Les capes d`invisibilité et l`optique transformationnelle

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Les capes d’invisibilité
et l’optique transformationnelle
En 2006, la proposition faite par John Pendry de mettre au point une cape d’invisibilité a connu un important
retentissement médiatique. Derrière cette annonce spectaculaire se profile la silhouette d’une nouvelle
approche de l’optique : l’optique transformationnelle. Fondée sur l’invariance des équations fondamentales
de l’électromagnétisme par rapport aux déformations de l’espace, elle ouvre une voie novatrice pour la
conception des dispositifs nano-technologiques en optique.
L
’invisibilité a depuis fort longtemps et jusqu’à nos
jours fasciné les hommes. De Platon qui l’évoque
dans le mythe de Gygès au personnage contemporain de Harry Potter, elle a été associée au surnaturel et
son irruption dans la sphère scientifique et technique ne
pouvait que susciter la curiosité voire l’étonnement d’un
large public. L’idée initiale due à John Pendry est pourtant
fort simple : si l’on déforme une portion de l’espace, on
peut imaginer que l’on déforme aussi le trajet des rayons
lumineux qui la traversent et si l’on s’arrange pour que
ceux-ci évitent une zone particulière, cette zone et tous les
objets qu’elle peut contenir deviennent de facto invisibles !
Bien évidemment, cette idée n’a pu germer que dans un
contexte où divers ingrédients semblaient la rendre réaliste. Le premier point fondamental est que les équations
qui décrivent la propagation des ondes électromagnétiques et donc le trajet de la lumière peuvent se décomposer, d’une part, en un ensemble d’équations intrinsèques
valables quel que soit le milieu et qui ne dépendent pas de
la géométrie (voir encadré 1) et d’autre part un ensemble
d’équations qui caractérisent le milieu et qui dépendent
de la géométrie. On peut ainsi associer les changements
de géométrie, c’est-à-dire les transformations de l’espace
ou les changements de coordonnées, à des propriétés
optiques et traduire une déformation de l’espace en
effets de matériaux équivalents : c’est l’idée directrice de
l’optique transformationnelle, une nouvelle façon de
­
concevoir les dispositifs optiques (les transformations
conformes, applicables au cas bidimensionnel, ont été utilisées de longue date par les opticiens et sont des cas particuliers pour lesquels les propriétés des matériaux sont
isotropes). Il suffit donc d’imaginer une déformation astucieuse mais fort simple de l’espace (voir encadré 2) et de lui
appliquer le principe de l’optique transformationnelle
pour obtenir les caractéristiques optiques d’une cape d’invisibilité. Bien évidemment, la question qui se pose
immédiatement est de savoir si nous avons à notre disposition des matériaux qui présentent les caractéristiques
idoines. Disons tout de suite que ces matériaux n’existent
pas à l’état naturel mais qu’un des domaines les plus actifs
de l’Optique moderne est justement la conception de
« métamatériaux » c’est-à-dire de structures dont les cellules de base, plus ou moins semblables, sont de tailles de
l’ordre de grandeur ou inférieures à la longueur d’onde et
contiennent des sous-structures constituées de matériaux
classiques. Les cellules de base et leur arrangement
ordonné confèrent à la structure totale des propriétés
optiques nouvelles, très différentes de celle des matériaux
de base et impossibles à trouver dans la gamme des matériaux homogènes naturels. Nous allons maintenant examiner un peu plus en détail ces différents points.
L’optique de transformation
Depuis l’achèvement d’une théorie cohérente de l’électromagnétisme par James Clerk Maxwell qu’il présenta à
la Royal Society en 1864, différentes notations ont été utilisées : les composantes en coordonnées cartésiennes par
Maxwell, les quaternions, les notations vectorielles qui
sont d’usage le plus courant aujourd’hui, les notations
tensorielles nécessaires au formalisme relativiste... Peu
importe, les équations restent les mêmes mais, néanmoins, derrière la simple écriture peut se cacher un enjeu
conceptuel ! Le calcul extérieur, introduit par Élie Cartan
vers les années 1920, est probablement la notation la plus
moderne mais surtout, elle révèle une structure profonde
des équations : nous avons d’une part les équations de
Article proposé par :
André Nicolet, [email protected]
Institut Fresnel, UMR 6133, CNRS / Centrale Marseille / Univ. Aix-Marseille 1 et 3, Marseille
39
Optique
Encadré 1
Géométrie différentielle et équations de Maxwell
Parler du champ électrique en un point n’a pas de sens
physique ! Cette grandeur est inaccessible car les capteurs
qui servent aux mesures ont toujours une extension finie.
