L’Encéphale (2009) 35, 146—151 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep PSYCHOPATHOLOGIE Détresse psychosociale et communication à propos du cancer chez le partenaire malade et son conjoint Psychosocial distress and communication about cancer in ill partners and their spouses M. Paradis a,b, S.M. Consoli b,∗, N. Pelicier a, V. Lucas c, J.-M. Andrieu d, R. Jian e a Unité de psychiatrie de liaison, hôpital Ambroise-Paré, 9, avenue Charles-de-Gaulle, 92100 Boulogne Billancourt, France Services de psychologie clinique et psychiatrie de liaison, université Paris-5, AP—HP, hôpital européen Georges-Pompidou, 20, rue Leblanc, 75015 Paris, France c Service d’oncologie médicale, centre hospitalier régional d’Orléans, 14, avenue de l’Hôpital, 45100 Orléans, France d Service d’oncologie médicale, université Paris-5, AP—HP, hôpital européen Georges-Pompidou, 20, rue Leblanc, 75015 Paris, France e Service d’hépatogastroentérologie, université Paris-5, AP—HP, hôpital européen Georges-Pompidou, 20, rue Leblanc, 75015 Paris, France b Reçu le 2 juillet 2007 ; accepté le 21 février 2008 Disponible sur Internet le 13 juin 2008 MOTS CLÉS Cancer ; Couples ; Adaptation psychologique ; Détresse psychosociale ; Communication ; Questionnaires ∗ Résumé Tout cancer peut entraîner des répercussions psychologiques chez le patient et son conjoint. Notre étude a porté sur 30 couples dont un des membres était traité pour un cancer non lié au sexe. Son objectif était de déterminer les liens entre le niveau de détresse psychosociale de chacun des deux partenaires, les caractéristiques sociodémographiques et cliniques des patients, ainsi que l’ouverture à la communication autour du cancer chez chacun des deux membres du couple. La détresse psychosociale et l’ouverture à la communication autour du cancer ont été mesurées grâce à deux autoquestionnaires (GHQ-28 et ODCF). Les résultats montrent une corrélation positive entre les scores respectifs de chacun des deux membres des couples pour le GHQ-28 (r = 0,53 ; p = 0,005) et pour l’ODCF (r = 0,44 ; p = 0,024). Il n’y a pas de lien direct entre les scores au GHQ-28 et ceux à l’ODCF du même sujet ou de son conjoint ; en revanche, après ajustement sur le sexe, on retrouve des niveaux plus élevés de détresse chez les patients, comme chez les conjoints, en cas de communication discordante, c’est-à-dire ouverte chez l’un et restreinte chez l’autre membre du même couple (respectivement p = 0,038 et p = 0,052 pour Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (S.M. Consoli). 0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2008. doi:10.1016/j.encep.2008.02.008 Communication, couple et cancer 147 les patients et les conjoints). Ces résultats soulignent la possible valeur adaptative d’une communication restreinte autour du cancer, pour peu qu’elle soit partagée par les deux membres du couple. © L’Encéphale, Paris, 2008. KEYWORDS Cancer; Couples; Psychological adaptation; Psychosocial distress; Communication; Questionnaires Summary Introduction. — Each cancer can have a psychological impact not only on the patient himself/herself, but also on his/her spouse. Objective. — Our study concerned 30 couples encompassing a member treated for a cancer, non related to gender. It was aimed at determining the links between the levels of psychosocial distress measured in both members of each couple, patients’ sociodemographic and clinical characteristics, as well as communication skills about cancer in both members of the couples. Methods. — Psychosocial distress and communication about cancer were measured by the general health questionnaire (GHQ-28) and the openness to discuss cancer in the nuclear family (ODCF), with an additional version adapted for the spouse on the occasion of this study. Results. — A positive correlation was found between the respective scores of the two members of the couples, for the GHQ-28 (r = 0.53; p = 0.005) as well as for the ODCF (r = 0.44; p = 0.024). GHQ-28 scores were not associated with the sociodemographic characteristics of the patients, nor with the stage of cancer, the number of months elapsed since the diagnosis of cancer, or the ODCF personal or spouse’s score. On the other hand, when the communication within each couple was classified into concordant (insufficient or, on the contrary, open for both members) or discordant (insufficient for one of the two members and open for the other), and after controlling for gender, higher levels of psychosocial distress were found in patients (p = 0.038) as well in