Docteur Marc DAUPHIN
ENDOCRINOLOGUE
Ancien interne en Endocrinologie des
Hôpitaux de Clermont-Ferrand
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129, rue Montaigne
36000 CHÂTEAUROUX A Châteauroux , le 12 octobre 2013
Tél 02 54 07 57 13
SURRENALE et EVOLUTION
Introduction :
Les cellules des êtres vivants contiennent de l’ADN dont émane le code génétique, resté quasiment
inchangé de la bactérie à l’homme. Ce qui a changé, c’est que ce codage génétique a parfois fait des
erreurs : ce sont les mutations génétiques. Mais comme en cuisine avec la tarte Tatin, il arrive que cette
erreur soit un succès, plus précisément qu’elle constitue pour l’organisme concerné un trait qui
représentera un avantage pour la survie et favorisera un succès reproductif différentiel (descendants plus
nombreux) par rapport aux organismes n’ayant pas la mutation : ce succès reproductif différentiel est la
sélection naturelle.
L’évolution peut ainsi être comparée à une automobile dont le carburant est constitué par les mutations
génétiques et dont le moteur est la sélection naturelle. Mais cette automobile ne circule pas toujours sur
une autoroute bien tranquille : l’environnement est le troisième paramètre fondamental quand on parle
d’évolution (une mutation génétique peut bien survenir chez une souris : si la souris est croquée par un
chat avant de s’être reproduite, la mutation sera sans avenir).
Nous nous proposons, modestement et brièvement, de réfléchir sur ces aspects à propos de la surrénale
en rappelant que l’évolutionnisme n’est ni de la divination ni de la magie : il peut nous aider à savoir
d’où nous venons mais en aucun cas où nous allons …
1 – Surrénale et milieu extérieur
Rappelons tout d’abord que la surrénale est en fait une glande double avec :
- Une partie périphérique : la corticosurrénale, produisant les gluco-corticoïdes (cortisol), les
minéralo-corticoïdes (aldostérone) et les androgènes surrénaliens (DHA)
- Une partie centrale : la médullosurrénale, produisant l’adrénaline.
La phylogenèse (l’histoire de l’évolution des espèces) nous rappelle que ces deux glandes n’ont pas
toujours été ensemble : chez les poissons et les batraciens, la cortico- et la médullo-surrénale sont
séparées : c’est pourquoi BIEDL en 1913 a utilisé le poisson pour démontrer le caractère vital de la
corticosurrénale : il était en effet plus facile d’effectuer une corticosurrénalectomie sélective chez un
animal où cortico- et médullosurrénale sont séparées.
Chez les lépidosauriens (serpents, lézards) les deux glandes sont modérément interpénétrantes. Chez les
oiseaux, l’interpénétration s’accentue. Enfin, chez les mammifères, la cortico- enveloppe complètement
la médullosurrénale.
Au total, on retient que cortico- et médullosurrénale sont plus ou moins interpénétrées chez les amniotes
(les amniotes sont les vertébrés dont l’embryon baigne dans une cavité amniotique : tortues, serpents,
lézards, crocodiles, oiseaux, mammifères – l’apparition de l’œuf amniotique il y a 310 millions d’années
a représenté une étape fondamentale de l’évolution en permettant aux vertébrés de s’affranchir du milieu
aquatique pour la procréation).
On peut se demander si cette proximité anatomique cortico-médullo chez les amniotes est un trait qui a
été sélectionné par l’évolution parce qu’il conférait un avantage pour la survie.
Rappelons en effet que le cortisol et l’adrénaline sont les deux grandes hormones du stress, l’une
agissant selon un cycle court (l’adrénaline) et l’autre selon un cycle long (cortisol). Mais leurs actions
sont coordonnées et ainsi le tonus cortisolique est corrélé aux nombre de pics adrénergiques, un peu de
la même façon que l’hémoglobine glyquée est le reflet des multiples pics glycémiques.
Plus précisément, en modulant l’action des enzymes correspondantes, le cortisol favorise la synthèse
d’adrénaline et inhibe son catabolisme. Inversement, il a été montré, au moins chez le poisson, que
l’adrénaline stimule la stéroïdogenèse et la production de cortisol par un effet paracrine.
Il est donc possible que l’évolution ait sélectionné cette proximité anatomique cortico-médullo qui
favorise une réponse hormonale optimale au stress par la « collaboration » du cortisol et de l’adrénaline,
trait anatomique qui aurait ainsi pu conférer un avantage pour la survie chez les amniotes.
