150 M. Paradis et al.
(ouverte uniquement chez l’un des deux membres du
couple). La détresse psychosociale des patients et celle des
conjoints sont moindres en cas de communication concor-
dante au sein du couple (respectivement 5,63 ±5,62 versus
11,00 ±6,73 ; p= 0,038 et 5,75 ±5,03 versus 10,90 ±8,76 ;
p= 0,068 ; avec des tailles de l’effet de 0,82 et 0,73). Après
ajustement sur le sexe du patient ou celui du conjoint,
l’appartenance à un couple avec communication concor-
dante reste associée à un niveau plus élevée de détresse
psychosociale, aussi bien pour les patients (p= 0,038) que
pour les conjoints (p= 0,052).
Discussion
Dans notre population de couples ayant des enfants entre
quatre et 16 ans au domicile, plus de la moitié des patients
atteints de cancer et plus de la moitié de leurs conjoints
présentent une détresse psychosociale significative. Cette
proportion peut s’expliquer par le potentiel mortel de
cette pathologie, très présent dans l’esprit de ceux qui
en sont atteints, dans celui de leur entourage, mais aussi
dans l’imaginaire collectif. Des pourcentages similaires
avaient été retrouvés dans l’étude menée par Seigneur et
al. [12], qui avait porté sur des patients atteints de cancer,
comparés à des diabétiques insulinodépendants et à des
transplantés rénaux. De plus hauts niveaux de détresse
psychosociale avaient été d’ailleurs retrouvés chez les
conjoints de patients suivis pour un cancer par rapport aux
deux groupes témoins.
Nos résultats confirment ensuite l’existence d’un lien
entre la détresse psychosociale du patient et celle du
conjoint. Ce lien peut témoigner du fait que l’adaptation du
conjoint est influencée par l’adaptation du membre malade
du couple, et vice-versa [11]. Le caractère transversal de
notre étude ne permet pas de savoir quelle est la direction
privilégiée de cette influence mutuelle possible.
La corrélation positive significative retrouvée entre le
degré d’ouverture à la communication autour du cancer
chez les patients et celui de leur conjoint laisse entendre
qu’au sein de chaque couple, un mode de communication
(ouvert ou restreint) est privilégié par rapport à un autre,
qu’il s’agisse là d’une caractéristique du couple antérieure
à la survenue du cancer d’un de ses membres ou bien
de l’adaptation d’un des deux partenaires au style de
communication adopté par l’autre membre du couple une
fois le cancer présent dans la réalité familiale. Certaines
familles rapportent s’adapter à la réalité qu’elles doivent
affronter, en ne parlant jamais du cancer [14]. Certains
couples se fournissent ainsi un appui l’un à l’autre, sans
mots [2] : même si une telle stratégie de communication à
propos du cancer est considérée par certains professionnels
de santé comme «mauvaise », en réalité l’important est
que la stratégie utilisée soit conforme à la philosophie de la
famille, comprise par tous ses membres [5] et que chacun
des partenaires en soit satisfait.
Dans notre population, la facilité ou les difficultés
de communication du patient, du conjoint ou d’un des
membres du couple ne se sont pas avérées liées respecti-
vement à la détresse psychosociale du patient, du conjoint
ou de l’autre membre du couple. Ces résultats sont en
contradiction avec l’étude de Normand et al. [9] sur une
population de femmes atteintes de cancer du sein, qui
avait montré que moins la communication conjugale était
fréquente, plus la symptomatologie dépressive était élevée
pour la patiente et pour son conjoint. L’étude de Normand
et al. ne permettait certes pas d’établir une relation de
causalité entre la fréquence de la communication conjugale
et la symptomatologie dépressive : une personne déprimée
a, en effet, tendance à communiquer moins, et inverse-
ment, le fait de se sentir moins autorisé à communiquer
autour du cancer peut susciter un sentiment d’isolement
et favoriser l’émergence d’affects dépressifs. Toutefois,
rappelons que l’ODCF ne mesure en aucune manière, ni la
fréquence des échanges au sein d’un couple, ni la qualité de
la communication autour du cancer d’un des membres du
couple, en termes d’authenticité, mais avant tout le choix
de parler ou d’éviter de parler du cancer en famille. De
«bonnes raisons »peuvent présider à chacun de ces choix :
parler pour partager une expérience très mobilisatrice avec
des proches que l’on croit capables d’assumer une telle
réalité et dont on attend du soutien, ou ne pas parler,
essentiellement pour protéger des proches, dont on tient à
prendre soin.
Nos résultats montrent avant tout l’importance, pour
le confort psychologique de chacun des membres d’un
couple confronté au cancer, d’une concordance entre le
style de communication adopté par les deux partenaires. En
revanche, si l’un des deux membres du couple a tendance à
parler facilement du cancer, alors que c’est l’inverse pour
l’autre, on peut penser que la dysharmonie créée ainsi
au sein de la dyade engendre un malaise plus important
qu’une collusion du silence entre partenaires. De tels
résultats inciteraient donc à moduler les recommandations
à faire aux patients atteints de cancer et à leurs proches,
en matière de communication autour du cancer, en tenant
compte des modes de communication déjà existants au sein
de chaque couple. Toutefois, cette différence entre les
niveaux de détresse des patients (ou des conjoints) selon le
caractère «concordant »ou «discordant »de la communi-
cation autour du cancer au sein de chaque couple ne faisait
pas partie de nos hypothèses a priori. Même si les tailles de
l’effet du style de communication au sein de chaque couple
sont relativement importantes (0,82 et 0,73), une telle
hypothèse mériterait d’être retestée, en tant que telle,
dans une étude ultérieure utilisant les mêmes outils de
mesure.
Notre étude comporte certes un certain nombre de limi-
tations. Son effectif restreint, d’abord, impliquant que ces
résultats préliminaires puissent être confirmés à plus large
échelle. Le fait, ensuite, que pour répondre aux objectifs
globaux que nous nous étions fixés seules des familles
avec enfants entre quatre et 16 ans vivant au domicile
aient été incluses : toute extrapolation de ces résultats
aux couples en général confrontés au cancer doit être
prudente. Il faut également rappeler que l’ODCF n’évalue
que la facilité à parler du cancer en famille, sans distinguer
la communication entre adultes ou avec les enfants. Enfin,
l’ODCF ne permet pas de faire la distinction entre une com-
munication restreinte, autour du cancer, mais authentique
sur le plan émotionnel et informative quant à l’essentiel,
et une communication entravée et maladroite, évitante et
insatisfaisante, ou laissant échapper des informations non
commentées, ambiguës et inquiétantes.