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Progrès en urologie (2016) 26, 121—128
Disponible en ligne sur
ScienceDirect
www.sciencedirect.com
REVUE DE LA LITTÉRATURE
Données comparatives moléculaires,
précliniques et cliniques des différentes
souches de bacille de Calmette-Guérin
(BCG) : revue de la littérature du Comité de
cancérologie de l’Association française
d’urologie (CCAFU)
Molecular, preclinical, and clinical comparative data regarding different
strains of bacillus Calmette-Guérin (BCG): Review by the French Urological
Association Oncology Committee (CCAFU)
Y. Neuzillet a,∗, F. Dubosq b,c, E. Xylinas d, P. Colin e,
E. Comperat f, N. Houede g, S. Larre h,
A. Masson-Lecomte i, G. Pignot j, P. Puech k,
M. Roumiguie l, A. Mejean m, M. Roupret n
a
Service d’urologie, hôpital Foch, université Versailles — Saint-Quentin-en-Yvelines, 40,
rue Worth, 92150 Suresnes, France
b
Service d’urologie, clinique de Meudon, 92360 Meudon, France
c
Clinique de l’Alma, 75007 Paris, France
d
Service d’urologie, hôpital Cochin, université Paris Descartes, 75679 Paris, France
e
Service d’urologie, hôpital privé de la Louvière, générale de santé, 59000 Lille, France
f
Service d’anatomopathologie, groupe hospitalier de la Pitié-Salpêtrière, université
Pierre-et-Marie-Curie, 75013 Paris, France
g
Service d’oncologie médicale, CHU de Nîmes, 30000 Nîmes, France
h
Service d’urologie, CHU de Reims, 51000 Reims, France
i
Service d’urologie, hôpital Henri-Mondor, université Paris-Est, 94010 Créteil, France
j
Service d’urologie, hôpital Bicêtre, université Paris-Sud, 94270 Le Kremlin-Bicêtre, France
k
Service de radiologie, CHRU de Lille, 59037 Lille, France
l
Service d’urologie, CHU Rangueil, 31400 Toulouse, France
∗
Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (Y. Neuzillet).
http://dx.doi.org/10.1016/j.purol.2015.10.011
1166-7087/© 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
122
Y. Neuzillet et al.
m
Service d’urologie, hôpital européen Georges-Pompidou, université Paris Descartes,
75015 Paris, France
n
Service d’urologie, groupe hospitalier de la Pitié-Salpêtrière,
université Pierre-et-Marie-Curie, 75013 Paris, France
Reçu le 3 septembre 2015 ; accepté le 30 octobre 2015
Disponible sur Internet le 27 novembre 2015
MOTS CLÉS
BCG ;
Vessie ;
Souche ;
Génome ;
Cytotoxicité ;
Réaction
immunitaire ;
Efficacité ;
Tolérance
KEYWORDS
BCG;
Bladder;
Strain;
Genome;
Cytotoxicity;
Immune response;
Efficiency;
Safety
Résumé
Objectif. — Rapporter les différences existantes entre les différentes souches de BCG utilisées pour le traitement des tumeurs de la vessie n’infiltrant pas le muscle (TVNIM) sur le plan
moléculaire, de la cytotoxicité, de l’immunogénicité, de l’efficacité clinique et de la tolérance.
Matériel et méthode. — Une recherche bibliographique a été conduite à partir de la base
de données bibliographiques MedLine à partir des mots clés suivants : BCG ; vessie ; souche ;
génome ; cytotoxicité ; réaction immunitaire ; efficacité ; tolérance.
Résultats. — Des différences génétiques entre les souches de BCG ont été mises en évidence
et corrélées à leur délai de différenciation depuis leur mise en culture initiale, présumant
d’une moindre résistance aux défenses immunitaires de l’hôte des souches Tice et danoise
vis-à-vis de la souche Connaught. Les données comparatives précliniques ont montré un effet
cytotoxique et une immunogénicité supérieure de la souche Connaught par rapport aux souches
Tice et danoise. Les études de phase III ont montré une efficacité supérieure du BCG Connaught
vis-à-vis du BCG Tice et du BCG danois vis-à-vis du BCG Tice en termes de survie sans récidive.
