Les nombres congruents

publicité
Les nombres congruents :
(Première version de la première partie : partie classique)
Introduction :
On s’intéresse au problème de l’existence d’un test simple qui déterminerait si un entier
naturel 𝑛 est l’aire d’un triangle rectangle dont les trois côtés sont de longueurs rationnels.
Un tel entier est dit congruent.
On désignera par triangle rationnel un triangle dont les trois côtés sont de longueurs
rationnels.
On cherche donc les entiers qui sont l’aire d’un triangle rectangle rationnel.
Ce problème était connu des Grecs mais c’est au 10ième siècle que les arabes en firent une
étude systématique. Signalons qu’il s’agit toujours d’un problème ouvert dans la mesure où
le résultat majeur dans la caractérisation des nombres congruents, le théorème de Tunnell en
1983, donne une condition nécessaire et suffisante simple pour qu’un nombre soit congruent
à la condition qu’une forme faible de la conjecture de Birch Swinnerton Dyer soit vraie (pour
que la condition suffisante soit vérifiée). Or cette conjecture constitue aujourd’hui en ellemême un problème extrêmement difficile.
Donnons tout de suite la transcription algébrique directe de cette définition :
Un entier naturel 𝑛 est dit congruent s’il existe un triplet (𝑎, 𝑏, 𝑐) de rationnels strictement
𝑎2 + 𝑏 2 = 𝑐 2 (1)
positifs tels que : (𝑆) { 1
𝑎𝑏 = 𝑛
(2)
2
De tels entiers existent, en effet le triangle de côtés 3, 4 et 5 est rectangle et son aire vaut
1
2
× 3 × 4 = 6. Donc 6 est un nombre congruent.
Remarque : Si 𝑛 est un nombre congruent et si 𝑠 est un entier naturel non nul, alors
𝑛𝑠 2 est un nombre congruent. En effet on multiplie (1) et (2) par 𝑠 2 et on obtient :
(𝑎𝑠)2 + (𝑏𝑠)2 = (𝑐𝑠)2
{ 1
donc comme 𝑎𝑠, 𝑏𝑠 et 𝑐𝑠 sont des nombres rationnels
(𝑎𝑠)(𝑏𝑠) = 𝑛𝑠 2
2
strictement positifs on a bien 𝑛𝑠 2 entier congruent.
De cette remarque on déduit deux choses :
1) Comme 6 est un nombre congruent, alors pour tout 𝑠 ∈ ℕ∗ on a 6𝑠 2 congruent, et
donc il existe une infinité de nombres congruents. A savoir : 6, 24, 54, 96 …
2) En gardant les mêmes notations, on a en fait (𝑛𝑠 2 𝑐𝑜𝑛𝑔𝑟𝑢𝑒𝑛𝑡) ⇔ (𝑛 𝑐𝑜𝑛𝑔𝑟𝑢𝑒𝑛𝑡),
dans un sens on multiplie notre système par 𝑠 2 et dans l’autre sens on le divise par
𝑠 2 . Ainsi on pourra maintenant s’intéresser seulement à savoir si des entiers sans
facteurs carrés sont congruents.
Les triangles Pythagoriciens :
Un triangle rectangle dont les trois côtés sont des entiers est dit Pythagoricien et le triplet
formé de ses trois côtés est un triplet Pythagoricien. Comme on l’a vue sur le cas de 6 est
congruent, de tels triplets existent. La proposition suivante en donne même une description
complète (on verra dans la seconde partie traitant des courbes elliptiques une seconde
démonstration de ce résultat).
Proposition 1 :
Soient 𝑋, 𝑌 et 𝑍 les côtés d’un triangle Pythagoricien avec 𝑍 hypoténuse et tel que
𝑃𝐺𝐶𝐷(𝑋, 𝑌, 𝑍) = 1. Alors il existe 𝑝 et 𝑞 entiers naturels avec 𝑃𝐺𝐶𝐷(𝑝, 𝑞) = 1 et 𝑝 + 𝑞
impair tels que {𝑋, 𝑌} = {𝑝2 − 𝑞 2 , 2𝑝𝑞} et 𝑍 = 𝑝2 + 𝑞 2 . La réciproque est trivialement vraie.
Remarque : Il n’y a aucune perte de généralité à considérer que 𝑃𝐺𝐶𝐷(𝑋, 𝑌, 𝑍) = 1
puisque sinon on diviserait par le carré de ce 𝑃𝐺𝐶𝐷 la relation 𝑋 2 + 𝑌 2 = 𝑍 2 pour se
ramener à ce cas. Un tel triplet Pythagoricien est dit primitif.
