Pathologies neuromusculaires - L’évolution des connaissances DOSSIER 1 Les neuropathies périphériques Démarche diagnostique n Dans cet article, on ne traitera pas bien sûr de l’ensemble des étiologies des neuropathies, et nous renverrons le lecteur vers des articles de synthèse référencés dans la bibliographie. L’objectif est surtout de proposer une démarche simple amenant le clinicien à définir un “cadre” reposant sur les données cliniques, électriques et parfois biologiques. Une fois cette démarche adoptée, nous proposerons les grands cadres étiologiques à connaître pour chacune de ces situations. Introduction Si le diagnostic positif d’une neuropathie périphérique ne pose habituellement pas en soi de difficultés majeures, l’orientation étiologique est souvent plus délicate. En effet, les causes sont nombreuses et le neurologue est parfois confronté à plusieurs obstacles. Si la cause est parfois évidente, elle peut non seulement en cacher une autre mais, parfois, il faudra faire une enquête approfondie reposant sur plusieurs indices, à la fois cliniques et paracliniques. Or, si l’on peut proposer de standardiser le bilan comme cela a été proposé dans diverses recommandations (1), il est hors de question de demander une liste systématique d’explorations pour des raisons économiques, bien sûr, mais aussi compte tenu de la complexité, de l’accessibilité et du caractère parfois “invasifs” de certaines d’entre elles. Ainsi, il est impératif d’abord de définir des cadres “syndromiques” dont l’objectif sera de restreindre le clinicien à ne rechercher qu’une liste limitée d’étiologies, et donc de guider *Service de neurologie, Hôpital de la Croix-Rousse, Lyon 142 Philippe Petiot* au mieux les explorations complémentaires. En caricaturant un peu, il n’y a pas un “bilan de neuropathie”, mais le “bilan d’une neuropathie”. Bien sûr, tout neurologue sait que parfois, malgré de nombreuses recherches et analyses approfondies, le diagnostic étiologique reste non défini, dans le cadre des “fameuses” neuropathies dites “idiopathiques”. Or, ce groupe se réduit d’année en année, tenant compte des nouveaux concepts (permettant parfois de proposer certains traitements), mais aussi de la mise à disposition de nouveaux “outils” diagnostiques. Le diagnostic de neuropathie idiopathique reste encore possible, mais il doit répondre à des critères précis et ne pas être qu’un simple diagnostic d’exclusion. L’étape clinique En dehors de certaines situations dont nous reparlerons, le diagnostic positif de neuropathie périphérique repose sur le classique “syndrome neurogène” qui ne pose habituellement aucune difficulté au clinicien. Par contre, deux étapes vont dès à présent être déterminantes : 1. caractériser au mieux ce syndrome neurogène afin d’en définir les particularités intrinsèques ; 2. préciser le contexte général et rechercher les signes associés, constituant les caractéristiques extrinsèques qui seront des “indices d’alerte” déterminants pour aller plus loin dans la démarche diagnostique. Caractéristiques intrinsèques de la neuropathie • L’ancienneté, les modalités d’installation et d’évolution sont souvent déterminantes : - en effet, une neuropathie de survenue rapide, voire brutale, est toujours liée à une cause définie, qu’elle soit inflammatoire ou générale ; - une installation très lente et progressive peut classiquement se rencontrer dans le cadre des neuropathies idiopathiques, mais est parfois aussi la caractéristique de certaines neuropathies comme celle liée à l’anticorps anti-MAG, certaines polyradiculonévrites chroniques ou les neuropathies héréditaires par exemple ; Neurologies • Avril 2012 • vol. 15 • numéro 147 - une évolution par poussées est volontiers évocatrice d’un processus inflammatoire, mais peut aussi se rencontrer dans certaines neuropathies métaboliques (porphyries, mais aussi maladie de Fabry, maladie de Tangier) ; - enfin, axiome incontournable, une neuropathie récente et rapidement évolutive sans cause a priori, impose un bilan complet et parfois rapide, allant parfois jusqu’à la biopsie de nerf. • Si l’aréflexie est quasi constante, il est important d’en préciser l’étendue en la corrélant au déficit sensitif ou moteur constaté. En effet, une aréflexie diffuse présente d’emblée ou contrastant