Conclusions. — Parmi les souches de BCG utilisées en France pour le traitement des TVNIM,
l’efficacité préclinique et clinique de la souche Connaught a été supérieure à celle de la
souche Tice. La limite des études actuellement disponibles réside principalement dans l’absence
d’utilisation d’un traitement d’entretien.
© 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Summary
Objective. — To review the differences between the BCG strains used for the treatment of
non-muscle invasive bladder cancer (NMIBC) at the molecular level, regarding cytotoxicity,
immunogenicity, clinical efficiency, and safety.
Material and method. — A systematic review of the literature search was performed from the
database MedLine, focused on the following keywords: BCG; bladder; strain; genome; cytotoxicity; immune response; efficiency; safety.
Results. — Genetic differences between BCG strains have been identified and correlated to
their time to differentiation from their initial cultures start, assuming a lower resistance to the
host immune defenses of Tice and Danish strains compared to the Connaught strain. Preclinical
comparative data showed superior cytotoxic effect and immunogenicity of the Connaught strain
compared to Tice and Danish strains. The phase III trials have shown superior efficiency of BCG
Connaught compared to BCG Tice and BCG Danish compared to BCG Tice regarding recurrencefree survival.
Conclusions. — Among BCG strains used in France in NMIBC treatment, preclinical and clinical
efficiency of Connaught strain was higher than that of the Tice strain. The limits of the currently
available studies lie primarily in the lack of use of maintenance therapy.
© 2015 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Introduction
En 1902, Edmond Nocard, vétérinaire et microbiologiste
français, a fourni à ses compatriotes Albert Calmette et
Camille Guérin, respectivement médecin bactériologiste et
vétérinaire biologiste, une culture de Mycobacterium bovis
isolée d’une vache tuberculeuse. Dix ans plus tard, après
96 mises en culture successives sur des tranches de pommes
de terre glycérinées et immergées dans de la bile de bœuf
stérile, la souche bactérienne partiellement atténuée devint
non pathogène pour l’homme et fut nommé bacille de Calmette et Guérin (BCG) [1]. La méthode de culture utilisée
Comparaison des souches de BCG
123
Figure 1. Généalogie des souches de BCG. Le schéma montre la position des marqueurs génétiques identifiés dans l’étude de Brosch
et al. [2], les marqueurs de région de différence (RD), certaines suppressions spécifiques aux souches et la distribution des souches dans les
quatre groupes de DU2.
a conduit à sélectionner des bactéries ayant une régulation de leur génome favorisant l’expression de gênes de
protéines impliquées dans le métabolisme du glycérol et
réprimant ceux des protéines responsables de la virulence
[2]. À partir de 1921, la souche de BCG a été distribuée
Tableau 1
aux laboratoires qui en faisaient la demande. Dans chacun de ces laboratoires, la souche a été cultivée dans des
milieux de culture différents, conduisant à des pressions
de sélection différentes et ainsi à des adaptations génétiques différentes des bactéries dans chaque laboratoire [3].
Définition des groupes à risque évolutif de récidive et progression des TVNIM [7].
