SUR LA VARIÉTÉ DES CARACTÈRES p-ADIQUE DE Gal(Qp/Qp)
GAËTAN CHENEVIER
Soient1Kune extension finie de Qpet Xnla variété des caractères continus de
Gal(K/K)de dimension nà valeurs dans Qp. Le but principal de cette note est de
démontrer le :
Théorème : (i) Xnest équidimensionnel de dimension [K:Qp]n2+ 1.
(ii) L’ouvert Zariski Xirr
nXnparamétrant les représentations irréductibles est
dense dans Xn.
(iii) Si n > 2ou K6=Qp,Xirr
ncoïncide exactement avec le lieu régulier de Xn.
(iv) Quand n= 2 et K=Qp, le lieu singulier de X2est celui paramétrant les
torsions par un caractère de 1ωωest le caractère cyclotomique.
Nous décrivons aussi complètement les composantes connexes de X2qui ne sont
pas résiduellement scalaires quand K=Q2au chapitre 4. Afin de traiter le cas de la
représentation triviale de X2dans l’énoncé ci-dessus nous utilisons une description
générale des déformations à l’ordre 1du caractère triviale de dimension 2(pour un
groupe quelconque), démontrée au chapitre 3.
Proposition : Soient Gun groupe topologique, Aun anneau topologique com-
mutatif unitaire dans lequel 2est inversible, et soit Tle A-module des déformations
àA[ε]du pseudocaractère triviale de dimension 2de Gà valeurs dans A. Alors il
existe des sous-A-modules canoniques T00 T0Ttels que
T00 'Hom(G, A), T 0/T 00 'Sym2(G, A), T/T 0Alt3(G, A).
Nous terminons en discutant en appendice d’une relation entre l’espace Tci-dessus
et l’espace des fonctions f:GAvérifiant l’identité du parallélogramme
f(gh1) + f(gh) = 2(f(g) + f(h)) g, h G.
Nous déterminons toutes ces fonctions dans certains cas particuliers amusants. Nous
donnons enfin une variante du théorème principal ci-dessus quand Gest remplacé
par un groupe (discret) libre à un nombre fini de générateurs.
1. Rappels sur la variété des caractères p-adiques
Soient Gun groupe profini, pun nombre premier et n1un entier. On suppose
que pour tout sous-groupe ouvert HG, l’ensemble des homomorphismes continus
HFpest fini. Soit Xn(G), où simplement
Xn
1Version préliminaire de décembre 2009, dernières corrections : juillet 2010. L’auteur est financé
par le C.N.R.S. Nous remercions Joël Bellaïche de nous avoir signalé un argument erroné dans une
version précédente de cette note.
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2 GAËTAN CHENEVIER
l’espace des classes d’isomorphie de représentations continues semi-simples de Gde
dimension nà coefficients dans Qp. On rappelle suivant [Ch1] que Xnest un espace
rigide sur Qp(disons au sens de Tate) dont les points à valeurs dans une Qp-algèbre
affinoide Squelconque sont exactement l’ensemble des pseudo-caractères continus
GSde dimension n. Il s’agit là de pseudo-caractères au sens de R. Taylor
et Rouquier, qui sont des substituts abstraits pour les traces des représentations
usuelles fournis par la théorie des invariants. Leur usage est imposé par les prob-
lèmes de représentabilité inhérents à la théorie des espaces de modules de classes
d’isomorphies de représentations d’un groupe. Ils peuvent aussi être vus comme une
théorie des invariants explicite dans ce cadre, qui repose de manière fondamentale
sur des travaux de Procesi et de Vaccarino. Nous renvoyons à [BCh2, Ch. 1], [Ch1]
et à [Ch2], pour une introduction à ces points de vue. Nous décrivons ci-dessous
brièvement quelques propriétés de Xn.
Tout d’abord, les Qp-points de Xnsont en bijection naturelle avec l’ensemble des
classes de conjugaison de représentations semi-simples et continues GGLn(Qp).
Si xXn, on note k(x)son corps résiduel, qui est une extension finie de Qp, et
ρx:GGLn(k(x))
la représentation semi-simple (de trace dans k(x)) associée. Si Tr : G→ O(Xn)
désigne le pseudo-caractère continu universel de dimension n, son évaluation Trxen
xXnsatisfait alors Trx= trace(ρx).