avec un déficit focalisé, voire uniquement distal, est un indice très important pour suspecter un processus non longueur-dépendant comme on peut l’observer dans les ganglionopathies ou les polyradiculonévrites chroniques (PRNc) par exemple. • Si la plupart des neuropathies sont sensitives et motrices, certaines ont une présentation uniquement ou quasi exclusivement sensitive ou motrice, caractéristique fondamentale dans certains cadres syndromiques voire étiologiques. Par exemple, une neuropathie symétrique motrice aiguë évoque une forme axonale motrice pure de syndrome de Guillain et Barré (avec anticorps antigangliosides de type IgG, souvent précédée d’une infection à Campylobacter jejuni), ou une porphyrie. • En cas d’installation progressive, une participation proximale symétrique “pseudomyopathique” se rencontre dans certaines PRNc, alors qu’une forme motrice pure asymétrique fait classiquement discuter une neuNeurologies • Avril 2012 • vol. 15 • numéro 147 ropathie multifocale à blocs de conduction. Inversement, une neuropathie exclusivement sensitive (2) offre au clinicien deux orientations possibles. Soit elle est symétrique et distale, et cette présentation se rencontre dans de nombreuses situations étiologiques ; par contre, une forme asymétrique ou non longueur-dépendante est un pattern très évocateur d’une neuronopathie sensitive ou ganglionopathie (8), plus rarement d’une multineuropathie sensitive. • Une neuropathie ataxiante constitue un cadre très particulier. Elle s’observe plus volontiers dans les neuropathies ayant une composante sensitive profonde prédominante, associée parfois à un tremblement. Trois diagnostics doivent être évoqués en première ligne : PRNc sensitive, ganglionopathie ou neuropathie avec antiMAG. L’électroneuromyogramme (ENMG) va alors occuper une place déterminante. Dans certains cas, l’ataxie ne sera pas sensitive mais cérébelleuse et l’association “neuropathie et syndrome cérébelleux” ouvre un champ étiologique très particulier (3). • Si le déficit sensitif touche exclusivement les petites fibres avec hypoesthésie thermoalgique isolée (4), la présentation est trompeuse car l’aréflexie est absente. Elle est de répartition plus volontiers longueur-dépendante avec troubles sensitifs quadridistaux (sauf dans la forme neuronopathique décrite par Gorson et al.) (5). Parfois, cette atteinte des petites fibres est associée à une dysautonomie qu’il faut systématiquement rechercher à l’interrogatoire : diarrhées chroniques, troubles génito-sphinctériens, fluctuations tensionelles. Si elle peut évoluer ensuite vers une atteinte plus globale des fibres sensitives, un tel début se rencontre sous nos contrées dans un cadre assez restreint d’étiologies : diabète, amylose, syndrome de Gougerot-Sjögren, maladie de Fabry… Pour cette dernière, une accentuation des symptômes sensitifs subjectifs aux changements de température est très évocatrice. • Si les douleurs sont fréquentes au cours des neuropathies, elles constituent rarement un indice diagnostique en soi. Par contre, leur absence est inhabituelle dans certains cadres étiologiques : ganglionopathies paranéoplasiques, neuropathies des petites fibres, certaines neuropathies toxiques… • Certaines neuropathies s’accompagnent d’une atteinte des nerfs crâniens. Elle est classique dans le syndrome de Guillain-Barré (paralysie faciale en particulier) et parfois rencontrée au cours de certaines PRNc. L’existence de troubles oculomoteurs est évocatrice du CANOMAD (chronic ataxic neuropathy, ophthalmoplegia, IgM paraprotein, cold agglutinins and disialosyl antibodies), des mitochondriopathies ou du syndrome de Miller-Fisher. Une dysphagie ou une dysphonie est aussi décrite dans le SANDO (sensory ataxic neuropathy with dysarthria and ophthalmoparesis) ou le CANOMAD. Enfin, une hypoesthésie faciale est parfois associée à certaines neuropathies du syndrome de Gougerot-Sjögren, mais peut aussi s’observer au cours d’une ganglionopathie. Caractéristiques extrinsèques de la neuropathie Un examen général et neurologique complet sont impératifs dans la démarche diagnostique 143 DOSSIER Pathologies neuromusculaires - L’évolution des connaissances Pathologies neuromusculaires - L’évolution des connaissances DOSSIER d’une neuropathie. Il