CHAPITRE 2 ALGÈBRES DE LIE ET DIFFÉRENTIELLES - IMJ-PRG

CHAPITRE 2
ALGÈBRES DE LIE ET DIFFÉRENTIELLES
Version du 24 novembre 2005
Dans tout ce chapitre, le corps de base kest algébriquement clos, de caracté-
ristique arbitraire. Sauf mention du contraire, « k-algèbre » signifie : k-algèbre
commutative.
5. Espaces tangents et différentielles
5.1. Dérivations. —
Définition 5.1. — Soient Aune k-algèbre et Mun A-module. On pose
Derk(A, M) = {DHomk(A, M)| ∀a, b A, D(ab) = aD(b) + bD(a)};
c’est un sous-A-module de Homk(A, M)(l’action de aAsur un morphisme
φ:AMétant définie par ()(b) = (b), pour tout bA). Notons que
D(1) = D(1·1) = D(1)+D(1), d’où D(1) = 0. On pose Derk(A) = Derk(A, A).
Proposition 5.2. 1. (Fonctorialité) Soient f:MM0un morphisme de A-
modules, et ϕ:BAun morphisme de k-algèbres. Alors on a un morphisme
de B-modules Derk(A, M)Derk(B, M0),D7→ fDϕ.
2. (Localisation) Soient Sune partie multiplicative de Aet Nun S1A-
module. Le morphisme AS1Ainduit un isomorphisme Derk(S1A, N)
Derk(A, N).
3. (Produits) Soient A1, A2deux k-algèbres, A=A1A2, et Mun A-
module. Alors
Derk(A, M)
=Derk(A1, M)Derk(A2, M).
Démonstration. 1. est immédiat et 2. laissé au lecteur. Voyons 3. Tout
DDerk(A, M)est déterminé par ses restrictions D1et D2àA1ket
kA2, puisque D(ab) = aD2(b) + bD1(a). Par conséquent, l’application
24 CHAPITRE 2. ALGÈBRES DE LIE ET DIFFÉRENTIELLES
naturelle σ: Derk(A, M)Derk(A1, M)Derk(A2, M)est injective. C’est
un isomorphisme, car étant donné DiDerk(Ai, M), l’application D:ab7→
aD2(b) + bD1(a)est une dérivation AMtelle que σ(D) = (D1, D2).
5.2. Espaces tangents. Soient Xune variété algébrique, OX,x l’anneau
local en un point xX, et mxson idéal maximal. On pose kx=OX,x/mx
et l’on note εxle morphisme d’algèbres OX,x kx. C’est l’évaluation en x,
c.-à-d., pour tout f∈ OX,x on a : εx(f) = f(x).
Définition 5.3. On appelle « dérivations ponctuelles en x» les éléments de
Derk(OX,x, kx) = {δHomk(OX,x, k)|δ(ab) = a(x)δ(b) + b(x)δ(a)}.
Remarque 5.4. — Comme OX,x =k1mx, alors le dual m
xde mxs’identifie
au sous-espace des f∈ O
Xxtelles que f(1) = 0. Comme toute dérivation
ponctuelle δvérifie δ(1) = 0, on a donc une inclusion
Derk(OX,x, kx)⊆ {f∈ O
X,x |f(1) = 0 = f(m2
x)}
=(mx/m2
x).
De plus, cette inclusion est une égalité. En effet, pour tout a, b ∈ OX,x,
ab a(x)bb(x)a+a(x)b(x)1 = (aa(x)1)(bb(x)1)
appartient à m2
x, donc si f∈ O
Xxvérifie f(1) = 0 = f(m2
x), alors f(ab) =
a(x)f(b) + b(x)f(a).
Définition et proposition 5.5 (Espaces tangents de Zariski)
1) On définit l’ espace tangent de Zariski à Xen xpar
TxX:= (mx/m2
x)
=Derk(OX,x, kx);
l’ espace cotangent étant T
xX:= mx/m2
x.
2) De plus, pour tout ouvert affine Ucontenant x, on a
TxX
=Derk(k[U], kx)
=(mU,x/m2
U,x),
mU,x désigne l’idéal maximal de k[U]correspondant à x.
