Les cycLes Longs et Les marchés d`actifs

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Amundi Discussion Papers Series
DP-10-2015
Mai 2015
Les cycles longs et
les marchés d’actifs
Éric Mijot, Stratégie et Recherche Économique
Responsable de la Stratégie
Réservé aux investisseurs professionnels
Résumé
L
’ambition de ce Discussion Paper est d’expliciter notre cadre d’analyse
des marchés sur le long terme. Il s’insère en amont de celui que nous
avons publié en octobre 2014 et qui s’intitule « Le cycle court de
l’investissement : feuille de route ». Il s’agit ici de pouvoir identifier la période de dix
à vingt ans dans laquelle on se situe pour mieux tirer parti des caractéristiques des
différents placements, alors que l’interprétation des cycles courts permet d’affiner
cette analyse pour mieux saisir les opportunités.
La récession de 2008-2009 est la plus sévère depuis la seconde guerre mondiale.
Notre génération n’a jamais vu ça. Certains ont même été jusqu’à parler de la fin
du capitalisme. Cependant, en prenant du recul, on peut observer que les ruptures
générationnelles sont finalement la règle et non l’exception.
Des grands cycles d’une cinquantaine d’années embrassent ainsi toute l’activité
économique. Au total, la datation de ces cycles n’est pas précise et varie selon
que l’on mette l’accent sur l’une ou l’autre des variables prises en compte : la
croissance économique, l’inflation ou l’endettement. Toutefois, chaque observateur
des cycles longs s’entend à quelques années près pour délimiter des périodes qui
se succèdent et se répètent avec des caractéristiques similaires, et ce depuis le
début de l’industrialisation, soit plus de deux siècles d’observation.
Au-delà des aspects purement économiques, c’est le comportement des actifs au
cours de ces périodes qui nous intéresse. Nous avons donc daté ces cycles en
observant d’abord le comportement des actifs, puis les données économiques.
Nous allons d’ailleurs voir comment le cycle économique et le cycle des actifs
correspondent sur longue période.
On répertorie quatre grands cycles depuis la fin du xviiie siècle. Nous allons d’abord
décrire les évidences empiriques que Kondratieff a mises en lumière sur deux
cycles et demi et montrer qu’elles se sont répétées depuis. Nous expliciterons
ensuite comment chacun de ces cycles se découpe en quatre phases en traitant
du cas américain, puis montrerons que cette logique n’est pas seulement propre
aux États-Unis, mais qu’on la retrouve dans la dizaine de pays que nous avons
étudiés. Puis nous nous intéresserons au facteur démographique qui joue un rôle
Amundi Discussion Papers Series - DP-10-2015
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essentiel dans les grands cycles et apporte des pistes intéressantes pour mieux
appréhender l’avenir. Enfin, nous ferons quelques remarques sur les conséquences
des transformations en cours sur le plan de la géopolitique et pour notre modèle de
croissance avant de conclure.
Ces recherches, entreprises depuis une trentaine d’années, sont structurantes
dans notre démarche d’analyse des marchés et sous-jacentes aux analyses
récurrentes produites pour les comités d’investissement.
Mots-clés : allocation d’actifs, stratégie d’investissement, cycle boursier, cycle économique,
cycle d’investissement, cycle long, market timing, marchés financiers, démographie
4
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Les cycles longs
et les marchés d’actifs
I. Kondratieff, le père des cycles longs
Les grands cycles de la conjoncture ont été mis en évidence pour la première
fois par Nicolaï Dimitrievitch Kondratieff en 1926. À la sortie de la première
guerre mondiale, la toute jeune république soviétique devait mettre en place
une nouvelle politique économique. Kondratieff (1892-1938) était alors impliqué
dans la définition de la planification agricole en tant que directeur de l’institut
de la conjoncture et enseignant à l’académie agricole de Pierre Le Grand. La
planification requérant une vue à long terme, il effectuera un travail empirique
de recherche en vue d’étudier le fonctionnement réel de l’économie depuis
le début de l’industrialisation en s’appuyant sur les données de la GrandeBretagne, la France, l’Allemagne et des États-Unis. Il prendra en compte
pour cela des données relatives aux prix, aux salaires, aux taux d’intérêt, aux
matières premières, et au commerce international qu’il vérifiera ensuite en les
rapprochant de séries sur la production et la consommation.
Il présente ses travaux en 1926 avant d’être écarté de ses fonctions en 1928.
Arrêté en juillet 1930, il sera fusillé en 1938. Ses observations le conduisaient
à prévoir une régénérescence naturelle du capitalisme, à travers des cycles, ce
qui était contraire aux vues officielles soviétiques de l’époque. Il remarque que
deux grands cycles complets, d’une durée à peu près équivalente, de l’ordre
d’une cinquantaine d’années, se sont succédés de la fin du x viii e à la fin du
xix e  siècle. Depuis les travaux de Kondratieff, un cycle et demi supplémentaire a
été observé ; ce qui crédibilise encore davantage les conclusions de l’économiste
russe, alors qu’en 1989 (chute du mur de Berlin) l’expérience du communisme
faisait définitivement faillite.
Selon Kondradieff, la longueur de ces cycles est liée à la durée de vie des
infrastructures au sens large du terme (transport, communication mais aussi
formation, etc). Ces grands cycles concernent tous les aspects de l’organisation
humaine : l’économie bien sûr mais aussi les règles de fonctionnement de nos
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sociétés capitalistes. À certains moments, des fractures se créent dans l’ordre
établi qui structure nos modes de vie, ce qui génère des évolutions sociétales.
Par ailleurs, ces cycles sont internationaux par nature et embrassent donc aussi
les aspects géopolitiques. Ils présentent un caractère endogène. Ils se sont
reproduits à des niveaux de développement et dans des contextes différents.
L’histoire se répète toujours mais d’une manière différente d’une génération
à l’autre ; ce qui confère d’ailleurs à la prévision économique ou boursière un
caractère uniquement probabiliste.
Kondratieff remarque plus précisément quatre
qui se répètent et qu’il baptise « lois empiriques ».
facteurs
fondamentaux
1.1 L
a première « loi » concerne les inventions : elles ont lieu
une vingtaine d’années avant qu’elles ne soient vraiment mises
en production à grande échelle
La naissance de nouvelles technologies modifie ainsi en profondeur notre
façon de vivre. Comme les investissements que nécessite leur développement
sont importants et doivent être rentabilisés, les lobbies de ces industries
puissantes participent à faire durer le mouvement. Les changements prennent
forme progressivement et s’imposent quand nécessité économique et moyens
financiers sont réunis, souvent après avoir poussé la logique précédente
au-delà de la limite acceptable. Plus que les inventions elles-mêmes, c’est
la démocratisation de ces technologies souvent à travers des inventions
« secondaires » qui bouleverse vraiment la donne.
Citons quelques inventions ou découvertes majeures qui ont marqué les quatre
cycles Kondratieff passés et anticipons sur le suivant :
•Cycle I (1783-1842) : Charbon, Machine à vapeur
James Watt invente le condensateur en 1769 et le système de bielle manivelle
en 1780, ce qui permettra de généraliser l’emploi de la machine à vapeur.
Par ailleurs, le premier métier à tisser mis au point par Cartwright en 1787 se
répandra en Angleterre dans les années 1830.
•Cycle II (1842-1896) : Sidérurgie, Chemin de fer
Les progrès dans le procédé de fonte grâce au coke, connu depuis 1709 mais
pas mis en pratique avant les années 1850-60 sont à l’origine de la révolution
technologique de ce cycle. Stephensen, lui, invente la locomotive dès 1813 et
la première ligne de chemin de fer, entre Manchester et Liverpool, voit le jour
en 1830.
•Cycle III (1896-1949) : Électricité, Automobile
Le premier transport d’électricité a lieu en 1883 grâce à M. Deprez, entre les
villes de Vizille et de Grenoble alors que l’ampoule électrique à filament est
l’œuvre d’Edison. Quant au moteur à explosion, sa mise au point fait suite aux
6
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conceptions de Beau de Rochas en 1862. La fabrication d’un premier modèle
par l’allemand Otto et sa miniaturisation par le français De Dion permettront à
C. Benz de fabriquer la première voiture à essence en 1886.
•Cycle IV (1949- ?) : Pétrole, Aéronautique
Rockfeller crée la Standard Oil of California en 1870 et Ford consacre le
moteur à essence en 1913 en lançant la Ford T ; les deux guerres mondiales
démontreront le rôle stratégique du pétrole qui est désormais au cœur de
nos économies. Quant à l’aéronautique, Santos-Dumont adapte le moteur
à explosion jusqu’ici utilisé dans l’automobile en 1906 ; les deux guerres
mondiales, là aussi, accéléreront son développement. L’aéronautique donnera
naissance à l’aérospatiale et dynamisera le développement de l’électronique.
•C ycle suivant : Internet, Nano et Biotechnologies, Robotique, voire Intelligence
Artificielle
En 1965, Gordon Moore, cofondateur d’Intel, leader mondial des semiconducteurs, prévoit que le nombre de transistors contenus dans un circuit
intégré (puce électronique), doublera environ tous les deux ans, prédiction
connue sous le nom de loi de Moore. Elle s’est révélée être incroyablement
exacte. Cette avancée technologique phénoménale a permis de booster les
capacités de stockage d’informations des ordinateurs, leur rapidité, et ouvert
de nouvelles perspectives.
Dès 1962, Paul Baran propose un système de communication décentralisé,
en réseau, pour répondre aux exigences de sécurité nationale américaine en
matière de communication. Cette idée ne sera transformée qu’en 1969 par la
SSII américaine Bolt Beranek and Newman Inc qui inventera aussi le courrier
électronique en 1971. En 1989, le britannique Berners-Lee invente le Web qui
permettra au boom internet de prendre forme surtout à partir de 1995. Internet
a bien sûr déjà commencé à transformer nos échanges de biens et services.
Mais cela ne fait que commencer.
Les nano et biotechnologies sont encore bien plus balbutiantes mais devraient
aussi contribuer à transformer notre société. La miniaturisation informatique a
permis à deux chercheurs d’IBM (Gerd Binnig et Heinrich Rohrer) de mettre au
point en 1981 un microscope à effet tunnel, beaucoup plus puissant que les
microscopes habituels, qui permet de travailler à l’échelle du nanomètre. Il est
donc devenu possible de travailler la matière à l’échelle atomique, moléculaire
ou macromoléculaire, dont les propriétés sont très différentes de ce qu’on
connaît à l’échelle macro. Dans le prolongement de l’ère du charbon puis du
pétrole, les nanotubes de carbone sont parmi les premières de ces particules à
être travaillées. Cela ouvre un champ des possibles considérable.
L’industrie textile (imperméabilité, isolation), celle des cosmétiques (crèmes
solaires) s’y sont engouffrées rapidement. Les nanoparticules permettront
d’accroître aussi l’efficience énergétique, en améliorant l’isolation ou encore en
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démultipliant les capacités des cellules photovoltaïques. Les LEDs, issus des
nanoparticules, présents tout d’abord dans nos feux rouges et les feux stop
de nos véhicules, ont fini par éclairer nos logements. La porosité de certains
de ces matériaux permet aussi d’entrevoir des améliorations dans le stockage
de l’hydrogène, ce qui pourrait relancer la pile à combustion et apporter des
solutions pour la voiture propre de demain.