Les seules grandeurs mesurables sont donc des grandeurs
globales qui sont des valeurs scalaires associées à des objets
géométriques finis, c’est-à-dire non ponctuels, même s’ils
peuvent être très petits. Dans le cas du champ électrique E,
cet objet géométrique est une courbe g qui symbolise par
exemple un fil conducteur utilisé pour mesurer la force électromotrice (f.é.m.) U exprimée en volts. Cette f.é.m. U est
l’intégrale curviligne de E le long de g, ce que nous notons
U = < E, g >. Le champ électrique est donc par nature l’intégrande d’une intégrale curviligne, ce que l’on appelle
une 1-forme différentielle. Une autre grandeur globale, le
flux magnétique Φ, est l’intégrale de flux de l’induction B
à travers une surface Σ, ce que nous notons Φ = < B, Σ >.
L’induction magnétique est donc par nature l’intégrande
d’une intégrale de flux, ce que l’on appelle une 2-forme différentielle. Si l’on considère ∂Σ, la courbe qui borde Σ (prendre
le bord ∂Σ d’une surface est une opération topologique), la
loi de Faraday (qui est une des équations de Maxwell) s’écrit
< E, ∂Σ > = –∂t < B, Σ >. Citons encore comme grandeur
globale la charge électrique Q, exprimée en coulombs, qui
est l’intégrale sur un volumeV de la densité volumique de
charge r, une 3-forme différentielle.
Les grandeurs globales U, Φ, Q… sont construites de
manière à être indépendantes du système de coordonnées
et donc insensibles aux déformations de l’espace : la loi de
transformation du champ physique, la forme différentielle,
compense la loi de transformation du capteur, le domaine
géométrique d’intégration, de manière à ce que l’intégrale
soit invariante. On peut ainsi montrer que les équations (aux
dérivées partielles) de Maxwell qui expriment, indépendamment des milieux matériels sous-jacents, des relations entre
grandeurs globales à l’aide de formes différentielles sont
insensibles aux déformations de l’espace.
Si l’on considère maintenant les relations constitutives
qui décrivent les milieux comme par exemple la relation
diélectrique du vide D = εoE, on remarque que cette dernière relie de façon algébrique le déplacement électrique D
(exprimé en coulombs/m2, une 2-forme dont la dimension
est celle d’une grandeur globale, la charge électrique, divisée
par une aire) et le champ électrique E (exprimé en volts/m,
une 1-forme dont la dimension est celle d’une grandeur
Maxwell proprement dites et d’autre part les équations,
dites relations constitutives, caractérisant le milieu matériel.
Les premières sont purement topologiques, c’est-à-dire
indépendantes du milieu matériel et de toute considération métrique, autrement dit de toute notion de distance
et d’angle. Les secondes, quant à elles, codent entièrement
les propriétés du milieu ainsi que les propriétés métriques.
La conséquence immédiate est que si on déforme l’espace de façon continue, les équations de Maxwell restent
inchangées alors que les équations constitutives prennent
en charge entièrement la déformation. La dernière étape
40
globale, la f.é.m., divisée par une longueur). Ne pouvant être
indépendante de l’unité de longueur, cette relation contient
donc par nature une information géométrique : c’est la notion
de métrique qui permet de calculer les distances et les angles.
En géométrie différentielle, la métrique est encodée dans un
opérateur algébrique – appelé opérateur de Hodge – qui établit une relation linéaire entre les 1-formes (par exemple E)
et les 2-formes (par exemple D).
Nous pouvons donc maintenant remarquer que les propriétés matérielles et les déformations de l’espace (décrites
par une transformation de coordonnées) sont encodées
ensemble grâce à cet opérateur métrique qui n’intervient
pas dans les équations de Maxwell mais qui est indispensable pour exprimer toute relation constitutive donnant les
propriétés électromagnétiques d’un milieu. Ainsi, une déformation de l’espace peut être traduite sous forme de relations
­constitutives de milieux équivalents !
Étant donné des coordonnées cartésiennes x, on peut
décrire localement une déformation de l’espace en introduisant des coordonnées x’, a priori arbitraires, et en mettant
ces coordonnées en correspondance par l’expression de x
en fonction de x’ soit x(x’ ). Si un système électromagnétique
est décrit dans les coordonnées x par sa permittivité diélectrique ε( x ) et sa perméabilité magnétique µ( x ) (qui sont des
champs de tenseurs, les milieux pouvant être anisotropes), le
système équivalent en coordonnées x’ est décrit par les propriétés matérielles équivalentes :
ε ′( x′) = J−1( x′)ε( x( x′))J−T ( x′) det(J( x′)),
µ′( x′) = J−1( x′)µ( x( x′))J−T ( x′) det(J( x′)).
