Travail présenté à M. Leonard Dudley ECN1350 - Histoire économique du monde occidental L’impact de l’imprimerie au vernaculaire en France de 1700 à 1800 par Catherine Deschamps Samuel Leblanc Sébastien Métivier Grenier Antoine Noël Université de Montréal 5 décembre 2013 Sommaire Ce projet de recherche présente une analyse de l’impact de l’imprimerie dans le vernaculaire en France entre 1700 et 1800. Il comprend plusieurs étapes qui commencent par une mise en situation au plan économique, géographique et technologique au début de la période. Ceci permet de faire une comparaison avec la situation finale pour mieux observer les changements amenés par la technologie de l’imprimerie dans le vernaculaire. L’étape suivante consiste à faire une analyse théorique. Pour ce faire, une série de cinq études concernant le sujet de l’imprimerie sont développées. De toutes les études révisées, le modèle de Leonard Dudley et d’Harold Innis sont utilisés pour faire une analyse théorique de l’impact de la technologie. Celle-ci permet d’arriver à la conclusion que l’imprimerie dans le vernaculaire augmente les économies d’échelles informationnelles ce qui entraîne une augmentation de la marge interne et externe de l’État soient le taux d’impôts et la superficie respectivement. Le but de ce présent document est de vérifier si le modèle de Dudley est en effet applicable à cette situation. L’analyse historique à la fin de la période étudiée permet de voir l’évolution de ces deux marges et de confirmer ou d’infirmer le modèle. Pour ce travail, le modèle est infirmé. En effet, selon l’analyse des faits historiques, la marge interne de la France diminue et l’effet de la technologie sur la marge externe est ambigüe. Le travail se terminera sur les raisons possibles des effets observés de l’imprimerie au vernaculaire ainsi que des possibilités d’avancement pour de futures études. i Table des matières Sommaire (Catherine Deschamps) ...................................................................................... i Liste des tableaux et figures............................................................................................... iii Section I. - Introduction (Catherine Deschamps) ............................................................... 1 Section II. - La situation initiale(Samuel Leblanc)............................................................. 3 Section III. - Revue des études déjà réalisées (Samuel Leblanc) ....................................... 6 Section IV. - L’imprimerie dans le vernaculaire et ses effets sur la structure de la France de 1700 à 1800 (Antoine Noël)......................................................................................... 11 L’imprimerie dans le vernaculaire ................................................................................ 11 Le modèle théorique présenté ....................................................................................... 15 Hypothèses à partir du modèle...................................................................................... 17 Section V. - Analyse historique (Sébastien Métivier Grenier) ......................................... 18 L’analyse historique...................................................................................................... 18 1700............................................................................................................................... 18 1700 à 1800 : L’impact de l’imprimerie dans le vernaculaire:..................................... 19 1800 : La marge externe ............................................................................................... 21 1700 à 1800 : La marge interne .................................................................................... 22 Vérification des hypothèses .......................................................................................... 27 Addenda : Napoléon (1800 à 1815) .............................................................................. 28 Section VI. - Conclusion (Catherine Deschamps) ............................................................ 31 Bibliographie..................................................................................................................... 32 Annexes............................................................................................................................. 38 ii Liste des tableaux et figures Figure 1 : Marge externe en 1700......................................................................................38 Figure 2 : Premier empire colonial (en bleu clair).............................................................39 Figure 3 - Représentation graphique du modèle théorique (avant le choc).......................40 Figure 4 - Représentation graphique du modèle théorique (après le choc).......................41 Figure 5 : Marge externe finale en 1800............................................................................42 Figure 6 : Territoire à l’apogée de l’Empire......................................................................43 Figure 7 : Marge externe en 1815......................................................................................44 iii Section I. - Introduction La France de la première moitié du XVIe siècle se caractérisait par de multiples dialectes du français en devenir. On appelait ces dialectes des patois. Beaucoup de problèmes au niveau de la diffusion du savoir et des écrits existaient parce que la langue n’était pas standardisée et la majorité des ouvrages qui étaient imprimés étaient en latin. Ceci restreignait donc la diffusion du savoir aux personnes qui savaient lire le latin ou déformait les langues vernaculaires lorsque les imprimeurs voulaient rendre les impressions plus accessibles.1 L’imprimerie en essor dans cette période a amené un mouvement de révision de la langue vulgaire, le françois, par les imprimeurs. Beaucoup d’imprimeurs voulaient redonner une certaine richesse à la langue en ramenant des racines latines au niveau de l’écriture du françois. «Ainsi, le mot abhorrer, avec ses nouvelles formes latinisantes (< lat. abhorrere), apparaissait comme nettement supérieur à l'ancienne graphie populaire avorir, décidément trop simple.»2 Plusieurs erreurs par rapport aux racines latines se sont glissées à ce moment. C’est ainsi que le français tel que nous le connaissons aujourd’hui est apparu. Plusieurs défendeurs du français étaient contre cette idée de latiniser et préféraient utiliser le français populaire. Plusieurs érudits comme Joachim du Bellay préconisaient la diversification des mots par des racines anciennes et des influences de langues régionales ou étrangères3. C’est après que le français soit devenu la langue officielle de France en 1539 qu’une réelle codification a pris de l’importance. Le principal effort de l’État dans cette direction fut la création de l’Académie française en 16354. « La principale fonction de l’Académie sera de travailler avec tout le soin et toute la diligence possibles à donner des règles certaines à notre langue et à la rendre pure, éloquente et capable de traiter les arts et les 1 Contributeurs à Wikipédia, «Histoire du livre» Leclerc, Jacques, «Histoire de la langue française : Renaissance» 3 Leclerc, Jacques, «Histoire de la langue française : Renaissance» 4 Contributeurs à Wikipédia, «Histoire de la langue française» 2 1 sciences.» 5 Il est aussi écrit dans ces missions qu’elle doit : « constituer avec sagesse et économie une langue qui ne fût pas celle des spécialistes, des érudits, ni celle des corporations, qui eût la clarté et l’élégance qu’on accorde au latin, où ne fût pas accentué l’écart entre langue écrite et langue parlée, qui tînt enfin sa force de son double attachement à l’usage et à la norme.»6 Ces deux missions et la création du dictionnaire aident énormément à la standardisation du français. Les effets de cette normalisation se manifestent grandement pendant le règne de Louis XIV qui aide la diffusion de la langue par l’encouragement de l’imprimerie et par la colonisation en Amérique du Nord où elle est très bien implantée7. Cette petite partie de l’histoire de la langue française et de l’imprimerie permet de se mettre en contexte pour analyser plus en profondeur l’imprimerie au vernaculaire en France dans la période qui suivit soit de 1700 à 1800. Ce projet de recherche vise à en détailler les impacts au niveau économique, géographique et social. Le tout commencera par une analyse de la situation initiale de la France en 1700. Par la suite, une série d’études de différents auteurs concernant l’imprimerie au vernaculaire seront détaillées pour mieux pouvoir analyser théoriquement l’influence de cette nouvelle technologie. Une description de cette innovation, l’imprimerie au vernaculaire, permettra de mieux comprendre son impact. Conséquemment, l’analyse théorique par rapport au modèle de Leonard Dudley et d’Harold Innis sera faite. Finalement, ce rapport conclura en faisant une comparaison de l’aspect théorique et des faits historiques véritables pour pouvoir vérifier la validité du modèle dans cette situation particulière par rapport à la marge interne, le niveau d’imposition, et la marge externe, la superficie du territoire de la France en 1800. 