LesEchosLundi 26 janvier 2015 IDEES & DEBATS//13
sciences
PHYSIQUE // A lInstitut Fresnel de Marseille, les travaux sur l’invisibilité initiés dans les années
2000 par lAnglais John Pendry sont mis à profit pour se protéger des séismes et des tsunamis.
Lesmétamatériaux,révolutioninvisible
Yann Verdo
Le 11 mars 2011, un séisme de force 9
surl’échelledeRichter,dontl’épicen-
tre se situe à 130 kilotres au large
delavilleportuairedeSendaï,provoqueun
tsunamiquiravagelescôtesjaponaisescin-
quanteetuneminutesplustard.Unevague
de15tressubmergelacentralenucléaire
de Fukushima-Daiichi et court-circuite le
système de refroidissement des trois réac-
teurs, qui entrent en fusion, entrnant un
accident de niveau 7 (le plus élevé) sur
l’échelle des énements nucléaires, à éga-
liaveclacatastrophedeTchernobyl.
Cest à éviter que se reproduise ce scéna-
rionoirquetravaillent,àMarseille,unepoi-
gnée de chercheurs de l’Institut Fresnel.
Augustin Fresnel, qui a donné son nom à
l’institut, était au début du XIXesiècle un
pionnier de loptique, domaine à première
vue assez éloigné des séismes et des tsuna-
mis.Etpourtant !
Pour comprendre pourquoi un labora-
toire scialisé en optique s’intéresse aussi
aux tremblements de terre et aux raz-de-
marée, il faut remonter à 2006. Cette
année-là, sir John Pendry, professeur de
physique à l’Imperial College London, se
faitconntredugrandpublicenapportant
son crédit de scientifique renommé à un
objet semblant tout droit sorti de lunivers
d’Harry Potter : la cape dinvisibili. Nulle
magiesouslaplumedesirJohn,maislutili-
sation d’un métamatériau, cest-dire dun
matériau composite artificiel, ayant une
proprbienparticulre :lesondeslumi-
neuses incidentes, loin d’être réfchies par
lui,lecontournentpoursereformerensuite
inchanes, comme si de rien nétait. Une
coquefaitedansunteltamatériauserait
donc parfaitement transparente, invisible,
demême quetoutobjetplaensonsein !
Depuis larticle fondateur de John Pen-
dry, les exrimentateurs du monde entier
rivalisent d’ingéniosité pour traduire son
idéeendispositifsconcrets.Malgré lespro-
grès des nanotechnologies qui permettent
defabriquerdestamariauxserappro-
chant toujours plus de celui, idéal, décrit
par lephysicienlondonien,lechemin sem-
ble encore long avant d’aboutir à une vraie
cape d’invisibilité (lire ci-contre). Mais,
comme souvent en sciences, cette nouvelle
pistederecherchesuiviedepuisunedizaine
d’annéesena ouvertdautres.
Optique transformationnelle
Aujourd’hui directeur de recherche au
CNRS et membre de l’équipe de l’Institut
Fresnel, Sébastien Guenneau a collaboré
outre-Mancheaveclepèredelacaped’invi-
sibilité.Etvitecomprisquelescalculsdesir
Johnpouvaientsappliqueràd’autres types
d’ondes que les ondes électromagnétiques
telles que la lumière. Notamment aux
ondes sismiques et aux ondes hydrodyna-
miques, cest-à-dire aux vagues. « La struc-
ture des équations qui régissent la propaga-
tion de toutes ces ondes est la même »,
explique-t-il. Loptique transformation-
nelle, torie matmatique ayant rendu
possibleslestravauxdeJohnPendrysurles
ondesélectromagtiques,peutdoncaussi
serviràmodéliseretàsimulerlecomporte-
ment des ondes mécaniques impliquées
danslesismesoulestsunamis.
Cette transposition offre un gros avan-
tage : elle raccourcit considérablement le
lai entre la torie et lexpérimentation
en laboratoire, voire le procédé industriel.