L’industrie pharmaceutique, qui a pratiquement épuisé les propriétés de la
pétrochimie, y voit un champ très important de développement. Le séquençage
du génome humain ouvre par ailleurs un autre domaine d’exploration
considérable à la médecine qui est en train de se réinventer. À l’avenir, on
ne traitera plus les maladies, mais les malades. Le coût de séquençage d’un
génome humain s’est effondré depuis le début des années 2000 ; Estimé à
95 millions de dollars en 2001, il est aujourd’hui proche des 5 000 dollars, ce
qui rend cette technologie de plus en plus accessible.
Enfin, la robotique profite aussi de la miniaturisation. Les robots sont
désormais capables de rendre des services même dans la vie quotidienne des
consommateurs. Il faut s’attendre à ce que cette technologie bouleverse nos
modes de vie et de production.
Pour aller encore un cran plus loin, l’intelligence artificielle est également
amenée à faire des progrès considérables. À cet égard, Ray Kurzweil montre
que les circuits intégrés, dont l’évolution a été décrite par Gordon Moore de
manière prémonitoire, font partie d’un processus enclenché depuis la fin du
xix e siècle qui vise à améliorer la puissance de calcul : l’électromécanique vers
1900, puis les solid state relay (fin des années 1930 jusqu’à la fin de la seconde
guerre mondiale), les Vacuum tube (de la seconde guerre mondiale à la fin
des années 1950), les transistors (jusqu’au début des années 1970) et enfin
les circuits intégrés, qui combinent ces transistors. Si la rapidité des progrès
des vingt dernières années est amenée à se poursuivre au cours des vingt
prochaines, la combinaison de l’électronique, des nano et bio technologies
laisse entrevoir de gigantesques améliorations tant dans le domaine médical
qu’en matière de robotique, si bien qu’on pourrait en effet parler d’intelligence
artificielle ; certaines déficiences du cerveau notamment dues au vieillissement
pourraient par exemple être traitées (Alzheimer, l’audition, la vue, etc.) et alors
que la population vieillit, la robotique pourrait même prendre le relais pour
doper notre productivité.
Ce ne sont bien sûr que quelques exemples. Mais ils autorisent à penser
que comme lors des quatre grands cycles précédents, ces inventions sont
de nature à bouleverser notre façon de vivre. Leur développement à grande
échelle s’organisera autour d’un nouveau cycle long.
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Amundi Discussion Papers Series - DP-10-2015
1.2 L a seconde « loi » concerne les mouvements sociaux,
les révolutions et les guerres : leur fréquence augmente
à l’extrémité des cycles
Les guerres peuvent parfois être stimulantes pour les économies quand elles
ne se déroulent pas sur le territoire national ; leur préparation par exemple
relance l’industrie. Mais dans tous les cas, elles dénaturent l’économie et il
faut une récession post-guerre pour purger les effets artificiels. Cela montre
que renverser un ordre et une direction établis depuis des décennies au niveau
international nécessite un ou plusieurs puissants catalyseurs, que cela prend
du temps et ne se fait pas sans tension.
Les conflits de hauts de cycles longs prolongent les phases d’expansion et sont
de nature hégémonique :
•G uerres napoléoniennes en 1803-1815 (blocus continental anglais à partir
de 1806), guerre anglo-américaine de 1812,
•
G uerre de Crimée 1854-1856, guerre civile aux États-Unis en 1861-65,
Expéditions mexicaines (1864), bataille de Sadowa Prusse-Autriche (1866),
guerre franco-allemande en 1870,
•Guerres des Balkans 1912-1913, première guerre mondiale en 1914-1918,
•Guerre du Vietnam 1964-1975, mouvements sociaux de mai 1968,
Quant aux conflits de bas de cycles, ils correspondent plus à un recentrage des
États sur eux-mêmes et présentent un caractère religieux ou ethnique plus fort :
•Guerre d’indépendance américaine (1776-81), révolution française en 1789,
•Mouvement révolutionnaire généralisé sur le continent européen en 1848,
•A ssassinat du Tsar progressiste Alexandre II (1881), guerre sino-japonaise
(1895), guerre gréco-turque pour la Crète (1897), guerre américanoespagnole (1898), guerres anglo-boer (1880-1881 puis 1899 – 1902), guerre
russo-japonaise (1904-1905),
•Guerre civile en Espagne, seconde guerre mondiale 1939-1945
•G uerre contre Al-Qaïda (Afghanistan, Irak) à partir du 11 septembre 2001,
conflits suite à l’implosion de l’URSS (Tchétchénie 1999-2000, Géorgie
2008, Biélorussie 2009-2010, Ukraine 2014-2015), le printemps arabe en
2011 (Tunisie, Égypte, Libye, Yémen), guerre civile en Syrie depuis 2011.
1.3 L a troisième « loi » se rapporte à l’imbrication
des cycles longs et courts
Pendant la phase ascendante du cycle long, les cycles courts présentent une
phase d’expansion plus longue que la correction qui suit. Le contraire se produit
pendant la phase descendante du cycle long.
Amundi Discussion Papers Series - DP-10-2015
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En effet, chaque cycle long intègre plusieurs cycles courts et leur confère un ordre
logique. Il ne s’agit pas de tomber dans du déterminisme mais d’admettre que
chaque cycle a une influence sur le suivant. D’un côté, les phases de récessions
majeures sont régénératrices à terme. De l’autre, la croissance ne peut pas être
exponentielle. On comprend aussi que les inversions de tendance des cycles longs
sont logiquement plus compliquées car il faut inverser la logique qui a prévalu
pendant une ou deux décennies.
On peut donc décomposer les cycles longs en quatre phases qu’on va expliciter
dans les pages suivantes : une phase ascendante, une phase plus complexe de
retournement à la baisse, puis une phase descendante, et enfin une autre phase
plus complexe de retournement à la hausse.
1.4 L a quatrième « loi » a trait à la déflation des prix agricoles
pendant les phases descendantes
La dépression agricole amplifie la dépression industrielle. Cette caractéristique
pourrait paraître désuète dans nos économies développées. Mais il faut considérer
que dans les économies en développement, en Inde par exemple, la majorité de
la population vit encore de l’agriculture ; l’inflation reste très impactée par les prix
agricoles dans ces pays et les gouvernements en tiennent compte dans leurs
politiques économiques, ne serait-ce que pour limiter les mouvements sociaux.
II. Décomposition de ces grands cycles
en quatre phases : l’exemple américain
De nombreux observateurs ont pris le relais de Kondratieff en s’appuyant sur ses
travaux dont certains furent publiés en allemand en 1926. En 1939, l’économiste
autrichien Schumpeter, réfugié aux États-Unis, publia « Business Cycles », une
analyse extrêmement complète des cycles depuis la révolution industrielle.
Après la crise de 1973 qui mit en évidence que les grands cycles découverts par
Kondratieff et révélés par Schumpeter au début du xx e siècle étaient une réalité
aussi pour ce siècle, d’autres observateurs s’intéressèrent à nouveau aux cycles
longs de façon encore plus précise. Comme mentionné ci-dessus, on décomposa
alors ces grands cycles en quatre phases qui durent chacune de dix à vingt ans
et qu’on baptise souvent du nom des saisons : printemps, été, automne, hiver.
Ces « saisons » intègrent elles-mêmes chacune plusieurs cycles courts où se
succèdent croissance et ralentissement, voire récession.
2.1 Observations des cycles longs sur des données financières
Au niveau des actifs, ce découpage est particulièrement lisible sur le marché
américain. On voit clairement que les taux longs, qui reflètent l’inflation, établissent
un pic au cours de chaque grand cycle. Ils montent dans les deux premières
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phases, puis baissent dans les deux suivantes. Quant au marché des actions, il
alterne les phases de hausse et de baisse. Il monte dans la première phase, se
replie dans la deuxième et ainsi de suite (voir schéma ci-dessous).
1 - Le principe
PRINTEMPS
ÉTÉ
AUTOMNE
HIVER
Taux
d'Intérêt
Actions
Source : Recherche Amundi
Les graphiques qui suivent (pages 12 et 13) présentent les cours des actions de
6 manières différentes : en nominal, déflatés des prix à la consommation, des
obligations d’État, de l’immobilier, des cours de l’or et enfin du prix des matières
premières industrielles. Les points de passage d’un cycle à l’autre sont très
cohérents. Chaque approche apporte un éclairage un peu différent pour aider à
valider le changement de « saison » le moment venu.
En nominal par exemple, les actions américaines établissent actuellement de
nouveaux plus hauts, ce qui suggère que la phase printanière aurait déjà commencé
aux États-Unis. Mais, une fois déflatées des prix à la consommation ou du prix des
obligations d’État, ce ne serait pas encore le cas. Enfin, déflatées des prix de
l’immobilier, des cours de l’or ou de ceux des matières premières industrielles,
autrement dit du prix des actifs réels, il resterait encore plus de chemin à parcourir
pour casser les plus hauts, ce qui peut nécessiter plusieurs vagues de hausse et
de baisse pour y parvenir.
Le ratio des cours des matières premières industrielles sur celui des obligations
(voir graphique n°7) apporte un complément d’analyse particulièrement riche
d’enseignement. Ainsi, en hiver, les obligations (inverse du rendement obligataire)
surperforment les matières premières industrielles (le ratio monte) et celles-ci
surperforment les actions hors dividende, ou au moins font jeu égal. En revanche,
au printemps, les actions surperforment cette fois les matières premières qui
surperforment quant à elles les obligations (le ratio baisse), ce qui n’est pas encore
le cas. Selon cette dernière approche, et malgré les apparences en nominal, le
marché américain serait donc encore dans sa phase hivernale.
Amundi Discussion Papers Series - DP-10-2015
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Marchés d’actions et taux d’intérêt à long terme américains
n°4
2- Actions et taux d'intérêt à long terme
S&P500
(100:1978, log)
III
II
IV
16
14
625
12
125
10
25
6
8
4
5
1
2
1800
1814
35 1842 52
66 73
1896 07
20 29
1949
66
81
2000
Taux longs (en %)
I
3125
0
n°5
3- Actions / Prix à la consommation et taux d'intérêt à long terme
II
III
IV
16
(100:1900, log)
S&P500 réel
14
12
250
10
8
6
50
4
2
10
1800
1814
35 1842 52
66 73
1896 07
20 29
1949
66
81
2000
Taux longs (en %)
I
1250
0
n°6
I
3125
II
III
IV
16
14
625
12
10
125
8
25
6
4
5
1
2
1800
1814
35 1842 52
66 73
1896 07
20 29
1949
66
81
2000
Taux longs (en %)
(échelle log)
S&P500 / Obligations
4- Actions / Obligations (RI) et taux d'intérêt à long terme
0
Source : Shiller, GFD, Kondratieff, Recherche Amundi
Ces 3 graphiques représentent l’évolution des taux longs et des actions pendant
les cycles longs. Les actions sont présentées de 3 manières différentes : en
nominal (graphique n°2), déflatées des prix à la consommation (graphique n°3)
puis des cours des obligations d’État (graphique n°4). Les taux longs montent
pendant les 2 premières phases (printemps, été) de chaque cycle long (noté I, II,
III, IV), puis baissent lors des 2 phases suivantes (automne et hiver). Les actions
alternent les phases de hausse (printemps, automne) et de baisse (été, hiver).