5 Académie française, «L’histoire» Académie Française, «L’histoire» 7 Contributeurs à Wikipédia, «Louis XIV de France» 6 2 Section II. - La situation initiale Pour débuter l’analyse de l’impact de la nouvelle technologie informationnelle sur les marges externes et internes de l’état, il est indispensable de regarder la situation économique, sociale et géographique de l’état avant l’arrivée de la technologie. Cette section portera sur le portrait de la France juste avant le XVIII siècle quant à la fiscalité, le territoire et la situation globale socioéconomique de la France dans le dernier quart du XVIIe siècle. Initialement, dans le dernier quart du XVIIe siècle avant le siècle des lumières, on assiste à une période où la France est dans une période de remise en question quant à la monarchie et au pouvoir absolu en France, sous le règne du roi Louis XIV qui commence à se faire vieux. De plus, cette période est marquée par la guerre de ligue d’Augsbourg qui implique la France contre une Europe coalisée8. La situation économique dans le dernier quart de XVIIe siècle ne se porte vraiment pas bien et est victime de plusieurs crises économiques dues, par exemple, aux mauvaises récoltes en 1693-1698 9. Les citoyens français sont de plus en plus victimes d’une fiscalité grandissante avec l’introduction de la capitation en addition à la taille10. Il s’agit d’une pensée économique instaurée par Colbert, qu’on appela plus tard ‘’Colbertisme’’ ou mercantilisme qui dit que la puissance d’un état est donnée par l’augmentation des impôts et plus d’exportations que d’importations, soit une grande balance commerciale positive. On peut donc dire qu’en 1675-1700, la France est un état ou un royaume interventionnisme. Ce qui implique que la marge interne de la France est déjà très élevée. La France est, à cette période de l’histoire, le pays avec le plus grand nombre d’habitants : comptant approximativement 21 millions de personnes à la fin du XVIIe siècle, qui resta constant presque tous le siècle avant d’entamer sa croissance à partir de 8 Contributeur à Wikipedia, «Histoire de France au XVIIe siècle» Jean Meuvret, 1951, 327 10 Contributeur à Wikipedia, «Histoire de France au XVIIe siècle» 9 3 170011. Elle est de plus impliquée dans une rivalité coloniale franco-anglaise dû à son mercantilisme qui implique d’apporter des matières premières de ses colonies et de les transformer en produits finis en France. Son empire colonial, à cette époque, est principalement constitué de la Nouvelle-France, des Antilles, des Indes ainsi que de petites îles un peu partout. La marge externe de la France est très importante pour cette époque et elle doit gérer beaucoup de gens sur beaucoup de territoires. Les annexes 1 et 2 présentent la France et le premier empire colonial de la France sous forme de carte au dernier quart du XVIIe siècle. L’imprimerie, en France, resta dans la même technique de 1650 jusqu’à la fin de l’ancien régime français. Les imprimeurs français utilisèrent généralement la même technique, soit par taille-douce12. Celle-ci est contraire à l’imprimerie par taille d’épargne. Tailledouce désigne en fait le procédé par lequel l’encre est déposé en premier dans de minimes creux sur une plaque. Ensuite, l’encre en trop est enlevé pour qu’il n’en reste seulement que dans les petits creux et après on compresse le papier sur la plaque et finalement l’encre transféré sur le papier13. De plus les imprimeurs utilisèrent majoritairement de l’eau forte et du burin. Employés ensemble sur une même planche. Le problème avec l’imprimerie dans la fin du dernier quart du XVIIe siècle est principalement le papier : il est le plus cher dans la fabrication. Le papier n’était formé que de vieux linges usés14. Cependant, même si de 1675-1700 la majorité des livres publiés sont en Français et que seulement un peu plus de 10% des livres sont imprimés en Latin, le moyen de rendre les gens informés reste quand même très bas à la fin du siècle15. Cela peut être expliqué par deux options : la première étant que le coût pour apprendre le Latin est très cher et le deuxième est tout simplement du fait que la population française à un taux d’alphabétisation très bas, soit de 29% pour les gars et 14% pour les femme de 1686 11 Contributeur à Philisto, «La population française sous l’Ancien Régime» Roger Chartier et Henri-Jean Martin, 1989, 95 13 Contributeur à Wikipédia, «Taille-douce» 14 Roger Chartier et Henri-Jean Martin, 1989, 95 15 Roger Chartier et Henri-Jean Martin, 1989, 95 12 4 169016. À la fin du siècle, le pouvoir royal oblige les parents à envoyer leurs enfants dans de ‘’petites écoles’’ sous l’ordonnance du 13 décembre 1698 de Louis XIV. Ces petites écoles apprennent aux enfants à lire, à écrire et à compter ; c'est-à-dire une instruction de base17. Ceci pourrait expliquer la hausse du taux d’alphabétisation au XVIIIe siècle. De plus, en 1685 on assiste à la révocation de l’édit de Nantes qui favorisa les journaux et pamphlets à contourner la censure qui fut longtemps contrôlée par l’état. Le fait que les français n’ont pas réellement accès à l’information ou à des livres qu’ils peuvent comprendre pourrait expliquer le mécontentement qu’ils ont quant à leur lourd fardeau fiscal grandissant et l’absolutisme royal. De plus, on pouvait remarquer une certaine inefficacité du système de taxation car certains nobles ou marchands pouvait être exempté pour des raisons politiques par exemple. En somme, la complexité et l’inefficacité de la taxation n’était pas vraiment compris par la majorité des français avant de débuter le XVIIIe siècle. Une analyse plus profonde du modèle sera nécessaire dans les pages suivantes. Finalement, nous pouvons conclure que la période classicisme de l’empire français dans le dernier quart du XVIIe siècle est un marasme économique et démographique sous le règne du roi Louis XIV. Cependant cela va changer lors du siècle des lumières où une hausse du taux d’alphabétisation, géographique et technologique aura lieue. De plus la France n’est qu’à ses débuts dans son empire colonial. Dans la prochaine section, il sera possible d’y voir des études antérieures qui ont déjà portées sur le sujet en question. À cet endroit, nous pourrons voir à quoi ces études ont tentées de répondre. 16 17 Contributeur à Jean-Marcshdelporte, «Histoire d’alphabétisation» Contributeur à Wikipédia, «Histoire de l’éducation en France» 5 Section III. - Revue des études déjà réalisées Disposant maintenant du contexte historique juste avant la période étudiée, c'est-à-dire au dernier quart du XVIIe siècle, il sera alors nécessaire de regarder dans cette section des études antérieures qui ont déjà portées sur le sujet traité ici. Ces études, au nombre de cinq, nous permettront de bâtir notre point de vue et apporteront d’autres informations nécessaires pour en arriver à une conclusion. Nous commencerons par le modèle de Dudley(1991), qui nous présente les effets sur une marge interne et externe d’un état quand les technologies militaires et d’informations varient suivie immédiatement par Innis qui présente un modèle sur les effets de la technologie de l’information sur l’organisation d’une société. Trois études supplémentaires seront additionnées pour nous permettre d’ajouter d’autres éléments à notre argument toujours en se basant sur les modèles de Innis et Dudley. Le livre libellé par Léonard Dudley, ‘’The Word and the Sword’’ nous présente un modèle économique qui nous sera d’une grande utilité pour analyser l’impact d’un choc informationnel en France au XVIIIe siècle. Son texte présente l’état ayant le monopole sur l’information et la violence, d’où peut-être l’idée du titre du livre, car nous pouvons remarquer les termes ‘’mot’’ et ‘’épée’’ où les mots sont d’une grande utilité pour informé les gens et une épée est avantageuse lors de situations de guerre ou de violence. Il