec Φ(f ) = f (A, A∗ ). Il vérifie les propriétés énoncées au Théorème 2.3. On a de plus l’implication l’équivalence pour B ∈ L(H) (BA = AB et A∗ B = BA∗ ) ⇔ (∀f ∈ L∞ (σ(A)) , f (A, A∗ )B = Bf (A, A∗ )) . Preuve : Pour la dernière propriété on passe des polynômes aux fonctions continues sur σ(A) par passage à la limite en norme, puis des fonctions continues aux fonctions boréliennes par (plusieurs) passage(s) à la limite dans la topologie forte des opérateurs. Pour un opérateur autoadjoint A, on note Eλ = 1]−∞,λ) (A) et comme (ψ , Eλ ψ) est une fonction positive croissante à variation bornée et de dérivée mesure µψ,A , on peut écrire Z (ψ , f (A)ψ) = f (λ) d(ψ , Eλ ψ) . R Définition 2.8 Pour un opérateur autoadjoint A ∈ L(H), f ∈ L∞ (R) et la famille (Eλ )λ∈R associée, on note f (A) = 2.3 Z f (λ) dEλ . R Décomposition polaire Définition 2.9 Pour deux espaces de Hilbert H et H′ , on appelle opérateur unitaire, une isométrie U : H → H′ bijective. Une isométrie est toujours injective. On dit que U : H → H′ est une isométrie partielle si U ker U ⊥ est une isométrie. 16 Proposition 2.10 Si U est une isométrie partielle sur H, alors U ∗ U est la projection orthogonale sur (ker U )⊥ et U U ∗ est la projection orthogonale sur Ran U qui est fermée . En particulier U ∗ = U −1 si U est unitaire. Preuve : Si U est unitaire alors on a pour ϕ ∈ H′ ∀ψ ∈ H , (U ∗ ϕ , ψ) = (ϕ , U ψ) = (U −1 ϕ , ψ) ce qui entraîne U ∗ ϕ = U −1 ϕ . Dans le cas d’une isométrie partielle U , Ran U est un sous-espace de Hilbert et U : (ker U )⊥ → Ran U est une transformation unitaire. Exercice : Montrer que U est unitaire si et seulement si U et normal et son spectre est inclus dans S1 = {|z| = 1}. Exercice : Transformation de Cayley : Vérifier que A ∈ L(H), A est autoadjoint si et seulement si U = (A + i)−1 (A − i) est unitaire avec −1 6∈ σ(U ). Donner la caractérisation inverse. Exercice : On suppose que (en )n∈N est une base Hilbertienne de H. Etudier le spectre de l’isométrie S donnée par S(en ) = en+1 . Définition 2.11 Pour A ∈ L(H), on pose |A| = √ A∗ A . Théorème 2.12 Décomposition polaire : Tout opérateur A ∈ L(H) admet la décomposition A = U |A| où U est une isométrie partielle de H. De plus Ran U = Ran A et U est déterminé de façon unique si on suppose ker U = ker A. Preuve : On remarque que Aψ = 0 equivaut à On décompose R R+ ⊥ λ dµψ,A∗ A (λ) = 0 et donc A∗ Aψ = |A| ψ = 0. ⊥ H = Ran 1{0} (A∗ A) ⊕ Ran 1(0,kAk2 ] (A∗ A) = ker(A) ⊕ ker(A)⊥ . De plus ker A et (ker A)⊥ sont invariants par l’action de l’opérateur autoadjoint |A| . De plus par le calcul fonctionnel, F = |A|ψ, ψ ∈ (ker A)⊥ définit un ensemble dense de (ker A)⊥ en bijection avec (ker A)⊥ . Il n’y a qu’une façon de définir U sur F en posant U (|A|ψ) = Aψ. On alors pour ψ ∈ (ker A)⊥ kU (|A|ψ)k2 = kAψk2 = (ψ , A∗ Aψ) = k|A|ψk2 . Ainsi U est une isométrie sur F qui a un prolongement unique à F = (ker A)⊥ . L’hypothèse ker U = ker A et l’unitarité détermine entièrement U . L’image de U est l’adhérence de l’image par A de (ker A)⊥ , c’est à dire de l’image de A . 17 3 Opérateurs compacts 3.1 Definition et caractérisation Ici on travaille avec deux espaces de Banach E et F par forcément hilbertiens. Définition 3.1 On dit qu’un opérateur A : E → F est compact si l’image de tout borné de E est relativement compact dans F , i.e. a une adhérence compacte dans F . On note K(E, F ) l’ensemble des opérateurs compacts de E dans F . Exemple : Les opérateurs de rang fini sont compacts. Exercice : Montrer que sur C 0 ([0, 1]; R) et pour K ∈ C 0 ([0, 1]2 ; R) l’opérateur Z 1 (TK ϕ)(x) = K(x, y)ϕ(y) dy 0 est compact de C 0 ([0, 1]; R) dans lui-même. Proposition 3.2 1. Un opérateur T : E → F est compact si pour toute suite bornée (xn )n∈N bornée de E, la suite image (T xn )n∈N admet une sous-suite convergente. 