12
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Marchés d’actions et taux d’intérêt à long terme américains
n°7
5- Actions / Immobilier et taux d'intérêt à long terme
I
II
III
IV
16
14
12
8
(échelle log)
Taux longs (en %)
S&P500 / immobilier
16
10
4
8
2
4
6
2
1
1800
1814
35 1842 52
66 73
1896 07
20 29
1949
66
81
2000
0
n°8
6- Actions / Or et taux d'intérêt à long terme américains
I
II
IV
III
16
Taux longs (en %)
14
12
(en US$, log)
S&P500 / Or
4.0
10
1.0
8
6
0.3
4
2
0.1
1800
1814
35 1842 52
66 73
1896 07
20 29
1949
66
81
2000
0
n°9
I
III
II
IV
6.3
S&P 500 /
Mat.Premières
Industrielles
64
32
1.3
16
0.3
8
4
0.1
0.0
2
1800
1814
35 1842 52
66 73
1896 07
20 29
1949
66
81
2000
Mat. Prem. Industrielles
/ Obligations
7- Actions / Mat. Premières Industrielles et Mat. Prem. Indus. / Obligations
1
Source : Shiller, GFD, Kondratieff, CRB, Recherche Amundi
Dans cette série de 3 graphiques, les actions sont déflatées par des prix d’actifs
réels ; par les prix immobiliers (graphique n°5), l’or en dollar (graphique n°6),
puis les matières premières industrielles (graphique n°7). Ce dernier graphique
présente aussi les matières premières industrielles rapportées aux obligations
d’État. On en déduit notamment qu’en hiver, les matières premières surperforment
les actions (hors dividende) et que les actions reprennent le dessus au printemps.
De même, les matières premières sous-performent les obligations (coupon non
réinvesti) en hiver et les surperforment au printemps.
Amundi Discussion Papers Series - DP-10-2015
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Les matières premières industrielles répondent à la loi de l’offre et de la demande
et apportent un éclairage structurant car leur évolution est liée à la croissance
économique de façon plus pure que les actions. De leur côté les obligations d’État
reflètent notamment les anticipations d’inflation.
Enfin, comme on peut considérer que le rendement des actions et de l’immobilier est
équivalent sur longue période, le ratio des actions sur l’immobilier (hors rendement)
est aussi très instructif (voir graphique n°5).
Le ratio épouse incroyablement bien les saisons économiques. Ce qui signifie que si
on doit choisir entre ces deux actifs, les plus performants à très long terme, mieux
vaut encore privilégier l’immobilier en été et en hiver, malgré les forts décalages des
cours observés sur ces deux saisons, et les actions au printemps et en automne.
À ce sujet, Reinhart et Rogoff (2010) font remarquer que lors des crises bancaires, si les
baisses de prix immobiliers sont de l’ordre de -35 % en moyenne sur 6 ans, tous pays
confondus, elles sont de -56 % en moyenne sur les actions en 3 ans et demi. Elles sont
donc plus brutales sur les actions et plus longues sur l’immobilier, mais quand même
beaucoup moins que la durée moyenne d’une saison économique (17 ans).
Dans le cadre d’un placement locatif, il faut bien sûr tenir compte des loyers ; le
rendement compense en effet une partie de la baisse des prix annuelle. Il faut aussi
tenir compte du taux d’emprunt. Or, ces périodes d’été et d’hiver sont propices à des
taux réels en baisse, voire négatifs (plutôt au début de l’été et vers la fin de l’hiver),
ce qui améliore le TRI (Taux de Rentabilité Interne) de l’opération. Mais l’investisseur
doit être prêt à tenir ses positions, une fois l’opération réalisée, car elles seront moins
liquides pendant ces saisons délicates.
Pour conclure l’observation des données financières, les graphiques suivants font
ressortir la performance annuelle moyenne des actifs corrigée de l’inflation, incluant
cette fois-ci le rendement réinvesti, et par saison économique sur les quatre cycles
longs puis les deux derniers, sur lesquels on dispose de plus de données. Nous
allons commenter ces performances dans la section suivante.
Rentabilités réelles des principaux actifs
pendant les saisons des cycles longs pour un investisseur en USD
8- Rentabilités réelles pendant les cycles I, II, III, IV (moyennes annuelles)
20%
Printemps
Été
Automne
Hiver
15%
10%
5%
0%
-5%
Actions
Obligations
Or
Source: Shiller, GFD, Kondratieff, Homer & Sylla, Datastream, Recherche Amundi
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Amundi Discussion Papers Series - DP-10-2015
n°2
Rentabilités réelles des principaux actifs
pendant les saisons des cycles longs pour un investisseur en USD
n°3
9- Rentabilités réelles pendant les cycles III, IV (moyennes annuelles)
Printemps
20%
Été
Automne
Hiver
15%
10%
5%
0%
-5%
Actions
Oblig. d'entreprises
Oblig. d'Etat
Monétaire
Or
Immobilier
Source: Shiller, GFD, Kondratieff, Homer & Sylla, Moody's, Fed, Datastream, Recherche Amundi
Les couleurs représentent les saisons économiques. Les rentabilités sont
présentées corrigées de l’inflation et en « total return » (dividendes réinvestis). Les
obligations d’État et d’entreprises sont supposées avoir une duration constante,
en l’occurrence de 7 et 5 respectivement. Le rendement immobilier est supposé
stable et équivalent à deux tiers de celui des actions (on estime que les charges
représentent un tiers du loyer) et réinvesti. Ne retenir que les cycles III et IV
(second graphique) permet de disposer de plus d’actifs pour notre comparaison.
2.2 Ces « saisons » correspondent aussi à une réalité économique
Cette réalité économique a été mise en évidence notamment par le canadien Ian
Gordon (1998), une des références planétaires pour la lecture des cycles longs.
Le printemps économique (1842-1852/1896-1907/1949-1966) est une période
de croissance durable et sans excès inflationniste
La capacité productive de l’économie est obsolète et nécessite de nouveaux
investissements. Les taux d’intérêt et les salaires sont au plus bas. Les banques
qui ont survécu ont des liquidités suffisantes. La confiance des acteurs part
d’un niveau très bas et remonte au fur et à mesure que la reconstruction et
l’emploi se mettent en place. Les innovations majeures développées depuis la
fin de l’automne économique et durant l’hiver qui précède se déclinent à travers
d’autres innovations plus secondaires qui visent à satisfaire une demande de
plus en plus vive. Les profits réels reprennent le chemin de la hausse et une
spirale vertueuse se met en place. Au niveau des valeurs, le réalisme, le progrès
et le libéralisme l’emportent. D’anciennes colonies accèdent à l’indépendance.
C’est le cas par exemple de l’Australie en 1901, de l’Inde et du Pakistan en 1947
et d’une bonne partie de l’Afrique dans les années 1950-1960.
Amundi Discussion Papers Series - DP-10-2015
15
Cette période est surtout favorable aux actions. L’immobilier résidentiel résiste
mais se fait quand même distancer. Les obligations souffrent de la hausse
des taux d’intérêt et des rendements assez bas. Les placements monétaires
résistent mieux mais ne sont pas non plus très attractifs. L’or baisse
systématiquement.
L’été économique (1852-1866/1907-1920/1966-1982) est une période d’excès
qui marque le point haut de l’inflation.
Les capacités productives ont été reconstruites. Bien qu’elles tournent à
plein régime, elles ne suffisent pas et les salaires augmentent plus vite que
les gains de productivité. La spirale vertueuse se mue en spirale prix-salaires
vicieuse. La rentabilité des sociétés souffre de la hausse des salaires, du prix
des matières premières et du coût de la dette. L’emballement des prix est la
principale caractéristique économique de cette saison, qui se termine par une
récession majeure qui vient casser cette spirale (récession de juillet 1981 à
novembre 1982 lors du dernier grand cycle aux États-Unis).
Cette période est défavorable aux actions, dont la performance apparente
est gommée par une inflation galopante. Les obligations baissent également
parallèlement à la hausse des taux. En revanche, les placements monétaires
sont de plus en plus attractifs. En effet les banques centrales sont amenées à
monter les taux courts à des niveaux très élevés, supérieurs à l’inflation, alors
que la stabilité financière est mise à mal. Mais c’est avant tout l’or qui sert de
refuge, ainsi que l’immobilier. Cette période est aussi potentiellement propice
aux obligations indexées sur l’inflation.
L’automne économique (1814-1835/1866-1873/1920-1929/1982-2000) profite
du vaste mouvement de désinflation et de la poursuite de la montée de
l’endettement. Elle prend fin avec un krach majeur et international.
Suite à la récession majeure qui est parvenue à casser la spirale inflationniste
à la fin de l’été, la banque centrale desserre l’étau des liquidités. Ces liquidités
ne vont pas s’investir dans des capacités de production devenues pléthoriques
suite à la vague de surinvestissement des dernières années, d’autant que les
taux d’intérêt sont élevés. En revanche, les ménages et les sociétés reconstituent
l’épargne détruite pendant l’été. L’emploi, les hausses de salaires et de prix
diminuent donc progressivement. La hausse des prix des actifs fait naître
l’illusion d’un nouveau monde selon l’adage « cette fois-ci c’est différent ! ».
On parle de nouveau « paradigme ». C’est la « nouvelle économie » de la fin
des années 1990 qui a posteriori rappelle étrangement les « années folles »
de la décennie 1920. Au niveau des valeurs, on note un retour aux valeurs
domestiques (Reagan, Thatcher).
Cette période est la plus favorable à la fois aux actions et aux obligations,
grâce à la baisse des taux. Les obligations d’entreprises un peu plus risquées
(notées BAA par exemple) font mieux que les emprunts d’État. Le monétaire
16
Amundi Discussion Papers Series - DP-10-2015
ferme la marche des produits à taux fixes. L’immobilier fait à peine mieux que
le monétaire et sous-performe globalement les placements financiers. Cette
période est particulièrement défavorable aux matières premières en général
et notamment à l’or. Cependant, après une euphorie boursière, l’Automne se
conclut par un krach majeur que rien ne semble pouvoir arrêter.
L’hiver économique (1835-1842/1873-1896/1929-1949/2000- ?) est marqué
par un point bas majeur de l’inflation et une purge de l’endettement.
Cette nouvelle période qui s’ouvre est celle où les pendules sont remises à
l’heure, celle de la destruction créatrice. C’est le temps de la liquidation des
dettes. La concurrence est très forte. Le protectionnisme l’emporte. Les
dévaluations compétitives ont tendance à entraver les échanges internationaux
et donc la croissance. Les investissements visent à la rationalisation et les
entreprises fusionnent pour mieux résister à la concurrence. Les entreprises
marginales font faillite. Cette période favorise l’émergence économique de
nouveaux pays ou leur entrée sur la scène internationale. Citons le décollage
des États-Unis, de l’Allemagne et du Japon à partir des années 1870 et celui
notamment de la Chine dans les années 2000.
