l’aldostérone et cette enzyme n’est apparue qu’il y a 370 millions d’années, ce qui coïncide justement
avec le début d’adaptation à la vie terrestre des premiers tétrapodes (la « sortie des eaux » dont parlent
un peu naïvement les ouvrages grand public en oubliant que lorsque les premiers tétrapodes « sortent des
eaux », la terre est déjà largement peuplée depuis des dizaines de millions d’années, par des plantes et
des insectes notamment ; de plus, la dite sortie s’est faite très progressivement sur des millions
d’années).
On comprend facilement que la possession de l’aldostérone, cette hormone capable de réguler l’équilibre
hydro-électrolytique, a représenté un trait conférant un avantage pour la survie chez les premiers
tétrapodes terrestres. La sélection naturelle a probablement suffi à faire le reste : exit les tétrapodes sans
aldostérone et c’est ainsi qu’actuellement les tétrapodes sont les seuls vertébrés à posséder l’aldostérone.
Ajoutons que depuis la fin des années 1990, on sait que l’aldostérone n’a pas seulement des récepteurs
dans le rein, mais aussi dans le cœur (où ils semblent impliqués dans la survenue d’arythmies
cardiaques), sur les vaisseaux (où il favorisent la synthèse de collagène et la rigidité artérielle) et dans le
cerveau (où il majorent l’appétence sodée). Ces effets protéiformes de l’aldostérone sont le résultat de
son histoire complexe : lorsque la nature a « inventé », au hasard des mutations, les récepteurs de
l’aldostérone il y a 400 millions d’années, il n’y avait aucune raison pour que ces récepteurs soient situés
uniquement sur le rein pour qu’un jour une hormone vienne y favoriser la rétention sodée. Au contraire
les récepteurs se sont vus exprimés à des endroits divers, et ce pour le meilleur et pour le pire …
3 – Un exemple pour la théorie de l’évolution
Pour élargir un peu le débat, notre logique sera peut-être heurtée par ce récepteur de l’aldostérone qui
apparaît il y a 400 millions d’années et qui reste sans ligand connu pendant 30 millions d’années.
Quand je dis « sans ligand connu », mes confrères endocrinologues m’objecteront que le cortisol se lie
parfaitement au récepteur de l’aldostérone et le stimule. Mais rappelons qu’il existe dans le rein une
enzyme : la 11 bêta-hydroxystéroïde-déshydrogénase (HSD) qui transforme le cortisol en cortisone,
cette dernière étant incapable de stimuler le récepteur de l’aldostérone. Si la 11bêta-HSD existait déjà il
y a 400 millions d’années (je vous avoue humblement que je l’ignore), cela pourrait expliquer que les
récepteurs rénaux de l’aldostérone soient restés sans ligand pendant 30 millions d’années, jusqu’à
l’apparition de l’aldostérone.
Revenons à nos moutons ou plutôt à ce récepteur de l’aldostérone qui reste sans ligand spécifique
pendant 30 millions d’années : on a l’impression d’un technicien qui fabriquerait une chaussure
orthopédique sur mesure sans se demander s’il existera un jour dans le monde une personne capable de
la porter !
Mais c’est que nous sommes prisonniers de notre anthropocentrisme et du finalisme qui l’accompagne :
l’impression que depuis l’apparition de la vie il y a plus de 3.5 milliards d’années, tout est écrit pour que
le « progrès » aboutisse à l’apparition de l’homme par des voies toutes tracées.
Rien de tout cela : nous sommes dans un monde contingent, c’est à dire qui aurait pu ne pas exister et
qui serait probablement très différent si on redéroulait l’histoire. La nature n’est ni logique ni illogique :
« elle est » – c’est tout et ce sont les scientifiques qui doivent s’efforcer d’être logiques dans son étude.
Lorsque le récepteur de l’aldostérone apparaît il y a 400 millions d’années, la nature n’a pas pour projet
de créer l’aldostérone pour que le dit récepteur serve enfin à quelque chose. Il se trouve que
l’aldostérone est apparue il y a 370 millions d’années : elle aurait pu apparaître plus tôt ou plus tard, elle
aurait pu ne jamais apparaître et le monde du vivant aurait peut-être alors une toute autre apparence
actuellement.
L’évolution ne doit pas non plus être conçue comme un progrès obligatoire. Certes, nous l’avons dit,
l’apparition de l’aldostérone et de son récepteur a conféré un avantage pour la survie aux premiers
tétrapodes et sans doute encore aux hommes du paléolithique qui recherchaient désespérément le sel. Par
contre, dans notre civilisation occidentale, les effets arythmisants et hypertenseurs (rigidité artérielle,