La Revue LISA / LISA e-journal. - ISSN 1762-6153 - Volume VI – n°1/ 2008
Françoise Passera, « La propagande anti-britannique en France pendant l’Occupation »,
La Revue LISA/ LISA e-journal, Vol. VI n°1 / 2008 : <http://www.unicaen.fr/mrsh/anglais/lisa>.
ISSN 1762-6153
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procédé que ce soit, est interdite sans autorisation préalable auprès de l’éditeur.
Anti-British Propaganda
in France during the Occupation
Dr.
Dr. Dr.
Dr. Françoise Passera
Françoise PasseraFrançoise Passera
Françoise Passera
(Caen, France)
Abstract
Left to fight alone after France signed the armistice on the 22nd of June 1940, Great
Britain became enemy number one in the eyes of the German occupying forces and the Vichy
government. This hostility found expression in a considerable quantity of propaganda in the
guise of posters, tracts, booklets and brochures meant to denounce British responsibility for the
conflict in the eyes of French public opinion. Propaganda was particularly intense from June to
December 1940 and from January to June 1944 but the German and French propaganda
services waged this psychological warfare against Great Britain throughout the war. In 1940,
the anti-British brainwashing campaigns aimed at ridding the defeated French of their guilt by
accusing the ex-ally of being the cause of the conflict and of deceit during the Battle of France.
In 1941-1942, the Allies’ military setbacks were the subject of tracts and brochures that
ridiculed British strategic skills. Propaganda was also based on the painful history of France
and Great Britain so as to convince the French that England had always tried to deprive France
of her colonies and that it was what she was trying to do by maintaining her presence in Africa.
The major part of this propaganda was promoted by the German authorities, only to a lesser
degree by the French collaboration parties. Till 1942, the Information Secretariat of the Vichy
government distributed few anti-British tracts, concentrating its efforts on the promotion of the
National Revolution. On the other hand, the first Anglo-American bombings in the Paris area
provoked strong reactions in the Vichy government which then relied on the French
population’s confusion and anxiety to denounce British policy. What was the impact of these
anti-British speeches on the French population? The prefects’ reports on public opinion show
that the plugging of Anglophobic sentiment had little influence on the French who were globally
in complete support of the British even if they experienced doubt during short periods after the
deadly bombings and at the approach of the Normandy landings.
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La propagande anti-britannique
en France pendant l’Occupation
Dr.
Dr. Dr.
Dr. Françoise Passera
Françoise PasseraFrançoise Passera
Françoise Passera
(Caen, France)
Françoise Passera est ingénieur d’études au Centre de recherche en histoire
quantitative à l’Université de Caen. Elle est, entre autres, l’auteur de Les affiches de
propagande pendant la Seconde Guerre mondiale, Mémorial de Caen, 2004.
a Seconde Guerre mondiale se caractérise par l’implication
exceptionnelle des civils dans le conflit mondial. Investis
dans l’effort de guerre et la production militaire, les civils
sont aussi l’enjeu d’une autre guerre, plus insidieuse : la
guerre psychologique qui se caractérise par une utilisation sans précédent
de la propagande, sous toutes ses formes. Il s’agit pour les
gouvernements en place et ceux qui s’y opposent d’influer sur les
opinions publiques et d’inciter les populations à prendre parti pour l’un
ou l’autre camp. La France n’échappe pas à ce détournement des
opinions. Elle n’a pu résister à la stratégie hitlérienne, le Blitzkrieg, et en
quelques semaines l’armée française vaincue est contrainte à un armistice
avec l’Allemagne signé le 22 juin 1940.
Démoralisée, elle est alors soumise à un matraquage orchestré par
l’Allemagne, et dans une moindre mesure par le gouvernement de Vichy,
qui vise à briser les solidarités d’antan1 avec la Grande-Bretagne ennemie
n°1, restée seule à se battre contre le Reich. Les populations voient ainsi
surgir sur les murs de leurs villes ou dans les offices de propagande une
multitude d’affiches, brochures et tracts délivrés gratuitement qui
accusent et dénoncent les ennemis de la France tenus pour responsables
de la guerre : les Juifs, les francs-maçons, les capitalistes de Wall Street
et… les Anglais.