Risque évolutif
Caractéristiques tumorales
Traitement adjuvant
Faible
Premier diagnostic et Ta et bas
grade ou low malignancy potential
(LMP) (grade 1) et unique et
diamètre < 3 cm
Ta bas grade ou LMP (grade 1—2)
multifocale et/ou récidivante,
T1 bas grade (grade 1—2)
Surveillance simple
Intermédiaire
Élevé
Haut grade (grade 3) (quel que soit
le stade) ou T1 récidivante ou
carcinome in situ
Instillations hebdomadaires de mitomycine C (MMC)
sur 6—8 semaines consécutives après cicatrisation
vésicale (4 à 6 semaines)
Le BCG peut être discuté en alternative aux
instillations de MMC de première intention ou en cas
d’échec du traitement par la mitomycine
Seconde RTUV, puis instillations endovésicales de
BCG (sauf contre-indications) après cicatrisation
vésicale (4 à 6 semaines)
Si les instillations de BCG sont bien supportées,
intérêt d’un traitement d’entretien
En cas d’échec du traitement par BCG, la
cystectomie totale demeure le traitement de choix
Après la RTUV, une cystectomie d’emblée peut être
discutée en RCP dans certaines formes de mauvais
pronostic chez des patients jeunes
124
De ce fait, les diverses souches de BCG cultivées dans le
monde se sont génétiquement différenciées (Fig. 1) : soit
précocement (dénommées « souches anciennes »), parmi
lesquelles la souche japonaise (BCG Tokyo) utilisée au Japon
pour les instillations endovésicales ; soit ultérieurement
(dénommées « souches intermédiaires ») ; soit tardivement
(dénommées « souches récentes »), parmi lesquelles les
souches RIVM du Médac® (Medac GmbH, Wedel, Allemagne),
Tice de l’Oncotice® (Merck, Kenilworth, NJ, États-Unis) et
Connaught de l’Immucyst® (Sanofi Pasteur, Lyon, France)
[4]. À partir de 1960, la technique de culture de production a été révolutionnée par l’usage de la lyophilisation qui
a permis de réduire drastiquement le nombre de mises en
culture successives (ou « repiquages »), sources de variations
génétiques [5]. Ce changement a abouti à une stabilisation du génome des différentes souches, telles qu’elles sont
actuellement commercialisées. Les techniques de production actuelles assurent et contrôlent la stabilité du génome
[6]. Initialement développé dans un but vaccinal contre la
tuberculose, le BCG a été utilisé pour la première fois en thérapeutique humaine antitumorale par Mathé en 1969 [7]. En
1974, Zbar a démontré l’effet antitumoral du BCG administré localement sur l’hépatocarcinome du cobaye et a défini
les règles de l’immunothérapie locale. En 1975, Bloomberg
a démontré la bonne tolérance des instillations endovésicales de BCG chez le chien. L’ensemble de ces observations
ont conduit Morales, puis Martinez-Pineiro, à utiliser, dès
1976, le BCG en instillations locales dans le traitement
prophylactique des tumeurs de la vessie n’infiltrant pas le
muscle (TVNIM) [7]. Au regard de l’hétérogénéité génétique des souches disponibles de BCG pour le traitement
adjuvant à la résection transurétrale des tumeurs de vessie
(RTUV) des TVNIM (indication rappelée dans le Tableau 1)
[8,9], l’objectif de cette revue de la littérature était de
définir les différences moléculaires entre les différentes
souches utilisées en France (RIVM, Tice et Connaught) et
leurs conséquences sur le plan préclinique et clinique en
termes d’efficacité et de tolérance.
Matériel et méthode
Les données sur les souches de BCG ont été explorées
dans MedLine (http://www.ncbi.nlm.nih.gov) en utilisant
les mots clés MeSH suivants ou une combinaison de ces motsclés : BCG ; vessie ; souche ; génome ; cytotoxicité ; réaction
immunitaire ; efficacité ; tolérance. Les articles obtenus ont
ensuite été sélectionnés en fonction de la combinaison des
éléments suivants :
• méthodologie : les études hors sujet ont été exclues
d’emblée. Parmi les articles éligibles, seules les études
comparatives ont été sélectionnées. Le caractère prospectif ou rétrospectif du recueil des données n’était pas
un critère de sélection ;
• langue de publication : anglais/français ;
• pertinence par rapport au sujet traité : les études comparatives des données génétiques, moléculaires et de
cytotoxicité in vitro ont toutes été prises en compte.
L’analyse des études comparatives des données sur
l’induction d’une réaction immunitaire et l’efficacité clinique a été restreinte à celles concernant les souches
de BCG utilisées pour les instillations endovésicales
Y. Neuzillet et al.
(exclusion des études concernant la vaccination antituberculeuse) ;
• date de publication : de 1985, à ce jour (30 dernières
années).
Ainsi, 265 articles ont été revus et 27 ont été sélectionnés
(Fig. 2).