nous explique que dans toute l’histoire de l’humanité, huit innovations techniques et quatre militaires on causé des changements majeurs dans la vie socioéconomique de différents états et empires18. Dans son modèle économique, la volonté du citoyen d’un pays de payer des impôts diminue plus la distance entre lui et le centre de l’état est grand, c'est-à-dire la marge interne. Cela implique en quelques sortes que plus un citoyen reçoit des services de l’état, plus sa volonté de payer des impôts est grande. De plus, le citoyen est un payeur de taxes. Un autre aspect du modèle de M. Dudley est la taille de l’état qui représente la marge externe. Cette taille est déterminée quand le coût du contrôle de territoire de cette dernière unité est égal aux recettes fiscales de cette dernière partie de 18 Dudley, 1991, viii 6 territoire. Ensuite on projette sur la volonté moyenne de payé des impôts chez tous les citoyens (qui est d’ailleurs plus élevé que la volonté marginale) pour déterminer le taux d’imposition à l’optimalité ou à l’équilibre. Ce modèle nous permettra de voir comment des empires se créent ou s’effondre. L’étude de ce modèle sera donc très utile lors de notre analyse, car nous pourrons voir un mélange de l’imprimerie dans le vernaculaire et de l’augmentation du nombre de personnes qui peuvent lire le Français (dans notre cas) et d’autres facteurs qui favorisent l’alphabétisation et la publication. Nous verrons comment ce mélange favorisera ce nouveau pouvoir de communication et comment cela affectera les marges internes et externes de la France au XVIIIe siècle. Né en 1894 près de Woodstock en Ontario, doctorat en économie en 1923 à l’université de Chicago, Harold Innis écrit Empire & Communications en 195019. Son étude principale explique l’effet de la communication sur les empires ou de la structure de ceux-ci. Il parle de l’utilisation du papyrus trois siècles avant l’ère commune jusqu’à l’emprise des journaux à grand tirage au XIXe siècle. Pour lui, la communication est quelque chose de vitale dans l’organisation d’espaces très grands20. De plus, un de ses concepts le plus connu est que les connaissances à travers l’espace sont favorisées si le moyen de communication est léger et facilement transportable et que les connaissances à travers le temps seront encouragées si le moyen de communication est lourd et durable. Il explique que plus les citoyens sont loin du centre de l’état, plus les coûts de transactions (coûts permettant l’interaction entre les agents : coût d’informations, de transports, de propriété, d’application de contrat) sont élevés. Donc, plus la volonté moyenne de payée des impôts du citoyen diminue, plus il est loin de ce centre21. Aussi, il explique qu’un bien qui perdure à travers l’espace encouragera une centralisation de l’état et à l’inverse, un bien qui perdure à travers le temps encouragera la décentralisation d’un état. Innis dit aussi (Traduction libre) : ‘’Le déclin de l’apprentissage en France était parallèle à une amélioration de la position de la langue du pays’’22 19 Dudley, 2014, diapo 18 Innis, 2007, 26 21 Dudley, 2014, diapo 33 22 Innis, 2007, 169 20 7 Cela explique bien la situation que nous étudions, c'est-à-dire qu’à la fin du XVIIe siècle, malgré un grand nombre de publications en français versus le Latin, la majorité de la population n’était pas instruite ou informée, car il y a un taux d’alphabétisation très faible. Et nous tenterons d’expliquer plus loin pourquoi cela à changer au XVIIIe siècle. De plus son modèle nous sera très utile, puisqu’il parle de l’impact de l’imprimerie dans le vernaculaire en France et dans d’autres pays d’Europe (comme l’Angleterre par exemple). Innis explique aussi plusieurs liens entre l’intervention de l’état dans la situation socioéconomique d’un pays et l’impact d’un choc technologique informationnel qui nous sera d’une grande utilité dans notre étude. Henri-Jean Martin est un historien français spécialiste de l’histoire du livre et de l’édition. Roger Chartier est aussi un historien français qui travaille également sur l’histoire du livre de la lecture et de l’édition23. Ces deux historiens ont écrit, en collaboration avec Jean-Pierre Vivet et d’autres collaborateurs, l’histoire de l’édition française. Cette ‘’bible’’ de l’édition française est répartit sur quatre tomes. Nous allons nous concentrés principalement sur le tome II car il porte sur la période 1660-1830. Ce livre met principalement l’accent sur l’édition plutôt que sur l’imprimerie dans le vernaculaire, mais il nous sera quand même d’une très grande utilité car nous allons justement voir le lien entre l’imprimerie et l’édition, et puisque l’édition rend les gens informés, nous pourrons en conclure comment l’impact de ce choc qu’est l’imprimerie a affecté les gens. Ce livre explique aussi, clairement, comment une hausse de l’imprimerie en français n’est pas immédiatement suivie d’une hausse du taux d’alphabétisation ou une hausse de l’information. Qu’il y a d’autre facteur à regarder comme une politique du contrôle des livres du pouvoir monarchique comme décrit dans le tome II qui pourrait empêcher la diffusion de certain livres ou publications24. Nous allons donc pouvoir remarquer, dans cet ouvrage, pourquoi l’imprimerie dans le vernaculaire en France utilisé conjointement avec plusieurs autres facteurs au XVIIIe siècle fut un impact technologique pour la population française. Nous pourrons aussi voir comment le passage de la censure royale à la censure révolutionnaire à changé l’empire français sur plusieurs plans. 23 24 Contributeur à Wikipedia, «Roger Chartier et Henri-Jean Martin» Roger Chartier, 1990, 84 tome II 8 La révolution de l’imprimé dans l’Europe des premiers temps modernes est un livre écrit par Elizabeth Lewisohn Eisenstein en anglais traduit par Maud Sissung et Marc Duchamp. Mme Eisenstein est une historienne américaine née en 192325. Il sera important de remarquer que son livre porte plutôt sur la période de la renaissance en Europe, c'est-à-dire avant la période que nous étudierons. Cependant ce livre nous sera commode pour comprendre comment l’imprimerie et ses différentes techniques ont changées notre façon de penser. En quelques sortes, l’étude principale de ce livre ne porte pas sur l’expansion de l’alphabétisation mais sur les transformations qu’a apporté l’imprimerie dans la communication écrite sur les idées des élites qui maîtrisaient déjà la lecture et l’écriture, donc ceux qui connaissaient le Latin. De plus, Élizabeth dit : ‘’Je tiens l’imprimerie pour un agent, non pour l’agent, et encore moins pour l’unique agent de la mutation en Europe occidentale’’26 C'est-à-dire que l’imprimerie n’est qu’une partie de l’équation des différentes réformes, changements politiques ou toutes autres mutations en Europe. Ce livre sera donc une excellente prémisse pour notre étude, car il nous permettra de comprendre comment l’imprimerie à changer la façon de conserver les idées et comment en nous en sommes venus à une standardisation de la langue, un peu plus tard, par les imprimeurs et comment cela à mené à un meilleur réseau de communication. The Gutenberg Galaxy (1962) fut écrit par Marshall McLuhan. M. McLuhan est un professeur de littérature anglaise et théoricien de la communication27. Connu pour sa célèbre phrase publié dans un autre livre : ‘’Le message, c’est le médium’’, l’auteur se concentre dans The Gutenberg Galaxy sur l’histoire de l’évolution de l’humanité en fonction des avancées technologiques des médias et plus particulièrement celui de la presse imprimée qui est arrivée grâce à l’imprimerie et à Gutenberg. En quelques sortes, il essaie d’expliquer comment les technologies de propagation (l’imprimerie dans notre cas) affectent l’intellectuel de l’Homme, qui lui, est à la base des changements d’une 25 Contributeur à Wikipedia, «Elizabeth Eisenstein» Eisenstein,1991, 12 27 Contributeur à Wikipedia, «Marshall McLuhan» 26 9 société. Pour lui, un medium de communication est une extension des facultés de l’Homme et de ses effets sensoriels. Même si ce livre parle beaucoup de la presse imprimée, il nous permettra d’apporter des explications supplémentaires et des changements au XVIIIe siècle en France, car on parle aussi de l’imprimerie et comment celle-ci affecte une société tant sur le plan économique que social. Pour notre cas, on devra utiliser cette information conjointement avec le fait que l’imprimerie ce fait en Français et qu’il y a eu hausse de la population française étant capables de lire durant notre période étudiée. En conclusion, toutes ces études nous permettront d’apporter des arguments supplémentaires dans notre analyse, que se soit directement ou indirectement. De plus, cela nous permettra d’analyser et de mieux comprendre les changements sur la marge interne et externe de l’état suite à l’impact de l’imprimerie dans le vernaculaire, d’une hausse de l’alphabétisation, de d’autres facteurs et comment tout cela a permis des économies d’échelles informationnelles. Cependant, tout cela sera étudié d’une façon méthodique et en détail dans la section suivante. 