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Prépublication n° 16 |Fascicule n° 2
Analyse de la dynamique de l’infection VIH
Sensibilité aux traitements
Marie-José Mhawej
IRCCyN – Institut de recherche en communication et cybernétique de Nantes, UMR-CNRS 6597
1, rue de la Noë – BP 92101 – 44321 Nantes Cedex 03, France
Résumé :
Le virus VIH/SIDA affecte le système immunitaire en infectant les cellules saines CD4+, qui se
muent en de véritables usines productrices de nouvelles particules virales. Les multithérapies qui
existent se composent essentiellement des inhibiteurs de protéase (PI) qui perturbent la matu-
ration des nouveaux virions, et des inhibiteurs de transcriptase inverse (RTI) qui contrarient la
production de nouveaux virions en bloquant la transcription inverse de l’ARN viral en ADN viral.
Dans ce papier, nous nous intéressons à l’effet de ces deux voies d’action thérapeutique sur les
paramètres du modèle mathématique de l’infection. Nous abordons aussi le problème de la sen-
sibilité aux traitements par étude de la commandabilité du modèle. Ce travail a été globalement
mis en œuvre sur des modèles identifiés à partir de données cliniques réelles fournies par le CHU
de Nantes.
Mots-clés : automatique, modélisation, identification, commandabilité, efficacité des
traitements, sensibilté aux traitements.
1 Introduction
La lutte contre le VIH/SIDA suit plusieurs axes de recherche. En particulier, la modélisation
et l’analyse mathématique de la dynamique de l’infection permettent de mieux comprendre
ses mécanismes en vue d’une aide au diagnostic. Les modèles mathématiques qui existent
de nos jours décrivent les dynamiques des cellules CD4+ saines (principales cibles du virus),
des cellules CD4+ infectées, de la charge virale et parfois des cellules CD8+. Les premiers
travaux en ce sens datent des années 90 [1, 2, 3, 4]. Ils ont permis par exemple d’estimer
les durées de vie in vivo du virus et des cellules infectées [2, 1]. Des travaux plus récents
mettent l’accent sur l’identification des paramètres des modèles mathématiques [5, 6, 7] ou
encore sur l’application des théories de la commande pour l’optimisation des traitements
antirétroviraux [8, 9].
Marie-José Mhawej
« Analyse de la dynamique de l’infection VIH – Sensibilité aux traitements »
Schedae, 2007, prépublication n° 16, (fascicule n° 2, p. 71-78).
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Dans ce papier, nous nous intéressons particulièrement à l’efficacité des traitements que
l’on aborde sous deux axes :
1. D’abord, l’étude de l’impact des traitements sur les paramètres du modèle ;
2. Ensuite, l’analyse de la sensibilité aux traitements par étude de la commandabilité
du modèle.
L’ensemble des résultats est mis en œuvre sur des données cliniques réelles reçues du
CHU de Nantes.
Les multi-thérapies qui existent se composent essentiellement des Inhibiteurs de la Pro-
téase (PI) qui perturbent la maturations des nouveaux virions et des Inhibiteurs de la Tran-
scriptase Inverse (RTI) qui empêchent la production de nouveaux virions en bloquant la
transcription inverse de l’ARN viral en ADN. D’un point de vue d’automaticien, les traite-
ments sont les entrées du système à contrôler. Dans un problème de commande, il est
d’abord nécessaire d’identifier le lieu d’application des entrées, ce qui correspond au pre-
mier point ci-dessus. Une fois que les paramètres affectés par la commande sont identifiés,
il est important de vérifier la commandabilité du système, ce que nous traitons en second
lieu.
L’organisation de ce papier est comme suit : en section 2, nous présentons deux mod-
èles de la dynamique de l’infection. Dans la partie 2.3 nous discutons l’identifiabilité de ces
deux modèles ainsi que la méthode d’identification utilisée pour le calcul des paramètres.
Dans la section 3, nous analysons l’effet des traitements sur les paramètres du modèle alors
qu’en section 4 nous abordons le problème de la sensibilité aux traitements par étude de la
commandabilité du modèle mathématique linéarisé. Les résultats de cette section ont été
validés sur des données réelles. Enfin, la section 5 conclut ce travail et ouvre de nouvelles
perspectives dans l’application de l’automatique dans le domaine de la santé.
2 Modélisation et identification
Nous présentons dans cette section deux modèles décrivant la dynamique de l’infection
par le VIH. Le premier modèle est le modèle de base à 3 dimensions. Ce modèle est simple
à manipuler et donne des résultats assez satisfaisants du point de vue rapport complex-
ité / exactitude. Cependant, ce modèle ne peut être commandé que par une seule entrée
représentant l’effet des RTI. On ne peut pas donc y voir un effet découplé des deux voies
d’action thérapeutique. C’est donc pourquoi nous introduisons un modèle à 4 dimensions,
très proche du premier, mais sur lequel on peut nettement séparer l’effet des RTI et des PI.
2.1 Le modèle 3D
Reprenons le modèle 3D de base. Ce modèle fait intervenir trois grandeurs caractéristiques :
la population de cellules CD4+ saines (T)en (CD4/mm3), la population de cellules CD4+
infectées (T)en (CD4/mm3)et la charge virale (V)en (copiesd0ARN/ml).
