Éditorial Neuropathies optiques : éviter les pièges diagnostiques Photo à fournir Optic neuropathies: avoiding diagnostic pitfalls Pr Valérie Biousse (Neuro-Ophthalmology Unit, Emory Eye Center ; Emory University School of Medicine, Atlanta [États-Unis]). L es neuropathies optiques sont une cause classique de baisse de l’acuité visuelle et sont souvent source de problèmes pour les ophtalmologues et les neurologues à qui sont adressés les patients atteints de ces pathologies (1, 2). L’ophtalmologue, habitué à poser un diagnostic après la mise en évidence de ­l’anomalie causale lors de l’examen oculaire, est souvent déconcerté par la normalité de l’œil immédiatement après la perte visuelle dans les neuropathies postérieures. L’absence de ­familiarité avec les techniques d’imagerie cérébrale et la nécessité d’examens complé­mentaires coûteux ou difficiles à organiser à partir du cabinet d’ophtalmologie rendent la consultation neurologique fréquente lorsqu’une neuropathie optique est suspectée. Le neurologue, souvent incapable de réaliser un examen de l’œil lui/­elle-même, ne peut revenir sur le diagnostic de neuropathie optique posé par l’ophtalmologue (diagnostic qui regroupe toutes les atteintes du nerf optique et laisse donc le champ libre à de ­multiples causes). Armé d’un tel diagnostic, le neurologue décide d’un bilan et d’un traitement souvent lourds. Idéalement, ces patients sont examinés en neuro-­ophtalmologie afin de confirmer leur diagnostic et de suggérer un mécanisme (par exemple, inflammatoire, ischémique ou compressif, etc.), voire une cause. Malgré l’augmentation récente du nombre de neuro-­ ophtalmologues en France (3), l’accès à ces spécialistes n’est pas toujours facile, et bon nombre d’ophtalmologues et de neuro­ logues doivent se débrouiller sans aide. 186 0186_IOP 186 L’objectif de ce dossier est de proposer une revue des différents mécanismes d’atteinte du nerf optique et de montrer les erreurs diagnostiques les plus fréquentes. Ce problème n’est pas spécifique à la France et souligne simplement la difficulté du diagnostic de neuropathie optique, qui peut être confondue notamment avec une maculopathie, et dont les causes sont très nombreuses (1, 2, 4). De multiples publications ont souligné la similarité de certaines neuropathies optiques (par exemple, neuropathie optique inflammatoire et neuropathie optique ischémique antérieure aiguë) [5] et également des neuropathies optiques avec les maculopathies à fond d’œil normal (1, 4, 6). Il est impératif d’approcher les patients présentant une baisse de l’acuité visuelle ­inexpliquée de façon rigoureuse avant de poser un diagnostic de neuropathie optique. Une fois la baisse de l’acuité visuelle attribuée au nerf optique, il faut essayer de déterminer le mécanisme d’atteinte le plus probable en fonction des caractéristiques des patients, de l’examen clinique ainsi que du champ visuel et des résultats de l’imagerie cérébrale et orbitaire, et d’en évoquer toutes les causes. La détermination du mécanisme engendre des examens complémentaires précis qui confirment la cause et permettent une discussion du pronostic visuel, des affections systémiques ou neurologiques potentiellement associées, ainsi que du traitement et du suivi optimal (1, 2). Le concept de “bilan standard” de neuropathie optique doit être abandonné car coûteux, non nécessaire dans la majorité des cas et très Images en Ophtalmologie • Vol. X - n° 6 • novembre-décembre 2016 14/12/2016 11:25:24 Éditorial souvent négatif. Il est, par exemple, non justifié de demander des anticorps anti-NMO dans une neuropathie optique ischémique antérieure, un dosage de vitamine B12 lorsqu’un mécanisme inflammatoire est démontré, ou une ponction lombaire dans la majorité des neuropathies optiques. En revanche, ne pas obtenir d’imagerie spécifique orbitaire avec contraste et suppression de graisse en addition à l’IRM cérébrale peut conduire à des erreurs diagnostiques. Les erreurs diagnostiques représentent une cause importante de morbidité et de mortalité, avec une incidence estimée entre 10 et 20 % aux États-Unis ­(7-9). Ces erreurs sont la cause principale des poursuites judiciaires en médecine, en raison notamment d’un non-diagnostic, ou d’un retard au diagnostic, d’un accident vasculaire cérébral ou d’une tumeur cérébrale (10, 11). La peur de manquer le diagnostic correct conduit souvent le médecin à prescrire trop d’examens complémentaires et à évoquer trop souvent des diagnostics complexes. Ainsi, une étude réalisée au ­Danemark en 2014 (12) a montré que 10 % des patients adressés dans un centre spécialisé