10 Section IV. - L’imprimerie dans le vernaculaire et ses effets sur la structure de la France de 1700 à 1800 La situation initiale nous a permis de mettre en contexte les débuts de l'utilisation du vernaculaire dans l'imprimerie. Dans cette section, nous allons faire état de la nouvelle technologie, l’imprimerie dans le vernaculaire, en France de 1700 à 1800. Cette partie de section couvrira le développement de ladite technologie et les étapes de sa diffusion. Une fois cette description faite, un modèle expliquant les effets sur les marges interne et externe de la France à cette même époque sera développé, à l’aide des travaux de Leonard Dudley et d’Harold Innis qui ont été analysés à la section précédente. En d’autres mots, des hypothèses émises à partir du modèle détermineront comment la structure de l’État a été affectée par l’arrivée de cette avancée technologique dans le monde de l’imprimerie. L’imprimerie dans le vernaculaire Le vernaculaire ou la langue vernaculaire est une langue «parlée seulement à l’intérieur d’une communauté, souvent restreinte»28. Par le fait même, l’imprimerie dans le vernaculaire a pour fonction d’imprimer dans les langues parlées par des communautés. Cette nouvelle technologie est une amélioration d’une technologie déjà existante à l’époque, soit l’imprimerie. Il faut aussi comprendre que le développement de cette technologie s’est fait sur une longue période. En effet, «two hundred years were necessary for most of the definitive changes to knowledge and society produced by print to fall into place»29. Même si l’imprimerie a facilité l’accès à la lecture, la population avait «peu de motivation d’apprendre à lire et à écrire»30. Tout était imprimé dans le latin, une langue difficile à maîtriser et exclusive à la haute classe sociale. Le latin, coûtant très 28 Petit Robert (2012, 2695) Crowler (2011, 65) 30 Dudley (1991, 151) 29 11 cher à décoder, créait un «goulot d’étranglement dans le système d’information»31. Pour élargir leur clientèle, les éditeurs ont «favoris[é] l’essor des langues vulgaires»32 en «élimin[ant] les fantaisies orthographiques et les expressions dialectales»33, dans l’objectif de faire le plus d’argent possible. Il s’agit de la standardisation des langues nationales. Dans le cas de la France, la seule langue officielle depuis 1539 est «le dialecte de la région parisienne»34, c’est-à-dire le français. Cette restructuration linguistique, de la part des imprimeurs, a eu pour effet de favoriser «le développement de[s langues nationales] – et l’élimination de la langue latine»35. Autrement dit, le latin disparaît puisqu’il est inaccessible à la majorité de la population, laissant ainsi place aux langues nationales; le français dans le cas de la France. Toutefois, pour alphabétiser la population, «societies had to be willing to undergo the enormous cost of teaching large numbers of people to read and write; that is, to acquire literacy»36. Ce fut le cas de la monarchie française. Le roi de France, Louis XIV vit en l’imprimerie dans le vernaculaire un moyen de propagande efficace des décisions politiques et militaires, auprès de la population, afin de maintenir son pouvoir : «Les princes qui avaient employé les incommodes méthodes du manuscrit pour communiquer avec leurs sujets passèrent rapidement à l’imprimé pour annoncer les déclarations de guerre, publier les récits des batailles, promulguer des traités ou opposer leurs arguments à des points litigieux soulevés par des pamphlets. Ils s’attachèrent […] à remporter la guerre psychologique qui préparait et accompagnait les opérations militaires du pouvoir»37. Louis le Grand avait avantage à s’assurer que sa population sache lire. Par la distribution de pamphlet, le Roi-Soleil pouvait justifier ses actions auprès de celle-ci. Donc, et l’imprimerie dans la langue française et la volonté du roi Louis XIV de voir ses sujets lire ses communiqués ont permis d’alphabétiser la population française. En effet, en 16861690, 29 % des hommes et 14 % des femmes étaient alphabétisés38. En 1786-1790, le 31 Dudley (2014, chapitre 5, 7) Febvre (1971, 440) 33 Febvre (1971, 440) 34 Dudley (1991, 151) 35 Febvre (1971, 455) 36 Dudley (1991, 152) 37 Klaits (1976, 6-7) 38 Todd (2008, 53) 32 12 taux avait augmenté à 47 % pour les hommes et 27 % pour les femmes39. En d’autres mots, la population s’est instruite et, ipso facto, elle s’est trouvée à lire plus40 car elle était maintenant en mesure de le faire. Avant la standardisation, «it was virtually impossible for large numbers of people to share an identical storable message»41. Par la suite, les gens avaient accès à une information similaire. En effet, le XVIIIe siècle a assisté à une diversification des publications. Celles-ci ont été favorisées par la création d’un réseau routier où Paris était «le cœur d’un territoire en voie d’unification»42. «La route se révélait utile aussi pour ceux qui voulait diffuser à grande échelle d’autres vérités que celles énoncées par le pouvoir»43. Autrement dit, c’était aussi un moyen de communication pour les révolutionnaires. En 1789, près de 1320 relais de poste étaient fonctionnels44. Le combat entre la censure et le droit à la liberté d’expression sera un évènement marquant de ce siècle et sera vécu à travers les différentes publications. En 1750, une «semi-liberté de presse»45 prend forme. Durant cette époque, apparurent des publications majeures dans diverses spécialités. L’Encyclopédie fut «l’entreprise éditoriale la plus considérable»46 du siècle. Cet ouvrage avait pour but d’être «le fidèle reflet des idées nouvelles, doublé d’un esprit optimiste, d’une foi inébranlable dans les vertus du progrès des hommes et des techniques»47. Les années 1780 ont été marquées par «un développement journalistique, mais aussi pamphlétaire, inédit par son ampleur. La censure se montra impuissante à le contrôler [...]»48. Par-exemple, en 1777, le premier quotidien, le Journal de Paris, arriva en France49, soit 75 ans de retard sur l’Angleterre. «Il participait, à sa manière, à l’effervescence intellectuelle et politique qui précéda la Révolution»50. De plus, une place 39 Todd (2008, 53) Colin (1976, 313) 41 Dudley (1991, 156) 42 Cornette (2000, 211) 43 Cornette (2000, 213) 44 Cornette (2000, 213) 45 Bellanger (1969, 162) 46 Cornette (2000, 250) 47 Cornette (2000, 250) 48 Cornette (2000, 263) 49 Bellanger (1969, 240) 50 Cornette (2000, 263) 40 13 importante de l’imprimé était occupée par une «infra-littérature»51 ayant pour but de s’attaquer aux «perversités supposées des hommes et des femmes proches du pouvoir»52. Sans parler des journaux périodiques qui s’établissaient peu à peu. De plus, des espaces nouveaux furent créés pour faire fleurir l’opinion parisienne. Des clubs, des salons et des cafés firent leur apparition où la population pouvait s’exprimer53. Les gens illettrés pouvaient alors s’informer et participer au réseau d’information malgré leur analphabétisme. Une prise de conscience collective s’établit, menant à la Révolution française en 178954 et éventuellement à la Première République55. La disparition du latin ayant eu pour effet de favoriser l’émergence des langues nationales, un sentiment d’appartenance nationale est apparu en France. Des «links to larger collective units were being forged»56, au détriment des petites communautés. Il y a donc une montée du nationalisme en France, «bien plus que n’importe quelle autre nation moderne»57. Cette montée de la fierté nationale est expliquée par l’effet de réseau. C’est «une externalité positive par laquelle l’utilité d’un bien pour un agent croît avec le nombre des autres utilisateurs»58. Un livre n’a pas beaucoup d’utilité s’il ne peut être lu que par un petit nombre de gens. Toutefois, plus les gens sont instruits et plus les gens lisent. Plus les gens lisent et plus l’utilité des livres croît. Des «frontières nationales dans la sphère d’activités intellectuelles»59 se sont alors développées. Une montée du nationalisme en a été le résultat. Avec cette technologie, il