2. K(E, F ) est un sous-espace fermé de L(E, F ) pour la topologie de la norme. 3. Une limite en norme d’une suite d’opérateurs de rang fini est compact. Si F est un espace de Hilbert, un opérateur compact est toujours la limite d’une suite d’opérateurs de rang fini. 4. Un opérateur compact envoie les suites faiblement convergentes de E vers des suites convergentes de F . 5. Si E est réflexif, 4) caractérise les opérateurs compacts. 6. Si T ∈ L(E, F ) est compact si et seulement si son transposé T ′ ∈ L(F ′ , E ′ ) est compact. 7. Pour T ∈ L(E, F ) et S ∈ L(F, G), ST est compact dès que l’un des deux l’est. Exercice : Démontrer cette proposition. 3.2 Spectre des opérateurs compacts. On rappelle le Lemme de Riesz. Lemme 3.3 Dans un espace de Banach E si M est un sous-espace fermé distinct de E, pour tout ε > 0, il existe uε ∈ E tel que kuε k = 1 et inf v∈M kuε − vk ≥ 1 − ε. Preuve : Prenons x ∈ E \ M . Comme M est fermé d(x, M ) > 0 et on peut trouver xε ∈ M tel que d(x, M ) ≤ kx − xε k ≤ (1 − ε)−1 d(x, M ). Le vecteur uε = 18 x−xε kx−xε k vérifie la condtion. Théorème 3.4 Soit E un espace de Banach de dimension infinie et T ∈ K(E). Alors 0 ∈ σ(T ), σ(T ) ∩ C∗ est un ensemble discret fait de valeurs propres de multiplicités (géométrique et algébrique) finies. (La multiplicité géométrique est dim ker(T − λ) et la multiplicité algébrique supn∈N dim ker(T − λ)n .) Preuve : a) Si 0 n’est pas dans le spectre de T alors Id = T T −1 est un opérateur compact de E. Ce n’est possible que si E est de dimension finie. b1) Supposons λ ∈ σ(T ), λ 6= 0 avec ker(T − λ) = {0}. Vérifions que Ran (T − λ) est fermée. Pour une suite (un )n∈N telle que limn→∞ T un − λun = v la norme kun k est uniformément bornée par rapport à n ∈ N. En effet si limk→∞ kunk k = +∞, on travaille avec wk = u nk kunk k qui vérifie limk→∞ (T wk − λwk ) = 0 et la compacité de T permet d’extraire un sous-suite telle que limj→∞ T wkj = λw, ce qui donne l’existence de de w ∈ ker(T − λ) avec kwk = 1 ! Mais si kun k est uniformément borné, la compacité de T assure après extraction d’une sous-suite limk→∞ T unk = w′ et limk→∞ unk = z = λ1 (v − w′ ), d’où l’on déduit v ∈ Ran (T − λ) . b2) Supposons λ ∈ σ(T ) \ {0} avec ker(T − λ) = {0} et Ran (T − λ) 6= E. La suite En = (T − λ)n E est alors une suite strictement décroissante de sous-espaces fermés. D’après le Lemme de Riesz on peut trouver pour tout n ∈ N un un ∈ En tel que kun k = 1 et inf v∈En+1 kun − vk ≥ 1/2. Pour n > m, on obtient T un − T um = [(T − λ)un − (T − λ)um + λun ] − λum où [· · · ] ∈ Em+1 et par conséquent kT un − T um k ≥ λ/2, ce qui contredit la compacité de T ! Donc par contraposée Ran (T − λ) = E et (T − λ) est une bijection. De b1) et b2) on déduit que λ ∈ σ(T ) \ {0} n’est pas possible si ker(T − λ) = {0} . Ainsi un élément du spectre est une valeur propre. c) On suppose que (λn )n∈N est une suite de valeurs propres distinctes convergeant vers λ ∈ C avec des vecteurs propres associés, e0 , e1 , e2 . . ., de norme ken k = 1. L’espace En = Ce0 + · · · + Cen−1 est un espace de dimension n inclus dans En+1 avec en 6∈ En et (T − λn )En+1 ⊂ En . Le Lemme de Riesz permet de trouver une suite (un )n∈N de E telle que kun k = 1 pour tout n ∈ N, un ∈ En+1 et inf v∈En kun − vk ≥ 1/2. En supposant λ 6= 0, l’inégalité suivante pour n > m T u n T u m T un − λ n u n T um − λ m u m 1 = ≥ , − − − u + u m n λn 2 λm λn λm contredit à nouveau la compacité de T . On a ainsi montré que les valeurs propres non nulles forment un ensemble discret