Réduction des endomorphismes et des matrices
Peter Haïssinsky, Université de Paul Sabatier

Ce chapitre complète le chapitre sur la diagonalisation. On traite de différents théorèmes fondamen-
taux de réduction. Le texte comporte deux appendices rappelant la notion de matrices des cofacteurs et
traitant de l’arithmétique élémentaire des polynômes.
Introduction
On se donne un espace vectoriel Ede dimension finie sur un corps commutatif K(que l’on peut penser
comme étant Rou C) et un endomorphisme uL(E). La question traitée dans ce chapitre est la suivante:
quelle est la forme la plus simple pour exprimer udans une base?
1 Polynômes d’endomorphismes
Soit PK[X] un polynôme à coefficients dans K.
Considérons un espace vectoriel sur Ket un endomorphisme uL(E). On définit u0= Id, et par
récurrence, un+1 =unupour n0. Si P(X) = adXd+. . . +a1X + a0, on associe l’endomorphisme
P(u)L(E) définie par
P(u) = adud+. . . +a1u+a0Id =
d
X
j=0
ajuj.
Remarquons tout de suite que si xest un vecteur propre de uassocié à la valeur propre λKalors
uj(x) = λjxpour tout j0et
P(u)(x) = adλdx+. . . +a1λx +a0x= P(λ)x . (1.1)
Enfin, notons que si Pet Qsont deux polynômes, alors (PQ)(u) = P(u)Q(u) = Q(u)P(u). En
effet, si P(X) = PaiXiet Q(X) = PbjXjalors
P(u)Q(u) = P(u)
X
j
bjuj
=X
j
bjP(u)uj
=X
j
bj X
i
aiui(uj)!=X
i,j
aibjui+j
= (PQ)(u).
De même, si AMn(K),n1, on définit P(A) Mn(K)en posant
P(A) = adAd+. . . +a1A + a0In=
d
X
j=0
ajAj,
A0= Indésigne la matrice identité.
On énonce un résultat fondamental de la théorie:
1
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Lemme 1.1 (des noyaux). Soit uun endormorphisme d’un espace vectoriel et soient Pet Qdeux
polynômes premiers entre eux. Alors
Ker (PQ)(u) = Ker P(u)Ker Q(u).
De plus, les projecteurs sur Ker P(u)et Ker Q(u)parallèlement à Ker Q(u)et Ker P(u)respectivement
sont des polynômes en u.
Démonstration. — Comme Pet Qsont premiers entre eux, le lemme de Bézout implique l’existence
de deux polynômes Uet Vtels que PU + QV = 1. Par conséquent, on a U(u)P(u) + V(u)Q(u) = Id.
Donc, si xE, alors
U(u)P(u)(x) + V(u)Q(u)(x) = x . (1.2)
Du coup, si xKer P(u)Ker Q(u), alors on trouve x= 0 donc ces espaces sont en somme directe.
Prenons maintenant xKer (PQ)(u). On écrit x1= U(u)P(u)(x)et x2= V(u)Q(u)(x)de sorte
que x=x1+x2. On a donc
Q(u)(x1) = Q(u)U(u)P(u)(x) = U(u)(PQ)(u)(x) = U(0) = 0
et de même P(u)(x2)=0, ce qui montre que Ker (PQ)(u)Ker P(u)Ker Q(u).
Pour l’inclusion réciproque, on prend x1Ker P(u)et x2Ker Q(u)de sorte que
(PQ)(u)(x1+x2) = (QP)(u)(x1) + (PQ)(u)(x2)
= Q(u)P(u)(x1) + P(u)Q(u)(x2)
= Q(u)(0) + P(u)(0) = 0
ce qui montre que Ker P(u)Ker Q(u)Ker (PQ)(u).
On remarque de plus que π: E Ker P(u)défini par (VQ)(u)est le projecteur sur Ker P(u)
parallèlement à Ker Q(u). D’après (1.2), on a x=π(x) + (Id π)(x)et donc π(x) = π2(x) + 0. Ceci
montre que les projecteurs sont bien des polynômes en u.
On généralise:
Corollaire 1.2. Soit uun endormorphisme d’un espace vectoriel et soient P1,...,Pndes polynômes
premiers entre eux deux à deux. Alors
Ker (P1. . . Pn)(u) = Ker P1(u). . . Ker Pn(u).
De plus, chaque projecteur πj: E Ker Pj(u)parallèlement à i6=jKer Piest un polynôme en u.
Démonstration. — On procède par récurrence: le cas n= 2 est déjà fait. On suppose le résultat
connu jusqu’au rang n2.
