Progrès en Urologie (1996), 6, 578-581 Régression d’une fibrose rétro-péritonéale traitée par le tamoxifène Jean-Marc DEVEVEY(1), Frédéric MICHEL(1), Dominique CHEVET(2), Gérard RIFLE (1) Service (2), Laurent ARNOULD(3) d’Urologie, (2) Service de Néphrologie, Hôpital du Bocage, Dijon, France, d’Anatomopathologie, Faculté de Médecine, Dijon, France (3) Laboratoire RESUME Par anal ogie avec les tumeurs desmoïdes, le Tamoxifène a été utilisé dans le traitement de la fibrose rétropéritonéale idiopathique (FRP). Nous rapportons le 6ème cas de FRP traitée par Tamoxifène seul et sans récidive 11 mois après l’arrêt du traitement. Mots clés : Fibrose rétropéritonéale, anti-oestrogènes, tumeurs desmoïdes, Tamoxifène. Progrès en Urologie (1996), 6, 578-581. La fibrose rétro-péritonéale (FRP) est une maladie rare, le plus souvent idiopathique, aboutissant à une insuffisance rénale chronique par sténose urétérale bilatérale. Les traitements actuels comprennent essentiellement les corticoïdes et l’urétérolyse par chirurgie ouverte, toujours délicate. Nous rapportons la 6ème observation d’une FRP idiopathique traitée avec succès par Tamoxifène seul et sans récidive à l’arrêt du traitement. OBSERVATION Monsieur G., 42 ans est admis aux urgences en août 1993 pour douleurs abdominales et lombaires (évoluant depuis 6 mois et dont le bilan est resté négatif), amaigrissement (8 Kg) et ol igurie. L’examen est pauvre. Le malade signale une anéjaculation depuis quelques mois. Le bilan biologique retrouve un syndrome inflammatoire (VS 23 ; C. Reactive Proteine : 74 mg/l, fibrinogène 4 g/l), une anémie (Hb 7,9 g/dl) et une insuffisance rénale aiguë majeure (créatininémi e 804 µmo/l). Une échographie rénale est réalisée montrant une urétérohydronéphrose bilatérale avec une gangue tissulaire hypo-échogène, péri-aort ique lombaire. Une néphrostomie percutanée bilatérale est mi se en place. Au scanner abdominal, la plaque est peu rehaussée par le produit de cont raste et s’étend depuis l’aorte sous-rénale jusqu’à l’origine des artères hypogastriques (Figure 1). En IRM par contre, le rehaussement est net avec l e gadolinium (Figure 2). Une biopsie sous scanner est réalisée concl uant à une FRP idiopathique avec un infiltrat inflammatoire riche en plasmocytes polyclonaux à IgG et IgA (Figures 3A et 3B). Les récepteurs hormonaux sont négatifs. En septembre 1993, une sonde JJ peut être mi se en place à droite mais pas à gauche en raison d’un obstacle complet sous pyéli que. Un traitement par Tamoxifène (Nolvadex® ) à la dose de 10 mg X 2 par jour est débuté en octobre 1993 et en novembre 1993 la sonde JJ droit e peut êt re enlevée. En décembre 1993, les douleurs ont complètement disparu, le syndrome inflammatoire a régressé (C. Reactive Proteine : 12 mg/l), l’anémie est corrigée (Hb 14,4 g/dl). La créatinine est à 16 mg/l. Monsieur G. peut reprendre son travail. Le Tamoxifène est alors augmenté à 20 mg X 2 par jour. En janvier 1994, une sonde JJ peut être mise en place à gauche et en juin le scanner montre une régression presque totale de la fibrose. Le bilan biologique est alors normal (PCR < 3 mg/ l, Hb 15,5 g/dl, créatinine 123 mol/l) et le Tamoxifène est di minué à 10 mg X 2/j. La sonde JJ gauche est enlevée en octobre 1994. En mai 1995 le patient est en excellent état général avec réapparition d’éjaculations normales. La biologie et le scanner sont très satisfaisants (VS = 1, Hb 16,5g/dl, urée 0 43 mg/l, minime gangue résiduelle) (Figure 4) et le Tamoxifène est stoppé (à noter que sa tolérance avait été parfaite durant toute la durée du traitement : absence de baisse de la libido, de gynécomastie, de bouffées de chaleur, de rétinopathie, 17 β oestradiol à 43 mg/l, testostéronémie 300 mg/100ml). La surveillance ultérieure sera alors basée sur des examens biologiques réguliers (VS, C. Reactive Proteine, Ionogramme sanguin, Créatinine, Protidémie), échographie abdominale tous les 2 mois, scanner abdominal tous les 6 mois, RMN tous les ans [19]. Au mois d’avril 1996, aucune récidive de la fibrose n’est observée. DISCUSSION Si les fibroses néoplastiques de l’espace rétro-péritonéal sont fréquentes, en particulier dans l’évolution de certains cancers (sein, estomac, prostate ...) la FRP idiopathique est une maladie rare dont la physiopathologie reste mal connue. Sa première description remonte à ALBARRAN , en 1905 (péri-urétérite sténosante) Manuscrit reçu : février 1996, accepté : mai 1996. Adresse pour correspondance : Dr. F. Michel, Service d’Urologie, CHRU de Dijon, B.P. 1542, 21034 Dijon Cedex 578 Figure 3A. Fibrose avec infiltrat lymphoplasmocytaire. Figure 1. Scanner montrant la plaque péri-aortique. Figure 3B. Immunomarquage des plasmocytes à IgG et IgA au sein de l’infiltrat. Figure 2. IRM montrant le rehaussement de la plaque avec le Gadolinium. Figure 4. Scanner montrant la régression presque totale de la plaque. 