de C∗ . d) Il reste à vérifier que pour λ ∈ C∗ , supn∈N dim ker(T −λ)n . En premier lieu ker(T −λ)n est de dimension finie pour tout n ∈ N. En effet pour n > 0, x ∈ ker(T −λ)n se traduit par λn x = Aλ,n x avec An,λ ∈ K(E). On en déduit {x ∈ ker(T − λ)n , kxk ≤ 1} est un compact de E, ce qui n’est 19 possible que si ker(T − λ)n est de dimension finie. On en déduit alors comme en dimension finie en étudiant (T − λ)ker(T −λ)n que l’inclusion ker(T − λ)n+1 ⊃ ker(T − λ)n est une égalité pour tout n ≥ n0 dès que ker(T − λ)n0 +1 = ker(T − λ)n0 . L’hypothèse supn∈N dim ker(T − λ)n = +∞ impose que la suite En = ker(T − λ)n est une suite strictement croissante de sous-espace fermé. On lui associe la suite (un )n∈N∗ tel que un ∈ En , kun k = 1 et inf v∈En−1 kun − vk ≥ 1/2. On termine comme au b2) en raisonnant cette fois-ci avec m > n . Exercice : Retrouver l’alternative de Fredholm : Pour T compact, ker(1 − T ) est de dimension finie, Ran (1 − T ) est fermée et vaut ker(1 − T ′ )⊥ ; enfin ker(1 − T ) et ker(1 − T ′ ) ont même dimension. Corollaire 3.5 Soit H et H′ deux espaces de Hilbert de dimension infinie. 1. Si A ∈ K(H) avec A = A∗ , alors σ(A) \ {0} est un sous-ensemble discret de R tout λ ∈ σ(A) non nul est une valeur propre réelle de multiplicité finie et ker(A − λ)n = ker(A − λ) pour tout n ∈ N∗ . 2. Pour T ∈ K(H, H′ ), Ran T est un sous-espace de Hilbert séparable de H′ et (ker T )⊥ est un sous-espace séparable de H . Exercice : Vérifier. En conséquence un opérateur autoadjoint compact A = A∗ ∈ K(H) sur un espace de Hilbert H, séparable ou non, admet une base Hilbertienne de vecteurs propres avec la décomposition : ⊥ A = (⊕λn 6=0 λn Πn ) ⊕ 0 où Πn est la projection orthogonale sur l’espace de dimension finie ker(A − λn ) avec la décom⊥ position H = (⊕λn 6=0 ker(A − λn )) ⊕ ker A. 3.3 Valeurs singulières ⊥ Un opérateur compact T : H1 → H2 !peut toujours être identifié à un opérateur de H1 ⊕ H2 0 0 dans lui-même sous la forme . T 0 On peut donc supposer T ∈ K(H) et utiliser le résultat sur la décomposition polaire T = U |T | √ avec |T | = T ∗ T ∈ K(H). En complétant la base de (ker U )⊥ en (ψn )n∈N et en posant ϕn = U ψn si µn 6= 0, on obtient. Proposition 3.6 Supposons H séparable (on peut s’y ramener). Pour T ∈ K(H), il existe deux bases hilbertiennes (ϕn )n∈N∗ de Ran T et (ψn )n∈N∗ et une suite (µn )n∈N∗ , µn ≥ 0, limn→∞ µn = 0 20 tels que ∀u ∈ H , ∞ X Tu = µn (ψn , u)ϕn . n=1 Définition 3.7 Pour T ∈ K(H), on note pour n ≥ 1, µn (T ) la n-ième valeur propre de |T | dans l’ordre décroissant µ1 (T ) = kT k . On l’appelle n-ième valeur singulière de T . On peut définir les classes de Schatten d’opérateurs compacts ( ) ∞ X Lp (H) = T ∈ K(H) , µn (T )p < +∞ n=1 pour p ∈ [1, +∞) et L∞ (H) = K(H) . 1. Les ensembles Lp (H) sont des espaces de Banach, chacun muni de la norme k kLp donnée par kT kpLp = ∞ X n=1 µn (T )p = Tr [|T |p ] , pour p < +∞ et kT kL∞ = kT k. (Il n’est pas complètement évident de vérifier que k kp est une norme). ′ 2. Inégalité de Hölder : Pour A ∈ Lp et B ∈ Lp avec 1 p + 1 p′ = 1 et 1 ≤ r < +∞, on a |T r [A∗ B]| ≤ kAkLp kBkLp′ kABkLr ≤ kAkLrp kBkLrp′ On en déduit L1 (H) ⊂ Lp (H) ⊂ Lq (H) ⊂ K(H) ⊂ L(H) pour 1 ≤ p ≤ q ≤ ∞. 3. Lp (H) est un idéal bilatère de L(H). ′ 4. Pour 1 < p < +∞, Lp (H) est le dual topologique de Lp (H). L2 (H) est l’espace de Hilbert des opérateurs de Hilbert-Schmidt. L’espace des opérateurs à trace L1 (H) est le dual topologique de K(H) et L(H) est le dual topologique de L1 (H). Exercice : Montrer que les opérateurs de Hilbert-Schmidt sur L2 ([0, 1], dx) sont de la forme (TK ϕ)(x) = avec K ∈ L2 ([0, 1] × [0, 1] , dxdy) . Z 1 K(x, y)ϕ(y) dy , 0 21