spouses (p = 0.052) belonging to discordant compared with concordant couples. Conclusion. — These results suggest an effect of contamination or a mutual reinforcement of the distress of each member of such couples, as well as the presence of relatively similar styles of communication in the two partners of each couple. They also underline the possible adaptive function of a restricted style of communication about cancer, if such a restriction is shared by both the members of the couple, and incites particular attention to be paid to couples where one of the partners, but not the other, adopt an open style of communication about cancer. © L’Encéphale, Paris, 2008. Introduction L’impact émotionnel du diagnostic de cancer ne se limite pas au seul individu malade. L’on s’accorde aujourd’hui pour dire que prendre en compte le confort d’un patient soigné pour cancer, c’est se pencher à la fois sur les retentissements psychologiques possibles pour le patient et les membres de sa famille et sur la modification de l’équilibre familial entraînée par ce cancer. Être attentif à de telles difficultés du patient et de son conjoint a notamment pour but de prévenir, voire traiter, les manifestations psychopathologiques éventuelles de chaque membre du couple, mais aussi de maintenir ces derniers le plus longtemps et le mieux possible dans leur fonction parentale auprès de leurs enfants, malgré la présence de la maladie. Le soutien marital peut augmenter la capacité du membre malade d’un couple à faire face plus efficacement à sa maladie en comprenant mieux l’événement menaçant auquel il est soumis, en augmentant la motivation pour prendre de nouvelles mesures et en réduisant la détresse émotionnelle qui peut bloquer les efforts d’adaptation [13]. Une relation positive entre le soutien du conjoint et une réduction de la détresse psychologique des patients atteints de cancer a également été rapportée [5]. On estime à 20 %, la prévalence de troubles psychiatriques caractérisés et à 30 % celle des troubles de l’adaptation chez les patients atteints de cancer [8]. Toutefois, les conjoints peuvent être autant sinon plus à risque que les patients. La maladie peut amener diverses restrictions dans leur vie et les confronter à de nouvelles situations auxquelles ils n’étaient pas préparés. Il peut même y avoir un « effet de contagion » sur le conjoint, lié à l’exposition répétée à la détresse du partenaire malade [1]. Les patients et les familles qui ne savent pas comment exprimer leurs émotions et qui évitent systématiquement les conflits seraient plus vulnérables : il serait, en effet, plus difficile pour eux d’accepter les changements de rôles imposés par la maladie et les deuils successifs à faire vis-à-vis d’un futur qui s’annonce différent de ce qu’ils espéraient. Une étude rapporte d’ailleurs que les patients et les conjoints, qui expriment davantage leurs inquiétudes face à la maladie et qui se montrent sensibles aux préoccupations de l’autre, présentent un meilleur ajustement psychologique [6]. Notre intérêt scientifique pour l’impact du cancer d’un parent sur la cellule familiale s’inscrit dans la voie ouverte en France dans ce domaine par E. Seigneur et al. [12]. Le travail que nous présentons dans cet article s’était fixé pour objectif d’essayer de déterminer le rôle des facteurs sociodémographiques (sexe, âge et niveau d’étude du membre malade du couple), de la structure familiale (âge et nombre d’enfants), des caractéristiques de la maladie (stade, ancienneté du diagnostic), ainsi que de la facilité à parler de la maladie au sein des familles dont un des parents est traité pour cancer, sur la détresse psychosociale du patient et de son conjoint. 148 Tableau 1 étudiée. M. Paradis et al. Caractéristiques générales de la population Nombre de couples Sexe des patients atteints de cancer Masculin Féminin Âge des patients (ans) Niveau d’études < Bac Bac à bac + 2 > Bac + 2 Nombre d’enfants entre 4 et 16 ans vivant au domicile Couples avec présence au domicile d’enfants de moins de 10 ans Ancienneté du diagnostic de cancer (en mois) Stade du cancer Modérément sévère Sévère Type de tumeurs Solides Hémopathies 30 19 11 47,4 ± 7,6 (34 à 60) 10 7 13 1,9 ± 0,9 17 21,3 ± 25,3 (1 à 82) 13 17 18 12 Les résultats des variables quantitatives sont présentés sous forme de moyennes ± une déviation standard. Population Les patients inclus devaient présenter un cancer indépendant du sexe (ni prostate, ni testicule, ni sein, ni ovaire, ni utérus), afin de permettre d’explorer au mieux l’influence