y a aussi un effet d’entraînement. Les éditeurs ont favorisé l’émergence de l’imprimerie dans le vernaculaire. La monarchie a favorisé l’alphabétisation de la population. Celle-ci s’est instruite et lisait plus. Cette hausse de la lecture a incité les imprimeurs à produire plus. Les gens ont donc accès à encore plus de 51 Cornette (2000, 263) Cornette (2000, 264) 53 Biard (2008, 146) 54 Contributeur à Wikipédia, «Révolution française» 55 Contributeur à Wikipédia, «Première République (France)» 56 Crowler (2011, 84) 57 McLuhan (1964, 199) 58 Dudley (2014, chapitre 5, 1) 59 Steinberg (1996, 54) 52 14 savoir. Il s’agit de la loi de Metcalfe qui stipule que «la valeur d’un réseau de communications est proportionnelle au carré du nombre d’usagers»60. Pour une information écrite donnée, la nouvelle technologie, ainsi que la hausse d’alphabétisation de la population, lui permettent d’être lue par un plus grand nombre de gens. Il s’agit d’économies d’échelle informationnelles. Par-exemple, elles ont lieu lorsqu’on triple le capital et les travailleurs et qu’on rejoint plus du triple de personnes. L’information durant le siècle des Lumières est devenue plus accessible aux individus qu’elle pouvait l’être avant l’ère de l’imprimerie dans le vernaculaire. Le modèle théorique présenté Pour bien comprendre les effets de l’imprimerie dans le vernaculaire sur la structure de la France de 1700 à 1800, il faut créer un modèle simple qui représentera la réalité économique des marges interne et externe de cet État avant et après le choc technologique. La publication Empire and Communications d’Harold A. Innis, publié en 1950, sera la principale utilisation pour modéliser l’impact de cette nouvelle technologie. Selon lui, une technologie informationnelle va favoriser «la dissémination des connaissances à travers l’espace s[i elle] est lég[ère] et facilement transportable»61 et «la dissémination des connaissances à travers le temps s[i elle] est lourd[e] et durable»62. Le livre appartient à la deuxième catégorie. Toujours selon la théorie d’Innis, une avancée technologique informationnelle qui augmente les économies d’échelle informationnelles hausse la volonté de la population de payer des impôts pour «accéder aux biens publics informationnels offerts par l’État»63. À travers son analyse des moyens de communication et des économies d’échelle d’information, il sera possible de statuer sur l’influence de l’imprimerie dans le vernaculaire. 60 Dudley (2014, chapitre 8, 1) Dudley (2014, chapitre Introduction, 5) 62 Dudley (2014, chapitre Introduction, 5) 63 Dudley (2014, chapitre Introduction, 6) 61 15 La publication de William H. McNeill, La recherche de la puissance, sera aussi utilisée pour construire le modèle théorique, de manière passive. Elle détermine la taille de l’État, aussi bien interne qu’externe, en fonction de la technologie militaire en question. Selon McNeill, plus grandes seront les économies d’échelle militaires, « […] plus le coût du contrôle d’un territoire donné sera faible»64. Pour modéliser les effets de la nouvelle technologie sur la structure de la France du XVIIIe siècle, le modèle de Leonard Dudley sera pris en considération. En effet, ce dernier s’est basé sur la plus grande publication d’Antoine-Augustin Cournot, Recherches sur les principes mathématiques de la théorie des richesses. Dans son travail, Cournot explique qu’un «monopoleur doit produire jusqu’à ce que […] le revenu additionnel de la dernière unité vendue soit égal au coût additionnel encouru pour sa production»65. Autrement dit, le revenu marginal de production égalant le coût marginal de production (Rm=Cm) permet au monopoleur de «maximiser ses bénéfices nets du coût de production»66. Dudley a utilisé ce modèle et l’a reformulé pour pouvoir répondre aux changements de technologie informationnelle ou militaire toujours en optimisant la structure de l’État. Pour ce faire, il a réuni les deux théories d’Innis et de McNeill. Alors, pour qu’un État soit optimal, la «volonté marginale de payer des impôts» de la population (Vm) doit être égale au «coût marginal du contrôle du territoire»67(Cm). La marge externe de l’État, c’est-à-dire la «limite de son monopole sur la violence»68 se trouve à l’intersection de la droite Vm et de celle de Cm. Alors, la dernière unité de territoire contrôlée fait ses frais, uniquement. La marge interne de l’État, c’est-à-dire la «limite de son monopole sur la fiscalité»69 se trouve sur la droite de la volonté moyenne de payer des impôts (VM) qui représente les recettes totales sur la superficie totale de l’État. Il s’agit du taux optimal d’impôts. Le graphique de l’Annexe 3 démontre le modèle à l’équilibre avant le choc technologique. 64 Dudley (2014, chapitre Introduction, 10) Dudley (2014, chapitre Introduction, 13) 66 Dudley (2014, chapitre Introduction, 12) 67 Dudley (2014, chapitre Introduction, 13) 68 Dudley (2014, chapitre Introduction, 14) 69 Dudley (2014, chapitre Introduction, 14) 65 16 Hypothèses à partir du modèle L’imprimerie dans le vernaculaire est un choc informationnel. Cette technologie a permis de rendre les livres plus accessibles à la population. Une diffusion du savoir a alors lieu. Non seulement il y a eu alphabétisation de la population au courant du siècle, mais il y a aussi eu une augmentation du nombre de personnes instruites. Ceux-ci sont incités à payer plus pour faire partie d’«un réseau d’information efficace»70. Désormais, plus de gens ont accès à la même information. Il s’agit d’un accroissement d’économies d’échelle informationnelles. Cette hausse déplace les droites Vm et VM vers le haut dans le graphique de l’Annexe 4. On constate alors un accroissement des marges interne et externe. En d’autres termes, la superficie de l’État et la taille d’impôts augmentent. En conclusion, l’impact de l’imprimerie dans le vernaculaire sur la structure de la France, dans la période de 1700 à 1800, a été démontré à l’aide du modèle théorique. Cette nouvelle technologie, par l’entremise des éditeurs et de la monarchie française, a permis d’alphabétiser la population. En lisant, elle s’est instruite dans un contexte national. Le choc technologique a augmenté les économies d’échelle informationnelles. Selon le modèle développé, ceci eut pour effet de hausser les marges interne et externe de l’État. La volonté de payer des impôts ainsi que la superficie de l’État se sont vu augmentées. La prochaine section vérifiera le modèle à partir des données historiques. 70 Dudley (2014, chapitre 5, 23) 17 Section V. - Analyse historique L’analyse historique La section précédente s’étant efforcée de décrire le plus fidèlement possible le choc apporté par la technologie informationnelle que représente l’imprimerie dans le vernaculaire en présentant les étapes de son développement et de sa diffusion, il est maintenant possible de décrire l’impact que celle-ci a eu en France au cours des années 1700 à 1800. De la même façon, les modèles théoriques élaborés sur les changements subits par les marges interne et externe seront comparés aux faits historiques concernant le niveau de taxation de l’État dans l’économie et les frontières géographiques de l’unité politique. Ces étapes permettront de tirer des conclusions sur la validité des modèles et d’approfondir la compréhension de la nouvelle technologie. 1700 Avant de procéder à cette analyse, un rappel de la situation au début de la période étudiée permettra de façonner la fondation factuelle sur laquelle elle reposera. En l’an 1700, la France débute une période de stabilité relative au niveau de l’étendue de son territoire. Comme le montre l’annexe 1, il est déjà possible de discerner l’Hexagone dans les frontières de l’époque. La guerre de la Ligue d’Augsbourg s’est terminée trois ans auparavant avec le traité de Ryswick et se solde par un gain minime de territoire pour la France71. Louis XIV réaffirme cependant son emprise sur ce qui est maintenant nommé le Premier empire colonial, illustré dans l’annexe 2, composé de la Nouvelle-France, les Antilles et divers territoires le long de la voie maritime empruntée pour le commerce avec l’Inde et l’Extrême-Orient. 