dans la sclérose en plaques avec le diagnostic de névrite optique étaient, en fait, atteints d’une autre maladie. Une autre étude r­ éalisée aux États-Unis a mis en évidence que le diagnostic d’hypertension intra­ crânienne idiopathique avait été fait par erreur chez 39,5 % des patients adressés dans un service de neuro-­ ophtalmologie pour ce motif (13). La publication “Neuro-ophtalmologie plus fiable que l’IRM ?” (14) a souligné que faire le mauvais test au mauvais moment non seulement est un gaspillage de ressources, mais, en outre, retarde le diagnostic correct, ce qui peut être dangereux pour le patient. “Un meilleur raisonnement” est l’une des solutions proposées pour éviter les erreurs diagnostiques (15). Une telle amélioration du raisonnement médical permet d’éviter les ­raccourcis et les diagnostics prématurés, qui sont ensuite difficiles à changer. Les ­diagnostics prématurés sont faits lorsque le médecin ne considère qu’une possibilité, souvent en raison de biais liés aux caractéristiques du patient (par exemple, lorsqu’un ­d iagnostic d’hypertension intra­ crânienne idiopathique est fait immédiatement chez une jeune femme obèse avec des céphalées chroniques, ou un diagnostic de névrite optique chez une femme jeune avec baisse de l’acuité visuelle douloureuse, ou avec une neuropathie optique isolée). Se poser la question : “Quel autre diagnostic dois-je évoquer ?” est un moyen efficace d’éviter les biais et les diagnostics trop rapides (16). L’amélioration des compétences ­cliniques et l’identification d’une hypothèse “prétest” sont les moyens les plus simples d’éviter les raccourcis et les diagnostics prématurés. Seul un ­diagnostic correct permet une discussion éclairée avec le patient sur le p­ ronostic, le traitement et le suivi de sa neuropathie optique (15, 16). Les cas cliniques présentés dans ce dossier sont réels, et tous ont fait l’objet d’erreurs diagnostiques. Les ophtalmologues et neurologues français sont conscients du rôle essentiel des neuro-­ophtalmologues. L’augmentation du nombre de participants aux 3 réunions d’enseignement annuelles organisées par le Club de neuro-­ ophtalmologie francophone (CNOF : www.neuro-ophtalmologie-club.org) en est la meilleure preuve (3). Bonne lecture ! II V. Biousse déclare être consultante pour GenSight Biologics. Références bibliographiques 1. Biousse V, Newman JN. Neuro-ophthalmo­logy illustrated. 2e édition. New York : Thieme ; 2016. 2. Biousse V, Newman NJ. Optic neuropathies: visualization, clinical features and diagnosis. Lancet Neurol 2016;15(13):1355-67. 3. Tilikete C, Vighetto A. Neuro-ophthalmology in France. J Neuro-Ophthalmol 2013;33:e19-e20. 4. Rizzo JF, Lessell S. Optic neuritis and ischemic optic neuropathy: overlapping clinical profiles. Arch Ophthalmol 1991;109(12):1668-72. 5. Weerasinghe D, Lueck C. Mimics and chameleons of optic neuritis. Pract Neurol 2016; 16(2):96-110. 6. Bialer OY, Newman NJ, Bruce BB, Biousse V. “Optic neuritis” that is neither. Neurol Clin Pract 2013;3(2):168-170. 7. Singh H, Meyer AN, Thomas EJ. The frequency of diagnostic errors in outpatient care: estimations from three large observational studies involving US adult populations. BMJ Qual Saf 2014;23(9):727-31. 8. Khullar D, Jha AK, Jena AB. Reducing diagnostic errors--why now? N Engl J Med 2015; 373(26):2491-3. 9. Bruce BB, El-Kareh R, Ely JW et al. Methodologies for evaluating strategies to reduce diagnostic error: report from the research summit at the 7th International Diagnostic Error in Medicine Conference. Diagnosis 2016;3:1-7. 10. Mathew RG, Ferguson V, Hingorani M. Clinical negligence in ophthalmology: fifteen years of National Health Service litigation authority data. Ophthalmology 2013;120(4): 859-64. 11. Coysh T, Breen DP. A nationwide analysis of successful litigation claims in neurological practice. JRSM Open 2014;5(3):2042533313518914. 12. Horwitz H, Friis T, Modvig S et al. Differential diagnoses to MS: experiences from an optic neuritis clinic. J Neurol 2014;261(1):98-105. 13. Fisayo A, Bruce BB, Newman NJ, Biousse V. Overdiagnosis of idiopathic intracranial hypertension. Neurology 2016;86(4):341-50. 14. Sadun AA, Chu ER, Boisvert CJ. Neuroophthalmology safer than MRI? Ophthalmology 2013;120(4):879. 15. Wachter RM. Why diagnostic errors don’t get any respect--and what can be done about them. Health Aff 2010;29(9):1605-10. 16. Croskerry P. From mindless to mindful practice--cognitive bias and clinical decision making. N Engl J Med 2013;368(26):2445-8. Images en Ophtalmologie • Vol. X - n° 6 • novembre-décembre 2016 0187_IOP 187 187 14/12/2016 11:25:24