Démonstration : On a 𝑃𝐺𝐶𝐷(𝑋, 𝑌) = 1 sinon un facteur premier commun à 𝑋 et 𝑌 diviserait
𝑍 et cela contredit 𝑃𝐺𝐶𝐷(𝑋, 𝑌, 𝑍) = 1. De même 𝑃𝐺𝐶𝐷(𝑋, 𝑍) = 1 et 𝑃𝐺𝐶𝐷(𝑌, 𝑍) = 1. De
plus 𝑋 et 𝑌 non tous deux impairs sinon on a 𝑋 2 ≡ 𝑌 2 ≡ 1 [4] et donc 𝑍 2 = 𝑋 2 + 𝑌 2 ≡ 2[4]
ce qui est absurde puisqu’un carré est congrus à 0 ou 1 modulo 4. On peut supposer 𝑋
impair et 𝑌 pair. Il suit que 𝑍 est impair et que 𝑍 − 𝑋 et 𝑍 + 𝑋 sont tous les deux pairs. De
plus 𝑃𝐺𝐶𝐷(𝑍 − 𝑋, 𝑍 + 𝑋) = 2 car si 𝑝 > 2 premier est un diviseur commun de 𝑍 − 𝑋 et 𝑍 +
𝑋 alors 𝑝 divise leur somme et leur différence, c’est-à-dire 𝑝 ∣ 2𝑍 et 𝑝 ∣ 2𝑋 et comme
𝑍−𝑋 𝑍+𝑋
𝑃𝐺𝐶𝐷(𝑝, 2) = 1 on aurait 𝑃𝐺𝐶𝐷(𝑋, 𝑍) > 1 ce qui est absurde. Donc 𝑃𝐺𝐶𝐷 (
𝑌 2
Comme 𝑌 2 = 𝑍 2 − 𝑋 2 on a (2) =
𝑍−𝑋
2
⋅
𝑍+𝑋
2
2
,
2
)=1.
et on se retrouve avec le produit de deux
entiers naturels premiers entre eux qui est un carré d’entier. Donc il existe 𝑝 et 𝑞 entiers
avec 𝑃𝐺𝐶𝐷(𝑝, 𝑞) = 1 tels que
𝑍+𝑋
2
= 𝑝2 et
𝑍−𝑋
2
2
= 𝑞 2 . Donc 𝑋 = 𝑝2 − 𝑞 2 , 𝑌 = 2𝑝𝑞, 𝑍 =
𝑝2 + 𝑞 2 . De plus comme 𝑋 est impair on a 𝑝 et 𝑞 2 de parités opposés donc de même pour
𝑝 et 𝑞 et donc 𝑝 + 𝑞 est impair.
Les triangles Pythagoriciens permettent d’obtenir des nombres congruents. Par exemples le
triangle de côtés (3,4,5) est rectangle et d’aire 6, celui de côtés (8,6,10) est rectangle et
d’aire 24. Mais comme 24 = 4 × 6 = 22 × 6 et qu’on savait déjà que 6 est congruent, on
savait déjà que 24 l’était également et on pouvait même donner un triangle rectangle
rationnel (même entier ici) qui convenait. Ainsi le premier problème de l’utilisation des
triplets Pythagoriciens dans l’obtention des nombres congruents est qu’ils ne fournissent pas
toujours de nouveaux nombres congruents dans le sens où on peut tomber à multiplication
près par un carré d’entier sur un nombre congruent déjà connu.
De plus si on veut savoir si 𝑛 sans facteurs carrés est congruent et qu’aucun triplet
Pythagoricien ne fournit pour aire du triangle rectangle correspondant 𝑛𝑠 2 où 𝑠 ∈ ℕ∗ aussi
loin que l’on cherche, qui nous dit qu’en continuant à générer des triplets Pythagoriciens
encore plus grand on ne va pas tomber sur une telle aire ?
De plus certains nombres congruents qui sont obtenues par des triplets Pythagoriciens le
sont avec des triplets énormes et donc cette algorithme est un semi algorithme (il ne
s’arrête pas forcément) et peu efficace. Donc les triplets Pythagoriciens ne permettent pas
de répondre à notre problème initial.
Exemple de nombre congruent : 5 est un nombre congruent (c’est même le plus petit
nombre congruent…) car le triplet Pythagoricien (9,40,41) montre que 180 = 5 × 62
est congruent et donc que 5 l’est, avec par exemple comme triangle rectangle
3 20 41
rationnel correspondant (2 ,
3
, 6 ).