Montrons par l’absurde que Pn+1 est premier avec P1. . . Pn: si Pn+1 divise P1. . . Pn, alors le lemme
de Gauss implique que comme Pn+1 est premier avec Pnalors Pn+1 divise P1. . . Pn1. En procédant
ainsi, on montre que Pn+1 doit diviser P1, ce qui est absurde.
Du coup, le lemme des noyaux implique que
Ker (P1. . . Pn+1)(u) = Ker (P1. . . Pn)(u)Ker Pn+1(u).
L’hypothèse de récurrence implique
Ker (P1. . . Pn)(u) = Ker P1(u). . . Ker Pn(u).
Donc
Ker (P1. . . Pn+1)(u) = Ker (P1)(u). . . Ker Pn+1(u).
La propriété des projecteurs découle facilement de l’hypothèse de récurrence: la projection sur Ker Pn+1
vient du lemme du noyau, et pour les autres les projecteurs s’obtiennent par composition de deux pro-
jecteurs qui s’expriment par des polynômes en u.
On suppose dans la suite que Eest un espace vectoriel de dimension finie.
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1.1 Le théorème de Cayley-Hamilton
On énonce et on démontre le théorème de Cayley-Hamilton avant d’en donner quelques applications.
Théorème 1.3 (Cayley-Hamilton). Soit uun endomorphisme de Ede dimension n1et notons
χuson polynôme caractéristique. Alors on a χu(u)=0. Autrement dit, pour tout xE, on a χu(u)(x) =
0.
On remarque que si uest diagonalisable, alors (1.1) implique le résultat.
Démonstration. — On se fixe une base Bde Eet on note A = Mat(u, B). Pour λK, on note B(λ)
la matrice des cofacteurs de AλInde sorte que
t
B(λ)×(A λIn) = det(A λIn)In=χu(λ)In.
Par définition de la matrice de cofacteurs, B(λ)est une matrice à coefficients polynomiaux en λ, de degré
(n1). Par conséquent, on peut trouver des matrices scalaires B0,...,Bn1telles que
t
B(λ)=B0+λB1+. . . +λn1Bn1.
Du coup, on a
(B0+λB1+. . . +λn1Bn1)(A λIn)=B0A + λ(B1AB0) + . . . +λn1(Bn1ABn2)λnBn1.
Si on écrit
χu(λ) = anλn+. . . +a1λ+a0
alors on obtient
B0A + λ(B1AB0) + . . . +λn1(Bn1ABn2)λnBn1=anλnIn+. . . +a1λIn+a0In.
Comme cette identité est valable pour tout λK, on peut identifier les coefficients terme à terme:
B0A = a0In
B1AB0=a1In
. . .
BjABj1=ajIn
. . .
Bn1=anIn
Multiplions à droite la jème ligne par Aj1:
B0A = a0In
B1A2B0A = a1A
. . .
BjAj+1 Bj1Aj=ajAj
. . .
Bn1An=anAn
On somme toutes les lignes afin d’obtenir
B0A + (B1A2B0A) + . . . + (Bn1AnBn2An1)Bn1An=anAn+. . . +a1A + a0In
soit 0 = χu(A).
En particulier, si AM2(K), alors A2(tr A)A + (det A)I2= 0.
On propose ici quelques applications qui montrent que l’on peut s’en tirer même si la matrice en
question n’est pas diagonalisable.
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Calcul de puissances. Soient AMn(K)et pNque l’on suppose très grand. Si pn, alors la
division euclidienne nous fournit deux polynômes Qet Ravec deg R n1tels que
Xp=χA(X) ×Q(X) + R(X) .
Par conséquent, en remplaçant Xpar A, on obtient Ap= R(A).
Une autre approche consiste à dire qu’il existe un polynôme Qde degré au plus n1tel que
An= Q(A). Dans ce cas, on obtient la formule de récurrence Ap+n= ApQ(A).
Pour n= 2, on a
A3= A((tr A)A (det A)I2)
= tr A((tr A)A (det A)I2)(det A)A
= [(tr A)2(det A)]A (tr A)(det A)I2
et on trouve par récurrence
Ap+2 = Ap[(tr A)A (det A)I2].
Calcul de l’inverse. Soit AMn(K)et écrivons χA(X) = (1)nXn+an1Xn1+. . . +a1X + det A.
Si Aest inversible, on a donc det A 6= 0 et
det A ·In= (1)n+1An+. . . +a1A = A((1)n1An1+. . . +a1In)
donc
A1=1
det A (1)n1An1+. . . +a1In.
1.2 Polynôme minimal
On a vu que si uest un endomorphisme d’un espace vectoriel de dimension finie alors il existe un
polynôme Pnon trivial (le polynôme caractéristique par exemple) tel que P(u)soit l’endomorphisme
trivial (P(u)=0).