(1)
où J = (∂x / ∂x′) est la matrice jacobienne de la transformation et J–T la transposée de son inverse J–1. Ici, « équivalent »
signifie que la solution de ce nouveau problème (la résolution des équations de Maxwell comme si on était toujours
en coordonnées cartésiennes mais avec les propriétés matérielles équivalentes) permet de retrouver les champs électromagnétiques qui sont les solutions du problème initial et,
surtout, signifie que les grandeurs globales sont conservées. Par
exemple, la f.é.m. U = < E, g > conserve la même valeur si on
l’évalue dans le système équivalent avec le champ électrique
correspondant E’ et l’image g’ de la courbe par la déformation de l’espace.
conceptuelle consiste à considérer que toute déformation
de l’espace peut-être incorporée dans des propriétés physiques équivalentes du milieu (permittivité diélectrique,
perméabilité magnétique et donc indice de réfraction). Tel
est le principe de base de l’optique de transformation : à
partir d’un milieu initial, par exemple l’espace libre, on
considère une déformation de l’espace qui peut transformer le trajet initial de la lumière pour le faire correspondre
au trajet désiré et cette transformation conduit, par des formules simples, aux relations constitutives nécessaires à la
réalisation de la fonction optique que l’on souhaite.
Les capes d’invisibilité et l’optique transformationnelle
Encadré 2
La transformation géométrique utilisée pour la cape d’invisibilité
Pour simplifier, nous considérons une géométrie, invariante par translation selon un axe, décrite par sa section
droite. Dans ce cas, la transformation de Pendry s’applique
à un cylindre de section circulaire : le plan  2 moins un
disque D1 de rayon R1 est appliqué sur le plan entier  2 de
telle façon qu’un disque D2 de rayon R2 > R1, concentrique à
D1, soit l’image de l’anneau D2 \ D1 par une transformation
radiale (voir la figure E1). En coordonnées cylindriques, cette
transformation est donnée par :
r = f (r ′) = (r ′ − R )R /(R − R ) pour R ≤ r ′ ≤ R ,
1 2
2
1
1
2 (2)

θ = θ ′, z = z′.
À l’extérieur du disque D2, l’application entre les deux
copies de  2 \D2 est simplement l’identité.
Les propriétés matérielles équivalentes sont données
directement par la règle (1) de l’encadré 1 qui fournit la structure de la cape d’invisibilité : à l’extérieur de D2, où les propriétés matérielles sont inchangées, tout se passe comme
si nous étions toujours en espace libre, y compris pour des
ondes électromagnétique qui traversent la cape (la région
D2) et le contenu de D1 n’influence en rien le comportement
de ces ondes (voir les figures 1 à 3). Les caractéristiques de
la cape proprement dite ( r ′ ∈ [R1 ,R2 ] ) sont données par la
matrice :
Notons que ces principes ont été introduits avant la
notion même d’optique de transformation. Depuis les
années 90, l’un d’entre nous utilisait l’invariance topologique des équations de Maxwell pour la mise au point de
modèles numériques et, à l’Institut Fresnel, nous avons
publié en 2004, bien antérieurement à la notion de cape
d’invisibilité, le principe d’équivalence entre des transformations géométriques et des propriétés physiques, mais
pour des applications entièrement différentes puisqu’il
s’agissait de la modélisation de fibres optiques microstructurées torsadées. Ce principe est d’ailleurs fort utile
pour la résolution de divers problèmes liés à la modélisation numérique de problèmes électromagnétiques.
Le principe de la cape d’invisibilité
Avec l’optique de transformation à notre disposition, la
recette pour concevoir une cape d’invisibilité est simple :
prendre une région compacte de l’espace, faire un petit
trou ponctuel en son centre puis élargir ce dernier en
ne modifiant pas le bord extérieur de la région mais en
­comprimant la zone comprise entre celui-ci et le bord du
trou (voir encadré 2). On peut imaginer que l’espace dans
cette région est une substance compressible que l’on
écrase contre le bord extérieur au fur et à mesure que l’on
élargit le trou central. On calcule ensuite simplement les
propriétés électromagnétiques correspondant à cette transformation. De l’extérieur de la région transformée en cape,
rien n’est visuellement modifié mais le trou au centre de la
 r′ − R

1 , r ′ , c 2 r ′ − R1  R(θ ′)T
R(θ ′) diag 

11
′
′
′
−
r
r
R
r


1
avec c11 = R2 /(R2 − R1 ), R(θ ′) la matrice de rotation par un
angle θ ′ et diag la matrice diagonale construite à l’aide des
trois arguments. Il faut simplement multiplier la permittivité e0 et la perméabilité m0 originales, toutes deux scalaires,
par cette matrice pour obtenir les tenseurs de permittivité et
perméabilité équivalentes en coordonnées cartésiennes.