est impossible de faire une liste exhaustive des situations parfois rencontrées au cours de l’expertise clinique d’une neuropathie, et nous ne donnerons uniquement que quelques exemples particulièrement évocateurs d’un contexte étiologique particulier. Il peut tout d’abord s’agir de signes neurologiques centraux associés. Par exemple : • l’association neuropathie motrice-mouvements anormaux et/ ou syndrome parkinsonien oriente vers une neuroanthocytose ; • un tremblement est volontiers observé au cours des neuropathies anti-MAG et des ganglionopathies ; • une surdité est fréquente dans les mitochondriopathies, la maladie de Refsum et la neuropathie de Charcot-Marie-Tooth (CMT) liée à l’X ; • une épilepsie fait discuter une cytopathie mitochondriale ; • des anomalies de la substance blanche à l’IRM cérébrale se rencontrent au cours de nombreuses pathologies : mitochondriopathies, adrénoleucodystrophies, certains CMT X, de rares cas de PRNc… ; • enfin, l’association neuropathie/ myopathie évoque classiquement une myopathie inflammatoire ou une mitochondriopathie. Sur le plan général, la liste est encore plus longue mais il faut insister sur : 1. les signes cutanés rencontrés au cours des vascularites (purpura), du POEMS (polyneuropathie, organomégalie, endocrinopathie, gammapathie monoclonale et signes cutanés avec hyperpigmentation ou hypertrichose par exemple) ou de la maladie de Fabry (angiokératome) ; 144 2. des malformations osseuses (scoliose, pieds creux) évocatrices d’un CMT ; 3. des signes articulaires observés dans les connectivites ; 4. une hypertrophie nerveuse est classique dans la lèpre ou dans certaines formes de CMT ; 5. une hypertrophie de certains organes est évocatrice du POEMS ; 6. une cardiopathie est rencontrée au cours des mitochondriopathies, l’amylose ou la maladie de Fabry. L’électro­ neuromyogramme L’électromyogramme (ENMG) occupe bien sûr une place fondamentale dans cette deuxième phase de la démarche diagnostique. Diagnostic positif L’ENMG permet en effet de confirmer le diagnostic de neuropathie, ce qui n’est pas là son intérêt principal, même si une neuropathie est parfois de découverte un peu inattendue au cours de certaines présentations cliniques (cytopathie mitochondriale par exemple où elle n’est souvent révélée que par l’étude des conductions). Inversement, il peut être pris à défaut dans certaines situations. La plus classique est celle des neuropathies des petites fibres qui, par définition, s’accompagnent d’un ENMG normal (car ce dernier n’explore que les fibres de gros diamètres). Le diagnostic repose alors sur les potentiels évoqués sensitifs au laser (dont il reste à définir la sensibilité) et surtout sur la biopsie cutané, avec évaluation de la densité des fibres amyéliniques dans le derme, qui est la technique de référence (mais non encore disponible dans tous les centres , 4). Les étiologies sont classiquement l’amylose (à rechercher systématiquement), le diabète, le syndrome de Gougerot-Sjögren (où elles semblent assez fréquentes), la maladie de Fabry, l’infection à VIH, certaines gammapathies monoclonales… Cependant, des formes idiopathiques ne sont pas rares. Plus exceptionnellement, certaines PRNc s’accompagnent d’un ENMG normal, dans une forme sensitive pure qui ne concerne que les racines sensitives postérieures (6). L’analyse du LCR (à la recherche d’une dissociation albumino-cytologique), l’imagerie par résonance magnétique (IRM) lombaire (montrant parfois une hypertrophie et une prise de gadolinium radiculaire) et les potentiels évoqués sensitifs (objectivant des anomalies proximales des conductions nerveuses périphériques) permettent d’en porter le diagnostic et de proposer un traitement parfois efficace. Diagnostic physiopathologique L’ENMG doit toujours être interprété en fonction du contexte clinique et biologique, et il ne fait pas à lui seul le diagnostic étiologique (en dehors de quelques situations très particulières comme les NMBC par exemple). Il reste cependant déterminant pour orienter le clinicien vers certains cadres syndromiques. Nous utiliserons un arbre décisionnel simple qui permet de définir les principales catégories “électrocliniques” qui nous aiderons à restreindre et finalement à simplifier la recherche étiologique. Globalement, il