Autant les métamatériaux entrant dans la
composition d’une cape d’invisibilité opti-
quesontextrêmementdifficilesàfabriquer,
autant cette étape est simple sagissant des
ondes mécaniques. Là encore, le principe
estleme :untamariauestunmaté-
riautirantsesproprsnonpastantdesa
nature chimique que de la géométrie de sa
structure. C’est la disposition d’infimes
inclusions dans un mariau donné qui le
transformeentamariau.Pourpouvoir
joueraveclesondesélectromagtiques,et
notamment avec la lumre visible, dont la
longueur d’onde est comprise entre 380 et
780 nanomètres, ces inclusions doivent
avoirelles-mêmesunetaillenanométrique,
d’où le recours aux spécialistes des nano-
technologies pour les produire. Les méta-
mariauxutilispourdétournerlesondes
caniques tirent eux aussi leurs propr-
tés de l’agencement de leurs inclusions,
mais à une toute autre échelle : celle du
mètre, voire du décamètre. « Des poteaux
s’enfonçant dans loan, des trous cylindri-
ques creus dans le sol, suffisent, s’ils sont
judicieusement disposés, à transformer la
zone en un gigantesque métamatériau »,
explique Stefan Enoch, directeur de l’Insti-
tut Fresnel.
Détourner les ondes
Séismes et tsunamis, vagues de terre et
vagues de mer : dans le laboratoire mar-
seillais – le premier au monde à sêtre in-
resséàcettethématiquederecherche,pour
laquelle il a bénéficié d’un financement
européen de 1,3 million d’euros sur cinq
ans –, les deux voies sont poursuivies de
front. Pour les ondes sismiques, l’Institut
Fresnel sest rapproché de la société
nard,filialedeVinciscialiséedansles
fondations et le traitement des sols. Avec
l’aidedesgéophysiciensetdesingénieursde
cette entreprise, les chercheurs ont foré et
coulé dans le sol, sur une surface de
5.000 mètres carrés, une série de colonnes
en béton armé disposées en anneaux con-
centriquesautourdelazonetest.Puisilsont
provoqué un microséisme en lâchant une
massede35tonnesdepuisunetrentainede
tres au-dessus du sol. Résultat indiqué
par les capteurs : le métamatériau géant
(constituéparl’ensembledescolonnessou-
terraines)aagi,conformémentàcequiétait
prévu par les calculs, comme une chape
antisismique, une « cape d’invisibilité »
contrelesismes.« Les ondessismiques ne
sont pas absores, mais détoures de part
etd’autredelazoneàprotéger »,précisetou-
tefoisbastienGuenneau.
me chose avec les vagues des océans.
Récemment, les chercheurs de l’Institut
Fresnelontconduituneexpériencedansun
canalàhoulede17mètresdelong.Al’ext-
mité du canal, un mur biseauté devant
lequel se dressaient dix-huit poteaux verti-
cauxdesection trapézdale,placéslesuns
parrapportauxautresselonunegéométrie
bien précise. Là encore, l’expérience a
prouvé la justesse des calculs et l’efficacité
decetagencement,puisquelesvaguesinci-
dentes(parcourantlecanalendirection du
mur biseau) ont été réfchies comme si
ce mur était droit ; en d’autres termes, le
métamatériau placé devant lui a rendu le
biseau invisible aux vagues. Ce résultat
devraitêtreprésentéentaildansla« Phy-
sicalReviewE » dansles prochainsjours.
Au vu de cette exrience et dautres du
megenre,ilserabientpossibledepro-
ger des installations portuaires, des cen-
trales nucléaires édifiées en bordure des
côtes (comme Fukushima-Daiichi) ou
même des plates-formes pétrolières off-
shore,contreleseffetsvastateursdestsu-
namis ou des « vagues scélérates ». Une
riedepieuxplantésdans l’océan suffira à
faire une «cape dinvisibili» anti-vagues.