˙
T=sδT βT V,
˙
T=βT V µT ,
˙
V=kT cV.
(1)
Ce modèle suppose que les CD4+ sains sont produits à un taux constant set meurent à
un taux δ. Ils sont infectés à la « vitesse » βT V proportionnelle à leur nombre et à la charge
virale (V). Les CD4+ infectés meurent à un taux µet les virus à un taux c. Les virions sont
produits par les CD4+ infectés à un taux kT .
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Le paramètre βest un indicateur de l’efficacité du processus d’infection. Il inclut la pro-
babilité de rencontre d’une cellule CD4+ saine et d’un virus ainsi que le taux de pénétration
du virus dans celle-ci. Le paramètre kest in indicateur de la production de virus. Ces deux
paramètres reflètent le pouvoir « offensif » du virus [10]. Ces deux paramètres sont donc
les « cibles » potentielles des traitements. Dans la suite, nous utiliserons le modèle 3D à
une seule entrée u1= 1 ηRT I ηRT I est l’efficacité combinée des RTI administrés
(0ηRT I 1). Ce modèle suppose donc un traitement aux RTI seuls.
˙
T=sδT u1βT V,
˙
T=u1βT V µT ,
˙
V=kT cV.
(2)
2.2 Le modèle 4D
Afin de mieux illustrer l’effet des traitements,nous pouvons décrire la dynamique de l’in-
fection par un modèle à 4 dimensions. En effet, ce modèle est très similaire au modèle 3D
mais il permet de distinguer les virus infectieux (V1)des virus non-infectieux (V2)produits
sous l’effet des PI.
˙
T=sδT u1βT V1
˙
T=u1βT V1µT
˙
V1=u2kT c1V1
˙
V2= (1 u2)kT c2V2
(3)
L’effet des RTI est de ralentir le processus d’infection et, selon une majorité d’études, ils
agissent sur le paramètre β[11, 12, 9]. La première entrée de commande est donc u1= 1
ηRT I ηRT I est l’efficacité de l’ensemble des RTI administrés (0ηRT I 1). Par ailleurs,
les PI empêchent les cellules CD4 infectées de produire des particules virales infectieuses
en bloquant la maturation des protéines virales. Leur action se reflète donc essentiellement
sur le paramètre k[2, 11, 12]. La deuxième entrée de commande est donc u2= 1 ηP I
ηP I est l’efficacité de l’ensemble des PI administrés (0ηP I 1).
2.3 Identifiabilité et identification des modèles 3D et 4D
L’identifiabilité des systèmes dynamiques est une propriété fondamentale puisqu’elle per-
met, avant toute estimation, de savoir si le problème d’identification peut être résolu. Dans
le cas contraire, les tests d’identifiabilité donnent les conditions nécessaires à la mise en
œuvre de la procédure d’identification.
Selon la théorie de l’identifiabilité présentée dans [13], nous avons montré que les mo-
dèles 2 et 3 sont algébriquement identifiables c’est à dire qu’on peut calculer les paramètres
de ces modèles à partir de la seule connaissance des sorties mesurées, à savoir, la popu-
lation totale de CD4 (y1=T+T) et la charge virale (y2=Vpour le modèle 3D et
y2=V1+V2pour le modèle 4D). Pour des raisons d’espace, nous ne reprenons pas les
calculs d’identifiabilité dans ce papier.
L’identification des paramètres des modèles 3D et 4D à partir des données cliniques
standard a été introduite dans [14]. Cette approche se basait sur l’optimisation par la mé-
thode du simplex visant à minimiser la distance entre les données réelles et le modèle. Mais,
à cause de la complexité du problème liée notamment au très faible nombre de données
disponibles, l’algorithme présenté dans [14] était sensible à son initialisation. Il était donc
nécessaire de calibrer manuellement l’algorithme afin de réduire les erreurs. Pour surmon-
ter ce problème, une nouvelle méthode d’identification basée sur l’approche Monte-Carlo
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a été proposée dans [6]. Celle-ci prend naissance de la méthode proposée en [14] mais
consiste à initialiser aléatoirement l’algorithme dans l’espace admissible des paramètres et
ceci à différentes reprises (des centaines de fois). La robustesse de cette technique vis-à-vis
des bruits de mesure a été présentée dans [15] et [7]. Cet algorithme d’identification a été
implémenté dans un logiciel disponible sur le web 1. Les identifications présentées dans ce
papier ont été faites directement avec ce logiciel.
3 Étude de l’effet des thérapies sur les paramètres du modèle
Le but de cette partie est d’utiliser le modèle 3 pour prédire l’efficacité des diverses familles
de médicaments à partir de l’identification des paramètres. Nous rappelons que les dosages
de RTI et PI sont les entrées de commande du système et nous posons (1 ηRT I )β=β
et ηP I k=k. Ainsi les paramètres βet kseraient des images des efficacités respectives
des RTI et des PI. Ce travail trouve sa motivation dans la large gamme de médicaments
disponibles. Ces médicaments sont adaptés aux diverses souches de virus. Dans les pays
développés, la composition d’une multi-thérapie se base sur l’analyse génotypique du virus
mais cette analyse est trop chère pour être accessible à grande échelle dans les pays en
développement. C’est donc pourquoi, nous estimons qu’une analyse mathématique peut
aider dans l’évaluation et l’adaptation d’une thérapie tout en évitant les grands frais des
analyses génotypiques.