du sexe du parent malade sur la détresse des enfants, indépendamment de l’impact spécifique de cancers affectant exclusivement ou quasi-exclusivement l’homme ou la femme. Tous les patients étaient en cours de traitement de type chimiothérapique ou immunothérapique, les patients sans traitement « actif » (phase de rémission ou phase palliative) étant exclus. Les patients recrutés devaient également vivre en couple (mariage, concubinage, pacs, union libre) et avoir des enfants entre quatre et 16 ans vivant au domicile. Les patients sans enfants ou avec des enfants exclusivement âgés de moins de quatre ans ou de plus de 16 ans, ainsi que les familles monoparentales ont été exclus. Le recrutement des patients a été effectué entre janvier et août 2005 dans plusieurs services : deux services d’hématologie—oncologie médicale situés dans deux établissements différents et un service d’hépatogastroentérologie. Les caractéristiques de la population étudiée sont présentées dans le Tableau 1. Trente familles ont été incluses et 26 couples ont fourni des données complètes (questionnaires remplis par les deux membres du couple). Le stade évolutif du cancer a été défini comme « modérément sévère » lorsqu’il s’agissait de cancers répondant aux critères des stades I, II et III selon la classification de l’OMS et comme « sévère » lorsqu’il s’agissait de cancers de stade IV selon la même classification, c’est-à-dire de cancers métastatiques. Dix-huit patients souffraient d’une tumeur solide (huit cancers du poumon, trois du colon, trois du rein, un du rectum, un de l’estomac, un du pancréas et un des voies biliaires) et 12 d’une hémopathie maligne (cinq lymphomes non hodgkiniens, trois leucémies myéloïdes chroniques, deux maladies de Hodgkin, une leucémie aiguë et une maladie de Vaquez). Méthodes Les autoquestionnaires utilisés ont été le questionnaire général de santé ou General Health Questionnaire à 28 items (GHQ-28) [3,4], rempli séparément par le patient et son conjoint, l’Openness to Discuss Cancer in the nuclear Family (ODCF) de Mesters et al., traduit en français par E. Seigneur et destiné à mesurer la facilité pour le patient à parler du cancer en famille ; nous avons adapté une version de l’ODCF afin qu’elle puisse être remplie par le conjoint [7]. Le GHQ-28 permet de calculer un score global de détresse psychosociale. Si l’on désire détecter des « cas », la note-seuil couramment retenue pour le score global est de quatre-cinquièmes [10] : un score supérieur ou égal à 5 témoignerait ainsi d’une souffrance significative. L’ODCF est constitué de huit items. Les formulations décrivent différentes formes de difficulté ou de réserve à aborder le thème du cancer en famille. La version de l’ODCF destinée au conjoint a été créée à l’occasion de cette étude pour évaluer le degré d’« ouverture » de la communication à propos du cancer au sein de la famille, chez le conjoint. La cotation de ces deux derniers questionnaires donne un score compris entre 4 et 32, chaque item étant côté de 1 à 4 en fonction de l’accord avec la proposition propre à chaque item. Plus le score est élevé, plus la communication à propos du cancer dans la famille est considérée comme « ouverte » ou facile. À partir des scores de communication de chaque membre du couple, en prenant comme seuil la médiane des scores des patients et la médiane de ceux des conjoints, nous avons constitué une variable catégorielle à quatre classes, de façon à décrire la communication à propos du cancer dans l’ensemble du couple. Les quatre classes correspondent ainsi à une communication ouverte chez les deux membres du couple, insuffisante chez le patient mais ouverte chez le conjoint, insuffisante chez le conjoint mais ouverte chez le patient et enfin insuffisante chez les deux membres du couple. Statistiques Les scores et sous scores au GHQ-28 et à l’ODCF ont été considérés comme des variables quantitatives. Les comparaisons de moyennes entre les populations ont été faites au moyen du test t de Student pour groupes non appariés (par exemple, la comparaison des scores des patients de chaque sexe), ou du test de Student pour groupes appariés (par exemple, la comparaison des scores à un même questionnaire des patients et de leur conjoint). La comparaison de plus de deux moyennes (par exemple, entre les quatre modalités de la qualité de la communication au sein du couple) a été faite par analyse de la variance. Les associations entre variables quantitatives ont été testées en calculant le coefficient de corrélation r de Pearson