En France, l’Ifremer s’est déjà déclaré in-
ressépourendoterdesfermespiscicoles.Et
son équivalent outre-Manche pour proté-
ger lesbellesfalaisesd’Albion. n
Prototype d’une « cape d’invisibilité » contre les vagues, ou bouclier anti-tsunami. Ce type de structure
pourrait constituer une nouvelle voie pour protéger les zones côtières ou les plates-formes pétrolières.
Un monde
d’ondes
Le propre des ondes
est de transporter
de l’énergie sans
transporter de la
matière. Elles peuvent
être regroupées
en deux familles :
lÉLECTRO-
MAGNÉTIQUES
Les ondes
électromagnétiques
couvrent une large
gamme de
phénomènes ne
différant entre eux
que par la longueur
de l’onde. Par ordre
croissant : rayons
gamma, rayons X,
ultraviolet, lumière
visible, infrarouge,
micro-ondes, ondes
radio.
lMÉCANIQUES
– Son. Une onde
acoustique est une
onde de compression
qui se propage dans
un fluide (un gaz
ou un liquide).
– Ondes sismiques.
Un séisme produit
différents types
d’ondes élastiques,
certaines se
propageant à
l’intérieur du globe
(ondes de
compression, de
cisaillement), d’autres
à sa surface (ondes
de Rayleigh). Seules
ces dernières sont
détournées par les
« capes d’invisibilité ».
– Vagues. Il s’agit
de déformation
de la surface d’une
masse d’eau. Comme
toutes les ondes, les
vagues peuvent se
réfléchir, se diffracter
et se réfracter.
COMBIEN POUR
CE TURING ?
Avisauxamateurs: le
manuscritdanslequelAlan
Turing jettelesbasesde
l’informatique sera misaux
enchèresle13avrilà NewYork.
http://bit.ly/1uphJOl
SUR
LE WEB 6
km
TCHOURI, MA CHÉRIE...
Le 14 février, jour de la Saint-
Valentin, la sonde Rosetta
va se rapprocher à 6 km de
la comète Tchouri. Entre eux,
« c’est une histoire d’amour »,
a souri le patron de l’ESA.
http://bit.ly/1CJ9PDU
o
LA PUBLICATION
QuandlesrayonsX
révèlentlessecrets
dantiquespapyrus
Ilya1.936ans(en79aprèsJ.-C.),uneéruption
duVésuveengloutitsouslalavelacitéde
Pompéietsesenvirons.Ilya260ans,dansla
localitévoisined’Herculanum,desfouilles
gagentunebibliothèqueayantappartenuà
Pison,beau-pèredeJulessaretgrandérudit,
rempliedeprécieuxrouleauxdepapyrus
carbonisésetfossilisés.Et,ilyasixjours,leCNRS
annoncequunenouvelletechniqued’imagerie
ultra-sophistiquée,latomographieXencontraste
dephase(XPCT),permetenfinderéaliserleve
denérationssuccessivesd’arcologuesetde
philologues :voilerlecontenudecesrouleaux
referssureux-mesetayantjusquàprésent
sisàtouteslestentativesfaitespourles
sonderauxrayonsX.Lencreutiliséedans
l’Antiquiétaiteneffetfabriquéeàpartirde
carboneissudessidusdefumée,cequisignifie
quelleaunedensiquasiidentiqueàcelledela
feuilledepapyrusbrûe.D’ladifficuldela
faireapparaîtreaveclesméthodesclassiques.
MaislaXPCT,enutilisantladifférenced’indicede
fractionentrel’encreetsonsupport,permetde
mieuxlesdistinguer.Grâceàcettepercée
technologique,lesinestimablespapyrusdela
villad’Herculanumnontdésormaisplusd’autre
choixquedelivrerleurssecrets.Y.V.