L’or, ultime refuge, fait à nouveau mieux que les actions. Les obligations d’État
se comportent bien, surtout rapportées au risque (la volatilité). Les obligations
d’entreprise de bonne, voire de moyenne qualité (medium grade BAA sur les
données de Moody’s) battent les obligations d’État et surtout le monétaire. Les
obligations à risque plus élevé (speculative grade) passent par une phase de
stress intense, avec des taux de défaut proche des 11 % en 1932 par exemple.
Face à la déflation, les placements monétaires redeviennent temporairement
attractifs, tant qu’ils sont sur des supports de qualité qui ne risquent pas d’être
emportés par des faillites bancaires. Mais dans un second temps, les taux courts
sont durablement portés à leur niveau le plus bas ce qui leur fait perdre en
attractivité. Bien que chahuté (krach), l’immobilier résidentiel finit par se reprendre
et son rendement lui permet de faire relativement bonne figure en moyenne sur
la période.
2.3 Précisions sur les taux réels, l’inflation, l’endettement et la valorisation
des actions
Nous avons avancé l’idée que bien que le marché américain des actions soit
au plus haut en nominal, il est probable que la période hivernale que nous
venons de décrire ne soit pas finie pour autant. Observons alors de plus près
le passage de l’hiver au printemps sur d’autres paramètres clés à l’aide de la
série de graphiques p. 19.
•Taux longs et inflation
Le premier graphique (n°10) représente les taux longs et la moyenne des prix à
la consommation à 5 ans, proxy des anticipations d’inflation. On constate que
Amundi Discussion Papers Series - DP-10-2015
17
la transition de l’hiver au printemps coïncide avec le retournement à la hausse
de l’inflation lors du passage des cycles I à II et II à III. Le retournement des
anticipations d’inflation a en effet tendance à dynamiser l’activité ; il n’est plus
justifié d’attendre que les prix baissent pour consommer. D’ailleurs, en 1896,
Charles Gide, un économiste français très en vue pendant cette période de
« longue stagnation » de l’économie appelait à un retour de l’inflation car selon
lui « la hausse des prix est une sorte de printemps économique ».
Lors du passage au cycle IV, le même mécanisme était en place en 1942 avant
que la seconde guerre mondiale ne déclenche une très forte inflation et ne
décale l’arrivée du printemps. Hormis cette période exceptionnelle, on constate
que les phases de très forte inflation ont bien eu lieu en été lors des quatre
grands cycles, comme décrit précédemment.
Si la seconde guerre mondiale a généré une inflation exceptionnelle des prix des
biens à la fin de l’hiver III, on peut considérer que l’action de la Fed, institution
qui a gagné en maturité depuis la seconde guerre mondiale, est cette fois-ci
en train de favoriser une inflation exceptionnelle du prix des actifs, notamment
des placements à revenus fixes mais aussi des actions en nominal, à la fin de
l’hiver IV.
•Taux réels et endettement de l’État
Le second graphique (n°11) met en perspective taux longs réels et dette publique
rapportée au PIB. Lors des trois grands cycles précédents, la dette de l’État
rapportée au PIB a marqué un sommet lors de la transition vers le printemps,
phase de croissance économique prolongée. Par ailleurs, on constate un lien
assez fort entre les mouvements sur la dette publique et ceux des taux réels,
qui eux-mêmes dépendent fortement des variations de l’inflation ; avant les
années 1950, l’inflation était en effet beaucoup plus volatile que les taux (voir
aussi le graphique précédent).
Cette fois-ci, les taux réels ont baissé mais une envolée de l’inflation des prix
est peu probable à court terme ; le niveau des taux réels ne tombera donc pas
aussi bas que cela a été le cas par le passé. On peut cependant considérer que,
d’une certaine manière, le Quantitative Easing de la Fed a servi de prolongation
à la baisse des taux. Quant à la dette de l’État, elle a augmenté cet hiver (cycle
IV) comme dans les années 1930 (cycle III). Une baisse de l’endettement du
secteur public rapporté au PIB serait donc maintenant un signe encourageant
pour confirmer l’arrivée du printemps.
•Endettement de l’État et endettement du secteur privé
Le troisième graphique (n°12) fait référence à la dette totale des États-Unis, qui
se décompose en dette publique et privée sur un historique plus court qui
remonte tout de même à 1916. On distingue bien que le niveau global de
l’endettement est monté d’un cran lors du cycle IV par rapport au cycle III, ce
qui est le fruit de la financiarisation de l’économie. L’autre fait marquant est le
18
Amundi Discussion Papers Series - DP-10-2015
Taux réels, inflation et endettement
n°10
I
16
II
IV
III
16
12
12
8
8
4
4
0
0
-4
-4
-8
1800
1814
35 1842 52
66 73
1896 07
20 29
1949
66
81
2000
Taux longs (en %)
(moyenne 5 ans, en %)
Prix à la consommation
10- Inflation et Taux d'intérêt à long terme
-8
n°11
11- Dette publique et taux d'intérêt à long terme
II
IV
III
15
10
100
(% du PIB)
Dette publique
120
5
80
0
60
-5
40
-10
20
0
1800
1814
35 1842 52
66 73
1896 07
20 29
1949
66
81
2000
-15
Taux longs réels (en %)
I
140
n°12
12- Dette totale (barres), publique et privée (courbes)
III
II
IV
Dette publique et privée
I
400
(courbes, en % PIB)
Dette totale
(barres, % du PIB)
350
300
250
200
150
100
50
0
1800
1814
35 1842 52
66 73
1896 07
20 29
1949
66
81
2000
Source : Shiller, GFD, Fed, US Bureau of Census,www.usgovernmentdebt.us, Recherche Amundi
Ces graphiques mettent en perspective taux longs et inflation, taux réels et dette
publique rapportée au PIB et enfin dette publique et privée. Les transitions de l’hiver
au printemps correspondent à un renversement des anticipations d’inflation à la
hausse lors des deux premiers cycles. La seconde guerre mondiale a changé la
donne et provoqué une inflation exceptionnelle des prix à la consommation à la fin
du cycle III. Cette fois-ci (fin du cycle IV), la Fed pourrait avoir provoqué une inflation
exceptionnelle du prix des actifs. Enfin, le passage au printemps coïncide avec un
retournement à la baisse durable de l’endettement public alors que l’endettement
privé prend le relais.
Amundi Discussion Papers Series - DP-10-2015
19
chassé-croisé entre endettement public et privé. Pour sortir de la crise des
années 1930, l’État augmente son niveau d’endettement en relais du secteur
privé qui a commencé à se désendetter dès l’entrée en crise. On constate le
même phénomène lors du cycle IV à partir de 2007.
Une reprise de l’endettement du secteur privé par rapport au PIB signalerait
que l’épargne quitte le chemin du désendettement pour rejoindre celui de
l’investissement, ce qui serait là aussi positif.
• Marché des actions, profits et valorisation ajustée du cycle
Le marché des actions (voir graphique n°13, page 22) est présenté ici en données
réelles (déflatées des prix à la consommation) et dividendes réinvestis. Il progresse
surtout au printemps et à l’automne et consolide cette progression pendant l’été
et l’hiver. Le réinvestissement des dividendes permet de lisser la performance
dans le temps, surtout dans les périodes difficiles. Le fait de racheter les actions
quand elles baissent permet d’abaisser le prix d’achat moyen. À la fin du xix e siècle
le réinvestissement du dividende a même permis aux actions de battre l’inflation
pendant l’hiver. Dividendes réinvestis, le passage de l’hiver au printemps s’est fait
en douceur ; un cas de figure intéressant à suivre pour la période actuelle dans
le cas américain.
Les profits des sociétés (voir graphique n°14) alternent les mêmes phases de
hausse et de baisse en décrivant des cycles courts au sein des cycles longs.
L’extrémité des mouvements du PER ajusté du cycle (voir graphique n°15)
correspond, elle, assez bien aux changements de saison du cycle long. Il convient
donc de commencer à être plus prudent quand le PER passe au-dessus des 20X
au printemps ou à l’automne. Au contraire, s’il passe en dessous de 10X en été ou
en hiver, il s’agit d’une formidable occasion d’achat pour le long terme.
Remarquons que le niveau du PER ajusté du cycle est aujourd’hui très élevé pour
une période hivernale et peut paraître exagéré, d’autant que le niveau des profits
est lui aussi historiquement élevé. La bonne profitabilité des sociétés relève
d’ailleurs pour l’instant davantage d’une maîtrise des coûts que d’un recours à
l’endettement et à l’investissement, ce qui est typique des périodes hivernales.
Cela laisse penser que du fait du QE de la Fed, le marché des actions américain
aurait anticipé sur le printemps en termes de performance et donc entamé son
potentiel. Soit ce potentiel se reconstituera lors de la prochaine récession, ce qui
peut impliquer une correction assez forte du marché. Soit au contraire le passage
au printemps pourrait en effet se faire en douceur comme à la fin du xix e siècle,
avec un printemps en revanche un peu moins généreux que la moyenne pour les
actions.
• Mesures de valorisation complémentaires des actions
D’autres mesures de valorisation font référence à l’activité économique. Elles
donnent le même type de renseignement que le PER ajusté du cycle. Il s’agit
20
Amundi Discussion Papers Series - DP-10-2015
du Q de Tobin (voir graphique n°16, page 23) qui consiste à comparer la valeur
boursière à la valeur de remplacement du capital fixe. Idem pour la capitalisation
boursière des entreprises non financières rapportée au PIB (voir graphique n°17).
La prime de risque (calculée ici comme [1/PER- (taux d’emprunt d’État à 10 ansmoyenne à 5 ans de l’inflation)]) est la seule métrique de valorisation qui reste
favorable au cas des actions américaines. Plus elle est basse, plus le marché
est cher par rapport au niveau des taux d’intérêt ; et inversement, plus elle est
élevée et plus le marché est attractif par rapport aux taux. Proche de sa moyenne
historique, elle n’indique pas de surévaluation par rapport au niveau des taux qui
eux sont historiquement bas.
Amundi Discussion Papers Series - DP-10-2015
21
Marché des actions, profits et valorisation
13- Indice S&P50 en données réelles et dividendes réinvestis
II
III
IV
10000
S&P500
(échelle log)
100000
1000
100
10
1
tendance
1881
1896
1907
1920
1929
1949
1966
1981
2000
n°14
14- Profits en données réelles du S&P500
II
Profits
(échelle log)
96
III
IV
48
24
12
6
3
tendance
1881
1896
1907
1920
1929
1949
1966
1981
2000
n°15
15- PER ajusté du cycle du S&P500
PER Ajusté du cycle
80
II
III
IV
40
20
10
5
3
--- moyenne + ou - 1 écart-type
1881
1896
1907
1920
1929
1949
1966
1981
2000
Source : Shiller, Recherche Amundi
La performance du marché des actions en données réelles et dividendes
réinvestis progresse autour d’une tendance de +6,5 % par an en marquant
des phases plus faibles en été et en hiver et plus fortes au printemps et en
automne. Le réinvestissement du dividende permet de lisser la performance.
