ANTIBIOTIQUES – Sensibilité et résistance Jean-Philippe Rasigade ([email protected]) Année universitaire 2016 -2017. 1. Contexte : ITEM ECN 173 - Prescription et surveillance des antibiotiques anti-infectieux ATB = agent du traitement médical des infections bactériennes Molécules naturelles ou synthétiques Alexander Flemming 1928 : description pénicilline Usage large à partir des années 1940 (2nde guerre mondiale) Sélection de bactéries résistantes si usage trop large Résistance progresse plus vite que l’introduction de nouvelles molécules « Bactéries multi-résistantes » (BMR) : risque d’impasse thérapeutique 2. Généralités sur la résistance Les mécanismes de résistance découlent des conditions d’activité d’un ATB Principaux mécanismes : résistance par o imperméabilité : l’ATB n’atteint pas sa cible o dégradation enzymatique : l’ATB est inactivé par une enzyme bactérienne avant d’atteindre sa cible o modification de la cible : mutation/évolution de la cible qui perd son affinité pour l’ATB o redondance de la cible : le mécanisme bactérien ciblé est maintenu par une voie supplémentaire insensible à l’ATB, même si la cible est atteinte Définitions : o résistance naturelle : toute l’espèce bactérienne est résistance o résistance acquise : seules certaines souches de l’espèce sont résistantes o résistance croisée : résistance à plusieurs ATB par le même mécanisme o résistance associée : résistance à plusieurs ATB par plusieurs mécanismes associés ATB bactéricide : o tue les bactéries, qui ne peuvent plus cultiver o théoriquement efficace indépendamment de la réponse immunitaire ATB bactériostatique : o bloque la croissance des bactéries, qui peuvent encore cultiver o théoriquement efficace en complément de la réponse immunitaire Spectre d’activité o estime la sensibilité d’une bactérie à un ATB avant d’obtenir l’antibiogramme o fourni dans le Résumé des Caractéristiques du Produit (Vidal) o peut être obsolète car les taux de résistance évoluent vite 1 ANTIBIOTIQUES – Sensibilité et résistance 2 3. Antibiogramme et Concentration Minimale Inhibitrice S Antibiogramme détermine les chances de succès d’un traitement par un ATB donné sur une bactérie spécifique Antibiogramme nécessaire dès qu’une résistance est possible et qu’un échec thérapeutique est rapidement dangereux (typiquement : méningite, bactériémie) Principe général : déterminer si la concentration minimale inhibitrice (CMI) est supérieure à la concentration atteignable chez le patient CMI = plus petite concentration capable d’inhiber la croissance bactérienne Différent de la CMB, concentration minimale bactéricide, jamais mesurée en pratique (NB : un ATB est bactéricide si la CMB est moins de 2x plus élevée que la CMI, sinon l’ATB est bactériostatique) Mesure de CMI en pratique : o antibiogramme par diffusion, calcule la CMI en fonction du diamètre d’inhibition (sans croissance bactérienne) autour d’un dépôt d’antibiotique sur une boîte de Pétri o mesure directe de la CMI par méthode automatisée Interprétation clinique de la CMI : par comparaison à des valeurs seuils définies pour chaque ATB et tenant compte o de la concentration atteignable chez le patient (toxicité) o du risque de résistance acquise dans l’espèce bactérienne Interprétation clinique en trois catégories : o Sensible : probabilité de succès thérapeutique acceptable en cas de traitement à dose habituelle par voie générale (CMI inférieure au seuil de sensibilité) o Intermédiaire : succès thérapeutique imprévisible (CMI entre le seuil de sensibilité et le seuil de résistance) o Résistant : forte probabilité d'échec thérapeutique quel que soit le traitement (CMI supérieure au seuil de résistance) c I C R m g/l 4. Mécanismes d’action et mécanismes de résistance Les mécanismes de résistance existent déjà dans la nature car les ATB et les bactéries évoluent ensemble depuis plusieurs milliards d’années Principales cibles des ATB : o Paroi bactérienne (β-lactamines, glycopeptides, fosfomycine) : un blocage de la synthèse ou du renouvellement de la paroi est bactéricide o ADN (fluoroquinolones) : l’ADN surenroulé doit être déroulé pour permettre la transcription ; un blocage du réenroulage laisse