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extérieur à l’homme. Cependant, sous l’angle de sa situation intérieure, il ne peut être
silencieux car il est tout entier « parlant » (nâtiq) par la glorification d’Allah6.
Le silence est impossible, la parole est considérée comme supérieure au silence tel
qu’on le comprend couramment, celui qui renonce au silence et s’exprime sans nécessité, sans
invoqué Allah, n’est pas silencieux7. Le silencieux est celui qui s’acquitte de la partie du
Verbe qui lui incombe sans renoncer au silence alors qu’il s’exprime continuellement avec
mesure8, celui-ci est silencieux.
Lorsque l’homme veut éprouver son âme afin de savoir s’il est silencieux comme il
convient de l’être, il doit vérifier s’il agit ou non selon une énergie personnelle dans ce qu’il
entreprend. Autrement dit, agit-il par autre chose que la parole9, s’il produit un effet et atteint
son but (sans s’exprimer) c’est qu’il est réellement silencieux. A l’image de celui qui désire
dire à son serviteur, verse-moi de l’eau, amène-moi à manger ou va voir un tel et dis-lui telle
chose, sans exprimer ce désir formellement et sans y faire allusion. Il voit alors que son
serviteur a tout compris comme si Allah lui avait fait entendre les désirs du maître, c’est
comme s’il avait entendu, un tel m’a dit ; fait telle chose et qu’il l’entendait vraiment (avec
son oreille sensible) en pensant que c’est la voix de (son maître) pourtant resté silencieux. Ce
n’est pas comme cela que ça se passe pour ceux qui ne possèdent pas l’état correspondant.
Ainsi, lorsqu’une personne désire garder le silence et ne s’exprimer que par allusion (gestuelle
ou autres), elle ne fait que rendre les choses difficiles, pour lui comme pour les autres. Elle ne
parvient alors à rien d’effectif, et ressemble aux muets qui ne s’expriment que par signes. Ceci
est stérile, la question du silence est l’une de celles sur laquelle l’ensemble des gens de la voie
s’est trompé.
Celui qui s’adresse à lui-même de bons conseils, nous dressons pour lui la Balance10
de cette station spirituelle qui sera son moyen de discernement jusqu’à ce qu’il parvienne à
cesser de simuler. Ne parviennent à cela que les gens divins, les réalisés contemplatifs.
Personne d’autres n’y parvient, ni les croyants, ni les musulmans qui n’ont pas atteint la
station de la réalisation contemplative (al-ihsân).
6 L’Homme représentant l’expression divine la plus accomplie en ce monde, il est « expression ». Tout son être
exprime la louange divine qu’il en soit conscient ou non et sous cet angle, il est l’inverse du silence qui constitue
une possibilité non exprimée, non-manifestée.
7 En fait, ici le Sheikh nous enseigne que le verbe divin est silence, le Verbe étant « mystère », il est comme le
rappelle R. Guénon, le mutus Liber des hermétistes, littéralement le « livre muet ». Il est en même temps le livre
des symboles, en tant que le symbolisme peut être véritablement regardé comme le langage du silence.
8 Nous retrouvons la définition du début de chapitre, le silence correspond à l’absence de parole vaine. Ainsi,
celui qui s’exprime à bon escient est silencieux.
9 Le Verbe divin est existentiateur, ainsi si sa parole est d’origine divine elle suffit à engendrer les effets désirés.
Dans le cas contraire, la parole émise est la traduction d’une volonté individuelle et le plus souvent en
contradiction avec le vouloir divin.
10 Dans ce cas, il n’y a pas silence au sens où l’entend le Sheikh al-Akbar