Figure E1 – La transformation de Pendry.
cape est une région absolument invisible où peut se cacher
n’importe quel objet ! Ceci est illustré par les figures 1 à 3
qui présentent la simulation numérique d’une cape d’invisibilité par la méthode des éléments finis : initialement
une source émet des ondes cylindriques (figure 1). Si on
introduit un objet diélectrique, par exemple, il diffracte
ces ondes, ce qui le rend détectable (figure 2). On l’entoure
alors d’une cape d’invisibilité : à l’extérieur de la cape, les
ondes retrouvent leur configuration initiale et l’objet diélectrique est donc parfaitement invisible (figure 3) !
A l’Institut Fresnel, en concertation avec John Pendry,
nous avons développé en 2006 un modèle numérique
montrant que les idées de ce dernier fonctionnaient parfaitement bien au-delà de l’approximation de l’Optique
géométrique : la cape fonctionne pour tous les types
d’onde électromagnétique y compris lorsque les sources
sont extrêmement proches de la cape et que le modèle
complet des équations de Maxwell est nécessaire pour étudier le phénomène.
Les métamatériaux
Une fois déterminées les caractéristiques de la cape
d’invisibilité, il n’y a plus qu’à la fabriquer. C’est évidemment ici que se trouve la pierre d’achoppement : les
matériaux nécessaires à sa construction n’existent pas !
La situation est d’autant plus critique que les propriétés requises sont vraiment extraordinaires : en trouant
l’espace, on change en fait la topologie initiale ce qui se
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Optique
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Figure 1 – Antenne filaire produisant des ondes électromagnétiques cylindriques (le champ électrique est polarisé parallèlement au fil dont la section
est ici le point dont émanent les ondes). On a représenté la partie réelle (c’està-dire la valeur à un instant donné) de la composante longitudinale du champ
électrique (la seule non nulle dans le cas présent).
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Figure 2 – En présence d’un objet diélectrique ou conducteur (ici en forme de
F), les ondes cylindriques sont diffractées. C’est cette modification du champ
qui permet de voir l’objet.
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Figure 3 – Grâce à la cape d’invisibilité, ici la coque cylindrique qui entoure
l’objet diffractant en forme de F (définie par les deux cercles), région où les
propriétés optiques sont modifiées par la transformation de Pendry en accord
avec les règles de l’optique de transformation, les ondes électromagnétiques
évitent la zone où se trouve cet objet (le disque central) mais ne sont pas perturbées à l’extérieur de la cape (l’extérieur du plus grand cercle). L’objet est
donc invisible et la source semble rayonner en dehors de la cape dans un
espace vide.