71 Contributeurs à Wikipédia, «Traité de Ryswick» 18 L’impact le plus durable de ce conflit se révèlera être l’affaiblissement économique des pays impliqués, tant pour la France que pour les membres de l’alliance ligués contre elle. Aux nouvelles tactiques visant les navires marchands se sont ajoutés les emprunts effectués pour financer la guerre, laissant Louis XIV avec une lourde dette72. Cette dette va mettre en évidence les faiblesses d’un système de taxation complexe, peu efficace et largement inégal. Les divers impôts payés comprennent entre autres la taille, la capitation, la gabelle et l’octroi, tous appliqués à des taux variant selon l’endroit et le statut social de la personne73. La taille, le principal impôt direct, représente bien les problèmes du système. Les nobles, l’Église et les bourgeois en sont souvent exempts ou payent des sommes forfaitaires, des sommes dont l’importance est plus liée au poids politique de chacun plutôt que leur revenu réel74. Une grande partie du fardeau fiscal est donc portée par les plus démunis. Bonney mentionne d’ailleurs dans son livre The Rise of the Fiscal State in Europe c.1200-1815 «Louis XIV did not create this reliance on the taxation of agriculture; but he certainly consolidated it». De plus, le droit de collecter des impôts est souvent vendu à des particuliers par l’État. Les revenus sont donc détachés de la réalité économique du pays et mal comptabilisé. Bref, ces différents facteurs se combinent pour former une marge interne initiale qui est définitivement sous-optimale, mais qui est malgré tout historiquement élevée75 grâce au pouvoir conféré par la nature absolutiste du règne de Louis XIV. 1700 à 1800 : L’impact de l’imprimerie dans le vernaculaire: Tel que souligné dans la description du choc dans la section précédente, le français est déjà solidement implanté en France en l’an 1700 et l’alphabétisation est en progression constante tout au long du XVIIIe siècle. L’usage du vernaculaire dans le monde de l’imprimerie se répand lui aussi. Ces deux facteurs font en sorte que les effets de l’imprimerie dans le vernaculaire gagnent progressivement en importance tout au long du siècle, suivant la progression d’un modèle d’effet de réseau. L’imprimerie dans le 72 Contributeurs à Wikipédia, «Guerre de la Ligue d’Augsbourg» Brenda, 2007, 113 74 Brenda, 2007, 113 75 Bonney, 1999, 146 73 19 vernaculaire bénéficie aussi des bénéfices liés à un mode de communication léger et donc facilement transportable. Cette grande mobilité aura des répercussions importantes. Se sentant menacés par les écrits à caractère politique, les autorités de l’époque les censurent, peu importe leur point de vue76, ce qui force les écrivains à publier à partir de l’extérieur. Relatée par des contributeurs à l’encyclopédie Wikipédia, l’histoire de la vie de Voltaire, un des écrivains les plus marquants de cette époque, représente bien cette diaspora des intellectuels français au centre de qui sera appelé le siècle des Lumières. S’il était déjà d’une nature peu encline à supporter l’autorité royale, son exil en Angleterre en 1720 lui fait découvrir les détails du parlementarisme britannique et renforce son opinion sur le régime français. Cet exil ne sera que le premier de plusieurs subit par Voltaire. Tout au long de sa vie, il lui sera cependant possible de diffuser ses écrits en France à partir de l’étranger. De la même façon, Mirabeau publiera à partir des Pays-Bas son Essai sur le despotisme77 puis plus tard de Londres Sur la liberté de la presse, imité de l’anglais, une publication qui se révèlera importante lors de la Révolution78. Une autre publication importante, les Lettres Persanes de Montesquieu vont être imprimées à Amsterdam79. Voltaire, Mirabeau et Montesquieu, comme plusieurs autres intellectuels, insuffleront de l’extérieur au peuple français ces idées nouvelles qui influenceront le cours de la Révolution. L’effet inverse est aussi vrai. Aux huguenots s’étant récemment exilés s’ajoutent ces écrivains et ils forment ainsi une communauté intellectuelle sans attachement80 qui va répandre les idées des Lumières au travers de l’Europe81. Un autre aspect intéressant à noter est que l’avènement de l’imprimerie dans le vernaculaire provoque non seulement l’effacement du latin, mais aussi la montée du français comme langue de choix de l’Europe des domaines scientifique et politique au 76 Steinberg, 1996, 134 Contributeurs à Wikipédia, «Honoré-Gabriel Riqueti de Mirabeau» 78 Steinberg, 1996, 135 79 Eisenstein, 1992, 105 80 Eisenstein, 1992, 6 81 Eisenstein, 1992, 101 77 20 cours de cette période82. Les publications en langue nationale des divers pays d’Europe destinées à l’exportation sont donc traduites en français83. Grâce à cette nouvelle technologie informationnelle, les français bénéficient donc, en plus d’une accessibilité accrue du matériel littéraire local, d’un accès privilégié aux livres étrangers. Du point de vue français, le fait que les imprimeurs étrangers produisent du matériel français dans le but de le vendre à l’extérieur de la France est une d’économie d’échelle informationnelle. Les autres pays d’Europe subventionnent en quelque sorte leur accès à l’information. La prise de conscience collective, la montée du nationalisme et l’alphabétisation, facteurs démontrés dans la description du choc, s’additionnent aux éléments présentés ici. Ensembles, ils progressent au cours de la période étudiée et façonnent les éléments historiques qui s’y sont produits. Il est donc impossible de dissocier la progression du vernaculaire dans l’imprimerie de la Révolution Française et par conséquent de l’arrivée au pouvoir de Napoléon, personnage historique qui va marquer l’Europe. 1800 : La marge externe Si la société française est bouleversée au cours de la période étudiée, les variations de l’étendue du territoire contrôlé par la France sont toutes aussi marquantes et représentent bien les succès et les échecs des différentes politiques sociales et économiques misent en place par les personnes à la tête du pays. La situation initiale présentée change dès 1713, quand la guerre de Succession d’Espagne se termine avec le traité d’Utrecht84. La France perd avec ce traité Terre-Neuve et une partie de l’Acadie. Ces pertes pavent la voie au traitée de Paris, qui, en 1763, lui fait perdre la plupart de ses territoires coloniaux, dont le Canada et une majorité de ses possessions en Inde85. Du côté de l’Europe, l’Ancien Régime ajoute et perd divers petits territoires au fil des guerres. Un ajout permanent est cependant la Corse, achetée par Louis XV en 1768. Ce 82 Eisenstein, 1992, 38 Eisenstein, 1992, 16 84 Contributeurs à Wikipédia, «Traité d’Utrecht» 85 Contributeurs à Wikipédia, «Traité de Paris» 83 21 n’est qu’avec l’avènement de la Révolution que les marges externes de la France vont changer d’une façon appréciable. Les enclaves plus ou moins indépendantes à l’intérieur du territoire français seront absorbées définitivement. Un jeune général, Napoléon Bonaparte, a de vifs succès dans le nord de l’Italie et y installe des Républiques sœurs sous dominance française86. L’armée de la République, du Directoire et du Consulat repousse peu à peu la frontière est du pays jusqu’à atteindre le Rhin. Le résultat final est ambigu. En 1800, le territoire appartenant à la France est certes moins grand puisqu’elle a perdu la plupart de ses colonies, dont l’imposante NouvelleFrance. En Europe cependant, elle a repoussé sa frontière est et a ainsi acquis un territoire plus petit que celui perdu en Amérique, mais qui est par contre densément peuplé, fortement industrialisé et donc taxable (annexe 5). Elle a donc perdu des territoires dont les marges externes étaient immenses mais qui représentait une dépense plutôt qu’un revenu et a annexé des places plus petites et profitables. Les effets directs de l’imprimerie dans le vernaculaire sont assez limités. Bien sûr, il faut considérer que son influence a contribué aux problèmes de taxation et que la Guerre de Sept Ans menant au Traité de Paris, entre autres, a partiellement été décidée par la capacité à lever des taxes et à emprunter. Il faut aussi souligner la ferveur nationaliste qui a animé l’armée révolutionnaire et la nature libératrice donnée aux conquêtes. Ce sont tous des facteurs qui pourraient être liés aux éléments vus dans la description du choc et ses impacts. 