Les profits progressent surtout au printemps et à l’automne. Ils décrivent des
cycles courts au sein des cycles longs. Le PER ajusté du cycle épouse assez
bien les retournements de saison.
22
n°13
Amundi Discussion Papers Series - DP-10-2015
Marché d’actions : autres approches de valorisation
n°1
16- Q de Tobin
III
1.4
IV
Q de Tobin
1.2
1.0
0.8
0.6
0.4
0.2
0.0
--- moyenne + ou - 1 écart-type
1896
07
20
29
1949
66
81
2000
n°1
Capitalisation / PIB
17- Capitalisation boursière ex financières / PIB nominal
1.8
1.6
1.4
1.2
1.0
0.8
0.6
0.4
0.2
0.0
III
IV
--- moyenne + ou - 1 écart-type
1896
07
20
29
1949
66
81
2000
n°1
18- Prime de risque des actions
III
Prime de Risque
25
IV
20
15
10
5
0
-5
-10
--- moyenne + ou - 1 écart-type
1896
07
20
29
1949
66
81
2000
Source : Shiller, S&P, Fed, Datastream, Recherche Amundi
Les niveaux du Q de Tobin et de la capitalisation rapportée au PIB sont élevés,
comme le PER ajusté du cycle. Seule la prime de risque est actuellement proche
de sa moyenne historique. L’absence d’inflation, le bas niveau des taux d’intérêt
et la crédibilité de la Fed expliquent ce phénomène.
Amundi Discussion Papers Series - DP-10-2015
23
III. Les grands cycles au niveau international
Notre ambition est de mettre en évidence un cas reproductible pour nous servir
de guide de lecture des marchés. À cet égard, le marché américain auquel
nous avons fait référence jusqu’ici est exemplaire, mais il faut souligner que cette
logique n’est pas seulement américaine. En effet, on la retrouve dans beaucoup
d’autres pays.
3.1 Nous avons étudié une dizaine de pays qui à la base présentent
des caractéristiques très différentes
Trois pays majeurs qui se lancent les premiers dans l’industrialisation :
Royaume-Uni
L’historique le plus long. Pays leader des deux premiers cycles d’industrialisation.
Empire colonial. Gagnant des deux guerres mondiales qui ne se sont pas déroulées
sur son sol.
États-Unis
L’historique de la meilleure qualité, le plus documenté. Pays leader des deux
derniers cycles longs. Vainqueur des deux guerres mondiales qui n’ont pas eu lieu
sur son territoire. Puissance impériale.
France
Du côté des vainqueurs des deux guerres mondiales mais elles ont eu lieu sur son
sol. Pays longtemps le plus peuplé d’Europe. La France a connu des destructions
massives de population pendant les deux guerres mondiales. Empire colonial.
Trois pays qui arrivent sur la scène internationale pendant l’hiver économique de
la fin du xix e  siècle :
Allemagne
Vraiment unifiée en 1871 après sa victoire sur la France. Perd les deux guerres
mondiales avec des destructions massives. Hyperinflation. Amputée de ses colonies.
Japon
Règne de l’empereur Meiji et début d’industrialisation en 1867. Gagnant de la
première guerre mondiale et perdant de la seconde. Support pour les États-Unis
dans la guerre du Vietnam (1964-1975).
Italie
Unifié en 1861. Du côté des gagnants de la première guerre mondiale et des
perdants de la seconde.
Deux anciennes colonies britanniques qui ont longtemps fait partie de la zone
Sterling :
24
Canada
Ancienne colonie du Royaume-Uni. Proche des États-Unis. Pays producteur de
matières premières.
Australie
Ancienne colonie du Royaume-Uni. Découverte d’or en 1851. Pays producteur
de matières premières. Support des États-Unis pendant la guerre du Vietnam.
Proximité géographique avec la Chine.
Amundi Discussion Papers Series - DP-10-2015
Deux pays nordiques :
Pays européen producteur de pétrole. Uni à la Suède de 1814 à 1905. Neutre
pendant la première guerre mondiale. Occupée par les Allemands pendant la
seconde.
Norvège
Suède
Neutre pendant les deux guerres mondiales.
Comme pour les États-Unis, on peut répertorier des périodes qui se répètent sur
bien d’autres pays en dépit de certaines particularités. L’Europe, par exemple, a été
le théâtre d’hyperinflation ; l’Allemagne a le plus souffert de ce fléau. L’effondrement
du marché des actions japonaises, suite aux bombardements atomiques sur
Hiroshima et Nagasaki, représente aussi ce qu’on appelle un phénomène rare.
L’Australie est aussi un cas un peu particulier et arrive à tirer son épingle du jeu
dans les périodes propices aux matières premières (été et hiver).
Marchés d’actions et taux d’intérêt à long terme sur une série de pays
n°19
19- Royaume-Uni
(100:1783, log)
indice Action réel
3200
II
IV
III
16
14
12
800
10
8
200
6
4
50
1783 93
1815 25
1842 52
63
73
1893
12 20
29
1952
68
81
2000
Taux longs (en %)
I
2
Source: Fisher, Datastream, Recherche Amundi
n°20
20- France
III
IV
18
800
16
400
12
200
8
14
10
6
4
100
Taux longs (en %)
(100:1848, log)
indice Action réel
II
2
50
1840
51
63
71
81
1896
12
26 29
1950
62
81
2000
0
Source : Friggit, Datastream, Recherche Amundi
Amundi Discussion Papers Series - DP-10-2015
25
Marchés d’actions et taux d’intérêt à long terme sur une série de pays
n°21
21- Japon
(100:1915, log)
Indice Action réel
IV
12
10
125
8
25
6
4
5
1
2
1915
1924
1937
1947
1972
1981
Taux longs (en %)
III
625
0
1989
n°22
22- Canada
IV
16
(100:1913, log)
Indice Action réel
800
14
12
400
10
8
200
6
4
100
2
50
1913
1922
1929
1944
1963
1981
2007
Taux longs (en %)
III
0
n°23
(100:1872, log)
Indice Action réel
II
III
IV
18
16
625
125
25
5
1
1850 1858
1873
1893
1912 1920
1937
1952
1968
1982
2007
14
12
10
8
6
4
2
0
IPC puisTaux longs (%)
23- Australie
n°26
III
(100:1906, log)
Indice Action réel
125
IV
25
5
1
0.2
1929
1949
1961
1981
2000
Source : Australian Stock Exchange, GFD, Homer & Sylla, Datastream, Recherche Amundi
26
Amundi Discussion Papers Series - DP-10-2015
22
20
18
16
14
12
10
8
6
4
2
Taux longs (en %)
24- Italie
Marchés d’actions et taux d’intérêt à long terme sur une série de pays
n°24
25- Norvège
IV
15
13
270
11
9
90
7
5
30
3
10
1900
1917 1921
1937
1953
1961
1982
Taux longs (en %)
(100:1920, log)
Indice Action réel
III
1
2007
n°25
26- Suède
IV
16
14
(100:1906, log)
Indice Action réel
270
12
10
90
8
6
30
4
2
10
1887
1913
1921
1929
1949
1965
1981
Taux longs (en %)
III
0
2000
n°27
27- Allemagne (avant 1921)…
(100:1856)
Indice Action réel
III
7
120
6
90
5
60
4
30
0
1856
1867
1873
1893
1905
1921
Taux longs (en %)
II
150
3
n°28
28- …Allemagne (après 1924)
(100:1856)
Indice Action réel
IV
10
3
8
6
2
4
1
0
2
1924
1929
1949
1961
1981
2000
Taux longgs (en %)
III
4
0
Source : Norges Bank, Riskbank, GFD, Homer & Sylla, Datastream, Recherche Amundi
Amundi Discussion Papers Series - DP-10-2015
27
Bien que tous ces pays appartiennent à des zones géographiques différentes,
nous retrouvons effectivement à chaque fois la même logique (voir graphiques
pages 26 et 27), ce qui renforce notre confiance dans le raisonnement.
Remarquons à quel point les dates de ces cycles correspondent de plus en plus
d’un pays à l’autre (voir schéma n°29) et finissent par converger vers celles des
États-Unis, pays leader des deux derniers cycles longs. Il est vrai qu’à la sortie de
la seconde guerre mondiale le plan Marshall s’accompagnait d’un engagement
par les États bénéficiaires à s’orienter vers l’économie de marché.
En fait, les innovations que nous avons citées précédemment font progresser
de cycle en cycle la communication et les échanges internationaux en réduisant
à chaque fois les distances et le temps pour arriver aujourd’hui à transformer la
planète terre en « village internet ». Cela met en évidence que les cycles longs
du capitalisme sont bien un phénomène international, comme l’avait remarqué
Kondratieff en son temps.
3.2 Particularités dans le comportement de ces pays
Cycle I
Le premier cycle long commence après le traité de Paris sur l’indépendance des
États-Unis en 1783. Le Royaume-Uni concentre désormais son développement
sur ses autres colonies, à commencer par l’Inde. Le printemps s’installe jusqu’à
la déclaration de guerre par la France révolutionnaire à l’Angleterre et à la
Hollande en 1793. L’été prend fin avec la défaite française de 1815 à Waterloo.
Les pays d’Amérique Latine gagnent leur indépendance et s’en suit une frénésie
d’investissement vers ces pays qui provoquera un krach majeur à Londres en
1825. L’Angleterre rentre ainsi en hiver alors qu’il faudra attendre la récession post
boom de 1835 pour vraiment y plonger les États-Unis.
Cycle II
Le second cycle commence de façon synchronisée en Angleterre et aux États-Unis
en 1842. L’entente cordiale (1843-1848) entre la France et l’Angleterre symbolise la
détente internationale et le passage du protectionnisme au libre-échange. Mais la
France ne connaîtra son printemps qu’un peu plus tard, après la révolution de 1848
et la proclamation du second empire suite au coup d’État du 2 décembre 1851 par
celui qui allait devenir Napoléon III. Depuis les découvertes d’or en Californie en
1847 et en Australie en 1851, l’expansion devenait déjà un peu plus inflationniste.
La guerre de Crimée (1853-1856) déclencha l’été économique en Angleterre et
par voie de conséquence aux États-Unis. La France qui était en décalage a joué
les prolongations jusqu’en 1863. La guerre de sécession aux États-Unis provoqua
une pénurie de coton à partir de cette année-là, qui fit monter les prix du textile et
finit par plonger en crise cette industrie majeure dans toute l’Europe.
Alors que les États-Unis et l’Angleterre bénéficiaient de la clémence de l’automne à
la fin de la guerre de sécession en 1865 et de la panique bancaire de 1866 (faillite de
28
Amundi Discussion Papers Series - DP-10-2015
29 - Les quatre cycles longs (Cycles I,II,III,IV)
R.U.