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traduit par des singularités dans les propriétés matérielles qui prennent des valeurs infinies sur le bord intérieur de la cape. Néanmoins nous pouvons essayer de
créer des matériaux artificiels aux propriétés voisines de
celles escomptées en espérant obtenir une cape relativement fonctionnelle. En fait, si l’idée de la cape a émergé
aujourd’hui, c’est que depuis environ deux décennies
les opticiens travaillent sur de tels matériaux qui sont,
en quelque sorte, les analogues optiques des matériaux
composites de la Mécanique : ce sont des structures artificielles constituées d’un assemblage, supposé périodique
du point de vue théorique, de composants élémentaires
(sphères, fils, anneaux, tubes... qui sont diélectriques
ou métalliques...). Ces structures possèdent au niveau
macroscopique (c’est-à-dire à une échelle supérieure à la
longueur d’onde) des propriétés électromagnétiques effectives qui ne sont pas connues à l’état naturel. Suivant les
cas on parle de cristaux photoniques (matériaux à bande
interdite photonique qui sont plutôt constitués de diélectriques) ou de métamatériaux qui utilisent également les
métaux. La mode actuelle semble être la plasmonique :
on tire parti du fait que certains métaux présentent, aux
longueurs d’onde de l’Optique, une permittivité négative
(avec des pertes relativement faibles) liée à la résonance
des électrons de conduction (plasmons) pour réaliser des
structures résonantes ouvertes de dimension très inférieure à la longueur d’onde telles que des nanosphères
d’or, par exemple. Actuellement, la recherche sur les métamatériaux est extrêmement active avec une problématique
double. Le premier volet est la conception théorique de
ces structures : comment leur donner les caractéristiques
voulues. Parmi les difficultés inhérentes au domaine, on
peut citer la limitation des pertes puisqu’il s’agit en général de mettre au point des systèmes qui transmettent parfaitement la lumière. Un autre problème important est la
conception de structures fonctionnant sur une large bande
de fréquences. Imaginez Harry Potter avec une cape ne
fonctionnant que pour la lumière bleue ! L’ensemble
des structures possibles étant extrêmement vaste, le travail exploratoire reste très important sans que l’on ait la
garantie d’obtenir des résultats satisfaisants. Le second
volet, quant à lui, est tout simplement la fabrication de ces
structures. Sachant que les longueurs d’ondes optiques se
situent entre 380 nm et 780 nm, on imagine le défi technologique qui consiste à structurer la matière à de telles
échelles. Bien évidemment, la technologie de la nano-électronique fournit ici des techniques remarquables qui sont
extrêmement utiles pour les expérimentations actuelles,
mais le passage à des structures réellement tridimensionnelles plutôt que planaires reste une véritable gageure.
Indice de réfraction négatif
et superlentilles
Les métamatériaux et l’Optique de transformation ne
sont évidemment pas confinés au seul développement
des capes d’invisibilité. Bien au contraire, ils excitent
Les capes d’invisibilité et l’optique transformationnelle
l’imagination des opticiens qui leurs cherchent de nombreux usages et les matériaux à indice de réfraction négatif sont une autre application spectaculaire de ces idées.
L’indice négatif est obtenu par combinaison d’une permittivité diélectrique et d’une perméabilité magnétique
toutes deux négatives pour les matériaux décrits ci-dessus.
Les propriétés d’un tel matériau avaient été étudiées par
Victor Veselago en 1967. Ce dernier avait montré qu’alors
la réfraction de la lumière était négative : le rayon réfracté
se situe du même côté de la normale que le rayon incident. Cette propriété étonnante ouvre la voie à une optique
entièrement nouvelle. Pour autant, faute de trouver des
matériaux possédant ces propriétés, l’article de Veselago
était resté lettre morte. Mais en 1999, J. Pendry a montré qu’il est possible d’obtenir une activité magnétique par
le biais de métamatériaux et que la perméabilité obtenue
s’avère être négative dans certaines bandes de fréquences.
Associée à une permittivité négative, elle autorise la
conception d’objets dont l’indice de réfraction effectif est
négatif et la première preuve expérimentale d’une réfraction négative fut donnée par David Smith et David Schultz
en 2001. Leur métamatériau opérait dans le domaine centimétrique, ce qui autorisait des dimensions macroscopiques. Depuis, de grands progrès ont été accomplis pour
atteindre les régions du spectre visible. Un autre article de
Pendry fit sensation : en utilisant les matériaux à indice de
réfraction négatif, il montra qu’il était possible de concevoir une « superlentille » ayant une résolution théoriquement parfaite. De très nombreux travaux expérimentaux
ont suivi, d’abord en micro-ondes et aujourd’hui près du
domaine visible. Si la connexion avec les métamatériaux
est ici évidente, il existe également un lien très fort avec
l’optique de transformation : si l’on introduit une transformation géométrique qui consiste en un repliement de
l’espace sur lui même, on obtient une superlentille. Sur la
figure 4, on a représenté le graphe d’une telle transformation agissant sur la distance radiale (comme dans le cas de
la transformation de Pendry), ce qui donne une superlentille cylindrique. La partie de pente négative de ce graphe
conduit, en appliquant les formules (1) de l’encadré 1, à des
matériaux équivalents dont l’indice de réfraction est négatif et elle correspond ainsi à la superlentille. On voit également qu’il existe un voisinage de la lentille pour lequel un
point source a deux images : une première à l’intérieur de
la lentille et une seconde de l’autre côté de la lentille ; ceci
est dû au repliement de l’espace sur lui-même. La figure 5
(partie gauche) illustre le comportement de cette lentille
en présence d’une source d’ondes cylindriques (l’antenne
– ou l’émetteur – est ici un petit cylindre situé sur la droite
et dont la section apparaît en bleu clair). Comme pour la
cape d’invisibilité, nous avons transformé l’espace libre
(voir la fonction de transformation sur la figure E1) et nous
voyons qu’en dehors de la lentille les ondes restent cylindriques comme si elles étaient insensibles à sa présence
(les deux cercles concentriques au milieu de la figure 5),
mais nous observons également les deux images de la
source (taches en bleu foncé entourées de rouge correspondant aux valeurs maximales du champ) qui se forment
Figure 4 – Conception d’une superlentille par transformation géométrique :
un repliement de l’espace sur lui-même conduit à des matériaux d’indice de
réfraction négatif. Ici, le repliement selon la distance radiale r conduit à une
superlentille cylindrique : la coordonnée radiale ordinaire r est une fonction
de r ’, la nouvelle coordonnée radiale « repliée ». Le repliement de l’espace fait
apparaître deux images du point source. La région grise correspond au « pli »
de l’espace donc à la super-lentille, l’indice optique du matériau équivalent y
devient négatif (pente négative de r(r ’)).