C’est Fermat le premier qui montra qu’il existait des nombres non congruents. Il en fit la
démonstration en démontrant que 1 n’est pas un nombre congruent. Pour cela il inventa la
méthode de la descente infinie. Notons que ce résultat mit fin à l’interrogation de son temps
de savoir s’il existait un triangle rationnel d’aire un carré.
Théorème (Fermat 1640) : 1 n’est pas un nombre congruent.
Remarque : on montre similairement que 2 et 3 ne sont pas congruents. Puisque 4 =
22 × 1 on a également 4 non congruent. Donc 5 est le plus petit nombre congruent.
Démonstration : On suppose par l’absurde que 1 est un nombre congruent. Il existe alors
𝐴2 + 𝐵 2 = 𝐶 2
(𝐴, 𝐵, 𝐶) ∈ (ℚ+∗ )3 tels que { 1
et en notant 𝑑 le produit des dénominateurs de
𝐴𝐵 = 1
2
𝐴, 𝐵 et 𝐶 (écrits sous forme irréductibles) on a après multiplication des deux équations de
notre système par 𝑑2 , en notant 𝑎 = 𝑑𝐴, 𝑏 = 𝑑𝐵 et 𝑐 = 𝑑𝐶 , un 4-uplet (𝑎, 𝑏, 𝑐, 𝑑) ∈ (ℕ∗ )4
2
2
2
tel que {𝑎 + 𝑏 = 2𝑐 . On supposera que 𝑃𝐺𝐶𝐷(𝑎, 𝑏) = 1 car s’il existe 𝑔 ≥ 2 diviseur
𝑎𝑏 = 2𝑑
commun de 𝑎 et 𝑏 alors on a 𝑔2 ∣ 𝑐 2 et donc 𝑔 ∣ 𝑐. De plus 𝑔2 ∣ 2𝑑 2 et donc 𝑔 ∣ 𝑑 (par
exemple en s’intéressant à la valuation 2-adique) et donc on pourrait diviser les deux
équations de notre système par 𝑔2 pour obtenir un nouveau 4-uplet d’entiers solutions. On
vérifie facilement que la première équation de notre système correspond à un triplet
Pythagoricien primitif (𝑎, 𝑏, 𝑐). Ainsi par la proposition 1 on déduit l’existence de deux
entiers naturels 𝑝 et 𝑞 avec 𝑃𝐺𝐶𝐷(𝑝, 𝑞) = 1 et 𝑝 + 𝑞 impair tels que (on suppose 𝑎 pair et 𝑏
impair) :
𝑎 = 2𝑝𝑞, 𝑏 = 𝑝2 − 𝑞 2 , 𝑐 = 𝑝2 + 𝑞 2
La deuxième équation de notre système est alors 𝑝𝑞(𝑝 − 𝑞)(𝑝 + 𝑞) = 𝑑 2 et comme 𝑝, 𝑞,
𝑝 − 𝑞 et 𝑝 + 𝑞 sont des entier naturels premiers entre eux deux à deux et que leur produit
𝑑 2 est un carré d’entier, on déduit l’existence de quatre entiers naturels 𝑥, 𝑦, 𝑢 et 𝑣 tels
que :
𝑝 = 𝑥 2 , 𝑞 = 𝑦 2 , 𝑝 + 𝑞 = 𝑢2 , 𝑝 − 𝑞 = 𝑣 2
Comme 𝑝 + 𝑞 est impair on a 𝑝 − 𝑞 impair. Donc 𝑢 et 𝑣 sont impairs et donc 𝑃𝐺𝐶𝐷(𝑢, 𝑣) =
1 sinon il existerait 𝑔 ≥ 3 premier tel que 𝑔 ∣ 𝑢2 + 𝑣 2 = 2𝑝 et 𝑔 ∣ 𝑢2 − 𝑣 2 = 2𝑞 et ceci
contredirait 𝑃𝐺𝐶𝐷(𝑝, 𝑞) = 1. Donc on a 𝑃𝐺𝐶𝐷(𝑢 + 𝑣, 𝑢 − 𝑣) = 2.
Comme 𝑢2 − 𝑣 2 = 2𝑞 = 2𝑦 2 et 𝑢2 − 𝑣 2 = (𝑢 + 𝑣)(𝑢 − 𝑣) on a 2𝑦 2 = (𝑢 + 𝑣)(𝑢 − 𝑣).