1783
1793
Cycle I
E.U. 1815
1814
1835 1825
Charbon
Machine à vapeur
1842 1842 FRA
1851
1852 1852 1863
Cycle II
1866 1866 1871 ALL
1867
1881 1873 1881 1873
Sidérurgie
Chemin de fer
AUS 1896 1893 1896 1893
1893
1912 1907 1912 1912 1905 SUE NOR
1913 1917
CAN 1920 1920 1920 1926 1923 1921 1921 JAP
1922
1924
1929 1937 1929 1929 1929 1929 1929 1937 1937
1944 1952 1949 1952 1950 1949 1949 1953 1947
Cycle III
Electricité
Automobile
ITA
1949
1963 1968 1966 1968 1962 1961 1965 1961 1972 1961
1981 1982 1981 1981 1981 1981 1981 1982 1981 1981
2007 2007 2000 2000 2000 2000 2000 2007 1989 2000
Printemps
Eté
Automne
Cycle IV
Pétrole
Electronique
Hiver
Source : Recherche Amundi
NB : Les couleurs représentent les saisons économiques
On observe le même comportement sur des pays très différents. Les dates
des saisons économiques correspondent de plus en plus d’un pays à l’autre
et convergent progressivement vers celles du pays leader, les États-Unis.
Les innovations font en effet progresser la communication et les échanges
internationaux de cycle en cycle.
sociétés de chemin de fer et faillite de la banque Overend Guerney en Angleterre), la
France dut attendre la fin de la guerre de 1870 contre l’Allemagne. Les indemnités de
guerre payées par la France de 1871 à 1873 ont d’ailleurs permis au nouvel empire
allemand, désormais incontestable, de développer son industrie, à un rythme si
Amundi Discussion Papers Series - DP-10-2015
29
rapide qu’il finit par provoquer un krach majeur qui marque le début de l’hiver pour
l’Allemagne mais aussi l’Angleterre et les États-Unis. La France est touchée, mais
connaîtra une phase d’essor en solo de 1878 à 1882 grâce à une politique de grands
travaux (plan Freycinet en 1878 et loi sur les chemins de fer de 1880) qui débouchera
à son tour sur une crise majeure qui se propagera internationalement en 1882 (Krach
de l’Union Générale). La France rejoint les autres pays en hiver.
Cycle III
Le troisième cycle démarre en 1893 ou 1896 selon les pays. L’été commence
aux États-Unis avec la panique bancaire de 1907 qui touchera en Europe plus
fortement l’Allemagne, déjà fragilisée depuis 1905 et qui avait déjà monté son taux
d’escompte. La France, l’Angleterre et l’Australie, très liée à l’Angleterre, rentreront
à leur tour en été, suite à la crise sidérurgique allemande de 1913. L’été durera
jusqu’à la fin de la récession qui a suivi la guerre de 1914-1918.
La plupart des pays, les Anglo-Saxons (Angleterre, États-Unis, Australie, Canada)
plus l’Italie et les pays nordiques, rentrent donc en automne au tout début des
années 1920. L’Allemagne, soumise à d’énormes réparations de guerre suite au
traité de Versailles, connaîtra une hyperinflation devenue légendaire. Sa décrue
qui marque l’entrée en automne ne commencera qu’en 1923. Enfin, contrairement
aux pays anglo-saxons, la France décide après la guerre de monter ses taux pour
lutter contre l’inflation générée par la levée du contrôle des changes et des prix,
ce qui l’enfonce en récession. Elle en sortira en dévaluant à son tour fortement sa
devise en 1925 et entrera en automne tardivement, en 1926. L’hiver débutera suite
au krach de 1929 partout sauf au Japon, en Norvège et en Australie. Ces trois
pays n’échapperont cependant pas à la récession américaine de 1937, qui est elle
aussi devenue un cas d’école, les autorités américaines retirant trop tôt le soutien
massif qu’elles avaient mis en place pour faire face à la crise.
Cycle IV
Le quatrième cycle débute après une traditionnelle récession d’après-guerre à la
fin des années 1940 ou au début des années 1950. La reconstruction engendrera
une forte croissance qui débouchera sur les crises monétaires de 1961, 1963,
1965, puis la dévaluation du Sterling en 1967 qui conduit à une envolée du cours
de l’or en 1968, et se conclue par la fin de la convertibilité du dollar en or, décidée
le 15 août 1971, par le président Nixon. Tous les pays entreront en été lors de l’une
de ces crises. Ils en sortiront ensemble en 1981 dans la foulée des États-Unis qui
possèdent désormais « La » devise de réserve internationale.
L’automne s’étendra de 1982 à 2000 et finira, là encore, avec un krach majeur
et international : l’effondrement de la bulle internet. Nous sommes donc en hiver
depuis l’an 2000. Quatre pays font exception : le Japon, entré en hiver depuis 1989
suite à l’effondrement de sa bulle immobilière, l’Australie, le Canada et la Norvège,
pays producteurs de matières premières qui profitent donc de l’émergence de la
Chine et qui ne sont entrés en hiver qu’en 2007.
30
Amundi Discussion Papers Series - DP-10-2015
Remarques d’ordre général
Ce tour d’horizon montre donc bien que le même schéma se reproduit dans de
nombreux pays en dépit de particularités très fortes. On peut en profiter pour
remarquer au passage des spécificités d’un cycle à l’autre. Ainsi, l’inflation a par
exemple connu des niveaux records au xx e siècle par rapport au xix e  siècle mais la
logique est bien restée la même. Ce sont les politiques pour stabiliser l’économie
qui se sont adaptées.
Jusqu’à la première guerre mondiale, les changes ont été la préoccupation
centrale pour stabiliser l’économie. Lorsqu’un déficit de la balance commerciale
devenait trop important, souvent parce qu’il fallait importer des matières agricoles
suite à de mauvaises récoltes, les taux montaient pour rapatrier l’or, ce qui pouvait
générer des crises, mais la baisse des prix finissait par rendre du pouvoir d’achat
aux ménages. Le xix e siècle a ainsi été un siècle peu inflationniste.
À partir de la seconde guerre mondiale, la maîtrise de l’inflation passe au premier
rang des préoccupations pour stabiliser l’économie. Le progrès industriel et social
a progressivement donné du pouvoir aux salariés. Les premiers mouvements de
grève ont eu lieu dans les années 1830, les révolutions de 1848 s’en sont nourries.
La crise de 1873 est déjà due en partie à une trop forte hausse des salaires.
Le Fordisme a fait progresser les salaires pour que les employés achètent des
voitures, à partir du début du xx e siècle qui sera celui de l’hyperinflation (en
Allemagne au début des années 1920, pendant la seconde guerre mondiale en
France, suite aux chocs pétroliers des années 1970 pour tout le monde).
On a depuis banni les indexations des salaires sur les prix. L’inflation reviendra mais pas
forcément sous la forme d’hyperinflation qui pourrait rester une spécificité du xxe siècle.
Autre sujet, la montée structurelle de l’endettement au cours du xx e siècle a
dopé la croissance potentielle. Ce phénomène a bien sûr une limite qui a peutêtre été atteinte. En revanche, le mécanisme cyclique de l’endettement puis du
désendettement quant à lui, est pérenne.
IV. Le facteur démographique joue un rôle essentiel
Kondratieff n’a pas fait référence aux facteurs démographiques dont les enjeux sont
pourtant devenus essentiels pour comprendre les évolutions au cours du xx e  siècle :
Allongement de la durée de la vie, baby-boom d’après-guerre, vieillissement de
la population. Notre recherche à cet égard montre cependant que les facteurs
démographiques ne font que renforcer la cohérence des cycles longs que nous
avons décrits et fournissent des pistes intéressantes pour en améliorer la prévision.
On sait que le potentiel de croissance à long terme d’une économie repose
notamment sur la croissance de la population active et des gains de productivité
qu’elle génère. Explorons donc ces deux dimensions après une brève revue de
l’évolution de la population des principaux pays développés.
Amundi Discussion Papers Series - DP-10-2015
31
4.1 Évolution de la population des principaux pays développés
Le graphique suivant, construit grâce aux données d’Angus Maddison, démontre
l’extraordinaire dynamisme démographique des États-Unis et sa capacité à attirer
des populations nouvelles depuis deux siècles. On distingue aussi la poussée
allemande allant de la seconde partie du xixe siècle à la première guerre mondiale ; la
population allemande dépasse alors celle de la France juste avant la guerre de 1870.
Longtemps nation la plus peuplée d’Europe, il est vrai que la France a vu sa natalité
décliner inexorablement de 1867 jusqu’aux années 1950. Remarquons aussi que
les pertes de population ont été beaucoup plus importantes qu’ailleurs, en France
et en Allemagne pendant les deux guerres mondiales. Quant au Japon, après une
formidable croissance de sa population depuis le début du xxe siècle, il commence
son déclin démographique en 1990, ce qui correspond d’ailleurs à son entrée en
hiver.
n°30
30- Évolution de la population des principaux pays développés
I
(échelle log)
Population en millions
320
II
III
IV
Etats-Unis
160
Japon
Allemagne
France
Royaume-Uni
80
40
20
10
1820
35 1842 52
66 73
1896 07
20 29
1949
66
81
2000
Source : Angus Maddisson, Recherche Amundi
Les bandes de couleurs représentent les saisons du cycle américain
4.2 Croissance de la population active
Si la taille d’une population dans son ensemble permet de se faire une idée du
poids économique et politique d’un pays, c’est la croissance de la population
active qui impacte le plus la croissance potentielle de l’économie. La croissance
annuelle de la population active (classes d’âge de 15 à 64 ans) mondiale est
passée de +1,9 % il y a une dizaine d’années à +1,6 % sur les cinq dernières selon
les données de l’ONU (données révisées de 2012) ; elle va continuer de décélérer
à +1,1 % d’ici à 2025. Les pays développés (stables aujourd’hui en moyenne) vont
passer en territoire négatif. Les pays moins développés (« pays émergents ») sont
également en recul mais conserveront quand même une croissance de +1,5 %.
Enfin, les pays les plus en retard économiquement seront les seuls à connaître
une expansion de leur population en âge de travailler, qui plus est, avec une
croissance supérieure à +3 %.
32
Amundi Discussion Papers Series - DP-10-2015
Il ne faut cependant pas en tirer de conclusion hâtive. En effet, la population active
est un concept très large puisqu’il regroupe plusieurs générations. Or chacune
a ses caractéristiques. En moyenne à l’âge adulte, un jeune rentre sur le marché
du travail, il se marie, a des enfants, qui finissent par quitter la maison. Ses
besoins pour se loger par exemple (première acquisition puis agrandissement de
la résidence principale, voire acquisition d’une résidence secondaire plus tard)
évoluent avec la taille de la famille et les revenus. Il en va de même pour le
gabarit et le nombre de voitures détenues par un couple, etc. Il est donc judicieux
d’analyser la population active
de manière
plus fine.
