Note introductive et aperçu

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Note introductive
Note introductive
et aperçu
En 1957, James Vicary annonce les incroyables résultats de ses
travaux : il serait parvenu à prendre le contrôle du comportement
des spectateurs au cinéma pour leur faire acheter plus de CocaCola (Rogers, 1992). Son secret ? Implanter dans l’esprit de la cible
un message qui guidera son comportement sans que celui-ci ne se
rende compte d’y avoir été exposé. Sa technique ? Intercaler dans
un film toutes les 5 secondes pendant 3 millisecondes le message
« Drink Coca-Cola ».
Cette même année, Packard (1957) publiait son livre « The Hidden
Persuaders » exposant au public de nouvelles méthodes utilisées en
marketing, plus tard appelées méthodes d’amorçage, capables
d’orienter le comportement des consommateurs contre leur gré.
Mais il ne s’arrête pas là et consacre la seconde partie de son
ouvrage aux utilisations alarmantes de ces procédés de
manipulation à des fins idéologiques.
Ces techniques émergentes intéressèrent rapidement le
gouvernement américain qui ne tarda pas à demander à Vicary de
réaliser une démonstration privée de ses travaux à Washington en
novembre 1957 (Rogers, 1992). En décembre de la même année,
deux réseaux majeurs de diffusion télévisuelle américains bannirent
l’utilisation de la publicité subliminale (E. Taylor, 2007; The Daily
Cavalier, 1957). Quelque temps plus tard, la CIA développait son
propre programme de recherche (Gafford, 1958) sur l’efficacité de
la perception subliminale. Le Royaume-Uni et l’Australie ne
tardèrent pas à suivre les États-Unis dans leurs interdictions.
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Note introductive
C’est probablement la prohibition quasi immédiate dans les médias et l’intérêt tout
particulier du gouvernement américain pour la manipulation du public, dans le contexte
éminemment singulier de la guerre froide, qui a contribué au développement d’un
imaginaire populaire fort sur l’efficacité et la puissance de ces télécommandes
mentales.
Pourtant, peu de temps après que ses travaux eurent embrasé les médias et généré un
véritable mythe, James Vicary révélait qu’en réalité ses expériences n’avaient jamais eu
lieu (Strahan, Spencer, & Zanna, 2002). Il s’agissait en fait d’un coup médiatique destiné à
sauver son entreprise de communication sur la voie de la faillite (Karremans, Stroebe, &
Claus, 2006).
Malgré un départ plus que hasardeux, on retrouve à ce jour sur les étagères des
librairies, des ouvrages expliquant comment de subtils indices perçus sans expérience
consciente peuvent exercer un impact considérable sur nos choix et prises de
décisions (Gladwell, 2006). Ceci souligne à quel point les concepts d’amorçage et
d’activation de comportement pénètrent notre raison. Et pour cause, ils touchent à un
problème philosophique fondamental, à savoir le déterminisme de nos
comportements. Est-il réellement possible de déclencher ou d’altérer le
comportement de quelqu’un à l’aide d’indices subtils ? L’idée de Vicary était-elle si
insensée ?
Pendant plus de 50 ans, des générations de chercheurs d’obédiences multiples se
penchèrent sur cette question, la soumettant à l’épreuve d’un examen scientifique et
rigoureux. Peu à peu, ils amoncelèrent les connaissances et démonstrations d’un
phénomène qui sera appelé « amorçage ». Aujourd’hui, ce domaine de recherche s’est
grandement étoffé et représente un objet d’étude incontournable en psychologie
cognitive. En cognition sociale, il a même dépassé ce statut pour devenir un outil de
prédilection pour l’étude des comportements automatiques.
Pourtant, les processus qui sous-tendent l’amorçage sont loin d’être entièrement
connus et leur description ne fait pas l’unanimité. Près d’un demi-siècle après la
supercherie de Vicary, ce concept divise toujours les communautés de chercheurs. Les
uns soutiennent la faible influence de l’amorçage lors de la détermination de nos
comportements alors que les autres lui prêtent une position centrale. C’est dans ce
débat que s’inscrit cette thèse. En combinant les points de vue des deux camps, mais
aussi leurs méthodes respectives, elle vise à y apporter de nouvelles réponses.
Cette démarche sera présentée en quatre chapitres. Le premier apportera les éléments
nécessaires à la compréhension des notions sur lesquelles se basent les travaux décrits
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Note introductive
dans les chapitres suivants. Il décrira, séparément dans un premier temps, l’amorçage,
son origine, son évolution et ses théories contemporaines au sein de la psychologie
cognitive et la cognition sociale. Dans un second temps, il mettra en évidence les
similarités et divergences dans la manière dont ce concept est envisagé dans chacune
des deux disciplines.
Dans le chapitre 2, il s’agira de revisiter à l’aide des critiques issues de la psychologie
cognitive l’expérience la plus emblématique de l’amorçage en cognition sociale :
l’influence de l’amorçage du concept de vieillesse sur la vitesse de marche de Bargh,
Chen et Brurrows (1996). Ce chapitre relatera l’ensemble des travaux de réplication
que j’ai entrepris, leurs répercussions dans les différentes sphères de la recherche, la
controverse qui en a découlé et leurs contributions à d’importants changements dans
les pratiques de la recherche en psychologie.
Le troisième chapitre présentera les aspects épistémologiques sur lesquels s’appuie
cette vague de changements dans la recherche en psychologie. Dans ce contexte, nous
aborderons le concept de réplication et tenterons d’évaluer son utilité ainsi que la
place qu’il occupe dans le processus d’élaboration des savoirs. J’évoquerai les
problèmes que cette situation engendre et aborderai les pistes de solutions
envisageables.
Dans le chapitre 4, une des solutions sera appliquée plus particulièrement à la
problématique de l’amorçage social. Ceci servira de point de départ à un ensemble de
travaux empiriques visant à lui porter un regard nouveau. Un accent particulier sera
placé sur la description de techniques novatrices combinant des méthodes empruntées
aux deux camps. Ainsi, pour dépasser les limites imposées par la réponse
comportementale dans les expériences sur l’amorçage, il sera proposé de coupler les
enregistrements électromyographiques au test des associations implicites. Les
implications théoriques de ces travaux seront discutées.
Enfin, cette dissertation propose d’offrir une contribution significative au débat portant
sur l’amorçage entre la psychologie cognitive et la cognition sociale. En confrontant les
deux perspectives, mais aussi en apportant un ensemble de techniques innovantes et
les résultats qui en découlent, je proposerai une conception résolument unificatrice
d’un concept qui est source de discorde depuis bien longtemps.
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