On a 4 ∣ (𝑢 + 𝑣)(𝑢 − 𝑣) = 2𝑦 2 donc 2 ∣ 𝑦 2 et donc 2 ∣ 𝑦. On écrit alors :
𝑦 2
2 (2) =
𝑢+𝑣
2
⋅
𝑢−𝑣
2
𝑦
. Mais comme 2 ∈ ℕ et 𝑃𝐺𝐶𝐷 (
entiers naturels 𝑟 et 𝑠 tels que ou bien (
𝑢+𝑣 𝑢−𝑣
2
,
2
𝑢+𝑣 𝑢−𝑣
2
,
2
2
) = 1 il vient qu’il existe deux
𝑢+𝑣 𝑢−𝑣
) = (2𝑟 , 𝑠 2 ) ou bien (
2
,
2
)=
(𝑟 2 , 2𝑠 2 ). Dans le premier cas on a (𝑢, 𝑣) = (2𝑟 2 + 𝑠 2 , 2𝑟 2 − 𝑠 2 ) et donc 𝑥 2 = 𝑝 =
4
4
2
(2𝑟 2 )2
𝑢2 +𝑣 2
2
(𝑠 2 )2
=
4𝑟 + 𝑠 . C’est-à-dire 𝑥 =
+
, ce qui correspond à un triangle rectangle d’aire
2
2
2
(𝑟𝑠) et d’hypoténuse 𝑥 = √𝑝 < 𝑝 + 𝑞 = 𝑐 qui était l’hypoténuse de notre solution de
départ. Dans l’autre cas le résultat est analogue.
En partant d’un triangle rectangle de côtés entiers non nuls et dont l’aire est un carré
d’entier (voir notre dernier système) on a construit un nouveau triangle rectangle de côtés
entiers non nuls dont l’aire est aussi un carré mais dont l’hypoténuse est strictement plus
petit. Par principe de descente infinie (une propriété vraie sur un ensemble d’entiers
naturels non nuls qui est non vide admet un plus petit élément par axiome) on conclut que
l’hypothèse de départ, 1 est un nombre congruent, est absurde.
Comme annoncé dans l’introduction on pense avoir trouvé un critère simple pour savoir si
un entier est congruent. Le résultat suivant, dû à Zagier, nous indique au travers d’un
exemple qu’un nombre congruent petit (ici 157) peut avoir des triangles rectangles associés
tous extrêmement « compliqués » :
Exemple(Zagier) : 157 est un nombre congruent mais le triangle rectangle (𝑎, 𝑏, 𝑐) le plus
simple qui le génère s’écrit :
𝑎=
6803298487826435051217540
411340519227716149383203
𝑐=
,
𝑏=
411340519227716149383203
21666555693714761309610
224403517704336969924557513090674863160948472041
8912332268928859588025535178967163570016480830
,
Voici une formulation équivalente du problème des nombres congruents (connue des Arabes
et des Grecs) :
Se donnant un entier naturel 𝑛, peut-on trouver un nombre rationnel 𝑥 tel que :
𝑥2 + 𝑛 = 𝑟2
{ 2
où 𝑟, 𝑝 ∈ ℚ
𝑥 − 𝑛 = 𝑝2
En fait 𝑛 est congruent si et seulement s’il existe des 𝑥 ∈ ℚ tel que 𝑥, 𝑥 + 𝑛 et 𝑥 − 𝑛 sont
des carrés de nombres rationnels.
En effet on a la proposition suivante :
Proposition 2 :
Soit 𝑛 ∈ ℕ∗ fixé, sans facteurs carrés. Soient 𝑋, 𝑌, 𝑍, 𝑥 des éléments de ℚ+∗ avec 𝑋 < 𝑌 <
𝑍. Il y a une correspondance bijective entre les triangles rectangles de côtés 𝑋 et 𝑌 et
d’hypoténuse 𝑍 et d’aire 𝑛 et les nombres 𝑥 pour lesquels 𝑥, 𝑥 + 𝑛 et 𝑥 − 𝑛 sont chacun des
carrés de nombre rationnel. La bijection est :
𝑍 2
𝑋, 𝑌, 𝑍 → 𝑥 = ( )
2
𝑥 → 𝑋 = √𝑥 + 𝑛 − √𝑥 − 𝑛,
𝑌 = √𝑥 + 𝑛 + √𝑥 − 𝑛,
𝑍 = 2 √𝑥
Démonstration : Pour la première application si (𝑋, 𝑌, 𝑍) a les propriétés désirées on a
𝑍 2
𝑋 2
𝑌 2
1
𝑋∓𝑌 2
(2) ∓ 𝑛 = ( 2 ) + (2) ∓ 2 𝑋𝑌 = (
1
2
2
) . Pour la seconde on vérifie que 𝑋 2 + 𝑌 2 = 𝑍 2 et
𝑋𝑌 = 𝑛 et que 𝑋, 𝑌 et 𝑍 sont rationnels strictement positif. On termine la démonstration
en montrant que les deux applications sont bien inverses l’une de l’autre.
Téléchargement