Résultats
Différences moléculaires entre les souches de
BCG
L’analyse génomique comparative des différentes souches
de BCG a mis en évidence des variations à type de délétion et d’insertion [2]. L’atténuation de la virulence du BCG
comparativement à M. bovis est liée à la perte du gène
de la protéine ESX-1, du fait de la délétion nommée RD1.
Néanmoins, la perte d’ESX-1 n’est pas seule responsable de
l’atténuation de la virulence. En effet, la réintroduction de
RD1 dans les lignées de BCG n’a pas abouti à la récupération d’une virulence complète, ce qui témoigne du caractère
multifactoriel de l’atténuation de virulence du BCG vis-à-vis
de M. bovis [10]. En dépit de cette délétion, le génome du
BCG contient davantage de bases nucléotidiques que celui
de M. bovis en raison de la duplication en tandem de deux
régions, nommées « DU1 » et « DU2 » [11]. La duplication de
« DU1 » n’est observée que dans la souche BCG Pasteur utilisée en vaccination contre la tuberculose. La duplication de
« DU2 » est commune à toutes les autres souches dérivées
du BCG distribué en 1921, mais a subi des polymorphismes
génétiques [2]. Ainsi, dans les souches anciennes (souches
japonaise), intermédiaires, et tardives (souches RIVM du
Médac® , Tice de l’Oncotice® et Connaught de l’Immucyst® ),
les régions DU2 sont différentes (Fig. 1). Le DU2 de groupe III,
qui caractérise les souches intermédiaires, présente une
délétion de 10 paires de bases au codon 91 du gène phoR,
entraînant son inactivation. La perturbation du métabolisme
du phosphate qui en résulte a constitué un désavantage pour
la croissance bactérienne in vivo [12].
L’analyse comparative des polymorphismes nucléotidiques des souches de BCG utilisées pour les instillations
endovésicales a été étudiée pour les souches Tice et
Connaught [13]. L’étude a montré que la souche Tice à trois
polymorphismes spécifiques, deux sur des protéines de fonction inconnue et un concernant le gène sodC, codant une
enzyme impliquée dans la défense contre le stress oxydatif. Le polymorphisme présent dans le génome de la souche
Tice est responsable de la perte de cette activité enzymatique, ce qui réduit la résistance du BCG au mécanisme de
défense immunitaire innée de l’hôte et ainsi la durée de vie
du BCG chez le patient traité et donc, potentiellement, son
efficacité [14].
Par ailleurs, la structure des polysaccharides membranaires des BCG de souches Tice, Connaught et Pasteur,
responsables d’un effet cytotoxique direct, a été comparée [15]. L’analyse a montré une similitude pour les trois
souches. À notre connaissance, aucune analyse comparative
du même type n’a étudié la souche RIVM.
Au total, les différences moléculaires entre les différentes souches de BCG sont les conséquences de différences
Comparaison des souches de BCG
Figure 2.
125
Arbre décisionnel pour la sélection des articles.
génomiques. À ce jour, les données comparatives entre les
souches RIVM, Tice et Connaught, suggèrent qu’il existe une
résistance aux mécanismes de défense immunitaire innée de
l’hôte moins efficace pour la souche Tice.