D’une manière succincte et très schématique, nous pouvons résumer comme suit l’ac-
tion des deux voies thérapeutiques telles qu’elles sont présentées en littérature :
Les RTI agissent sur β[11, 12, 9] ;
Les PI agissent sur k[2, 11, 12].
C’est cette modélisation qui est considérée dans le modèle 4D. Ce modèle suppose un
découplage total des effets des RTI et des PI. Jusqu’à nouvel ordre, aucun résultat illustrant
cette modélisation théorique n’est disponible. Notre but est donc d’essayer de valider ou
réfuter ces hypothèses en se basant sur l’identification des paramètres du modèle 4D (nota-
ment les paramètres βet k) à partir de données réelles. Pour ce faire, un protocole particulier
doit être mis en place. Pour un même patient, nous avons besoin de trois séries de données
successives :
1. Une série de données avant le début du traitement ;
2. Une série de données sous RTI seuls ;
3. Une série de données sous RTI et PI ensemble.
À noter que le traitement par PI seuls n’est pas acceptable cliniquement. Chaque série de
données doit inclure au moins 6 mesures du taux total de CD4 et 6 mesures de la charge
virale pour garantir l’identifiabilité du modèle 4D ; ces mesures doivent être fréquentes en
phase transitoire du régime.
La réalisation d’un tel protocole n’est pas facile, mais de premiers résultats se basant sur
des données hors-protocole que nous avons pu avoir du CHU de Nantes montrent que les
effets des RTI et PI ne sont pas tout à fait découplés et que l’efficacité d’une bi-thérapie est
plus visible sur le paramètre k. Des travaux plus concrets restent à mettre en œuvre dans
cette optique qui reste une perspective de recherche ouverte.
1. IRCCyN Web software for the computation HIV infection parameters, Available at http ://www.irccyn.
ec-nantes.fr/hiv.
Schedae, 2007, prépublication n° 16, (fascicule n° 2, p. 71-78).
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4 Commandabilité et sensibilité aux traitements
4.1 Préliminaires
4.1.1 Décomposition par valeurs singulières
La décomposition par valeurs singulières (SVD pour Singular Value Decomposition) d’une
matrice Ade dimension m×nest la factorisation A=UΣVTUet Vsont des matrices
orthogonales et Σ = diag(σ1, σ2, ...σr)avec r=min(m, n)et σ1> σ2> ... > σr. Les
valeurs σisont les valeurs singulières (valeurs propres) de la matrice A.
La matrice Aest singulière si au moins une des valeurs propres de σest nulle; le nombre de
valeurs propres non nulles correspond au rang de cette matrice. Lorsqu’une valeur propre
de Atend vers zéro,on s’attend alors à une chute de rang de A.
4.1.2 Linéarisation autour d’un point de fonctionnement
Soit le système non linéaire
(˙x=f(x, u),
˙y=h(x).
(4)
Le système linéaire approché s’écrit alors :
(˙x=f
x .x +f
u .u,
˙y=h
x .x.
(5)
Ce système est de la forme
(˙x=Ax +Bu,
˙y=Cx.
(6)
La matrice de commandabilité du système 6 est C= (B, AB, A2B, ..., An1B)nest la
dimension de l’espace des états.
4.2 Application aux modèles du VIH
Les modèles 2 et 3 sont non linéaires. On peut donc les linéariser autour d’un point de
fonctionnement donné (x0, u0= 1). Après linéarisation, on obtient respectivement les ma-
trices ART I et BRT I pour le modèle 2 et les matrices ACO et BCO pour le modèle 3. On
calcule alors les matrices de commandabilité des ces deux modèles CRT I et CC O . En ap-
pliquant la décomposition par valeurs singulières aux matrices CRT I et CCO on peut avoir
une « estimée » de la commandabilité du système. En effet, en examinant l’évolution de la
plus petite valeur singulière (en valeur absolue) de ces deux matrices, on peut dire que le
système devient moins contrôlable lorsque cette valeur s’approche de zéro. Dans la suite,
nous désignerons par VSM cette valeur singulière minimale.
4.3 Résultats
Les simulations effectuées sur les modèles identifiés à partir de données réelles ont permis
de valider les résultats de [11] en ce qui concerne la commandabilité de la dynamique du
virus. En effet, pour tous les essais effectués, le profil de commandabilité présente une ex-
cellente corrélation avec la charge virale en phase asymptomatique. On peut dire aussi que
le patient est le plus sensible aux traitements (système maximalement commandable) juste
avant que la charge virale n’atteigne son maximum. Le pic de VSM a toujours lieu quelques
jours avant le pic de la charge virale en primo infection. De plus, il a été conclu à partir de
Schedae, 2007, prépublication n° 16, (fascicule n° 2, p. 71-78).
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