La définition donnée en 1) montre que l’espace tangent est défini de façon
intrinsèque. Le point 2) résulte de 5.2.2. (voir aussi 5.19 plus loin) et montre
que, pour calculer TxX, on peut se placer dans le cas affine.
Définition 5.6. — Soient fk[X1, . . . , Xn]et x= (x1, . . . , xn)kn. La diffé-
rentielle de fau point xest l’application linéaire :
dxf:knk, (η1, . . . , ηn)7→
n
X
i=1
f
xi
(x)ηi.
5. ESPACES TANGENTS ET DIFFÉRENTIELLES 25
On peut donc voir dfcomme une application polynomiale kn×knk,
(x, η)7→ dxf(η) =
n
X
i=1
f
xi
(x)ηi.
Proposition 5.7. — Soit Vune sous-variété algébrique fermée de kn, soit I=
I(V)son idéal, et soient f1, . . . , fmdes générateurs de I. Alors, pour tout
xV, l’espace tangent TxVest le sous-espace suivant de kn:
m
\
`=1
Ker dxf`={ηkn|
n
X
i=1
f`
xi
(x)ηi,`= 1, . . . , n}.
Sa dimension est nr(x), où r(x)est le rang de la matrice jacobienne
Jx(f1, . . . , fm) =
f1
x1· · · fm
x1
.
.
.....
.
.
f1
x`· · · fm
x`
(x).
Par conséquent, il existe un ouvert non-vide Ude Vsur lequel cette dimension
est minimale.
Si Vest irréductible, de dimension d, alors dimkTxX=dpour tout xU.
Démonstration. — Soit mx= (X1x1, . . . , Xnxn)l’idéal de xdans
k[X1, . . . , Xn]et soit mxson image dans k[V]. D’une part, l’espace cotangent
T
xkn=mx/m2
xs’identifie à l’espace dual (kn), l’image de Xixis’identifiant
à l’élément ε
ide la base duale, qu’on désigne souvent par dxi(ce n’est rien
d’autre que la forme linéaire « i-ème coordonnée »).
D’autre part, mx=mx/I et m2
x= (m2
x+I)/I, et donc
T
xV=mx/m2
x=mx/(m2
x+I)
est le quotient de (kn)par le sous-espace image de I, qui est le sous-espace
vectoriel engendré par les images de f1, . . . , fm. D’après la formule de Taylor,
pour tout Pk[X1, . . . , Xn]on a
()P=P(x) +
n
X
i=1
P
xi
(x)(Xixi) mod m2
x.
On en déduit que, pour `= 1, . . . , m, l’image de f`dans (kn)est la forme
linéaire
dxf`=
n
X
i=1
f`
xi
(x)dx`.
Par conséquent, l’espace dual TxVs’identifie au sous-espace de knannulé par
dxf1, . . . , dxfm. Ceci prouve la première assertion de la proposition, et la se-
conde en découle aussitôt.
26 CHAPITRE 2. ALGÈBRES DE LIE ET DIFFÉRENTIELLES
Pour tout d0, l’ensemble V(d) = {xV|r(x)d}est le lieu
d’annulation de tous les mineurs d’ordre d+ 1 de la matrice jacobienne J.
Comme les coefficients de Jsont des polynômes en x, il en est de même des
mineurs, et donc V(d)est une sous-variété fermée. Par conséquent, le lieu
des points xVpour lesquels r(x)est maximal, c.-à-d., dim TxVminimal,
est un ouvert non-vide de V.
Enfin, pour la dernière assertion, on renvoie à [AM, Chap.11] ou [Eis,
Chap.16] ou [Ku, §VI.1].
Remarque 5.8. — Soient Vune variété algébrique affine, xV, et fk[V]. Il
résulte de ()ci-dessus que dxfs’identifie à l’image de ff(x)dans mx/m2
x=
T
xV. Par conséquent, pour tout ξTxV, on a
(∗∗)ξ(f) = dxf(ξ),
où, à gauche, ξest vu comme élément de Derk(k[V], kx).