Bon nombre d’ouvrages généralistes ne manquent pas d’englober
la propagande anti-britannique dans leurs travaux, mais celle-ci n’a pas
bénéficié d’une publication à part entière. Nous tenterons donc dans cet
article d’en définir les caractéristiques. À partir d’un corpus de
1 Rivales de toujours, tant du point de vue militaire que colonial, la France et l’Angleterre
signaient le 8 avril 1904 l’Entente cordiale, traité qui mettait fin aux nombreux différends
concernant les colonies.
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documents iconographiques composés d’affiches, de tracts et de
brochures, nous nous attacherons à étudier les mécanismes et les
argumentaires de cette intoxication quasi-quotidienne, son évolution
dans le temps et ses répercussions sur l’opinion publique.
Dénoncer l’Anglais : une propagande omniprésente
Le corpus d’étude, composé de 142 documents, n’est sans doute
pas exhaustif2, mais il permet de constater que l’édition de ces messages
est loin d’être anodine. Entre juillet 1940 et juillet 1944, une moyenne de
trois à quatre nouveaux imprimés sortent mensuellement des rotatives :
soit une affiche, soit un tract, soit une brochure. Dominique Rossignol
estime que la production de documents de propagande anti-britannique
est deux fois plus importante que celle consacrée à la dénonciation des
Juifs ou des Communistes3. Cette édition considérable s’explique en
partie par le fait que la Grande-Bretagne est le seul pays en guerre contre
l’Allemagne sur une si longue durée : de septembre 1939 à mai 1945.
Un seul tract datant de novembre 1939, pendant la Drôle de guerre,
a été répertordans ce corpus4 et fait exception puisque la production
2 Constitué à partir des collections du Mémorial de Caen, il a été complété par les collections de
l’Institut d’Histoire du Temps Présent conservées sous la cote ARC 074 11-12 et de documents
collectés dans des ouvrages sur la propagande.
3 Dominique Rossignol, Histoire de la propagande en France. L’utopie Pétain, Paris : PUF, 1991.
4 IHTP, ARC 074, carton n°11 : « Français, Adolf Hitler a renouvelé à vos hommes d’État, le 6
octobre devant le Reichstag, l’offre de paix ». Tract anonyme non daté portant la mention
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10
15
20
25
30
35
40
45
1939 juin-déc.
1940 1941 1942 1943 janv.-juil.
1944 non daté
Evolution de l'édition de propagande anti-britannique
1939-1944
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prend véritablement son essor après la signature de l’armistice. La
débâcle de l’été 1940 et les mois qui précèdent le Débarquement de
Normandie le 6 juin 1944, moments de fortes tensions sur le territoire
national, sont des périodes fécondes en littérature anti-anglaise puisque
les Français découvrent près de cinq nouveaux imprimés par mois. En
1941, la propagande anti-britannique diminue et occulte les fronts en
Afrique du Nord et au Proche-Orient au profit de l’édition
anticommuniste qui explose après l’invasion surprise du territoire
soviétique par les armées allemandes, le 22 juin 1941. L’année 1942, faite
de nombreux échecs militaires britanniques sur tous les fronts, permet
aux organes propagandistes de s’exprimer pleinement. En revanche,
l’année 1943 marque le tournant de la guerre ; le retour de l’offensive
alliée puis les débarquements d’Afrique du Nord et de Sicile sont
naturellement passés plus ou moins sous silence.
L’importance de ces éditions ne doit pas masquer l’impact limité de
ce média. Tous ces prospectus « noyés » dans une ambiance de
matraquage anti-britannique sans précédent, ne représentent qu’une très
faible partie de la propagande qui se déchaîne en cet été 1940 et qui ne
cessera qu’avec la libération du territoire en 1944.
La presse quotidienne nationale et régionale, dont une bonne partie
provient des partis de la Collaboration parisienne, diffuse le discours
officiel prompt à dénoncer l’alliée d’hier. Des journaux tels que Je suis
partout, Gringoire ou La Gerbe martèlent quotidiennement l’opinion
publique de son discours xénophobe5. Pas un Français ne peut ouvrir son
poste radio sans écouter Radio Vichy et Radio Paris6 qui retransmettent
quotidiennement des émissions anti-britanniques dont les speakers les
plus célèbres sont Jean-Hérold Paquis et Philippe Henriot,
collaborationnistes notoires et anglophobes de la première heure. Au
cinéma, la population ne peut voir le film sans qu’il soit précédé des
Actualités mondiales et de France Actualités qui ne manquent pas de relater,
à leur façon, la participation de la Grande-Bretagne et de ses alliés au
conflit mondial7. Ce paysage de désinformation serait incomplet si la
littérature n’était pas évoquée. Écrits par des auteurs allemands la plupart
du temps, édités par les services de propagande allemands et imprimés à
Berlin, de nombreux ouvrages aux titres évocateurs en disent long sur
leur contenu : « Sainte-Hélène, la seule terre que l’Angleterre offrit à un
manuscrite : « Jepar avion allemand le vendredi matin à 11h Ste Cécile le 17/11/1939 ». Il
dénonce l’Angleterre comme étant la seule responsable de cette « guerre insensée ».