Appliquant la propriété universelle de Xnaux épaississements infinitésimaux d’un
point, il vient que pour tout xXn,b
OXn,x pro-représente de manère naturelle le
foncteur des pseudo-déformations continues de trace(ρx)aux Qp-algèbres artiniennes
locales de corps résiduel identifié à k(x). En particulier, si ρxest irréductible, et
si Lest une extension finie de k(x)surlaquelle ρxest définie, alors b
OXn,x k(x)L
pro-représente de manère naturelle le foncteur des déformations continues de ρx(vue
sur L) aux Qp-algèbres artiniennes locales de corps résiduel identifié à Lainsi qu’il
a été défini par Mazur.
Globalement, l’espace Xnest une réunion disjointe admissible d’ouverts admissi-
bles
Xn=a
rIrrn(G)
Xn(r)
Irrn(G)parcourt les représentations semi-simples continues r:GGLn(Fp)
considérées modulo isomorphisme et action du Frobenius absolu de Fpsur les coef-
ficients. Chaque Xn(r)peut être réalisé comme un fermé de la boule unité ouverte
sur Qpd’une certaine dimension. C’est aussi la fibre générique analytifiée de la
pseudo-déformation pro-universelle continue de r(quand pn, voir [Ch1]).
On designe par Xirr
nXnl’ouvert Zariski paramétrant les représentations absol-
ument irreductibles, i.e. les xtels que ρxest irréductible. Soient deux entiers non
nuls aet btels que a+b=n. Si Sest une Qp-algèbre affinoide et si Ti:GS,
i= 1,2, sont deux pseudo-caractères continus de dimensions respectives aet b, alors
T1+T2:GSest un pseudo-caractère continu de dimension n. Cela définit un
morphisme canonique
ιa,b :Xa×XbXn.
SUR LA VARIÉTÉ DES CARACTÈRES p-ADIQUE DE Gal(Qp/Qp)3
Ensemblistement, on a Xn\Xirr
n=Sa+b=nιa,b(Xa×Xb). Nous aurons besoin du
lemme suivant.
Lemme 1.1. Soient a, b 1et (u, v)Xa×Xbtels que ρuet ρvsoient irréductibles
non isomorphes. Alors il existe un ouvert affinoide Xncontenant ιa,b(u, v)tel
que ιa,b : (Xa×Xb)ι1
a,b(Ω) est une immersion fermée dont l’image est \Xirr
n.
La preuve de ce lemme (inspirée de [BCh1, §2] et de [BCh2, §1.5]) est un peu
technique et pourra être ignorée en première lecture. Il serait facile d’en donner une
variante au voisinage de n’importe quel points xde Xntel que la représentation ρx
est sans multiplicité.
Preuve — Soient x=ιa,b(u, v),Lune extension finie de k(x)telle que ρuet ρv
soient définies sur Let A=OX,x k(x)L. Soit Sla O(Xn)-algèbre quotient de
O(Xn)[G]par l’idéal bilatère engendré par la relation de Cayley-Hamilton de degré
npour Tr (voir [BCh2, Example 1.2.4 (i)]). En particulier Tr se factorise en un
pseudo-caractère S→ O(Xn)de dimension npourlequel Ssatisfait le théorème de
Cayley-Hamilton de degré n. Sous l’hypothèse sur (ρu, ρv), le théorème 1.4.4 de
[BCh2] assure que SA:= SO(Xn)Aest une algèbre de matrices généralisées de
type (a, b). Cela signifie notament qu’il existe un morphisme de A-algèbres
ψA:Ma(A)×Mb(A)SA
tel que Tr o ψAcoïncide avec la trace naturelle matricielle Ma(A)×Mb(A)A.
L’anneau Aétant une limite inductive sur les voisinage ouverts affinoides de xdans
Xn, on peut trouver un tel voisinage tel que ψAprovienne par extension des
scalaires d’un morphisme de O(U)-algèbres
ψU:Ma(O(U)) ×Mb(O(U)) SU:= SO(Xn)O(U),
U= Ω×QpL, tel que Tr o ψUcoïncide avec la trace naturelle matricielle Ma(O(U))×
Mb(O(U)) → O(U). Nous allons vérifier que convient.
Rappelons tout d’abord qu’un idéal bilatère d’une algèbre de matrices Mk(B),B
un anneau commutatif quelconque, est toujours de la forme Mk(I)Iest un idéal
de B. Ceci et la condition ci-dessus sur Tr o ψUassurent que ψUest injectif : on le
verra comme une inclusion pour simplifier. On note alors eSUl’élément (1,0) de
Ma(O(U)) ×Mb(O(U)). L’idéal bilatère eSU(1 e)SUede eSue=Ma(O(U)) est
de la forme Ma(I)pour un unique idéal I⊂ O(U). En fait I= Tr(eSU(1 e)SUe).