5.3. Différentielle d’un morphisme.
Définition et proposition 5.9 (Différentielle d’un morphisme en un point)
Soit f:XYun morphisme de variétés. Alors, pour tout xX,finduit
une application linéaire dxf:TxXTf(x)Y,la différentielle de fen x.
Elle est définie de l’une des façons suivantes.
1) Soient xXet y=f(x). Alors finduit un morphisme f#:OY,y
OX,x, qui envoie mydans mx, et donc m2
ydans m2
x. Donc f#induit un mor-
phisme my/m2
ymx/m2
x, qu’on notera encore f#, par abus de notation. Par
définition, dxfest le transposé de ce morphisme. On a donc dxf(δ) = δf#,
pour tout δ(mx/m2
x).
2) Si on identifie TxXàDerk(OX,x, kx), et de même pour TyY, alors dxf
est définie par dxf(δ) = δf#, pour tout δDerk(OX,x, kx).
3) Soient Vun ouvert affine contenant yet Uun ouvert affine de f1(V)
contenant x. Plongeant V(resp. U)dans un certain kn(resp. km), on obtient
que la restriction de fàUest donnée par un n-uplet (f1, . . . , fn)d’éléments
de k[X1, . . . , Xm]. Alors dxfest la restriction à TxUkmde l’application
linéaire kmkndont la i-ème composante est dxfi, c.-à-d., dont la matrice
est
f1
x1· · · f1
xm
.
.
.....
.
.
fn
x1· · · fn
xm
5. ESPACES TANGENTS ET DIFFÉRENTIELLES 27
Démonstration. Il est clair que les définitions 1) et 2) coïncident ; elles
montrent que dxfest défini de façon intrinsèque. Le calcul de 3) ne présente
pas de difficultés et est laissé au lecteur.
Lemme 5.10. — Soient Xune variété algébrique affine et fk[X]. Alors f
est un morphisme Xket, pour tout xX, la différentielle dxfau sens de
la définition précédente s’identifie à l’image dans mx/m2
xde ff(x), et donc,
d’après la remarque 5.8, à la différentielle de la fonction f, définie dans 5.6.
Démonstration. Il vaut mieux se convaincre que c’est évident, ou qu’il ne
peut en être autrement, plutôt que d’écrire une démonstration, qui est néces-
sairement formelle et peu éclairante. Enfin, en voici une.
Il est clair que fest un morphisme. Son comorphisme est le morphisme
d’algèbres f#:k[T]k[X](où Test une indéterminée) défini par f#(T) = f.
Soient xXet y=f(x)k. Le point est que l’image de Tyest le générateur
naturel de l’espace cotangent
T
yk= (Ty)/(Ty)2,
et donc on identifie Tyk
=kvia η7→ η(Ty). En particulier, pour tout
ξTxX, dxf(ξ)est par définition le vecteur tangent ξf#Tyk; il s’identifie
donc au scalaire
(ξf#)(Ty) = hξ, f f(x)i.
Ceci montre que dxfs’identifie à l’image de ff(x)dans mx/m2
x=T
xX.
(Ouf. . .)
Il est clair, d’après la définition, que dxidX=idTxX. De plus, on a la
Proposition 5.11 (Fonctorialité). — Soient Xf
Yg
Zdes morphismes de
variétés algébriques. Pour tout xXon a dx(gf) = df(x)gdxf.
Démonstration. — Soient xXet y=f(x),z=g(y). Alors (gf)#:
OZ,z → OX,x est la composée de g#:OZ,z → OY,y et de f#:OY,y → OX,x, et
la proposition en résulte aussitôt, en utilisant l’une des définitions 1) ou 2).
Proposition 5.12. — Soient X, Y, Z des variétés algébriques, φ:X×YZ
un morphisme de variétés, et xX,yY. Alors
T(x,y)(X×Y)
=TxXTyY.
De plus, si l’on fait cette identification, alors
d(x,y)φ=dxφy+dyφx,
φy:XZet φx:YZsont les morphismes définis par φy(a) = φ(a, y),
φx(b) = φ(x, b), pour aX,bY.
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