2 – Surrénale et milieu intérieur
La surrénale a joué un rôle fondamental il y a 370 millions d’années lorsque les premiers tétrapodes ont
été confrontés à la vie terrestre (les tétrapodes sont les vertébrés munis de 4 membres pairs locomoteurs
avec des doigts : approximativement, ce sont les amphibiens et les amniotes. Les premiers tétrapodes
étaient aquatiques puis amphibies : le fossile le plus ancien de tétrapode exclusivement terrestre date de
330 millions d’années).
La vie terrestre a alors nécessité des systèmes de régulation pour maintenir la constance du milieu
intérieur, constance qui est facilitée par la vie dans l’eau chez les vertébrés non tétrapodes comme les
téléostéens (la plupart des poissons actuels).
La surrénale a alors joué un rôle fondamental :
- La médullosurrénale dans la réponse au stress dont nous avons parlé (mais ce dernier existait
déjà dans la vie aquatique : si vous vous retrouvez face à un requin, vous comprendrez !)
- La corticosurrénale surtout avec :
- Le cortisol pour la réponse au stress et le maintien de l’équilibre énergétique (protides,
lipides, glucides)
- L’aldostérone pour le maintien de l’équilibre hydro-électrolytique
Mais me direz-vous, les hormones stéroïdiennes ou leurs récepteurs existaient-ils déjà il y a des
centaines de millions d’années ?
La réponse est oui. Les progrès de la science permettent aux généticiens d’être de véritables
paléontologistes de l’ADN. On a ainsi pu établir qu’un récepteur aux hormones stéroïdiennes existait il y
a au moins 500 millions d’années : il persiste sous une forme modifiée chez les mollusques actuels.
Un événement capital se produit il y a 400 millions d’années : une mutation du gène du récepteur du
cortisol entraîne la naissance du récepteur de l’aldostérone.
Par contre, l’aldostérone n’apparaîtra que 30 millions d’années plus tard : on le sait car on a pu
reconstituer l’histoire du gène de l’aldostérone-synthase , une enzyme nécessaire à la synthèse de
l’aldostérone et cette enzyme n’est apparue qu’il y a 370 millions d’années, ce qui coïncide justement
avec le début d’adaptation à la vie terrestre des premiers tétrapodes (la « sortie des eaux » dont parlent
un peu naïvement les ouvrages grand public en oubliant que lorsque les premiers tétrapodes « sortent des
eaux », la terre est déjà largement peuplée depuis des dizaines de millions d’années, par des plantes et
des insectes notamment ; de plus, la dite sortie s’est faite très progressivement sur des millions
d’années).
On comprend facilement que la possession de l’aldostérone, cette hormone capable de réguler l’équilibre
hydro-électrolytique, a représenté un trait conférant un avantage pour la survie chez les premiers
tétrapodes terrestres. La sélection naturelle a probablement suffi à faire le reste : exit les tétrapodes sans
aldostérone et c’est ainsi qu’actuellement les tétrapodes sont les seuls vertébrés à posséder l’aldostérone.
Ajoutons que depuis la fin des années 1990, on sait que l’aldostérone n’a pas seulement des récepteurs
dans le rein, mais aussi dans le cœur (où ils semblent impliqués dans la survenue d’arythmies
cardiaques), sur les vaisseaux (où il favorisent la synthèse de collagène et la rigidité artérielle) et dans le
cerveau (où il majorent l’appétence sodée). Ces effets protéiformes de l’aldostérone sont le résultat de
son histoire complexe : lorsque la nature a « inventé », au hasard des mutations, les récepteurs de
l’aldostérone il y a 400 millions d’années, il n’y avait aucune raison pour que ces récepteurs soient situés
uniquement sur le rein pour qu’un jour une hormone vienne y favoriser la rétention sodée. Au contraire
les récepteurs se sont vus exprimés à des endroits divers, et ce pour le meilleur et pour le pire …
3 – Un exemple pour la théorie de l’évolution
Pour élargir un peu le débat, notre logique sera peut-être heurtée par ce récepteur de l’aldostérone qui
apparaît il y a 400 millions d’années et qui reste sans ligand connu pendant 30 millions d’années.