Différences de cytotoxicité induite par les
différentes souches de BCG in vitro
À ce jour, trois publications ont rapporté l’étude comparative de l’activité antitumorale directe de souches de BCG
sur des lignées cellulaires de carcinome urothélial vésical
[16—18]. Rajala et al. ont comparé la cytotoxicité sur la
lignée cellulaire T24 (dérivée de cellules d’une TVNIM de
haut grade) de 5 souches : 1 intermédiaires (i.e. porteuse
d’un DU2 de groupe III) Glaxo-Evans et 4 tardives (DU2 de
groupe IV) RIVM, Pasteur, Tice et Connaught [16]. L’activité
cytotoxique du BCG Connaught était supérieure à celle du
BCG Tice. Les autres différences observées n’étaient pas statistiquement significatives. Schwarzer et al. ont comparé la
cytotoxicité sur les lignées cellulaires T24 et Cal29 (dérivée
de cellules d’une tumeur infiltrant le muscle métastatique)
de la souche S4-Jena, de différenciation précoce (DU2 du
groupe II) avec la souche Tice, de différenciation tardive
[17]. L’activité cytotoxique du BCG S4-Jena était supérieure
à celle du BCG Tice sur la lignée Cal29 et comparable sur
la lignée T24. Plus récemment, Secanella-Fandos et al. ont
comparé l’effet inhibiteur de la prolifération cellulaire sur
des lignées cellulaires T24, J82 et RT4 (ces deux dernières
étant dérivées de cellules d’une tumeur infiltrant le muscle
non métastatique, histologiquement peu différenciée pour
J82 et bien différenciée pour RT4), de 8 souches : 3 précoces,
Japonnaise, Russe et Moreau ; 2 intermédiaires, danoise et
Glaxo-Evans ; et 3 tardives, Tice, Connaught et Phipps [18].
L’inhibition de la prolifération de cellules J82 par le BCG
Connaught a été supérieure à celle liée au BCG Tice et
l’inhibition de la prolifération de cellules RT4 par le BCG
Connaught a été supérieure à celle liée à la souche danoise.
En pratique clinique, le temps de contact recommandé
entre le BCG et l’urothélium est de 2 heures [9]. Dans
les études in vitro mentionnés, à l’exception de celle de
Secanella-Fandos et al. (3 heures de contact entre le BCG et
les cellules), la durée de contact a été plus longue (1 jour
dans l’étude de Schwarzer et al. et entre 2 et 5 jours dans
celle de Rajala et al.). Cette différence de temps de contact
entre les conditions expérimentales in vitro et celles utilisées en pratique clinique doit être prise en compte dans
l’interprétation des résultats.
Au total, il existe des différences de cytotoxicité entre
les différentes souches de BCG. Le type de DU2 des souches
n’a pas été corrélé à leur effet cytotoxique. Les données
comparatives entre les souches RIVM, Tice et Connaught ont
montré une cytotoxicité supérieure de la souche Connaught
par rapport aux souches Tice et RIVM.
Différences de capacité à induire une réaction
immunitaire entre les différentes souches de
BCG
La production d’IL6 et d’IL8 oriente la réponse immunitaire
vers une réaction de type cellulaire TH1 qui met en jeu
les phénomènes de cytotoxicité impliqués dans le mécanisme d’action de la BCG-thérapie [19]. Les phénomènes
de cytotoxicité ont pour support les lymphocytes T CD8+
spécifiques des antigènes mycobactériens à l’origine de
la réaction TH1 [20] et les lymphocytes T natural killer
[21]. Secanella-Fandos et al. ont comparé la capacité à
126
induire la production de cytokines IL6 et IL8 de 8 souches de
BCG [18]. La souche Connaught induisait une production
d’IL6 et d’IL8 respectivement 3,25 et 2,28 fois supérieure à
celle induites par la souche Tice et respectivement 3,42 et
1,71 fois supérieure à celle induite par la souche danoise.
Rentsch et al. ont comparé le pourcentage de lymphocytes T
CD8+ spécifiques des antigènes du BCG induit par les souches
de BCG Tice et Connaught dans un modèle murin in vivo [13].
Les instillations endovésicales de BCG Connaught induisaient
un taux significativement plus élevé de lymphocytes T CD8+
spécifiques que les instillations endovésicales de BCG Tice
administrées aux souris. Ces auteurs ont également comparé
le nombre de lymphocytes T natural killer contenus dans la
paroi vésicale des souris et ont montré que ce nombre était
supérieur après instillations de BCG Connaught comparativement aux instillations de BCG Tice. Janaszek-Seydlitz et al.
ont comparé la production d’IFN-␥, TNF-␣, IL-12, IL-10 et
d’IL-4 induite par les souches Tice et RIVM [22]. La production de ces molécules induite par la souche Tice a été
inférieure à celle induite par la souche RIVM.