ou le Communication, couple et cancer coefficient de corrélation de rangs de Spearman, en cas de variable ordinale (par exemple, en ce qui concerne le niveau d’études du patient ou le nombre de mois écoulés depuis le diagnostic). La comparaison de moyennes en fonction de deux variables (par exemple, le sexe du parent malade et le type de communication) a été faite par analyse de la variance à deux facteurs. Résultats La détresse psychosociale du patient et de son conjoint Dans notre population, 65 % des patients et 55 % de leurs conjoints présentent une détresse psychosociale significative (score au GHQ-28 ≥ 5). La détresse psychosociale des patients et celle des conjoints n’est liée ni au sexe (respectivement p = 0,77 et p = 0,19), ni à l’âge (r = −0,10 ; p = 0,62 et r = 0,08 ; p = 0,68), ni au niveau d’études du patient ( = 0,14 ; p = 0,49 et = −0,09 ; p = 0,66), ni à la présence au domicile d’enfants âgés entre quatre et 10 ans (p = 0,63 et p = 0,55), ni au nombre de mois écoulés depuis le diagnostic de cancer ( = −0,24 ; p = 0,21 et = −0,24 ; p = 0,23), ni enfin au stade de l’affection cancéreuse (p = 0,47 et p = 0,39). Il existe une corrélation significative entre la détresse psychosociale des conjoints et celle des patients (r = 0,53 ; p = 0,005). Si l’on considère les 26 couples qui ont fourni des données complètes en ce qui concerne les autoquestionnaires, il n’y a pas de différence significative entre le score moyen de détresse psychosociale du patient et celui de son conjoint, au sein de chaque couple (7,69 ± 6,51 versus 7,73 ± 7,02 ; p = 0,98). La communication à propos du cancer chez le patient et son conjoint Il existe une corrélation positive significative entre la facilité de communication chez patient atteint de cancer et celle de son conjoint, mesurées par l’ODCF (r = 0,44 ; p = 0,024). Il n’y a pas de différence significative entre le score moyen 149 à l’ODCF du patient et celui de son conjoint, au sein de chaque couple (p = 0,17), ni entre le score des femmes et ceux des hommes, au sein de chaque couple (p = 0,31). La facilité de communication à propos du cancer chez les patients et celle observée chez les conjoints ne sont liées ni au sexe (respectivement p = 0,48 et p = 0,48)), ni à l’âge (r = −0,10 ; p = 0,61 et r = 0,04 ; p = 0,84), ni au niveau d’études du patient ( = −0,12 ; p = 0,53 et = 0,18 ; p = 0,36), ni à la présence au domicile d’enfants âgés entre quatre et 10 ans (p = 0,50 et p = 0,66), ni au nombre de mois écoulés depuis le diagnostic de cancer ( = −0,26 ; p = 0,18 et = −0,23 ; p = 0,25), ni enfin au stade de l’affection cancéreuse (p = 0,45 et p = 0,40). Liens entre détresse psychosociale et communication à propos du cancer La facilité de communication à propos du cancer chez le patient et celle observée chez son conjoint ne sont pas liées statistiquement au niveau de détresse psychosociale respectif de chaque membre du couple (r = −0,15 ; p = 0,44 et r = −0,09 ; p = 0,65). Il n’y a pas non plus de liens entre la détresse psychosociale du patient et la facilité de communication à propos du cancer chez son conjoint (r = −0,06 ; p = 0,78), ni entre la détresse psychosociale du conjoint et la facilité de communication à propos du cancer chez son partenaire malade (r = 0,06 ; p = 0,78). Par ailleurs, en regroupant les couples selon les quatre modalités possibles de la communication autour du cancer (insuffisante chez les deux membres du couple, insuffisante uniquement chez le conjoint, insuffisante uniquement chez le patient, ou encore ouverte chez les deux membres du couple), l’analyse de la variance n’a pas retrouvé d’effet significatif des modalités de la communication, ni en ce qui concerne la détresse psychosociale des patients, ni en ce qui concerne celle des conjoints (respectivement p = 0,22 et p = 0,28) (Fig. 1). Toutefois, l’examen de la distribution des résultats nous a incités à regrouper à posteriori les couples avec « communication concordante » (ouverte chez les deux membres du couple ou insuffisante chez les deux membres du couple) et ceux avec « communication discordante » Figure 1 Diagrammes des scores de détresse psychosociale du patient atteint de cancer et de son conjoint en fonction des modalités de communication autour du cancer au sein de la famille. 