LaconférencesurleclimatquelaFrance
organiseàParisencembre2015(COP21)
seraconfrontée,commecelledeLima
récemment,àunedemandecroissanted’aidepour
sadapterauxdommagesclimatiques,émanant
despaysquiysontleplusexposés.pondreau
sentimentdinjusticegitimedecespayssera
certainementl’unedesconditionsimportantes
dunsuccèsdesnégociationsàParis.Maiscela
poseaussiunesériedeproblèmesscientifiques
dontl’importanceestparfoissous-estie.
Depuisuneàdeuxcennies,lespremierssignes
dunchauffementclimatiqueliéauxgazàeffet
deserresontperceptiblesunpeupartoutsurle
globeetplusfortementdanslesrégionsarctiques.
Toutefois,lamplitudedesévolutionsclimatiques
lesauxactivitéshumainesnapasencoredépassé
celledesmanifestationsdelavariabiliténaturelle.
LesvariationsdElNiño,desmoussons,de
lanticyclonedesAçores,lestemtesviolentes,les
sécheressesprolones,portenttouteslamarque
dedynamiquesavanttoutnaturelles,oùlehasard
joueaussiunleimportant,etquele
réchauffementclimatiqueliéauxgazàeffetde
serrevientdérégler.Cettecombinaisoncomplexe
defacteursnaturelsetanthropiquesrenforceles
risquesclimatiquesàléchellelocale,maiselle
empêcheaussideterminerdemanièreprécise
oùilsseproduiront.
Surtout,elleposedemanièrecomplexe
laquestiondelaresponsabilitéfaceàdessituations
tsprécises.Ilnestjamaispossibledesigner
lesactivitéshumainescommeseulesresponsables
dunévénementclimatiquedonné :delongscalculs
statistiquessontcessairespourestimerleurpart.
Unerecherchescientifiquetrèsactivefournitdes
crirespourdistribuerrisquesetresponsabilités :
certainspayssontpluspollueurs,d’autresplus
vulrables,dufaitdeleurlocalisation
géographiquecommedeleurstructuresocio-
économique.Maisilestindispensabled’aborder
cesenjeuxcollectivement,etpasdemanière
événementielle.Encesens,laction« commune
etdifférenciée »quiserarecherchéelorsdes
négociationsrépondbienauxcomplexités
dudiagnosticscientifique.
Hervé Le Treut,climatologue,estdirecteur
del’InstitutPierre-SimonLaplace,professeur
àl’UPMCetàl’X,membre del’Académiedessciences.
Lacomplexitédes
enjeuxclimatiques
A la recherche de la « cape d’invisibilité »
Dès2006,annéeoùJohnPendry,delImperialCollegeLondon,décrit
lefonctionnementdesa« caped’invisibilité »,unpremierprototypeestréali
auxEtats-Unis.Avecsuccès,maissansquilsagissed’« invisibilité »ausens
oùnousl’entendonscommunément :lesondesélectromagnétiquesviéespar
lacapenappartiennentpasaudomainedelalumièrevisible,dontlalongueur
dondeesttrèscourte(entre380et780nanomètres),maisàcelui,plusfacileà
manipuler,desmicro-ondes(quelquesdizainesdecentimètresdelongueur
donde).Deuxansplustard,JohnPendrydonneladescriptiond’un« tapisd’in-
visibilité »,versionbidimensionnelledelacapepermettantd’occulterunobjet
pladevantunplan(unmur,parexemple).Diversesversionsenvoientlejour
dansleslaboratoires,maislestechniquesdenanofabricationnepermettent
toujourspasd’accéderaudomaineclefdelalumrevisible.Cependant,unpas
importantestfranchien2011,quanddeuxéquipesmontrentquilestpossible
dutiliserdescristauxnaturelsdecalcitecommemétamatériau.Grâceàcette
amélioration,nonseulementletapisd’invisibilitéfonctionneaveclalumière
visible,maislaportiond’espacequ’ilestpossibled’occulteraugmentedevolume.
Cestainsiquuntrombonedebureau,parexemple,aétérenduinvisible.Y.V.
Stefan Enoch/CNRS photothèque
LA
CHRONIQUE
d’ HervéLeTreut
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