Dans cette partie on étudie l’annulateur de u:
Ann u={PK[X],P(u) = 0}
en vue de mieux comprendre la diagonalisabilité de u.
On remarque tout d’abord que Ann uest un idéal de K[X]. En effet, si P,QAnn uet λKalors
(P + λQ) Ann uet si RK[X] est un polynôme quelconque P(u)R(u) = 0 aussi.
Proposition 1.4. Il existe un unique polynôme unitaire µude degré minimal dans Ann u. De plus,
1. tout autre PAnn uest un multiple de µu: il existe QK[X] tel que P = Qµu;
2. toute racine de µuest valeur propre de u;
3. toute valeur propre de uest racine de µu.
Le polynôme µus’appelle le polynôme minimal de u. Si {λ1, . . . , λd}est le spectre de u, alors (X
λ1). . . (X λd)divise µu.
Démonstration. — Soit µun polynôme unitaire de degré minimal dans Ann uet montrons que tout
autre PAnn uest un multiple de µ: par division euclidienne, il existe Qet Rde degré au plus deg µ1
tel que P = Qµ+ R. Par conséquent, on a R(u) = P(u)Q(u)µ(u) = 0, donc RAnn u. Par
minimalité du degré de µ, on doit avoir R=0. Donc P = Qµ. Montrons maintenant que µest unique: si
νest un autre tel polynôme, on aurait ν=µQ; mais comme deg µ= deg ν, le polynôme Qest constant
et comme µet νsont unitaires, on trouve Q = 1. Du coup, µ=ν.
Le théorème de Cayley-Hamilton implique que µudivise χu. Donc les racines de µusont aussi des
racines de χu, donc des valeurs propres.
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Soit λune valeur propre de uet supposons qu’elle ne soit pas racine de µu. Il existe alors des
constantes b0, . . . , bd, avec b06= 0, telles que
µu(X) = b0+b1(X λ) + . . . +bd(X λ)d
=b0+ (X λ)[b1+. . . +bd(X λ)d1].
Par conséquent on a
0 = µu(u) = b0Id + (uλId)[b1Id + . . . +bd(uλId)d1]
d’où on tire
(uλId) b1
b0
Id + . . . +bd
b0
(uλId)d1=Id .
Mais ceci implique que (uλId) est inversible, donc que λn’est pas valeur propre de u: contradiction.
Le polynôme minimal permet de donner le critère suivant de diagonalisabilité:
Théorème 1.5. Soit uun endomorphisme d’un espace vectoriel Ede dimension finie. Alors uest
diagonalisable si et seulement si µuest scindé et toutes ses racines sont simples.
Démonstration. — Supposons d’abord udiagonalisable et considérons une base de vecteurs propres
associées aux valeurs propres λ1, λ2, . . . , λd. Notons Dla matrice de udans cette base. On sait que µua
pour facteurs P = (X λ1). . . (X λd). Comme chaque espace propre est invariant par u, on vérifie que
(D λ1Im1). . . (D λdImd) = 0, donc PAnn u. Comme c’est un facteur de µuet qu’il est unitaire, on
en déduit que P = µu. Donc les racines sont simples.
Passons à la réciproque. Supposons que µuest scindé à racines simples. Les racines de µusont donc
l’ensemble des valeurs propres λ1, . . . , λd:
µu(X) = (X λ1). . . (X λd)
et les facteurs (X λj)sont premiers entre eux. Donc le lemme des noyaux implique
E = Ker µu(u) = Ker (uλ1Id) . . . Ker (uλdId),
ce qui signifie que Eest somme directe des espaces propres de u, donc que uest diagonalisable.
Corollaire 1.6. Soit uun endomorphisme défini sur un espace vectoriel de dimension finie. S’il
existe un polynôme scindé à racines simples qui annule u, alors uest diagonalisable.
Démonstration. — Soit PAnn uscindé à racines simples. Par définition du polynôme minimal, µu
divise P, donc µuest aussi scindé à racines simples, d’après le théorème de Gauss. Du coup, le théorème
précédent montre que uest diagonalisable.
1.3 Polynômes minimaux associés à des vecteurs
Soit uL(E) un endomorphisme d’un espace vectoriel de dimension finie. Soit xE, et notons
Ann(x, u) = {PK[X].P(u)(x) = 0}
l’annulateur de xrelatif à u. On vérifie comme dans le cas de Ann uque c’est un idéal, donc il existe un
unique polynôme unitaire µx,le polynôme minimal de xrelativement à u, tel que tout PAnn(x, u)est
divisible par µx.
Proposition 1.7. Il existe xEtel que µu=µx.
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