Version
Française
Graph
n°31
31- Croissance de la population active (en %)
Régions les moins développées
Régions moins développées
2010-2025
2000-2010
Régions les plus développées
Monde
-0,5%
0.0%
0,5%
1,0%
1,5%
2,0%
2,5%
3,0%
3,5%
Source : ONU (révision 2012), Recherche Amundi
4.3 Impact générationnel sur les principales classes d’actifs
Les jeunes actifs (20-35 ans) ont le plus d’influence à long terme sur les prix
de l’immobilier ; les primo-accédants, étant les acheteurs marginaux sur ce
marché. Le premier graphique de la page 34 (n°32) met bien en évidence que
la valeur des actifs immobiliers rapportée à celle des actifs financiers suit en
effet de près la proportion de jeunes actifs au sein de la population adulte.
Cette vague de population va bien sûr vieillir et deviendra une génération
intermédiaire (35-44 ans) avant d’atteindre le pic de sa consommation vers
46 ans. On comprend pourquoi le cycle de l’immobilier est souvent qualifié de
« mère » de tous les cycles. Pour revenir au graphique, la forte hausse de la
valeur relative de l’immobilier dans les années 2000 est due à l’effet combiné
de l’effondrement des actions et de la hausse excessive de l’immobilier à cause
des crédits subprimes. Les choses semblent être rentrées dans l’ordre. Cet
actif aura donc fait preuve d’une grande volatilité pendant l’hiver (depuis 2000)
mais aura finalement fait jeu égal avec les actifs financiers, ce qui est très
cohérent avec nos observations historiques présentées plus haut. Selon cette
approche, l’immobilier américain devrait faire plutôt moins bien que les actifs
financiers à partir des années 2020.
Amundi Discussion Papers Series - DP-10-2015
33
La génération intermédiaire (35-44 ans) est celle qui sera la prochaine force directrice
de l’économie. Le passage à l’âge intermédiaire est le moment où la productivité de
tout un chacun augmente le plus vite. On remarque sur le second graphique (n°33)
que la proportion de cette cohorte dans la population adulte est très consistante avec
l’évolution des taux réels qui représentent la croissance potentielle. La génération juste
après celle des baby-boomers ayant été moins nombreuse par définition, cela a été
propice à une baisse des taux réels, qui a fini par favoriser le développement de bulles.
Selon les données démographiques de l’ONU, les taux réels sont maintenant censés
rester contenus longtemps avec une force de rappel tout juste au-dessus des 2 %.
Impact de la proportion de différentes générations sur les prix
Version
Française
de l’immobilier,
les taux
réels et les actions
Graph
n°32
32- Patrimoine immobilier vs. actifs financiers et primo-accédants
550
29%
500
27%
450
25%
400
23%
350
21%
300
19%
17%
250
200
1950
1955
1960
1965
1970
1975
1980
1985
1990
1995
Actif Immobilier / Financier
2000
2005
2010
2015
2020
2025
2030
15%
20-35 / 20+ (échelle droite)
n°33
33- Taux longs réels et cohorte des 35-44 ans / population adulte
10
21%
8
6
19%
4
15%
2
13%
0
11%
17%
-2
-4
9%
1950
1955
1960
1965
1970
1975
1980
1985
1990
1995
2000
2005
2010
2015
2020
2025
2030
7%
35-44 / 20+ (échelle droite)
Taux longs réels
n°34
34- Actions dans le patrimoine financier vs. les 40-59 ans / pop. adulte
35%
41%
39%
30%
37%
25%
35%
33%
20%
31%
15%
10%
29%
1950
1955
1960
1965
1970
1975
1980
1985
1990
Détention d'actions / actifs financiers
1995
2000
2005
2010
2015
2020
2030
40-59 / 20+ (échelle droite)
Source : ONU (révision 2012), Fed, Datastream, Recherche Amundi
34
2025
Amundi Discussion Papers Series - DP-10-2015
27%
Le premier graphique met en évidence que la valeur des actifs immobiliers
rapportée à celle des actifs financiers suit de près la proportion de jeunes actifs
au sein de la population adulte. La proportion des 35-44 ans est très consistante
avec l’évolution des taux réels, alors que celle des 40-59 ans suit la même
tendance que la part des actions dans le patrimoine financier des ménages. On
en conclut que les actifs immobiliers et financiers devraient maintenant évoluer
de manière assez proche, que les taux longs réels pourraient trouver un équilibre
autour des 2 % dans les années qui viennent et qu’un retournement structurel en
faveur des actions devrait trouver du soutien dans les années 2020.
La précédente génération (40-59 ans) est celle qui épargne le plus. Pas étonnant de
constater une cohérence avec la proportion d’actions dans le patrimoine financier.
En fait, cette génération se divise en 2 parties : les 50-59 ans qui sont en phase
d’épargne active en vue de la retraite (on considère qu’un individu qui continue
à travailler pendant la cinquantaine augmente sensiblement son patrimoine
financier pendant cette période) ; et les 40-49 ans qui sont au maximum de
leurs capacités de consommation mais aussi de productivité ; cette génération
des 40-49 ans est celle qui tire donc le plus la croissance effective.
Le graphique n°35 met justement en évidence la forte progression du nombre
des 40-49 ans japonais à partir des années 1960 (« miracle japonais ») puis sa
forte baisse à partir de 1990 (krach immobilier et actions, entrée en hiver). De
même aux États-Unis, le déclin de cette cohorte en 1966 correspond à l’entrée
en été. Puis le passage progressif des baby-boomers dans cette tranche d’âge
a correspondu à l’entrée en automne (à partir de 1981) alors que le pic en 2000
coïncide avec le « krach internet ». Le phénomène s’est aussi produit en Europe
avec un décalage, le baby-boom ayant été un peu plus tardif et moins puissant
qu’aux États-Unis. La crise des subprimes, pourtant américaine, a ainsi frappé
violemment la zone euro dont la population des 40-49 ans commençait tout
juste à reculer.
n°35
35- Proportion des 40-49 ans dans la population des plus de 20 ans
[2000] [2007]
[1990]
22%
Europe
USA
Japon
21%
20%
19%
18%
17%
16%
15%
14%
1950
1955
1960
1965
1970
1975
1980
1985
1990
1995
2000
2005
2010
2015
2020
2025
2030
Source : ONU (révision 2012), Recherche Amundi
Amundi Discussion Papers Series - DP-10-2015
35
Si la courbe du Japon est en décalage total avec celle des États-Unis, c’est parce que
l’accélération des naissances a eu lieu, comme en Allemagne d’ailleurs, davantage dans
les années 1930 et pas vraiment après la guerre qu’il a perdu. Le miracle économique
japonais des années 1960 (printemps économique) a quand même permis un sursaut
de natalité jusqu’en 1973 (crise pétrolière et entrée en été économique) qui a généré le
rebond que connaît la cohorte des 40-49 ans du Japon depuis le milieu des années
2000. Cet effet disparaîtra au Japon quand « l’écho » du baby-boom américain (les
enfants des baby-boomers) produira ses effets dans les années 2020. La vague des
baby-boomers a été si puissante que leurs enfants ont été plus nombreux que la
génération intermédiaire. Pas étonnant que M. Abe profite de ce moment de répit pour
tenter de sortir son pays de la déflation.
Cela illustre bien qu’un choc démographique crée une vague qui se propage. Cela est
d’ailleurs consistant avec le rythme des saisons puisque l’hiver et l’été sont propices
aux crises et aux conflits et donc à une moindre natalité, contrairement au printemps
et à l’automne. Le recul de la natalité française au xixe siècle prend ainsi corps à partir
de 1867, en plein été économique.
Le lien que nous avons décrit entre comportement des générations et évolution des
actifs est surtout valable pour les pays développés. Le développement a aussi d’autres
conséquences sur la démographie, notamment le recul structurel du nombre d’enfants
par femme, ce qui n’est toutefois pas irréversible. La France a ainsi été la première à se
doter d’une politique en la matière et arrive désormais à stabiliser son taux de natalité.
Quant aux États-Unis, certains commencent même à parler d’une possible nouvelle
vague de naissances qui irait au-delà de « l’écho du baby-boom » mais qui serait
due à la décision de repousser l’âge du premier enfant compte tenu de la crise, de
l’allongement de la durée de la vie et du travail des femmes, désormais complètement
intégré au mode de vie occidental, et du progrès scientifique.
4.4 Les gains de productivité
Dans les économies développées, au-delà des facteurs générationnels que nous
venons de décrire, l’innovation, l’un des quatre piliers mentionnés par Kondradieff,
joue aussi un rôle clé. Les États-Unis occupent un rôle pionnier à cet égard pour
ne pas dire qu’ils dominent largement le classement. Sur la base des chiffres (en
valeur) de 2011 fournis par la Banque mondiale, si les dix premiers pays totalisent
75 % des dépenses mondiales de R&D, les États-Unis en représentent près de 30 %
à eux seuls. Le Japon arrive second du palmarès. Malgré sa décennie perdue, il a
maintenu un effort de recherche considérable. Le Japon est d’ailleurs le pays le plus
avancé en matière de robotique, ce qui pourrait venir compenser le vieillissement,
plus prononcé qu’ailleurs, de sa population. L’Allemagne s’est faite dépasser par
la Chine, et le Royaume-Uni par la Corée du Sud. La France ressort en cinquième
position.
Selon Alan Greenspan, les innovations ne sont cependant pas capables de faire
croître les gains de productivité à plus de 3 % l’an sur une période prolongée. Aux
36
Amundi Discussion Papers Series - DP-10-2015
États-Unis par exemple, le PIB par habitant croît en moyenne d’environ 2 % par
an sur longue période (2,1 % depuis 1929 d’après le NBER). Même si les gains de
productivité viennent en partie compenser le déclin de la population active des pays
développés, la croissance potentielle est quand même moins élevée que lors des
précédentes décennies, ce qui est d’ailleurs cohérent avec le niveau de taux réel
d’équilibre suggéré plus haut.
n°36
36- Les 10 premiers contributeurs à la R&D mondiale
Etats-Unis
Japon
Chine
Allemagne
France
Corée du Sud
Royaume-Uni
Canada
Brésil
Australie
0%
5%
10%
15%
20%
25%
30%
35%
Source : Banque Mondiale (données de 2011), Recherche Amundi
Il a donc été nécessaire que de nouvelles puissances émergent pour maintenir la
croissance mondiale à un niveau décent. À la fin du xixe siècle, dans sa phase hivernale,
le Royaume-Uni avait déjà dû laisser de la place à la montée d’autres puissances
économiques, à commencer par l’Allemagne et les États-Unis. Ayant accès aux
technologies existantes en sautant dans un premier temps la fastidieuse étape de
l’innovation, ces nouvelles économies se développent d’ailleurs très rapidement,
comme ce fut le cas pour le Japon, de l’après-guerre aux années 1980, et des
« tigres » d’Asie (Corée, Hong Kong, Singapour et Taïwan) à partir des années 1970 ;
la progression du ratio du PIB par habitant (voir graphique n°37), qui est à la fois une
mesure de richesse et de productivité, est explicite.
n°3
37- PIB par habitant (en dollar Geary-Khamis de 1990)
35 100
Etats-Unis
Etats-Unis
Europe de l'ouest
30 100
20 100
Japon de
Europe
4 Tigres d'Asie
l'ouest
Chine
Chine
15 100
Japon
25 100
10 100
5 100
100
1900
1910
1920
1930
1940
1950
1960
1970
1980
1990
2000
Source : Angus Maddisson, Recherche Amundi
Amundi Discussion Papers Series - DP-10-2015
37
PIB par habitant, R&D et taux d’urbanisation
n°38
38- PIB /Habitant et R&D (%PIB)
35 000
R² = 0.6991
PIB / Habitant (en dollar)
30 000
25 000
20 000
15 000
10 000
5 000
0
0.0
0.5
1.0
1.5
2.0
2.5
3.0
3.5
4.0
4.5
R&D (%PIB)
Europe (Ouest)
Europe de l'Est
Amérique Latine
Moyen-Orient et Ouest-Asiatique
Amérique du Nord, Austr., N.Z.