1800 : La marge interne Les transformations de la France couvertes précédemment vont aussi avoir un impact sur la marge interne du pays. Tout au long de la période étudiée, les personnes au pouvoir font tenter d’améliorer le système de taxation afin de résoudre les problèmes de l’endettement et du financement. L’étude des finances de la France est une tâche ardue, 86 Contributeurs à Wikipédia, «Deuxième Coalition» 22 les problèmes liés à l’inflation et aux changements de monnaie et de taxes rendant difficile les comparaisons directes. Bonney affirme dans le même livre: « Any survey and analysis of the French fiscal system from the Italian to the Napoleonic wars, or from the reign of Louis XII to Louis XVIII, is faced by a daunting array of massive evolutionary and structural changes, a relative paucity of documentation, and an absence of reliable general surveys apart from the ageing works of Clamageran and Marion.»87. Néanmoins, certaines données permettent dresser un portrait de la situation et d’évaluer les revenus du gouvernement et le poids du fardeau fiscal soutenu par les citoyens. Au début du XVIIIe siècle, le roi est terriblement endetté et la guerre de Succession d’Espagne n’améliore pas la situation. Louis XIV dispose, grâce à la forte centralisation de pouvoirs, d’une capacité exceptionnelle de taxer qui fait l’envie des autres dirigeants de l’Europe8889 et il en profite pour instaurer une nouvelle taxe durant cette guerre, le dixième. Avec cette taxe, qui est imposée par le roi sans l’aval du parlement, le peuple français subit à ce moment le plus haut taux d’imposition de l’histoire de l’Ancien Régime90. En 1715, lorsque le Régent prend le pouvoir à la mort de Louis XIV la dette est de 2,8 milliards de livres, soit dix années de recette91. Il est important de souligner que pour assurer sa position the Régent, Philippe d’Orléans doit redonner au parlement une partie des pouvoirs que Louis XIV avaient acquis lors de son règne92. Sa gouvernance est marquée par une forte inflation et par le Système de Law, le premier essai français d’une monnaie fiduciaire, qui tourne au désastre. Les règnes de Louis XV et Louis XVI ne connaissent qu’une faible augmentation des revenus réels93 et les taxes comme la taille, 87 Bonney, 1999, 123 Bonney, 1999, 131 89 Bonney, 1999, 146 90 Bonney, 1999, 146 91 Contributeurs à Wikipédia, «Système de Law» 92 Contributeurs à Wikipédia, «Philippe d’Orléans» 93 Bonney, 1999, 147 88 23 qui ne sont pas ajustées à l’inflation, sont de moins en moins importantes94. Les revenus tirés de la taille se stabilise autours de 305 millions de livres95. Si les revenus stagnent, les guerres augmentent encore l’endettement. La Guerre de Sept Ans, avec son front maritime, est particulièrement coûteuse. Le service de la dette accapare une partie de plus en plus grande du budget, passant de 28% en 1751 à 49.3% en 1788. De plus, il devient difficile de refinancer la dette. Dans les dernières années de l’Ancien Régime, la Couronne emprunte systématiquement et utilise cet argent pour balancer les dépenses courantes. Necker, responsable du budget à cette époque, doit emprunter à des taux défavorable pour le gouvernement. Ensemble, ces facteurs paralysent le gouvernement96. Devant cette situation difficile, le roi décide de rétablir une ancienne tradition, les États Généraux, afin d’établir de nouveaux impôts ou d’obtenir un refinancement. Necker y argumente que le gouvernement ne peut continuer de payer de telles sommes97 et cherche à imposer des réformes. Cependant, si le pouvoir royal s’est érodé au fil des années à la suite de l’acte du Régent et qu’en pratique la monarchie absolue était disparue dès 178798, le roi demeure puissant. Les opposants du roi réalisent donc que: « Pitted against a king who held a very strong hand, the revolutionaries realized that precarious public finances were their most powerful weapon in a battle not over finance but constitutional reform »99. Ils forcent donc la main du roi. Rassemblés pour les États Généraux, les représentants du peuple tiennent tête au roi et la Révolution Française vient changer la donne fiscale. Tout est fait pour éliminer les traces de l’ancien système et partir à neuf. Les propositions de Necker sont rejetées et il démissionne. De plus, le nouveau régime abolit toutes les anciennes taxes et impôts. Pour les remplacer, quatre nouvelles taxes directes sont instaurées. Un fait notable dans la conception de ces taxes est la recherche d’égalité. 94 Bonney, 1999, 144 Bonney, 1999, 143 96 Bonney, 1999, 148 97 Bonney, 1999, 149 98 Bonney, 1999, 137 99 Hoffman, 2000, 277 95 24 C’est d’ailleurs ce qui incite le nouveau gouvernement à éviter les taxes indirectes. La plus importante des nouvelles taxes est sans nul doute la taxe foncière liée au cadastre. L’arpentage et le recensement des terres et richesses commencent dès les premières années de la révolution et si cette tâche ne sera qu’achevée en 1830, ce nouvel impôt devient malgré tout la plus grande source de revenu. Plus simple, l’impôt sur les portes et les fenêtres taxe en fonction du nombre de celles-ci sur chaque maison. Il y a ensuite la patente, l’équivalent de ce qu’était le vingtième pour les industries et finalement la contribution personnelle et mobilière, une taxe complexe sur les biens100. L’application de ces taxes est difficile. Bonney décrit la situation de cette façon : «It is one of the ironies of a Revolution that was to resort to Terror in 1793 that it singularly failed to secure tax compliance in the new departments: tax collection did not become really effective, nor were revenues stabilized, at least in nominal terms, until 1797» « This loss of governmental authority, together with a reduction in expenditure and a lurch away from indirect taxes, ensured that Revolutionary France would experience a massive problem of resistance to taxation in the 1790s.»101 Il est donc clair que non seulement la transition est laborieuse, mais aussi que volonté moyenne de payer des impôts est en baisse. Pour contrer la baisse des revenus, le gouvernement crée les assignats, une nouvelle monnaie fiduciaire évaluée en livres avec cours légal102 et qui était au début basée sur les revenus qu’on espérait obtenir de la vente des biens confisqués à l’Église durant la révolution. Le gouvernement révolutionnaire a besoin d’argent rapidement et étant pratiquement sans revenu à la suite de toutes ses abolitions il ne peut attendre la mise en place de nouvelles taxes. En cinq ans, l’équivalent de 14 années de revenue est imprimé, soit 7000 millions de livres103. L’inflation est si élevée que le gouvernement met en place des lois forçant les gens à effectuer leurs transactions avec les assignats. Le 100 Bruguière, 1969, 17 Bonney, 1999, 164 102 Hoffman, 2000, 276 103 Bonney, 1999, 149 101 25 gouvernement va malgré tout continuer d’imprimer jusqu’à ce que les assignats ne valent plus que le papier sur lequel ils sont imprimés. C’est un nouvel échec pour la monnaie fiduciaire. Après les échecs de la République, le Directoire et le Consulat vont tenter d’améliorer la situation. Napoléon ramène les taxes indirectes, dont celle sur le sel et celle sur la vente d’alcool104. La machine de guerre est cependant gourmande et malgré les nouveaux revenus, c’est surtout les sommes acquises par les victoires militaires qui vont lui permettre de balancer le budget105. À elle seule, l’Italie versera près de 47 millions en 1796106. Au final, la période étudiée aura produit plusieurs changements. Le cadastre, plus équitable, vient remplacer le dixième et le vingtième. Les nobles, l’Église et la bourgeoisie perdent certains de leurs privilèges face à l’impôt107. Si avant certaines régions jouissaient de droits acquis et si la capacité de taxer du gouvernement diminuait avec la distance de Paris, l’imposition est maintenant plus uniforme108. L’instabilité causée par les changements de régimes et les guerres nuisent cependant à la marge interne. En 1700, la France recevait environ 300 millions en impôt. En 1788, juste avant la révolution, c’était 475. De 1715 à 1785, les impôts sont passés de 12% à 11% du revenu d’un individu109. En 1800, l’État collecte 265 millions en taxes directes, 185 millions en taxes indirectes pour un total de 450 millions en impôt. De plus, il retire 75 millions de la vente d’actifs et de ses guerres. Ajusté à l’inflation, ces chiffres donnent une baisse de la marge interne réelle tout au long de la période étudiée. 