Au total, les études comparatives publiées ont montré
des résultats concordants en faveur d’une supériorité de la
capacité à induire une réaction immunitaire de la souche
Connaught et RIVM par rapport à la souche Tice. Cependant,
à ce jour, aucun des biomarqueurs immunitaires étudiés n’a
été directement corrélé à l’efficacité du BCG en termes
de survie sans récidive ou de survie sans progression [23].
Les études précliniques in vitro et in vivo ont montré des
différences de cytotoxicité et d’immunogénicité entre les
souches sans relation linéaire avec leur délai de différenciation précoce, intermédiaire ou tardif.
Différences d’efficacité clinique des
différentes souches de BCG
À ce jour, trois études prospectives randomisées comparant
l’efficacité clinique de souches de BCG ont été publiées
[13,24,25]. Rentsch et al. ont comparé la survie sans récidive et la survie sans progression de TVNIM après un
premier traitement d’induction par BCG Tice et Connaught
(60 et 71 patients respectivement) [13]. Le suivi médian des
patients traités par BCG Tice et Connaught a été de 47,6 mois
et 51,4 mois respectivement et les deux groupes de patients
étaient comparables quant au sex-ratio, l’âge, les caractéristiques clinicopathologiques des TVNIM et le nombre
de RTUV préalables au traitement par BCG. La survie sans
récidive à 5 ans des patients traités par BCG Connaught a
été significativement supérieure à celle des patients traités
par BCG Tice (74,0 % vs 48,0 % ; p = 0,0108). En revanche,
les survies sans progression à 5 ans étaient comparables
(94,1 % vs 87,9 % pour le BCG Connaught et Tice respectivement ; p = 0,3442). Sengiku et al. ont comparé le taux
de réponse complète et la survie sans récidive de patients
traités pour du carcinome in situ primitif ou associé à des
TVNIM papillaire par BCG de souches Tokyo et Connaught
(66 et 63 patients respectivement) [24]. Le suivi médian a
été de 28,0 mois. Une réponse complète a été observée à
une fréquence statistiquement comparable avec les souches
Tokyo (90,3 %) et Connaught (85,0 %). La survie sans récidive
à deux ans était également comparable (73,2 % et 68,8 %
respectivement). Les caractéristiques démographiques et
Y. Neuzillet et al.
clinicopathologiques des patients étaient comparables dans
les deux bras et les auteurs ont donc conclu à l’absence
de différence d’efficacité clinique entre les deux souches.
Enfin, Vegt et al. ont comparé la survie sans progression de
TVNIM traitées soit par mitomycine C (148 patients), BCG
Tice (140 patients) et BCG de souche RIVM (149 patients)
[25]. Le suivi médian a été de 36,0 mois. La survie sans
récidive à 5 ans était comparable chez les patients traités par mitomycine C et BCG de souche RIVM (57 ± 5 % et
54 ± 5 % respectivement) et était significativement inférieure (36 ± 5 %) chez les patients traités par BCG Tice. Ces
trois études avaient deux limites : ne pas avoir incorporé
dans leur montage l’utilisation du traitement d’entretien
par BCG et ne pas avoir analysé les différences concernant
le tabagisme. Par ailleurs, l’absence de différence significative concernant les survies sans progression dans l’étude de
Rentsch et al. pouvait être liée à un défaut de puissance de
l’étude et aux traitements reçus lors des récidives. Enfin,
dans cette même étude où une différence significative dans
la survie sans récidive à 5 ans ait été montrée en faveur de la
souche Connaught par rapport à la souche Tice, le nombre de
patients à risque d’avoir une récidive à 5 ans n’était que de
18 et 3 patients respectivement. Il serait nécessaire d’avoir
au moins une étude prospective randomisée de plus grande
ampleur pour confirmer ce résultat et en tirer des recommandations en pratique clinique.
La revue de la littérature de Sylvester et al. avait, quant
à elle, conclu en 2002 à l’absence de différence d’efficacité
clinique entre les différentes souches de BCG [26].