Nous allons vérifier que l’immersion fermée de l’énoncé est définie par l’idéal I:
notons F= Sp(O(U)/I)ce fermé. Remarquons avant cela que puisque Tr(xy) =
Tr(yx)pour tout x, y SU, on a en fait (1 e)SUeSU(1 e) = Mb(I), et aussi
Tr(eSU(1 e)) = Tr((1 e)SUe) = 0 soit
(1.1) Tr(x) = Tr(exe) + Tr((1 e)x(1 e)xSU.
Tout d’abord, remarquons que pour i= 1,2, et si on pose (n1, n2)=(a, b),
l’application naturelle
ρi:SUeSUe/eSU(1 e)SUe=Mni(O(U)/I)
est un morphisme de O(U)-algèbres car ese.es0eess0e=es(e1)s0e. Si Tiest
la trace de la représentation GGLni(O(U)/I)ainsi obtenue, alors (1.1) s’écrit
Tr = Tr1+ Tr2mod I. Comme les Trisont clairement continus par construction
(car Tr1(g) = Tr(eg) mod I), on a construit un morphisme naturel FXa×Xb.
4 GAËTAN CHENEVIER
Réciproquement, soit Vun L-affinoide et (T0
1, T 0
2)des pseudo-caractères continus
de Gà valeurs dans O(V), de dimensions respectives (a, b), tels que T0
1+T0
2définisse
un morphisme f:VU. Regardons SV=SUO(U)O(V). Il nous reste à
démontrer que l’image de Idans O(V)est nulle, de sorte que fse factorise par
FU, puis que T0
1et T0
2sont les extensions des scalaires à O(V)des T1et T2
définis plus haut (à valeurs dans O(F)). D’après [BCh2, §1.2.4] (formule pour
le polynôme caractéristique d’une somme), T0
1et T0
2se factorisent en des pseudo-
caractères de SV. Pour les mêmes raisons que plus haut nous disposons d’une
injection compatible à la trace ψV:= ψUO(U)O(V). On peut donc voir T0
1et
T0
2comme des pseudo-caractères de Ma(O(V)) et Mb(O(V)). Rappelons que si B
est une Q-algèbre commutative quelconque, les seuls pseudo-caractères de Mk(B)
sont les multiples entiers de la trace matricielle évidente. Ainsi, il existe des entiers
m, m00tels que T0
1(e) = ma et T0
2(e) = m0a. Comme (m+m0)a= (T0
1+T0
2)(e) =
Tr(e) = aon a {m, m0}={0,1}. Si T0
1(e)6= 0 on en déduit que T0
1coïncide sur eSVe
et vaut 0sur (1 e)SV(1 e). Autrement dit, T0
1(x) = Tr(ex)pour tout xSV.
De même on a alors T0
2(x) = Tr((1 e)x)pour tout xSV. Si T0
1(e) = 0, alors
T0
1(1 e) = T0
1(1) = a6= 0 et la même analyse montre que T0
1coïncide avec la trace
matricielle de (1 e)SV(1 e), en particulier a=bet quitte à échanger eet (1 e)
on peut supposer qu’on est toujours dans le premier cas. Notons que T0
1étant un
pseudo-caractère de SV, on a l’annulation
T0
1(eSV(1 e)SVe) = T0
1((1 e)SVeSV) = T(e(1 e)SVeSV) = 0.
Mais eSV(1 e)SVe=Ma(I0)I0est l’image de Idans O(V), il vient que I0= 0
puis que T0
i=fTi: cela termine la démonstration de ce que le pull-back de ιa,b au
dessus de Uest l’immersion fermée d’idéal I. Mais si WW0est un morphisme
d’espaces rigides tel que W×LW0×Lest une immersion fermée (Lune extension
finie de Qpquelconque), alors WW0est une immersion fermée2, ce qui conclut
la première assertion du lemme.
Il reste à montrer qu’un point réductible dans est dans l’image de ιa,b. Si xest
un tel point, on dispose encore d’un morphisme injectif
ψx=ψAAk(x) : Ma(k(x)) ×Mb(k(x)) SLk(x),
tel que trace(ρx) o ψxest la trace matricielle sur Ma(k(x)) ×Mb(k(x)). Par un
argument déjà donné plus haut la seule décomposition possible de trace(ρx)comme
somme de deux pseudo-caractères est donc une somme de deux irréductibles de
dimensions respectives aet b.