dans l’anneau qui constitue la lentille proprement dite, et
dans le disque central où l’on obtient une image à l’échelle
un quart de la source et des ondes cylindriques. Si l’on
place maintenant un objet diffractant dans le voisinage de
l’image de la source dans la partie centrale, on agit sur la
totalité du champ électromagnétique. Sur la figure 5 (partie droite), on a placé un déflecteur métallique à gauche de
l’image de la source (objet en forme de demi-cercle dans
le disque central). Ce déflecteur réfléchit le champ vers la
droite et force le champ de la source originale à faire de
même ! Il a ainsi une action à distance sur la source qui
est équivalente à celle d’un objet quatre fois plus grand
(c’est l’effet de grossissement de la superlentille). On imagine que les propriétés extraordinaires des superlentilles
conduisent les opticiens à chercher très activement un
moyen de les concevoir en pratique.
Conclusions et perspectives
On aura compris qu’une cape d’invisibilité parfaite
est encore hors de portée de la physique de ce début du
XXIe siècle. Tout au plus arrive-t-on aujourd’hui – et ce
sont néanmoins des prouesses technologiques – à mettre
en œuvre des dispositifs simplifiés de la taille de quelques
longueurs d’onde. On est encore bien loin des applications
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Optique
Figure 5 – Les matériaux d’indice de réfraction négatif permettent la conception de superlentilles cylindriques.
pratiques, ce qui en rassurera plus d’un qui craint les utilisations inavouables d’un tel dispositif. Mais ces idées
ont essaimé dans d’autres domaines de la physique où les
ondes jouent un rôle fondamental : vagues à la surface des
fluides, ondes sismiques, acoustiques, ondes élastiques,
vibrations des plaques minces... On peut, par exemple,
imaginer, dans les avions et les hélicoptères, des pièces
minces percées de trous qui assurent le maintien mécanique de certaines parties du fuselage tout en les isolant
parfaitement des vibrations des moteurs et des pales. Bien
que dans ces autres cas, la structure des équations ne soit
pas aussi bien adaptée que celle de l’électromagnétisme, ces
recherches relancent l’intérêt pour une géométrisation de
ces domaines. Finalement, l’invisibilité n’est probablement
plus qu’un prétexte pour réenchanter certains domaines
de la physique classique qui retrouvent ainsi un attrait
nouveau et il est impossible de dire exactement à quoi ces
recherches vont aboutir mais, comme disait Picasso, si l’on
sait exactement ce que l’on va faire, à quoi bon le faire ?
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POUR EN SAVOIR PLUS
A. Nicolet, F. Zolla, S. Guenneau, Eur. Phys. J. - Appl. Phys.,
28, 153 (2004).
F. Zolla, S. Guenneau, A. Nicolet, J.B. Pendry, Opt. Lett., 32,
1069 (2007).
A. Nicolet, F. Zolla, C. Geuzaine, IEEE Trans. Mag., 46, 2975
(2010).
Ont également participé à ce travail : F. Zolla et S. Guenneau
de l’Institut Fresnel, D. Felbacq, Laboratoire Charles Coulomb,
UMR 5221, CNRS / Univ. Montpellier 2.
Nous remercions notre collègue C. Geuzaine de l’Université de
Liège pour l’aide qu’il nous a apportée dans l’utilisation des
logiciels Gmsh et GetDP (http://www.geuz.org) pour effectuer
certaines des modélisations par la méthode des éléments finis
qui illustrent le présent article.
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