existe trois grands cadres syndromiques : • neuropathie axonale ; • neuropathie démyélinisante ; • neuropathie axonomyélinique. Neurologies • Avril 2012 • vol. 15 • numéro 147 Pathologies neuromusculaires - L’évolution des connaissances Nerfs latences distales (ms) Vitesses de conduction (m/s) Ondes F (ms) (amp > 1 mV) Vitesses proximales (m/s) >5 >6 < 37 < 32 > 38,4 < 40 Ulnaire: - amp > 4,8mV - amp < 4,8mV > 4,4 > 5,3 < 37 < 32 > 38,4 < 40 Fibulaire commun : - amp > 1,6mV - amp < 1,6mV > 6,5 > 7,8 < 32 < 28 > 66 < 36 Tibial postérieur : - amp > 4mV - amp < 4mV > 7,8 > 9,3 < 32 < 28 > 66 < 36 Médian : - amp > 4mV - amp < 4mV Cette simple distinction n’est pas toujours très aisée à faire en pratique, car il peut coexister une atteinte axonale secondaire à un processus initialement démyélinisant et inversement. C’est la raison pour laquelle de nombreux critères électrophysiologiques sont proposés et régulièrement mis à jour pour essayer de sortir de ce dilemme parfois difficile. Nous ne rentrerons pas dans cette discussion souvent fastidieuse et nous renvoyons le lecteur aux nombreuses revues publiées ces dernières années qui donnent lieu d’ailleurs à de régulières mises à jour (7, 8). ❚❚Les neuropathies démyélinisantes Elles sont classiquement définies par un allongement des latences distales motrices, un ralentissement des vitesses de conduction nerveuse motrice, un allongement des latences des ondes F et par la présence de blocs de conduction (cependant parfois rencontrés dans certaines neuropathies axonales aiguës comme certaines mutlinévrites) ou de dispersions des réponses motrices (allongement de la durée). Depuis près de 20 ans, de nombreuses équipes Neurologies • Avril 2012 • vol. 15 • numéro 147 ont proposé leur propre classification et il est difficile d’en faire une synthèse opérationnelle. S’inspirant de ces multiples études, un remarquable travail collaboratif français (7) a publié des critères simples utilisables en pratique quotidienne (Tab. 1). L’individualisation d’une neuropathie démyélinisante est fondamentale car une cause définie est retrouvée dans la grande majorité des cas. Il faut alors utiliser un arbre diagnostic simple permettant de s’orienter vers ces différentes étiologies qui sont majoritairement héréditaires (parfois métaboliques) ou dysimmunes. L’homogénéité des altérations des conductions doit d’abord être prise en compte. En effet, une démyélinisation homogène sur les 4 membres (ralentissement identique des vitesses de conduction aux membres supérieurs et inférieurs, à quelques m/sec près) est très évocatrice d’un CMT de type 1 (9) et il faut alors aller directement à la biologie moléculaire (gène PMP22 dans la majorité des cas). En cas de démyélinisation hétérogène, une neuropathie hé- réditaire reste possible dans le cadre des neuropathies par hypersensibilité des nerfs à la pression (délétion PMP22) car l’hétérogénéité est liée alors à de multiples ralentissements, mais alors plus prononcés dans les sites d’entrappements (canal carpien, ulnaire au coude par exemple), sur un fond de neuropathie diffuse quasi contant (10). La sémiologie clinique comporte alors une composante tronculaire sauf dans les rares formes “polynévritiques” pouvant mimer une polyradiculonévrite chronique (PRNc) et il est d’ailleurs parfois utile de vérifier la biologie moléculaire dans les formes de PRNc résistantes aux traitements immunosuppresseurs. Sinon, on entre alors le plus souvent dans le vaste cadre des neuropathies démyélinisantes dysimmunes. Il faut à ce stade revenir à la clinique et orienter le diagnostic selon le caractère symétrique ou asymétrique de la sémiologie. Dans les formes cliniquement symétriques, il faut s’intéresser à la localisation préférentielle des lésions démyélinisantes sur les données ENMG. En cas de lésions myéliniques très distales, l’index de latence terminal (distance en 145 DOSSIER Tableau 1 - Altérations de la conduction nerveuse en faveur d’une démyélinisation (7). Pathologies neuromusculaires - L’évolution des connaissances DOSSIER mm/VCM en m/sec x LDM en msec) est un outil précieux car il évalue le rapport proximo-distal de la démyélinisation. Dans cette situation où il est abaissé, on évoque en premier lieu l’hypothèse d’une neuropathie