Nous évoquions le mois dernier le spectaculaire découplage entre le Vieux Continent et l’Amérique. Celui-ci semble vouloir se poursuivre
et s’installer dans la mesure où les Etats-Unis consolident leur croissance tandis que celle de l’Europe ne cesse de s’essouffler
dangereusement.
Tous les instituts de conjoncture ont revu sensiblement leurs prévisions de croissance européenne à la baisse pour cette année et l’année
prochaine. L’OCDE s’inquiétait déjà, le mois dernier, du décrochage de la zone euro, jugée au bord de la déflation. N’y allant pas par
quatre chemins, les experts avaient déjà réduit de 0.4% leurs prévisions de croissance 2014 à 0.8% et à 1.1% pour 2015 au lieu de 1.7%.
L’OCDE prévoit pour l’Italie, troisième poids de la zone, une forme de stagnation économique jusqu’en 2016. Le FMI a enfoncé le clou
cette semaine avec des prévisions de croissance également abaissées et calées sur celles de l’OCDE. L’Europe est l’homme malade du
monde. Pour la France, les chiffres s’inscrivent respectivement à 0.4% et 1% en 2014 et 2015. La reprise s’essouffle, mois après mois. La
production et l’investissement restent en deçà des niveaux d’avant-crise. Les entreprises restent confrontées à des problèmes de
productivité et de compétitivité, faisant également face à des contraintes de crédit dans les économies des pays périphériques. Pour
Olivier Blanchard, économiste en Chef du FMI, le risque d’un coup d’arrêt dans la zone euro existe réellement. Celle-ci concentre
désormais le gros des risques pour la croissance mondiale (ramenée à 3.3% et 3.8% respectivement de 0.1% et 0.2 % pour 2014 et 2015).
A cet égard, les derniers indicateurs avancés sur l’ensemble de la zone attestent d’une dangereuse stagnation de l’activité (un PMI à
50.3 contre 50.7 en août, désormais tout proche de sa frontière d’expansion).
C’est désormais l’Allemagne, jusque-là aiguillon incontestable de la croissance en Euroland, qui inquiète le plus. Le spectre de la
récession plane désormais outre-Rhin. En effet après une contraction de l’activité au deuxième trimestre, le risque que celle-ci puisse se
poursuivre au cours des trois mois suivants, n’est pas négligeable, ce qui constituerait une récession au sens technique. Du coup, les
prévisions annuelles y ont été revues à la baisse de manière drastique par rapport au précédent rapport de printemps (+1.3% et +1.2%
respectivement cette année et l’année prochaine contre 1.9% et 2%). Ces anticipations sont confortées par des statistiques récentes très
assombries. Ainsi, après le recul plus important que prévu des commandes à l’industrie au mois d’août (certes influencé par des facteurs
calendaires), la production industrielle du même mois est ressortie en baisse prononcée (-4% contre -1.5% attendu). Le recul des
importations (-1.3%) et des exportations en août (-5.8%) n’est guère plus rassurant. Cette performance est d’autant plus préoccupante
que les indicateurs avancés IFO (tombé, à 104.7 en septembre, sur son plus bas niveau depuis avril 2013) et PMI ont poursuivi leur
décrue en septembre, suggérant la poursuite de la tendance au repli sur le troisième trimestre. Attentisme des consommateurs, reports
des investissements privés du fait des craintes géopolitiques sur le front de l’est et atonie de la zone euro, premier partenaire
commercial de l’Allemagne, tels sont les facteurs explicatifs de cette évolution. Si la conjoncture semble ne plus se dégrader en France
(l’indice PMI remonte à 48.8 en septembre contre 46.9 en août), l’encéphalogramme économique hexagonale n’en demeure pas moins
désespérément plat.
Comme on peut le constater, le scénario de reprise graduelle en zone euro qui était en vigueur sur la première partie de l’année est
désormais sérieusement sujet à caution, ce qui, objectivement, est de nature à préoccuper des marchés d’actions très logiquement sur la
défensive, en raison du risque d’enchaînement récessif qui, s’il est loin d’être acté, ne peut plus être exclu à ce stade.
Aux Etats-Unis, en revanche, l’économie envoie des signaux toujours aussi satisfaisants et encourageants. La croissance du PIB au
deuxième trimestre a été revue à la hausse en dernière estimation (+4.6%), à la faveur d’une consommation privée solide mais
également d’une contribution en augmentation de l’investissement et des échanges extérieurs. Nous continuerons de résumer la
situation en parlant de croissance auto-entretenue. La baisse continue du chômage, passé désormais en dessous du seuil des 6% (5.9%),
à la faveur de créations d’emplois mensuelles supérieures à 200 000 postes depuis plusieurs mois, entretient la confiance, et partant, la
consommation.
Enfin, les manifestations de masse à Hong Kong et les risques de répression qui en ont découlé ont également été bien malvenues dans
un contexte où l’économie chinoise ne peut se permettre de « louper» son atterrissage en douceur. Mais, la préoccupation la plus
intense étant liée au nouvel affaiblissement de l’économie européenne, c’est la BCE qui focalise les attentions depuis quelques semaines.
Or, de ce point de vue, en dépit des dernières annonces faites par Mario Draghi (la BCE rachètera des prêts titrisés sur le marché), les
marchés financiers ont sans doute trouvé celles-ci trop floues, s’inquiétant également du calendrier de leur mise en place et, au-delà, de
leur efficacité réelle sur un horizon raisonnable. Dans sa volonté de reflater l’économie et d’ancrer les anticipations d’inflation à long
terme autour de 2%, la Banque Centrale européenne entend gonfler son bilan pour le porter sur ses plus hauts niveaux de 2012. Pour ce
faire, elle doit injecter près de 1000 Milliards d’€ via ces opérations d’achat de papier. D’aucuns estiment que les instruments concernés
ne disposent pas d’une profondeur de marché suffisante et que la BCE sera contrainte de passer au stade supérieur : un « Quantitative
Easing », soit des rachats de dettes publiques sur le marché primaire et secondaire. L’idée est à la fois de faire gonfler la masse
monétaire pour rehausser les anticipations d’inflation mais également d’inciter et de favoriser l’activité de crédit (laquelle se contracte
depuis près de 30 mois) au sein de la zone. En attendant, l’inflation s’installe sur des niveaux historiquement bas tandis que la
croissance cale…
Histoire de semer un peu plus la confusion, des critiques émanant de responsables politiques et monétaires européens (Jens Weidmann,
Christian Noyer, Markus Söder..) ont afflué, contestant tantôt l’esprit, tantôt les modalités techniques de ces réformes. Ces critiques sont
d’autant plus malvenues qu’elles sont de nature à réalimenter la défiance en zone euro à l’heure où Mario Draghi s’efforce pourtant
désespérément de restaurer la confiance. Jusque-là Mario Draghi y est toujours parvenu. Y parviendra-t-il encore ?