150 (ouverte uniquement chez l’un des deux membres du couple). La détresse psychosociale des patients et celle des conjoints sont moindres en cas de communication concordante au sein du couple (respectivement 5,63 ± 5,62 versus 11,00 ± 6,73 ; p = 0,038 et 5,75 ± 5,03 versus 10,90 ± 8,76 ; p = 0,068 ; avec des tailles de l’effet de 0,82 et 0,73). Après ajustement sur le sexe du patient ou celui du conjoint, l’appartenance à un couple avec communication concordante reste associée à un niveau plus élevée de détresse psychosociale, aussi bien pour les patients (p = 0,038) que pour les conjoints (p = 0,052). Discussion Dans notre population de couples ayant des enfants entre quatre et 16 ans au domicile, plus de la moitié des patients atteints de cancer et plus de la moitié de leurs conjoints présentent une détresse psychosociale significative. Cette proportion peut s’expliquer par le potentiel mortel de cette pathologie, très présent dans l’esprit de ceux qui en sont atteints, dans celui de leur entourage, mais aussi dans l’imaginaire collectif. Des pourcentages similaires avaient été retrouvés dans l’étude menée par Seigneur et al. [12], qui avait porté sur des patients atteints de cancer, comparés à des diabétiques insulinodépendants et à des transplantés rénaux. De plus hauts niveaux de détresse psychosociale avaient été d’ailleurs retrouvés chez les conjoints de patients suivis pour un cancer par rapport aux deux groupes témoins. Nos résultats confirment ensuite l’existence d’un lien entre la détresse psychosociale du patient et celle du conjoint. Ce lien peut témoigner du fait que l’adaptation du conjoint est influencée par l’adaptation du membre malade du couple, et vice-versa [11]. Le caractère transversal de notre étude ne permet pas de savoir quelle est la direction privilégiée de cette influence mutuelle possible. La corrélation positive significative retrouvée entre le degré d’ouverture à la communication autour du cancer chez les patients et celui de leur conjoint laisse entendre qu’au sein de chaque couple, un mode de communication (ouvert ou restreint) est privilégié par rapport à un autre, qu’il s’agisse là d’une caractéristique du couple antérieure à la survenue du cancer d’un de ses membres ou bien de l’adaptation d’un des deux partenaires au style de communication adopté par l’autre membre du couple une fois le cancer présent dans la réalité familiale. Certaines familles rapportent s’adapter à la réalité qu’elles doivent affronter, en ne parlant jamais du cancer [14]. Certains couples se fournissent ainsi un appui l’un à l’autre, sans mots [2] : même si une telle stratégie de communication à propos du cancer est considérée par certains professionnels de santé comme « mauvaise », en réalité l’important est que la stratégie utilisée soit conforme à la philosophie de la famille, comprise par tous ses membres [5] et que chacun des partenaires en soit satisfait. Dans notre population, la facilité ou les difficultés de communication du patient, du conjoint ou d’un des membres du couple ne se sont pas avérées liées respectivement à la détresse psychosociale du patient, du conjoint ou de l’autre membre du couple. Ces résultats sont en contradiction avec l’étude de Normand et al. [9] sur une M. Paradis et al. population de femmes atteintes de cancer du sein, qui avait montré que moins la communication conjugale était fréquente, plus la symptomatologie dépressive était élevée pour la patiente et pour son conjoint. L’étude de Normand et al. ne permettait certes pas d’établir une relation de causalité entre la fréquence de la communication conjugale et la symptomatologie dépressive : une personne déprimée a, en effet, tendance à communiquer moins, et inversement, le fait de se sentir moins autorisé à communiquer autour du cancer peut susciter un sentiment d’isolement et favoriser l’émergence d’affects dépressifs. Toutefois, rappelons que l’ODCF ne mesure en aucune manière, ni la fréquence des échanges au sein d’un couple, ni la qualité de la communication autour du cancer d’un des membres du couple, en termes d’authenticité, mais avant tout le choix de parler ou d’éviter de parler du cancer en famille. De « bonnes raisons » peuvent présider à chacun de ces choix : parler pour partager une expérience très mobilisatrice avec des proches que l’on croit capables d’assumer une telle réalité et dont on attend du soutien, ou ne pas parler, essentiellement pour protéger des proches, dont on tient à prendre soin. Nos résultats montrent avant tout l’importance, pour le confort psychologique de chacun des membres d’un couple confronté au cancer, d’une concordance entre le style de communication adopté par les deux partenaires. En revanche, si l’un des deux membres du couple a tendance à parler facilement du cancer, alors