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6 « Comme au Moyen Age on dormait nu dans son lit, il n’est pas étonnant que les mourants représentés à
cette époque semblent être totalement dévêtu. D’autres notions sont liées à cette nudité, et tout d’abord l’état
d’innocence dans lequel l’homme devait quitter ce monde : tel qu’il y était entré ; le parallèle est ainsi fait
entre la naissance et la mort, son âme étant d’ailleurs souvent représentée sous la forme d’un petit homme nu
qui évoque le nouveau-né. Cette nudité exprime également l’humilité de l’homme qui va comparaître devant
Dieu, il va être mis à nu. Etre nu, c’est aussi abandonner l’apparence donnée par le vêtement : on ne peut plus
rien cacher de soi-même, de sa vie, de son âme et l’on perd jusqu’au insignes de sa profession et de son
identité sociale. La séparation est en train de se consommer. Le corps nu, c’est donc celui qui se trouve en
situation de marge, en situation de passage... » Florence Bayard, le corps à l’agonie.
7 “La mort est l’irruption brutale d’un silence écrasant, insoutenable. Le dernier souffle est le dernier son
d’une humanité encore concevable. Au moment où la mort s’empare de l’homme elle le frappe de silence.
Aux parages de la mort, la parole défaille, se montre hésitante, les gestes perdent leur assurance. Le silence
marque sa présence avec une rare intensité. Le chagrin et la difficulté de communiquer étouffent la parole et
l’impuissance à mettre du sens sur l’événement, à recréer le lien multiplie la douleur. » David Le Breton, Du
silence.
8 « Dans l’avant, devant ce corps qui hésite entre la vie et la mort, nous disons la place qu’une société, qu’une
culture ou qu’une tradition donne au corps : exalté ou oublié, glorifié ou rejeté ; dans l’après, par le culte, la
liturgie ou le rite, nous prolongeons notre regard sur notre propre corps : du corps momifié des Egyptiens au
corps expérimental de l’autopsie, nous parcourons une diversité d’attitudes, de l’affirmation de la foi en un
au-delà auquel ce corps passé participera, à la peur de tout au-delà qui justifie l’appel désespéré à des
spécialistes auxquels on confie le soin de scruter la mort pour prolonger envers et contre tout la vie qui
s’enfuit du corps... » Marc Baietto, Le mourant et le cadavre.
9 Cette idée s’exprime parfaitement par la douleur que nous ressentons à la perte d’un être cher. Cet être cher,
nous l’avons introduit au cours des années dans notre système nerveux. Les relations innombrables établies
entre lui et nous et que nous avons intériorisées, font de lui une partie intégrante de nous-mêmes. La douleur
de as perte est ressentie comme une amputation de notre moi, c’est-à-dire comme la suppression brutale et
définitive de l’activité nerveuse que nous tenions de lui. Ce n’est pas lui que nous pleurons, c’est nous-
mêmes. Nous pleurons cette partie de lui qui était en nous et qui était nécessaire au fonctionnement
harmonieux de notre système nerveux. La douleur morale est bien celle d’une amputation sans anesthésie.
Ainsi, ce que nous emportons dans la tombe, c’est essentiellement ce que les autres nous ont donné. » Henri
Laborit, Eloge de la fuite.
10 Au Moyen-Age, les Artes moriendi (Arts du bien mourir) sont des livrets de préparation à la mort destinés
soit au mourant, soit à son “assistant”. L’artes moriendi résume les différentes étapes par lesquelles passe
l’agonisant et s’intéresse à ses réactions et à l’aide qu’on peut lui apporter. Ces livrets portent un message
normatif, à travers eux, on appréhende bien cette attitude modèle que l’Eglise va de plus en plus exiger du
mourant, mais aussi du vivant. Ils proposent donc un rituel maîtrisant l’attitude de l’homme à sa dernière
heure. Florence Bayard, Le corps à l’agonie.
11 « L’histoire de l’art est un théâtre de la mort esthétisée. L’histoire de l’art montre combien le sexe, la sang
et la mort l’irriguent et la nourrissent substantiellement. Combien de scènes de guerre, de crucifixions,
d’assassinats, combien de crimes, de suicides, combien de sang versé, de potences, de tortures accrochées aux
murs des musées. Des murs de Lascaux aux fresques classiques des peintures de bataille en passant par la
scénographie du martyrologue chrétien, la pulsion de mort traverse les arts. » Paul Ardenne, L’image-corps.
12 Jean-Luc Nancy, Corpus.