
MAPAR 2013
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l’augmentation des doses jusqu’au soulagement du patient. La prescription de
morphine devint la réponse humaine la plus adaptée à la souffrance physique.
Cette explosion dans la consommation a atteint son maximum dans les années
2005, période correspondant à un marketing agressif de l’industrie pharmaceu-
tique avec l’arrivée de nouvelles molécules sur le marché. La démystification
de la morphine a permis à des milliers de patients douloureux d’accéder plus
facilement à un produit qui reste le plus puissant antalgique, encore inaccessible
à 1/3 de la planète. Néanmoins, cette explosion de la consommation d’opioïdes
dans la société américaine s’est accompagnée parallèlement de l’augmentation
de risques graves : mésusage, détournements, décès [1]. Les chiffres rapportés
par les autorités sanitaires américaines sont édifiants et doivent nous alerter.
En 2007, 28 000 décès sont liés à la consommation de drogues, dont 12 000
causés par des antalgiques opioïdes. En 2009, près de 342 000 consultations
aux urgences correspondaient à des détournements médicaux des opioïdes [2].
En 2010, plus de 35 millions d’américains consommaient des opioïdes en
dehors d’une indication médicale. Ces chiffres nous interpellent sur les risques
d’addiction, largement sous-estimés par les études cliniques, car les patients
à risque étaient justement ceux exclus des études (douleur diffuse complexe,
vulnérabilité psychologique) [3]. L’utilisation récréative, la facilité d’accès aux
médicaments, ainsi qu’un grand nomadisme médical sont les comportements
déviants constatés à l’origine de ces chiffres [1]. Le patient à risque serait
préférentiellement l’homme jeune, vivant en zone rurale, avec une prescription
d’opioïde initialement médicale [4]. Le seuil de 120 mg d’équivalent morphine par
jour et de 90 jours de consommation est considéré à haut risque d’addiction [5].
Les risques de chutes et de fractures sont deux fois plus fréquents à partir de
50 mg d’équivalent morphine par jour chez les patients de plus de 50 ans [6].
Ces données nous interrogent sur nos propres pratiques en France et bien que
tout ne soit pas transposable à notre société, l’expérience américaine nous incite
à une grande vigilance.
2. PLACE DES MORPHINIQUES DANS LES DOULEURS CHRO-
NIQUES NON CANCÉREUSES (DCNC)
Tout d’abord, il faut souligner que l’innocuité des morphiniques au long cours
pour traiter des DCNC n’a jamais été démontrée. En effet, les preuves issues de
la littérature sont fragiles lorsqu’on considère que 3/4 des études sont financées
par l’industrie pharmaceutique, que 90 % des investigateurs ont des conflits
d’intérêt, qu’en moyenne 1/3 des patients abandonne l’étude avant son terme,
que les critères d’inclusions sont loin de refléter la population de DCNC et ,au
contraire, excluent les patients les plus exposés à l’addiction, que les doses
supérieures à 180 mg n’ont jamais été évaluées et qu’aucune des études n’a
une durée de plus de 16 semaines [7].
En France, nous disposons à ce jour de deux documents concernant la prescrip-
tion des opioïdes forts dans la douleur non cancéreuse : les recommandations de
Limoges traitant de la prescription de morphinique dans les douleurs chroniques en
rhumatologie [8, 9] et la mise au point de l’AFSSAPS de 2004 qui donne les grandes
lignes directives de la prescription de morphine dans les douleurs chroniques
non cancéreuses [10]. L’objectif de ces deux références n’est pas d’inciter à la
prescription de morphine mais de cadrer son utilisation. On peut distinguer trois
grands types de douleurs chroniques non cancéreuses :