Quand je dis « sans ligand connu », mes confrères endocrinologues m’objecteront que le cortisol se lie
parfaitement au récepteur de l’aldostérone et le stimule. Mais rappelons qu’il existe dans le rein une
enzyme : la 11 bêta-hydroxystéroïde-déshydrogénase (HSD) qui transforme le cortisol en cortisone,
cette dernière étant incapable de stimuler le récepteur de l’aldostérone. Si la 11bêta-HSD existait déjà il
y a 400 millions d’années (je vous avoue humblement que je l’ignore), cela pourrait expliquer que les
récepteurs rénaux de l’aldostérone soient restés sans ligand pendant 30 millions d’années, jusqu’à
l’apparition de l’aldostérone.
Revenons à nos moutons ou plutôt à ce récepteur de l’aldostérone qui reste sans ligand spécifique
pendant 30 millions d’années : on a l’impression d’un technicien qui fabriquerait une chaussure
orthopédique sur mesure sans se demander s’il existera un jour dans le monde une personne capable de
la porter !
Mais c’est que nous sommes prisonniers de notre anthropocentrisme et du finalisme qui l’accompagne :
l’impression que depuis l’apparition de la vie il y a plus de 3.5 milliards d’années, tout est écrit pour que
le « progrès » aboutisse à l’apparition de l’homme par des voies toutes tracées.
Rien de tout cela : nous sommes dans un monde contingent, c’est à dire qui aurait pu ne pas exister et
qui serait probablement très différent si on redéroulait l’histoire. La nature n’est ni logique ni illogique :
« elle est » – c’est tout et ce sont les scientifiques qui doivent s’efforcer d’être logiques dans son étude.
Lorsque le récepteur de l’aldostérone apparaît il y a 400 millions d’années, la nature n’a pas pour projet
de créer l’aldostérone pour que le dit récepteur serve enfin à quelque chose. Il se trouve que
l’aldostérone est apparue il y a 370 millions d’années : elle aurait pu apparaître plus tôt ou plus tard, elle
aurait pu ne jamais apparaître et le monde du vivant aurait peut-être alors une toute autre apparence
actuellement.
L’évolution ne doit pas non plus être conçue comme un progrès obligatoire. Certes, nous l’avons dit,
l’apparition de l’aldostérone et de son récepteur a conféré un avantage pour la survie aux premiers
tétrapodes et sans doute encore aux hommes du paléolithique qui recherchaient désespérément le sel. Par
contre, dans notre civilisation occidentale, les effets arythmisants et hypertenseurs (rigidité artérielle,
appétence et rétention sodée) de l’hormone posent plutôt problème au point que la médecine a créé des
médicaments anti-aldostérone (comme la spironolactone) qui diminuent la mortalité dans l’insuffisance
cardiaque.
De même, la collaboration cortisol-adrénaline dans la réponse au stress, peut-être facilitée par la
proximité cortico-médullo, dont nous avons parlé, a pu représenter un trait conférant un avantage pour
la survie chez les premiers amniotes. Par contre, les décharges répétées d’adrénaline et de cortisol
semblent plutôt délétères pour les artères et le psychisme des amniotes que sont ces pauvres humains du
XXIe siècle !
On peut certes toujours espérer que l’évolution sélectionnera un jour un mutant de l’aldostérone plus
favorable à notre système cardio-vasculaire ou une régulation hormonale du stress moins traumatisante
pour notre organisme. Mais comme cela peut demander plusieurs millions d’années, ne perdons pas de
temps : apprenons à gérer le stress et mangeons moins salé !
N’en déplaise à ces imposteurs scientifiques que sont les créationnistes qui voient un plan divin dans
l’évolution, n’en déplaise aux francs-maçons admirant leur grand architecte de l’univers, n’en déplaise à
tous ceux qui voudraient se rassurer en pensant que tout est écrit à l’avance pour faciliter l’harmonie de
la nature et le bonheur de l’homme, il n’en est rien : l’évolution est conditionnée par le hasard des
mutations génétiques passant au tamis de la sélection naturelle dans un environnement donné, principe
de la théorie darwinienne de l’évolution dont l’histoire de la surrénale et de l’aldostérone nous offre une
application exemplaire.
Marc DAUPHIN , endocrinologue
Références bibliographiques :
GUIDE CRITIQUE DE L’EVOLUTION, sous la direction de G. Lecointre, Belin, Paris, 2009.
(ouvrage remarquable et unique en son genre : à lire absolument)
BIOLOGIE DE L’EVOLUTION ET MEDECINE, C. Frelin et B. Swynghedauw, Médecine Sciences /
Publications, Lavoisier, Paris, 2011
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