Chaapitree 96 Le silenc s ce et sees secrets Al-Sam mt wa Asrârihi DU Sheiikh al--Akba ar seyiidi Mu uhy ad d-dîn IIbn ‘Arabî Introducction & traaduction par SLIM MANE RE EZKI Chapitre 96 Le silence et ses secrets Al-Samt wa Asrârihi DU Sheikh al-Akbar seyidi Muhy ad-dîn Ibn ‘Arabî Introduction & traduction par SLIMANE REZKI © Mai 2012, Tabernacle des Lumières 1 Chapitre 96 Le silence et ses secrets Al-Samt wa Asrârihi Sheikh al-Akbar seyidi Muhy ad-dîn Ibn ‘Arabî Allah s’exprime par la langue de Son serviteur Le silence est parmi les mondes, un genre nécessaire Il ne reste que ceux qui se parlent à eux-mêmes Ce sont ceux qui n’écoutent qu’eux-mêmes et le monde1 Il est pourtant le Seul existant, il n’y a que Lui Ceci est la Vérité évidente, la seule qui ait court Sache, et qu’Allah t’agrée, que le silence est l’un des quatre fondements devant être maîtrisé par les hommes et les femmes de la catégorie des Abdâl2. Certains ont demandé combien compte de membres cette catégorie ? On dit qu’ils sont quarante. On demanda encore pourquoi ne dis-tu pas que ce sont des hommes ? Ce à quoi l’on répond : parmi eux se trouvent des femmes, comme nous l’enseigne l’Envoyé d’Allah à propos de la perfection ; parmi les gens de cette qualité parfaite se trouvent des femmes dont les modèles mentionnés sont Maryam la fille de ‘Imrân et Asiah l’épouse de Pharaon. Le silence comprend un état et une station spirituelle3. En tant que station spirituelle, il n’existe qu’un seul Locuteur, Celui qui a existencié le Verbe en Ses serviteurs et qui n’est autre qu’Allah le Très Haut, qui a existencié toute chose. Le serviteur est, par essence, silencieux, et locuteur par participation momentanée4. En tant qu’état, le silence consiste à voir que, si Allah a existencié en l’être le pouvoir de locution, c’est que l’unique Locuteur est en lui, comme le fait qu’il soit doué de mouvement n’est due qu’à la faculté de se mouvoir qui a été existenciée en lui. Il ne convient pas que le silence soit compris comme le fait que l’être se taise et ne prononce aucune parole car il lui est ordonné, par exemple, de pratiquer l’invocation d’Allah le Très Haut en certaines circonstances. Cet ordre impératif (de faire le dhikr) implique que cette station spirituelle est conditionnée par l’attribut de Transcendance qui est un attribut de négation5 et son statut est 1 Al-kawn ici exprime le monde créé donc formel. En tant que tel, il représente toutes les réalités partielles qui ne peuvent prétendre à une indépendance et à se substituer au Locuteur unique. Toute parole autre que la sienne est vaine et limitée. 2 Cf. la traduction de Michel Vâlsan du traité intitulé « La Parure des Abdâl » parue aux Editions de l’œuvre en 1992. 3 La grande différence de l’état et de la station spirituelle dans la terminologie technique islamique est que l’état est passager alors que la station spirituelle est stable. 4 En somme, l’homme ne parle que pour transmettre et existencier le Verbe divin en ce monde. La parole est Sa parole et la parole de l’homme en tant qu’individu n’est que bruit vain. L’homme est par nature silencieux, le Locuteur unique est Allah qui s’exprime de derrière les voiles que constituent les êtres créés dans leur ensemble. 5 L’aspect de transcendance se suffisant à lui-même nie ainsi toute autre réalité que la sienne. Sous cet aspect, la manifestation formelle et tout ce qui est d’ordre immanent et relatif disparaît. C’est à ce titre que l’homme se doit d’être silencieux et donc inexistant. En l’occurrence la négation est inverse car l’ordre de faire le dhikr peut constituer une rupture du silence et exprimer la situation d’indigence de l’homme qui est obligé de pratiquer le dhikr pour se réaliser et finalement comprendre la vraie nature du silence. 2 extérieur à l’homme. Cependant, sous l’angle de sa situation intérieure, il ne peut être silencieux car il est tout entier « parlant » (nâtiq) par la glorification d’Allah6. Le silence est impossible, la parole est considérée comme supérieure au silence tel qu’on le comprend couramment, celui qui renonce au silence et s’exprime sans nécessité, sans invoqué Allah, n’est pas silencieux7. Le silencieux est celui qui s’acquitte de la partie du Verbe qui lui incombe sans renoncer au silence alors qu’il s’exprime continuellement avec mesure8, celui-ci est silencieux. Lorsque l’homme veut éprouver son âme afin de savoir s’il est silencieux comme il convient de l’être, il doit vérifier s’il agit ou non selon une énergie personnelle dans ce qu’il entreprend. Autrement dit, agit-il par autre chose que la parole9, s’il produit un effet et atteint son but (sans s’exprimer) c’est qu’il est réellement silencieux. A l’image de celui qui désire dire à son serviteur, verse-moi de l’eau, amène-moi à manger ou va voir un tel et dis-lui telle chose, sans exprimer ce désir formellement et sans y faire allusion. Il voit alors que son serviteur a tout compris comme si Allah lui avait fait entendre les désirs du maître, c’est comme s’il avait entendu, un tel m’a dit ; fait telle chose et qu’il l’entendait vraiment (avec son oreille sensible) en pensant que c’est la voix de (son maître) pourtant resté silencieux. Ce n’est pas comme cela que ça se passe pour ceux qui ne possèdent pas l’état correspondant. Ainsi, lorsqu’une personne désire garder le silence et ne s’exprimer que par allusion (gestuelle ou autres), elle ne fait que rendre les choses difficiles, pour lui comme pour les autres. Elle ne parvient alors à rien d’effectif, et ressemble aux muets qui ne s’expriment que par signes. Ceci est stérile, la question du silence est l’une de celles sur laquelle l’ensemble des gens de la voie s’est trompé. Celui qui s’adresse à lui-même de bons conseils, nous dressons pour lui la Balance10 de cette station spirituelle qui sera son moyen de discernement jusqu’à ce qu’il parvienne à cesser de simuler. Ne parviennent à cela que les gens divins, les réalisés contemplatifs. Personne d’autres n’y parvient, ni les croyants, ni les musulmans qui n’ont pas atteint la station de la réalisation contemplative (al-ihsân). 6 L’Homme représentant l’expression divine la plus accomplie en ce monde, il est « expression ». Tout son être exprime la louange divine qu’il en soit conscient ou non et sous cet angle, il est l’inverse du silence qui constitue une possibilité non exprimée, non-manifestée. 7 En fait, ici le Sheikh nous enseigne que le verbe divin est silence, le Verbe étant « mystère », il est comme le rappelle R. Guénon, le mutus Liber des hermétistes, littéralement le « livre muet ». Il est en même temps le livre des symboles, en tant que le symbolisme peut être véritablement regardé comme le langage du silence. 8 Nous retrouvons la définition du début de chapitre, le silence correspond à l’absence de parole vaine. Ainsi, celui qui s’exprime à bon escient est silencieux. 9 Le Verbe divin est existentiateur, ainsi si sa parole est d’origine divine elle suffit à engendrer les effets désirés. Dans le cas contraire, la parole émise est la traduction d’une volonté individuelle et le plus souvent en contradiction avec le vouloir divin. 10 Dans ce cas, il n’y a pas silence au sens où l’entend le Sheikh al-Akbar 3