avec IgM antiMAG (11), même si de nombreuses formes électrocliniques ont été rapportées récemment. Il peut aussi s’agir de certaines PRNc avec démyélinisation distale prédominante appelée DADS (distal acquired demyelinating symetric neuropathy) dont certaines sont associées à une gammapathie IgM monoclonale sans activité antiMAG. Dans les formes où la démyélinisation est plus proximale, le diagnostic de PRN chronique ou aiguë est alors évoqué, volontiers soutenu par l’existence d’une dissociation albuminocytologique qui n’est toutefois par constante. Pour les caractéristiques électrocliniques des PRNc, nous renvoyons à nouveau le lecteur vers l’excellent travail du groupe français (7) et vers celui du groupe européen révisé récemment (8). Devant une présentation asymétrique, s’il s’agit d’une forme cliniquement motrice pure (16), on s’orientera alors vers une neuropathie motrice multifocale avec blocs de conduction (NMMBC), parfois associée à des anticorps antigangliosides de type IgM antiGM1 (30 à 40 % des cas). Les conductions sensitives sont le plus souvent normales ou peu altérées. S’il s’agit d’une neuropathie sensitive et motrice sur le plan électrique et clinique (12), il faudra discuter alors un syndrome de Lewis et Sumner (SLS). La distinction entre ces deux formes est fondamentale sur le plan thérapeutique car dans les NMMBC, seules les immunoglobulines intraveineuses (IgIV) ont montré leur efficacité alors que dans le SLS, le traitement est identique à celui proposé pour les PRNc (IgIV, immunosuppresseurs, échanges plasmatiques). ❚❚Les neuropathies axonales Dans ce cadre, il existe deux difficultés déroutantes pour le clinicien. Les étiologies sont tout d’abord extrêmement nombreuses et inversement, il existe un nombre important de formes dites idiopathiques. Comme pour les neuropathies démyélinisantes, il faut alors essayer d’individualiser différents sous-groupes (définis également sur des critères cliniques et électrophysiologiques) qui vont constituer parfois des “pôles d’attraction” qu’il est important de connaître car associés à un nombre plus restreint d’étiologies. • Neuronopathie sensitive ou ganglionopathie Il s’agit de neuropathie cliniquement et électriquement sensitive pure dont la présentation n’est habituellement pas longueur-dépendante. Elles peuvent ainsi débuter aux membres supérieurs, voire ne toucher que les membres supérieurs, ou s’accompagner d’emblée de troubles sensitifs profonds des 4 membres, parfois asymétriques (localisées uniquement aux membres supérieurs dans certains cas) avec aréflexie diffuse. Une ataxie n’est pas rare, voire un tremblement en cas de grande déafférentation. Dans les formes subaiguës, les douleurs sont fréquentes. Un travail récent propose une échelle d’évaluation diagnostique (Tab. 2) fort utile en pratique quotidienne (13). Les PES (révélant des anomalies proximales prédominantes) ou l’IRM peuvent être aussi utiles dans certains cas (hypersi- Tableau 2 - Critères diagnostiques des neuronopathies sensitives (13). A. Pour un patient présentant une neuropathie sensitive clinique, le diagnostic de neuronopathie est possible en cas de score > 6.5Oui Points a. Ataxie des membres inférieurs ou supérieurs au début ou au cours de l’évolution q +3.1 b. Présentation asymétrique des troubles sensitifs au début ou au cours de l’évolution q +1.7 c. Déficit sensitif non restreint aux membres inférieurs au cours de l’évolution q +2.0 d. Si au moins 1 PAS absent or 3 PAS < 30 % des valeurs limites inférieurs aux membres supérieurs (sans entrappements) q +2.8 e. Moins de nerf présentant des altérations des conductions motrices aux membres inférieurs q +3.1 B. Le diagnostic de neuronopathie est probable si le score > 6,5 et si : 1. Le bilan initial n’objective pas d’anomalies biologiques ou ENMG excluant le diagnostic de neuronopathie 2. Le patient présente une des pathologies suivantes : syndrome paranéoplasique avec anticorps antineuronaux ou un cancer au cours des 5 dernières années ; traitement aux sels de platine ; syndrome de Gougerot-Sjögren 3. si l’IRM révèle des hypersignaux des cordons postérieurs de la moelle C. Le diagnostic de neuronopathie est certain s’il existe des anomalies histologiques évocatrices des ganglions rachi­ diens postérieurs (même si la biopsie des ganglions n’est pas recommandée) 146 Neurologies • Avril 2012 • vol. 15 • numéro 147 gnaux des cordons postérieurs). De présentation asymétrique, les étiologies sont alors assez restreintes : syndrome de Gougerot-Sjögren, formes paranéoplaqiues (avec anticorps anti-Hu dans la majorité des cas), cirrhose biliaire primitive. Des formes idiopathiques sont possibles, souvent considérées comme dysimmunes mais dont le traitement reste souvent difficile. En cas de forme d’emblée diffuse et symétrique, on peut citer la maladie de Friedreich, certaines cytopathies mitochondriales, ou celles en rapport avec la toxicité des sels de platine ou l’intoxication par la vitamine B6. • Neuropathie axonale et asymétrique En dehors des neuronopathies sensitives décrites précédemment, on entre dans le groupe particulier des multineuropathies avec des signes électrocliniques à la fois sensitif et moteur (avec souvent une excellente corrélation topographique entre les données cliniques et électriques). Elles sont souvent de début brutal, volontiers douloureuses et évolutives. Elles sont le plus souvent liées à une vascularite. Il s’agit d’une urgence neurologique et, en dehors d’un bilan général à la recherche d’une vascularite systémique, la biopsie de nerf doit souvent être rapidement proposée à la recherche d’anomalies histologiques évocatrices afin de proposer un traitement adapté. Parfois, cette vascularite ne concerne que le système nerveux périphérique, mais un traitement doit aussi être proposé dans cette situation (corticoïdes par exemple). • Neuropathie sensitive ou sensitivo-motrice non longueur-dépendante Dans ce cadre, l’ENMG retrouve une neuropathie axonale sensiNeurologies • Avril 2012 • vol. 15 • numéro 147 tivo-motrice associée parfois à quelques critères de démyélinisation cependant insuffisants pour affirmer le diagnostic de PRNc (8). L’existence d’une aréflexie d’emblée diffuse, d’une ataxie, d’un déficit moteur proximal, d’une présentation clinique quadri-distale simultanée ou d’une atteinte des nerfs crâniens sont autant d’arguments pour évoquer un processus non longueurdépendant (7). Parfois, il existe une évolution par poussées. Ces formes très singulières considérées autrefois comme “idiopathiques” ont donné lieu à de très nombreuses publications ces dernières années, car un grand nombre d’entre elles sont en réalité des PRNc observée au stade “axonal”, appelées encore PRNc atypiques (7, 14). Le diagnostic repose alors sur : l’existence d’une éventuelle dissociation albumino-cytologique dans le liquide céphalo-rachidien ; une hypertrophie des racines lombaires avec parfois prise de contraste à l’IRM lombaire ; des altérations évocatrices aux PES. Surtout, il peut s’agir d’une excellente indication de biopsie de nerf (15) à la recherche de signes histologiques évoquant un processus démyélinisant associé, à condition d’être réalisée dans un centre spécialisé habituée à ce type d’analyse (coupes semi-fines, technique du teasing, microscopie électronique). L’individualisation de ces formes est importante car on peut alors proposer un traitement par corticoïdes, IGIV ou échanges plasmatiques pouvant, dans certains cas, améliorer les patients. • Neuropathie cliniquement sensitive longueur-dépendante En dehors des neuropathies des petites fibres, l’ENMG révèle des altérations concernant uniquement les conductions sensitives avec microvoltage distal et isolé des potentiels évoqués sensitifs, ou peut s’accompagner d’une souffrance mixte des fibres motrices et sensitives. Les étiologies sont alors nombreuses et regroupent les grands cadres étiologiques bien connus des neuropathies périphériques (toxique, carentielle, infectieuse, dysimmunes au cours des connectivites, cryoglobuline, amylose, causes héréditaires ou métaboliques…). Le contexte clinique et les signes cliniques associés décrits précédemment sont souvent d’une aide précieuse. Si la neuropathie est sévère et/ou évolutive, seul un large bilan complémentaire systématique (pouvant aller jusqu’à la biopsie de nerf) permettra d’identifier une cause précise. Il faut isoler les formes idiopathiques du sujet âgé dont la présentation est souvent caractérisée par une dissociation électroclinique évocatrice (ENMG plus “malade” que le