Au total, les résultats des 3 études cliniques prospectives randomisées actuellement disponibles ont montré une
efficacité supérieure du BCG de souches Connaught vis-àvis du BCG de souches Tice et du BCG de souche RIVM
vis-à-vis du BCG de souche Tice en termes de survie sans
récidive. Ces études sont insuffisantes, quantitativement et
qualitativement, pour conclure à la supériorité d’efficacité
clinique d’une souche par rapport à une autre. Il n’y a pas
eu de comparaison de l’efficacité clinique du BCG de souche
Connaught vis-à-vis du BCG de souche RIVM. Par ailleurs,
comme observé lors de l’analyse des données précliniques,
l’efficacité clinique des souches de BCG n’a pas suivi une
relation linéaire avec leur délai de différenciation précoce,
intermédiaire ou tardif.
Différences de tolérance du traitement par les
différentes souches de BCG
La survenue d’effets indésirables liés aux instillations de
BCG a été analysée comparativement en fonction des
souches utilisées dans les trois études prospectives randomisées précédemment citées [13,24,25]. Les auteurs n’ont
pas démontré de différence de fréquence des effets indésirables. Cependant, les trois études avaient un défaut de
puissance statistique pour pouvoir analyser correctement
une éventuelle différence, d’autant plus que le recueil
de données concernant ces effets étaient insuffisamment
détaillé. L’analyse la plus précise a été celle de Rentsch
et al. [13] : les auteurs ont conclu à l’absence de différence
entre les souches Connaught et Tice dans la survenue d’une
pollakiurie, d’une hématurie et d’une hyperthermie. En
revanche, une dysurie était plus fréquente avec l’utilisation
Comparaison des souches de BCG
de BCG Tice (30 % vs 13 % ; p = 0,0151). Le grade de sévérité
des effets indésirables n’avait cependant pas été détaillé.
Les différences moléculaires observées entre les souches
suggèrent qu’il existe une résistance aux mécanismes de
défense immunitaire innée de l’hôte moins efficace pour
les souches RIVM et Tice. L’efficience du système immunitaire est requise que la BCG-thérapie soit efficace et,
inversement, les déficits de l’immunité cellulaire, les déficits combinés et les défauts de la phagocytose constituent
des contre-indications à la BCG-thérapie (au même titre
que les antécédents de réaction systémique au BCG, la
tuberculose active, une fièvre d’étiologie indéterminée et
non explorée, l’altération de la barrière urine/sang par un
traumatisme ou une cystite infectieuse ou radique [27]).
L’immunodéficience touchant les mécanismes d’immunité
innée de l’hôte augmente le risque d’effets indésirables
sévères infectieux [27]. Théoriquement, une moindre résistance de la souche Tice à ces mécanismes devrait réduire le
risque de survenu de ces évènements. Cependant, à ce jour,
les données disponibles n’en font pas la preuve.
Au total, les données disponibles n’ont pas été de qualité
suffisante pour déterminer s’il existe ou non des différences
de tolérance entre les différentes souches de BCG.
Conclusions
Les méthodes de production du BCG utilisées pour la vaccination, puis les instillations endovésicales adjuvantes à
la RTUV des TVNIM, a induit des différences génomiques
qui se traduisent par une cytotoxicité, une immunogénicité et une efficacité clinique différente d’une souche à
l’autre. D’un point de vue réglementaire, les préparations
pharmaceutiques disponibles sur le marché sont considérées
comme biologiquement équivalentes. Cependant, les résultats d’études précliniques et cliniques sont en faveur d’une
cytotoxicité, d’une immunogénicité et d’une efficacité clinique supérieure du BCG de souche Connaught vis-à-vis du
BCG de souche Tice. Au niveau clinique, des études de bonne
qualité avec une puissance suffisante manquent et seraient
nécessaires pour conclure à la différence d’efficacité d’une
souche vis-à-vis d’une autre. Enfin, la tolérance des différentes souches n’a pas été correctement documentée et
analysée.
Déclaration de liens d’intérêts
Y. Neuzillet, S. Larré et M. Roupret sont membres du board
scientifique du laboratoire Sanofi-Pasteur.
Références
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