579 Tableau 1. Comparaisons anatomocliniques entre tumeurs desmoïdes et FRP. Terrain Tumeurs desmoïdes FRP Femme jeune en période d’activité génitale Homme 40-60 ans Tumeur unique arrondie Plaque fibreuse engainant les structures rétropéritonéales Macroscopie Anatomopathologie Microscopie Prolifération fibroblastique bénigne infiltrante formant une tumeur conjonctive au sein d’un tissu collagène Hormonodépendance : Récepteurs aux oestrogènes 33% [17] 0% 51% de régression [18] 6 cas décrits de régression [1, 4, 18] Evolution - Fréquentes récidives locales après exérèse - Evolution maligne exceptionnelle - Régression à la ménopause - Régression spontanée possible - Récidive à l’arrêt des corticoïdes - Pas d’évolution maligne Traitement - Chirurgie - Tamoxifène si récidive [9, 16] - Tamoxifène et corticoïdes [14] - Corticoïdes - Chirurgie (urétérolyse) - Dérivations urinaires - Tamoxifène (?) Efficacité du Tamoxifène mais elle ne devient une entit é anatomoclinique qu’avec ORMON en 1948 [6]. Si son histologie est bénigne dans 90 % des cas, elle peut être redoutable, exposant à un stade tardif à une uropathie obstructive par engaînement des uretères avec évolution vers l’IRC terminale [6, 11]. Idiopathique dans près de la moitié des cas, les autres étiologies sont bien connues : traumatismes, chirurgie, radiothérapie, anévrysmes artériels, iléites et colites, dérivés de l’ergot de Seigle. Les possibilités thérapeutiques sont essentiellement regroupées en 3 catégories : • Les dérivations urinaires en urgence (néphrostomie percutanée, sondes urétérales, sondes JJ). • Les corticoïdes efficaces essentiellement au stade précoce dit «inflammatoire» de la maladie (par opposition au stade tardif «scléreux») et qui exposent au risque de récidive à l’arrêt. • La chirurgie conventionnelle ou coelioscopique [14], délicate, consiste en une urétérolyse accompagnée de divers procédés de mise à distance des uretères du processus fibreux. Le risque de récidive ou de sténose urétérale iatrogène est notable (12 à 50 %) ; • Les diverses méthodes peuvent s’associer entre elles. Le Tamoxifène est un anti-oestrogène utilisé dans le cancer du sein soit en prévention des récidives, soit dans les formes avec progression métastatique [15]. Il a été employé avec succès dans les tumeurs desmoïdes récidivantes avec exérèse [9, 16] et a même permis d’éviter une chirurgie souvent difficile [14]. La parenté histologique de la FRP avec les tumeurs desmoïdes a fait proposer l’utilisation du Tamoxifène dans cette indication [2]. Dans la littérature, 5 observations de FRP traitées par Tamoxifène ont été rapportées [1, 4, 17, 18]. Tous les malades ont eu une régression totale de leur FRP. Chez l’un d’eux, l’arrêt du Tamoxifène après 14 mois de traitement a entraîné une récidive rapide de la plaque qui a de nouveau régressé avec la reprise du traitement. Un nouvel arrêt au 16ème mois a été suivi d’une nouvelle récidive qui a fait réintroduire, avec succès, le Tamoxifène. Ce malade va bien au 30 ème mois de traitement [4]. Dans les 4 autres observations [1, 4, 17, 18] les malades allaient bien et étaient encore sous Tamoxifène au 9ème mois [1, 4, 18] et au 10ème mois [17] de leur maladie. Chez l’un d’eux, la dose de 20 mg de Tamoxifène a du être augmentée à 40 mg au bout de 2 mois de traitement pour obtenir une efficacité clinique et radiologique [4]. Dans notre observation, le Tamoxifène a été arrêté au bout de 20 mois de traitement, sans récidive 11 mois après son arrêt. Il a été parfaitement toléré en particulier sur le plan sexuel. Il faut même souligner que les troubles de l’éjaculation que présentait notre malade lors du diagnostic de la FRP ont disparu avec la régression de la plaque, évoquant dans leur genèse une compression des sympathiques péri-aortiques par la gangue fibreuse. 