patient). • Neuropathie sensitivomotrice longueur-dépendante Comme dans le groupe décrit précédemment avec atteinte clinique sensitive pure, les étiologies sont nombreuses et la démarche du diagnostique étiologique est proche. Là encore, une neuropathie sévère et évolutive doit imposer la réalisation d’un bilan le plus exhaustif possible. Dans les formes chroniques et anciennes, on peut être amené à discuter une forme axonale de CMT, qualifiée alors de type 2, dont la rentabilité diagnostique de la biologie moléculaire est nettement inférieure à celle des CMT 1 vus précédemment. Dans les formes sporadiques, il a été isolé une entité particulière qualifiée de CMT-like dont le mécanisme physiopathologique reste discuté (héréditaire ? dégénératif ?) mais qui correspond à une réalité clinique. 147 DOSSIER Pathologies neuromusculaires - L’évolution des connaissances Pathologies neuromusculaires - L’évolution des connaissances DOSSIER • Neuronopathie ou neuropathie motrice pure Il s’agit d’une atteinte cliniquement et électriquement motrice pure. Dans certains cas, elles sont de présentation longueur-dépendante, prédominant aux membres inférieurs, alors que d’autres peuvent débuter aux membres supérieurs. D’un point de vue physiopathologique, il peut s’agir d’une souffrance du motoneurone mais parfois d’une axonopathie motrice isolée. Certaines sont héréditaires (17) dans le cadre des amyotrophies spinales distales (ou dHMN pour distal hereditary motor neuropathy). D’autres peuvent être acquises, comme dans la forme motrice axonale de syndrome de Guillain-barré associée à l’infection à Campylobacter jejuni. Existe-t-il des formes dysimmunes chroniques ? Cela reste débattu car un certains nombres d’observations rapportées seraient en réalité des NMMBC (pour lesquelles les blocs de conduction ne pourraient être mis en évidence) et pourraient alors bénéficier d’un traitement par immunoglobulines intraveineuses (18). ❚❚Les neuropathies axono-myéliniques Une telle conclusion apparaît souvent dans les comptes-rendus d’ENMG, en raison des difficultés souvent rencontrées pour identifier le caractère primitivement axonal ou démyélinisant de la neuropathie. Pourtant, il faut éviter le plus possible une telle conclusion et réserver cette appellation à un cadre assez restreint d’étiologies. En effet, une telle présentation est rencontrée essentiellement au cours du diabète, de l’insuffisance rénale chronique, du POEMS, de certaines neuropathies paranéoplasiques (avec anticorps anti-CV2) ou dans certaines neuropathies métaboliques (adrénoleucodystrophie par exemple). Conclusion Si l’ensemble des étiologies rencontrées au cours des neuropathies ne s’intègre pas toujours dans cette démarche diagnostique, cette dernière permet souvent de limiter les explorations inutiles. Avec ces arbres diagnostiques simples, le clinicien ou l’électrophysiologiste pourront, dans la majorité des cas, adopter une prise en charge adaptée et proposer, dans certains cas, un traitement n approprié. Correspondance Dr Philippe Petiot Service de neurologie Hôpital de la Croix-Rousse 103, Grande rue de la Croix-Rousse 69004 Lyon E-mail : [email protected] Remerciements Au Dr Thierry Maisonobe qui a beaucoup inspiré ce travail. Mots-clés : Neuropathie périphérique, Diagnostic, Clinique, Electrophysiologie, ENMG, Neuropa­ thie axonale, Neuropathie démyéli­ nisante, Neuropathie axonomyéli­ nique, Syndrome de Guillain-Barré, CANOMAD, Mitochondriopathies, Syndrome de Miller-Fisher, SANDO, Syndrome de Gougerot-Sjögren, Ganglionopathie, Neuroanthocytose, Neuropathies anti-MAG, Maladie de Refsum, Neuropathie de CharcotMarie-Tooth, POEMS, Maladie de Fabry, Vascularites, Connectivites Bibliographie 1. England JD, Gronseth GS, Franklin G et al. Practice parameter: the evaluation of distal symmetric polyneuropathy: the role of laboratory and genetic testing (an evidence-based review). Report of the American Academy of Neurology, the American Association of Neuromuscular and Electrodiagnostic Medicine, and the American Academy of Physical Medicine and Rehabilitation. Neurology 2009 ; 1 : 5-13. 2. Botez SA, Herrmann DN. Sensory neuropathies, from symptoms to treatment. Curr Opin Neurol 2010 ; 23 : 502-8. 3. 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