2. Le théorème principal
Fixons Kune extension finie de Qpde degré d= [K:Qp]et
GK= Gal(K/K)
son groupe de Galois absolu. On pose Xn=Xn(GK). La théorie du corps de classes
décrit explicitement X1(GK) = X1(GKab)comme l’espace des caractères continus
p-adiques de c
K, qui est (non canoniquement) isomorphe à b
Z×µ(K)×Z[K:Qp]
p.
Rappelons que X1(Zp)est la boule unité ouverte de rayon 1sur Qpet que X1(b
Z)
2Nous remercions Laurent Fargues pour une discussion à ce sujet.
SUR LA VARIÉTÉ DES CARACTÈRES p-ADIQUE DE Gal(Qp/Qp)5
est réunion disjointe, indexée par les entiers npremiers à p, de la restriction à
Qpde la boule unité ouverte de rayon 1sur Qp(µn). Les travaux de plusieurs
auteurs, notamment de M. Kisin et G. Böckle, ont permis de décrire essentiellement
complètement X2quand K=Qp, sauf quand p= 2 auquel cas la description est
encore incomplète à notre connaissance (voir le chapitre 4).
Théorème 2.1. Xnest équi-dimensionnel de dimension dn2+ 1 et l’ouvert Xirr
nest
Zariski-dense.
Tout d’abord, le fait que Xirr
nest régulier d’équi-dimension dn2+ 1 est clas-
sique. En effet, il suffit de voir que si Lest une extension finie de k(x)sur laque-
lle ρxest définie, alors b
OXn,x k(x)Lest formellement lisse sur Lde dimension
dn2+ 1. Or comme on a vu cette L-algèbre est l’algèbre pro-universelle des dé-
formations continues de la représentation absolument irréductible ρx(vue sur L).
L’assertion découle alors de ce que H0(GK,ad(ρx)) est de dimension 1(sur k(x)),
H2(GK,ad(ρx)) = HomGK(ρx, ρx(1)) = 0 (dualité de Tate), de sorte que par la for-
mule de caractéristique d’Euler pour la cohomologie continue de GKdûe à Tate on
adim H1(GK,ad(ρx)) = ddim(ad(ρx)) + 1 = dn2+ 1.
Nous allons démontrer par récurrence sur la dimension nque Xirr
nest Zariski-dense
dans Xn, ce qui entraîne le théorème par le paragraphe ci-dessus.
Comme Xirr
nest un ouvert Zariski, son adhérence Zariski est une réunion de com-
posantes irréductibles de Xn. Supposons par l’absurde que cette réunion soit stricte,
il existe donc un ouvert affinoïde UXnqui ne la rencontre pas. À fortiori,
UXirr
n=. Soit xU. Il existe donc deux entiers non nuls aet btels que
a+b=net tels que xest dans l’image du morphisme naturel
ιa,b :Xa×XbXn.
Soit (u, v)Xa×Xbtel que ιa,b(u, v) = x. Par hypothèse de récurrence, l’ouvert
Zariski de Xa×Xbparamétrant les paires de représentations irréductibles est Zariski-
dense, on peut donc trouver (u0, v0)assez proche de (u, v)dans Xa×Xb, de sorte
que ιa,b(u0, v0)Uet que ρu0et ρv0soient irréductibles. Si a=bon peut supposer
de plus que ρu06' ρv0(m)pour tout mZ: il suffit de tordre l’un par un caractère
assez proche de 1bien choisi. On pose x0=ιa,b(u0, v0).
Choisissons Vune extension non triviale de ρu0par ρv0, disons définie sur une
extrension finie Lassez grande de k(u0, v0)(donc de k(x0)). Une telle extension existe
car H1(GK,Hom(ρu0, ρv0)) est de dimension [K:Qp]ab > 1par les théorèmes de
Tate suscités. Soit OVl’anneau de déformation pro-universel de Vaux Qp-algèbres
artiniennes locales de corps résiduel L(Mazur, Schlessinger). Par des arguments
similaires à ceux de l’étude plus haut des points dans Xirr
n,OVest formellement
lisse sur Lde dimension dn2+ 1. On dispose de plus en prenant la trace d’un
morphisme local de L-algèbres ϕ:b
OXn,x0k(z)L→ OV.
Lemme 2.2. Soit Wune GK-déformation continue de Vsur L[ε]/(ε2), telle que
trace(g|W) = trace(g|V) gGK,
alors dans une L[ε]-base bien choisie, West une déformation triangulaire supérieure
de Vqui est constante sur les deux blocs diagonaux.
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