580 Le mécanisme d’action du Tamoxifène dans la FRP reste mal connu mais semble indépendant de l’existence de récepteurs hormonaux aux oestrogènes, négatifs chez les 2 malades chez qui ils ont été dosés (dont notre observation). Par ailleurs, pour 51 % des patients qui étaient porteurs de tumeurs desmoïdes et traitées efficacement par le Tamoxifène, seuls 33 % avaient des récepteurs aux oestrogènes. Enfin, on sait que 10 % des cancers du sein dont les récepteurs hormonaux sont négatifs répondent aux oestrogènes [5, 15]. Le Tableau 1 résume les analogies existant entre tumeurs desmoïdes et FRP. Certains mécanismes d’action sont actuellement suspectés : 6. GATTEGNO B., HAAB F. Fibrose rétropéritonéale. In : EMC Néphro-Urologie 18162 A 10, 1992. 7. GUILINO A., BARRERA G. Calmomodulin antagonism and growth inhibiting activity of triphemylethylen antioestrogens in MCF-7 human breast cancer cells. Cancer Res., 1986, 46, 6274-6278. 8. HORGAN G., COOKE E. Inhibition of protein kinase C mediated signal transduction by tamoxifen : importance for antitumors activity. Biochem - Pharmacology, 1986, 35, 4463-4465. 9. KINZBRUNNER B., RITTER S., DOMINGO J., ROSENTHAL C.J. Remission of rapidly growing desmoid tumors after tamoxifen therapy. Cancer, 1983, 52, 2201-2204. 10. KROEGER E., BRANDES L. Evidence that tamoxifen is a histamine antagonist. Biochem. Biophys. Res. Comm., 1985, 131, 760-765. 11. LEPOR H., WALSH P. Idiopathic retroperitoneal fibrosis. J. Urol., 1979, 122, 1-6. • Le Tamoxifène est connu pour stimuler la production de Transforming Growth Factor (TGF-β), facteur inhibant la croissance des cellules épithéliales malignes et des fibroplastes dans le cancer du sein indépendamment de l’existence des récepteurs hormonaux [1, 3]. L’éventualité d’un tel mécanisme dans la FRP et dans les tumeurs desmoïdes est à l’étude [17]. 12. LIM C., WALKKER W. Estrogen and antioestrogen binding sites in desmoid tumors. Eur. J. Cancer and Clin. Oncol., 1986, 22, 583-587. • D’autres mécanismes sont hypothétiques dans la FRP : inhibition de la protéine kinase C (8), blocage des récepteurs à l’histamine (10); inhibition de la calmomoduline [7]. 15. MUKHERJEE A., MALCOLM A., DE LA HUNT M., NEAL D.E. Pelvic fibromatosis (desmoid). Treatment with steroids and tamoxifen. Br. J. Urol., 1995, 75, 559-560. CONCLUSION 17. OWENS L.E., CANCE W.G., HUTH J.F. Retroperitoneal fibrosis treated with tamoxifen. Ann. Surg., 1995, 61, 842-844. Le Tamoxifène semble être un traitement efficace de la FRP. Les six patients décrits jusqu’à présent dans la littérature ont tous présenté une régression totale de leurs symptômes cliniques et radiologiques avec un minimum d’effets indésirables. Le risque est toujours présent de récidive de la FRP à l’arrêt du Tamoxifène. Néanmoins, cette thérapeutique, qui évite les inconvénients souvent importants des corticoïdes et des traitements chirurgicaux, mérite d’être essayée en première intention. 18. SPILLANE R.M., WHITMAN G.J. Treatment of retroperitoneal fibrosis with tamoxifen. Am. J. Roent., 1995, 164, 515-516. REFERENCES _____________________ 1. BENSON J.R., BAUM M. Tamoxifen for retroperitoneal fibrosis (letter). Lancet, 1993, 341, 836. SUMMARY 2. BROOKS M.D., EBBS S.R., COLLETTA A.A., BAUM M. Desmoid tumors treated with triphenyl ethylenes. Eur. J. of Cancer, 1992, 28A, 1014-1018. 13. LOFFELD R.J.L.F., VAN WEEL T.F. Tamoxifen for retroperitoneal fibrosis. Lancet, 1993, 341-382. 14. 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Inductionn of TGF β in human breast cancer in vivo following tamoxifen treatment. Cancer Res., 1992, 52, 4261-4262. By analogy with desmoid tumours, tamoxifen has been used in the treatment of idiopathic retroperitoneal fibrosis. The authors report the 6th case of retroperitoneal fibrosis treated by tamoxi fen alone, which had not recurred 11 months after stopping treatment. 4. CLARK C.P., VANDERPOOL D.,PRESKITT J. The reponse of retroperitoneal fibrosis to tamoxifen. Surgery, 1991, 109, 502-506. Key words : Retroperitoneal fibrosis, antiestrogen, desmoid tumours, tamoxifen. 5. FORBES J. Advanced breast cancer and quality of life. In : Clinics in Oncology, Philadelphia, W.B. Saunders, 1982, 1, N° 3. ____________________ 581