que c’est l’inverse pour l’autre, on peut penser que la dysharmonie créée ainsi au sein de la dyade engendre un malaise plus important qu’une collusion du silence entre partenaires. De tels résultats inciteraient donc à moduler les recommandations à faire aux patients atteints de cancer et à leurs proches, en matière de communication autour du cancer, en tenant compte des modes de communication déjà existants au sein de chaque couple. Toutefois, cette différence entre les niveaux de détresse des patients (ou des conjoints) selon le caractère « concordant » ou « discordant » de la communication autour du cancer au sein de chaque couple ne faisait pas partie de nos hypothèses a priori. Même si les tailles de l’effet du style de communication au sein de chaque couple sont relativement importantes (0,82 et 0,73), une telle hypothèse mériterait d’être retestée, en tant que telle, dans une étude ultérieure utilisant les mêmes outils de mesure. Notre étude comporte certes un certain nombre de limitations. Son effectif restreint, d’abord, impliquant que ces résultats préliminaires puissent être confirmés à plus large échelle. Le fait, ensuite, que pour répondre aux objectifs globaux que nous nous étions fixés seules des familles avec enfants entre quatre et 16 ans vivant au domicile aient été incluses : toute extrapolation de ces résultats aux couples en général confrontés au cancer doit être prudente. Il faut également rappeler que l’ODCF n’évalue que la facilité à parler du cancer en famille, sans distinguer la communication entre adultes ou avec les enfants. Enfin, l’ODCF ne permet pas de faire la distinction entre une communication restreinte, autour du cancer, mais authentique sur le plan émotionnel et informative quant à l’essentiel, et une communication entravée et maladroite, évitante et insatisfaisante, ou laissant échapper des informations non commentées, ambiguës et inquiétantes. Communication, couple et cancer Conclusion Notre étude a voulu tester les liens entre la détresse psychosociale de chacun des deux partenaires d’un couple confronté au cancer d’un de ses membres et le style de communication au sein de la famille autour du cancer, en ayant évalué ce dernier auprès des deux membres du couple. La détresse des couples dont un membre est atteint de cancer et qui ont la charge d’enfants mineurs, vivant au domicile, est fréquente et il existe un lien entre la souffrance de l’un des membres du couple et celle de l’autre membre. Cette constatation n’est pas sans conséquences pratiques, car on pourrait dire qu’il y a grossièrement des « couples en souffrance » et des couples qui semblent s’en sortir plutôt bien face à une telle réalité. Il importe donc de rester attentif à la famille et plus précisément au couple dont fait partie un patient atteint de cancer et savoir tendre une perche à l’autre partenaire lorsque le patient lui-même ou son conjoint expriment une demande d’aide psychologique ou font l’objet d’une consultation d’évaluation psychologique, au cours de la prise en charge de l’affection cancéreuse. Le médecin doit également s’informer de l’organisation mise en place par la famille pour faire face à la maladie, notamment des « personnes ressources » auxquelles la famille peut demander aide et soutien. Ce travail a montré qu’une moindre souffrance psychologique chez chacun des membres du couple était associée à un style de communication « concordant » entre les deux membres du couple (ouvert chez les deux, ou restreint chez les deux). Ces résultats inciteraient les soignants à respecter le mode de communication utilisé préférentiellement par chaque couple et à être particulièrement vigilant lorsqu’un membre du couple a tendance à parler facilement du cancer, contrairement à l’autre. Des études complémentaires seraient nécessaires pour mieux analyser les différentes composantes de la communication à propos du cancer au sein des couples, avec ou sans enfants, afin de mieux détecter les familles en difficultés et proposer de façon plus adaptée des aides psycho-oncologique appropriées. Remerciements Nous tenons à remercier tout particulièrement le Dr Etienne Seigneur d’avoir mis à notre disposition sa traduction de 151 l’ODCF en français, l’ensemble des soignants, et bien sûr les familles sollicitées, pour avoir facilité la réalisation de ce travail. Références [1] Baider L, Kaplan De-Nour A. Impact of cancer on couples. Cancer Invest 1993;11:706—13. [2] Barraclough J. Emotional issues for families. 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