104 Bruguière, 1969, 23 Bonney, 1999, 162 106 Branda, 2007, 143 107 Bonney, 1999, 160 108 Bonney, 1999, 157 109 Brenda, 2007, 111 105 26 Pour ce qui est de l’influence de l’imprimerie dans le vernaculaire, des effets directs sont visibles. Deux de ces effets se démarquent. Premièrement, celui de la monnaie fiduciaire, qui est rendue possible grâce à cette nouvelle technologie. Le Système de Law et les assignats ont tous deux marqués le domaine de l’imposition et ont à leur façon influencé le cours des évènements. Ensuite, la publication des ouvrages nommés Compte rendu au roi, une tradition commencée par Necker en 1781. Ces documents permettaient à tous les français de connaître les détails des budgets de la France et ils ont donnés des arguments aux révolutionnaires de 1789110. Vérification des hypothèses Construites à partir du modèle de Léonard Dudley avec des informations tirées des œuvres d’Innis et de McNeill et basées sur les années 1700 à 1800, les hypothèses prévoyaient une hausse de la marge interne et externe. En effet, l’imprimerie dans le vernaculaire est une nouvelle technologie qui devrait permettre des économies d’échelles informationnelles et inciter les gens à payer plus pour faire partie d’un réseau efficace. Au travers de l’analyse historique, il est possible de constater que les hypothèses ne sont pas vérifiées. Jusqu’à la chute de l’Ancien Régime, la nouvelle technologie au travers de l’éducation qu’elle apporte et des idées dont elle permet la diffusion baisse la volonté de payer. Si au départ l’absolutisme de Louis XIV lui permet d’imposer unilatéralement une nouvelle taxe, une proposition semblable de Louis XVI lui fera perdre le trône. La population veut de moins en moins soutenir un régime monarchique. Les paramètres du modèle prédisent cependant correctement que des problèmes de taxation mènent à une perte de territoire, ce qui est vérifié par les pertes subies par l’Ancien Régime. Le modèle n’est pas plus exact lors des années de la République, du Directoire et du Consulat. Le chaos baisse les services offerts et par conséquent la volonté de payer. La République augmente cependant les marges externes de l’État. L’arrivée du Consulat et les réformes de Napoléon viennent corriger les lacunes de la République en rétablissant les taxes indirectes et inaugurant de nouvelles institutions axées sur les citoyens, mais en 110 Branda, 2007, 105 27 1800 ces changements sont trop récents pour améliorer la marge interne. Les succès remportés sur les champs de batailles viennent compenser quelque peu pour les pertes de l’Ancien Régime. Globalement, si l’année de départ est comparée à l’année finale, l’effet total est donc négatif pour la marge interne et ambigu pour la marge externe. Les frontières de la France métropolitaine sont élargies et ajoutent de riches territoires, mais les colonies sont perdues et cela limite le potentiel de croissance futur. Le système de taxation présent à la fin de la période étudiée règle plusieurs problèmes présents sous l’Ancien Régime, mais le revenu total réel est plus bas. Il est donc possible de dire que si le modèle aide à comprendre cette période, la nouvelle technologie informationnelle que représente l’imprimerie dans le vernaculaire a eu, dû à la nature du régime en place, l’effet inverse aux prédictions sur la marge interne et, par conséquent, n’a pas eu l’effet escompté sur les marges externes de la France. Addenda : Napoléon (1800 à 1815) Étendre la période étudié pour y inclure le règne de Napoléon permet d’étudier quelque peu les effets de ses réformes. Le sacre de Napoléon en tant qu’empereur va marquer le début d’un règne court, mais qui sera marqué par des campagnes militaires fructueuses. En 1803, la vente de la Louisiane111, qui désignait à l’époque un territoire immense au cœur de l’Amérique du Nord, confirme la fin des intentions coloniales de la France sur ce continent. Soutenues par la Grande Armée, Napoléon prend possession d’une grande partie de l’Europe occidentale et, en 1812, contrôle ainsi le plus grand territoire de l’histoire de la France (annexe 6)112. Il faut aussi souligner la ferveur nationaliste qui a animé la Grande Armée de Napoléon. 111 112 Contributeurs à Wikipédia, «Vente de la Louisiane» Contributeurs à Wikipédia, «Formation territoriale de la France métropolitaine» 28 La progression de Napoléon est cependant bloquée dans un premier temps par le Portugal à l’ouest puis par la Russie à l’est. En 1812, la terrible campagne de Russie dévaste son armée. Les années suivantes seront marquées par des replis et des défaites. En 1815, la défaite de Waterloo marque la fin définitive de l’Empire et un retour aux frontières de 1790 (annexe 7)113. Dans les derniers mois du règne de Napoléon, on se retrouve avec un budget qui a les dépenses de l’Empire mais les revenus de la France114. En 1813, la dernière année complète où Napoléon est au pouvoir, 340 millions sont reçus des taxes directes et 150 millions des taxes indirectes115 pour un total de 590 millions. Le système de Napoléon corrige la sous taxation de l’Ancien Régime mentionnée au début de cette section. Il devient, au fil du temps, une proportion croissante de la production, contrairement aux taxes fixes de l’Ancien Régime. Il est aussi plus élevé par rapport au produit intérieur brut que tous les régimes du siècle précédent116. En termes réels, les français sont donc plus taxés. Les conquêtes de Napoléon, quoiqu’impressionnantes, ne sont qu’éphémères. Les réforment augmentent donc la volonté de payer, mais le territoire qu’il occupe à son apogée dépasse ce qu’il est capable de soutenir et les marges externes finales sont plus petites que celles de la République. La perte de la Louisiane à elle seule diminue le territoire considérablement et limite le potentiel de croissance commercial et territorial de la France. Le Premier Empire se conclut donc par une diminution des marges externes et un accroissement des marges internes, mais le tout reste instable. Son règne est suivi par la Première Restauration, puis il y a l’interlude des Cent-Jours, la Seconde Restauration et la Seconde République. Cette instabilité politique en France et les changements qu’elle 113 Contributeurs à Wikipédia, «Formation territoriale de la France métropolitaine» Bruguière, 1969, 30 115 Bruguière, 1969, 13 116 Bonney, 1999, 167 114 29 apporte tant au niveau de la marge interne qu’externe vont lui nuire et vont ainsi ouvrir la voie aux évènements du 19e siècle, qui sera définitivement celui de l’Empire Britannique. 30 Section VI. - Conclusion Pour conclure ce travail concernant l’impact de l’imprimerie au vernaculaire en France de 1700 à 1800, il est important de résumer les résultats de l’analyse. En ce qui concerne le modèle théorique, l’approche de Leonard Dudley et d’Harold Innis énonce que l’imprimerie au vernaculaire aura comme effet une augmentation des économies d’échelles informationnelles. Ceci entraînera une augmentation de la marge externe et de la marge interne. Les causes associées à ces changements sont en autre une diffusion du savoir, l’alphabétisation de la population et un réseau d’information plus efficace. Lors de l’analyse historique, le modèle est contredit. En effet, le territoire de la France diminue lorsqu’on compare 1700 et 1800. La France perd ses colonies durant ces années ce qui réduit considérablement la superficie de son territoire mais gagne plusieurs territoires industrialisés ce que rend l’évaluation du changement ambigüe. Au niveau de la taille d’impôts, l’effet est négatif pour cette période bien qu’il soit difficile de comparer les deux périodes. Les faits historiques permettent de voir que l’imprimerie au vernaculaire a bel et bien un effet de diffusion des idées. Par contre, les idées véhiculées par cette technologie sont contre l’absolutisme et informent la population des problèmes de changements de régimes et des guerres ce qui diminue la volonté de payer des impôts. Cette explication est donc une partie de l’hypothèse qui aurait pu influencer les marges à aller à l’encontre du modèle de Dudley et Innis. Il serait intéressant d’analyser des impacts de l’imprimerie au vernaculaire sur d’autres aspects qui aurait pu avoir un effet indirect sur la superficie ou le taux de taxation. Par exemple, se peut-il que l’imprimerie ait eu un impact sur des technologies militaires ou qu’un autre avancement militaire au même moment ait aussi influencé les marges interne et externe de manière inverse au modèle théorique? 31 Bibliographie Académie française, «L’histoire», Académie française, http://www.academie- francaise.fr/linstitution/lhistoire (Page consultée le 17 novembre 2014) Belisaire, «La population française sous l’Ancien Régime», Philisto, http://www.philisto.fr/cours-75-la-population-francaise-sous-l-ancien-regime.html (page consultée le 16 novembre) Bellanger, Claude, Histoire générale de la presse française, Presses universitaires de France, France, 1969. Biard, Michel et Pascal Dupuy, La Révolution française: dynamique et ruptures (17871804), Armand Colin, Paris, 2008. Bonney, Richard, The Rise of the Fiscal State in Europe, c. 1200 1815, Oxford University Press, New York, 1999 Brenda, Pierre. 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