l’ADN en situation « simple brin », ce qui est bactéricide 2 o Ribosome (aminosides, macrolides) : le blocage de la synthèse protéique est bactériostatique (macrolides) ; si ce blocage s’accompagne de protéines malformées, l’effet est bactéricide (aminosides) 5. Principales classes d’antibiotiques β-lactamines (ex : amoxicilline) : les ATB les plus prescrits. Efficaces, bactéricides et peu toxiques. o cible = protéines liant la pénicilline (PLP), responsables de la synthèse du peptidoglycane (paroi) o résistance par modification de cible (pneumocoque de sensibilité diminuée à la pénicilline, PSDP) : gènes des PLP échangés partiellement avec ceux de streptocoques oraux résistants ; par conséquence, PLP « mosaïque » gardant sa fonction mais ayant une affinité diminuée pour les β-lactamines o résistance par redondance de cible (S. aureus résistant à la méticilline, SARM) : acquisition d’un gène mecA codant une PLP supplémentaire (PLP2A) qui continue à assurer la synthèse du peptidoglycane même si les autres PLP sont bloquées. Un SARM est une BMR. o résistance par dégradation enzymatique (surtout les bacilles Gram négatif) : pénicillinase, céphalosporinase de bas et haut niveau, βlactamase à spectre étendu (BLSE), carbapénémase. Les BGN ayant une résistance au moins égale à une céphalosporinase de haut niveau sont des BMR. o la résistance par pénicillinase peut être contournée par l’ajout d’un inhibiteur de β-lactamase (IBL) qui fixe la pénicillinase sans être dégradé. Principe de l’amoxicilline-acide clavulanique (Augmentin®). Les IBL sont inutiles si la résistance n’est pas enzymatique (SARM, PSDP). glycopeptides (ex : vancomycine) : par voie IV, principalement à l’hôpital. Toxicité rénale, bactéricides en 24h. o cible = peptidoglycane. La fixation de la vancomycine empêche la stabilisation du peptidoglycane nouvellement synthétisé. o résistance naturelle des Gram négatif par imperméabilité (la vancomycine ne traverse pas la membrane externe) o résistance naturelle de certains entérocoques par modification du peptidoglycane o résistance acquise par épaississement de la paroi (≈imperméabilité), surtout chez les staphylocoques 3 ANTIBIOTIQUES – Sensibilité et résistance 4 o plus rarement, résistance acquise par modification du peptidoglycane, surtout chez les entérocoques et exceptionellement chez S. aureus. aminosides (ex : gentamicine) : par voie IV, uniquement à l’hôpital. Fortement et rapidement bactéricides, mais toxicité rénale et auditive élevée. o cible = ribosome. Les aminosides interfèrent avec la traduction de l’ARN messager et produisent des protéines malformées. o résistance naturelle par imperméabilité : les aminosides traversent la membrane bactérienne en utilisant les chaînes de transport respiratoire. Les bactéries anaérobies (dont les streptocoques) sont dépourvues de ces chaînes de transport et sont imperméables aux aminosides. Cependant, l’association avec un antibiotique ciblant la paroi (dont β-lactamines et glycopeptides) restaure l’activité en facilitant l’entrée de l’aminoside, d’où l’utilisation quasi-systématique des aminosides en association. o résistance acquise par dégradation enzymatique macrolides et apparentés (ex : erythromycine) : par voie per os, très prescrits en ville. Bactériostatiques, très peu toxiques. o cible = ribosome. Contrairement aux aminosides, les macrolides bloquent l’élongation protéique sans provoquer d’erreurs de lecture. La bactérie est « mise en pause » mais pas tuée. o résistance naturelle des Gram négatifs par imperméabilité o résistance acquise par modification du site de fixation au ribosome fluroroquinolones (ex : ofloxacine) : par voie per os, prescrites à la fois en ville et à l’hôpital. Bactéricides, modérément toxiques (toxicité tendineuse et musculaire). o cible = ADN déroulé (plus exactement ADN gyrase et topoisomérase). Les fluoroquinolones empêchent le réenroulage de l’ADN après la transcription—l’ADN simple brin est fragilisé. o résistance acquise par modification des enzymes cibles 6. Mots anglais Antimicrobial agent Susceptibility / intermediate resistance / resistance Minimum inhibitory concentration (MIC) Multidrug-resistant (MDR) bacteria 4