5 Christian Delporte, Les Crayons de la propagande, Paris : Éditions du CNRS, 1993.
6 Radio Paris est une émanation de la Propaganda Abteilung créée en juillet 1940 avec des équipes
allemandes. Elle recruta, par la suite, de nombreux membres des partis de collaboration.
7 Jean-Pierre Bertin-Maghit, « Encadrer et contrôler le documentaire de propagande sous
l’occupation », Vingtième siècle, revue d’histoire, n°63, 1999, 23-50.
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Français », « Qui est l’ennemi de la France à travers l’histoire ? », « Le
mensonge, arme politique anglaise »8, etc.
Le contrôle de l’information en tant de guerre permet d’identifier
trois commanditaires : les services officiels de propagande français, les
partis de collaboration et les services officiels de propagande allemands.
Du côté français, le gouvernement de Vichy et son Secrétariat
d’État à l’Information et à la Propagande sont les principaux émetteurs.
Paul Marion en prend la tête de 1940 à la fin de l’année 1943 et diffuse
auprès de ses délégués départementaux à l’Information des notes de
documentation qui fournissent l’argumentaire des campagnes de
propagande9. La politique en matière d’information n’est cependant pas
constante pendant ces années de conflit. D’une façon générale, Vichy
privilégie la politique intérieure qui promeut le Maréchal Pétain et la
Révolution nationale au détriment de la politique étrangère, domaine
réservé aux Allemands. Le Maréchal Pétain n’évoque la Grande-Bretagne
qu’à quatre reprises dans ses discours : le 11 juillet 1940 pour dénoncer
l’attaque de la marine française dans la rade algérienne d’Oran, le 7 avril
1941 pour dénoncer la « dissidence » et les anciens alliés en Afrique, le 8
juin le Maréchal intervient sur la Syrie et enfin le 10 mai 1942, le discours
sur Jeanne d’Arc établit, à mots couverts, un parallèle entre la Guerre de
Cent ans et le conflit actuel10. La modération du gouvernement de Vichy
s’explique, en 1940, par le projet non abouti et toujours mystérieux de
négociations secrètes du médecin et conseiller personnel du Maréchal
avec la Grande-Bretagne, le Dr. Ménestrel. Après Mers El-Kebir, le
gouvernement de Vichy rompt ses relations diplomatiques avec la
Grande-Bretagne mais sans pour autant aller jusqu’à la claration de
guerre. À partir de février 1941, la collaboration franco-allemande se
confirme et évolue sensiblement avec l’arrivée de l’Amiral Darlan nommé
vice-président du Conseil. Il personnalise un courant anglophobe
traditionnel dans les hautes sphères de la Marine nationale, plus vif que
jamais après les coups de boutoir britanniques de Mers El-Kebir et de
Dakar. Son éviction au profit de Pierre Laval constitue un tournant fort
dans la politique d’information de Vichy. Dorénavant, celle-ci ne relève
plus du Maréchal Pétain, mais de Pierre Laval imposé par les autorités
allemandes. À la fonction de Chef du gouvernement, il cumule celles de
ministre de l’Intérieur et ministre de l’Information. En janvier 1944,
8 Mes remerciements à M. Goulven Guilcher, du laboratoire des Études interdisciplinaires du
monde anglophone qui m’a fait part de sa bibliographie et de son travail en cours sur le sujet.
9 IHTP, ARC 074, cartons 11-12 : Ministère de l’Information, Note de documentation. Les leçons de
l’Histoire : comment les Anglo-saxons rendent ce dont ils s’emparent, non daté.
10 Philippe Pétain, Discours aux Français, 17 juin 1940-20 août 1944 : textes établis et présentés par
Jean-Claude Barbas, Paris : A. Michel, 1989.
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