Ex-URSS
Est-Asiatique
Afrique
Source : Angus Maddisson, Banque Mondiale, Recherche Amundi
n°39
39- PIB / Habitant et Taux d'Urbanisation
35 000
R² = 0.4862
PIB / Habitant (en dollar)
30 000
25 000
20 000
15 000
10 000
5 000
0
0
20
40
60
Taux d'urbanisation (en %)
Europe (Ouest)
Europe de l'Est
Amérique Latine
Moyen-Orient et Ouest-Asiatique
80
100
Amérique du Nord, Austr., N.Z.
Ex-URSS
Est-Asiatique
Afrique
Source : Angus Maddisson, ONU (révision 2014), Recherche Amundi
La R&D stimule la productivité structurelle de l’économie. L’essentiel de cet effort
est réalisé par les pays développés. Dans le cas des pays émergents, c’est le
phénomène d’urbanisation qui joue ce rôle.
38
Amundi Discussion Papers Series - DP-10-2015
D’autres pays ont suivi : la Thaïlande, la Malaisie, l’Indonésie et les Philippines se
sont éveillées à leur tour dans les années 1980, les villes chinoises de Shenzhen
et Shanghai ont pris leur envol dans les années 1990 et le Vietnam, par exemple,
dans les années 2000.
Dans un pays émergent, c’est l’urbanisation qui est le principal moteur de la
progression du PIB par habitant, ce qui suppose un effort d’investissement en
infrastructures conséquent. Il faut aussi un certain niveau de PIB par habitant
pour que l’accélération de la progression s’enclenche (3 000 à 5 000 dollars
sur les données de Maddisson qui fait référence à des dollars Geary-Khamis
de 1990), ce qui correspond à un taux d’urbanisation d’environ 50 % sur le
graphique n°39. Enfin il y a un lien évident avec l’approche démographique
décrite ci-dessus, car ce sont les jeunes qui migrent vers les villes, et non les
personnes âgées. S’en suivra une demande naturelle pour l’immobilier, etc.
Il est difficile pour un grand pays de s’urbaniser au-delà de 80 % ; c’est
pourquoi, l’Amérique du Nord, l’Europe de l’Ouest et le Japon sont positionnés
si haut sur le graphique. On constate aussi que certains pays émergents sont
déjà fortement urbanisés alors que le PIB par habitant n’en n’a pas beaucoup
profité. C’est le cas de certains pays d’Amérique Latine, du Moyen-Orient, de
l’Ouest asiatique et d’Afrique. Ils dépendent donc déjà de la croissance de leur
population active, comme un pays développé. L’Asie est en revanche beaucoup
mieux répartie sur cette courbe de tendance.
4.5 Positionnement des pays développés et émergents sur ces critères
Pays développés
Les pays les plus avancés ont été classés sur le graphique n°40 (page 40)
selon deux axes, l’effort de R&D en pourcentage du PIB et la croissance de
la population active d’ici 2025 selon les données de l’ONU. Un tableau vient
compléter cette représentation en ajoutant la proportion de la cohorte des
40-49 ans au sein de la population active. Le classement qui en ressort tient
compte à parts égales du rang sur l’effort de la recherche et de la moyenne des
rangs des 2 critères de dynamisme démographique retenus.
Cette analyse a le mérite de dresser une cartographie du monde mais elle ne
tient pas compte de la valorisation des actifs, ni de la situation financière de
ces pays. À noter aussi que pour les « petits pays », il ne faut pas confondre
économie et marché des actions, les entreprises cotées pouvant être très
internationales. Ce classement reflète donc plutôt l’attractivité à long terme des
pays.
Il en ressort que les États-Unis combinent un effort de recherche et une
démographie plus dynamiques que la moyenne — position (1) sur le graphique.
Toutefois dans l’absolu, la dimension démographique est plutôt neutre à
l’horizon de 2025, même une fois corrigée de la proportion des 40-49 ans.
Amundi Discussion Papers Series - DP-10-2015
39
n°40
40 - Attractivité des marchés développés
Croissance de la population active et R&D
Croissance de la population active
0.4
0
Irlande
(3)
0.6
(1)
0
Active population growth
0.8
Nouvelle Zélande
0.2
Australie
Roy.Uni
0.0
Norvège
-0.2
Espagne
-0.4
-0.6
Portugal
Grèce
Italie
-0.8
-1.0
Pays-Bas
Etats-Unis
Suède
France
Danemark
Belgique
Finlande
Canada
Singapour
(4)
-1.2
0.0
1.0
2.0
Suisse
Japon
Corée du Sud
Autriche
Allemagne
3.0
5.0
R&D (% PIB)
(1)
(2)
(3)
(4)
Population active plus dynamique que la moyenne et R&D plus puissante
Population active moins dynamique que la moyenne mais R&D plus puissante
Population active plus dynamique que la moyenne mais R&D moins puissante
Population active moins dynamique que la moyenne et R&D moins puissante
R&D
en % du PIB
Classement
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13
14
15
16
17
18
19
20
21
22
23
Finlande
Irlande
Suède
Corée du Sud
Etats-Unis
Australie
Japon
Danemark
France
Suisse
Belgique
Autriche
Royaume-Uni
Allemagne
Nouvelle Zélande
Canada
Norvège
Singapour
Pays-Bas
Espagne
Portugal
Grèce
Italie
Médiane
3,5
1,7
3,4
4,0
2,8
2,4
3,4
3,0
2,3
2,9
2,2
2,8
1,7
2,9
1,3
1,7
1,7
2,1
2,2
1,3
1,5
0,7
1,3
2,2
Pop. active
40-49/20+
variation annuelle sur 2010-2025 en %
-0,5
0,7
0,5
3,3
-0,1
-2,3
-0,9
-2,2
-0,2
0,1
0,0
0,1
-0,6
-2,8
-0,2
-3,5
-0,1
-2,6
-0,7
-2,9
-0,4
-1,8
-0,8
-3,3
0,0
-1,8
-1,0
-3,6
0,2
-1,8
-0,6
-0,1
-0,1
-2,6
-0,8
-1,8
-0,5
-3,9
-0,3
-0,8
-0,6
-0,8
-0,6
-1,3
-0,7
-4,4
-0,5
-1,8
Source : Angus Maddisson, ONU (révision 2014), Recherche Amundi
Ce classement ressort d’un tri par rang : nous avons d’abord associé les rangs des 2 facteurs
démographiques et avons ensuite associé le résultat à celui obtenu sur le critère de la R&D.
Les États-Unis ressortent en bonne position. Le Japon est juste un peu derrière, grâce
à une recherche intensive qui compense une démographie déclinante. Autre pays
connu pour sa R&D, l’Allemagne est moins bien classée à cause de sa démographie,
l’une des pires de notre échantillon. On retrouve plusieurs pays d’Europe dans ce cas :
l’Italie, les Pays-Bas, l’Autriche, la Suisse. La France est en milieu de classement.
40
Amundi Discussion Papers Series - DP-10-2015
0
0
-0
-0
-0
-0
-1
(2)
4.0
0
-1
n°42
41 - Attractivité des marchés moins développés
Croissance de la population active et taux d'urbanisation
2.0
1.5
(1)
Arabie Saoudite
Indonésie
Perou
Venezuela
MexiqueColombie
Turquie
EAU
Argentine
Malaysie
Kowait
1.0
0.5
Uruguay
Brésil
Chili
0.0
-0.5
2
Philippines
(3)
(4)
-1.0
120
Republique
Tchèque
Russie
100
80
Active population growth (in %)
Croissance population active (en %)
2.5
Inde
Vietnam
Chine
Hongrie
Pologne
60
Thailande
Roumanie
(2)
Slovaquie
40
20
Classement
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13
14
15
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25
Population active plus dynamique que la moyenne et potentiel d'urbanisation
Population active moins dynamique que la moyenne mais potentiel d'urbanisation
Déjà urbanisé mais croissance de la population active plus dynamique que la moyenne
Population active moins dynamique que la moyenne et déjà urbanisée
Philippines
Inde
Vietnam
Indonesie
Arabie Saoudite
Perou
Mexique
Colombie
Turquie
Chine
Malaysie
Thailande
Vénézuela
EAU
Kowait
Roumanie
Brésil
Argentine
Slovaquie
Pologne
Rép. Tchèque
Chili
Uruguay
Hongrie
Russie
Médiane
Urbanisation en %
45
31
30
50
82
77
78
75
71
49
71
44
89
84
98
54
84
91
55
61
73
89
94
69
74
73
Pop. active % annnuel 2010-2025
2,0
1,4
0,7
1,4
1,7
1,5
1,4
1,2
1,0
0,1
0,9
-0,3
1,4
1,1
1,4
-0,6
0,6
0,9
-0,6
-0,8
-0,3
0,2
0,4
-0,7
-0,7
0,9
Source : Angus Maddisson, ONU (révision 2014), Recherche Amundi
Classement : tri par rang du facteur démographique et du critère de la R&D.
Si l’Asie truste la moitié de la première partie de tableau, la Chine n’arrive que vers la
fin du top 10, surtout à cause de sa démographie. À l’opposé, trois pays d’Amérique
latine (Pérou, Mexique, Colombie) arrivent à s’y glisser grâce à leur dynamisme
démographique. En bas de tableau, l’Europe de l’Est, déjà urbanisée, est pénalisée
par une démographie déclinante. La Russie ressort bonne dernière de ce classement.
Amundi Discussion Papers Series - DP-10-2015
1
1
0
0
-0
-1
0
Taux d'urbanisation (en %)
(1)
(2)
(3)
(4)
2
41
L’Australie est légèrement positive sur tous les critères et se positionne très
près des États-Unis. La Suède et le Danemark ressortent aussi très bien à
première vue, mais sont pénalisés par le recul de la tranche des 40-49 ans et
baissent de quelques places dans le classement, au contraire de la Finlande.
Le Japon, l’Allemagne et la Corée du Sud compensent au moins pour partie,
par un effort de recherche conséquent, une croissance de la population active
déclinante — position (2). Quant au Royaume-Uni, dont les dépenses de R&D
sont inférieures à la moyenne, il devrait à l’inverse tirer parti d’une démographie
relativement dynamique — position (3). La France est dans une situation proche,
avec un effort de recherche cependant un peu supérieur.
Enfin, l’Europe du Sud cumule une faible R&D et une démographie en retrait
— position (4) ; surtout si on tient compte de la proportion des 40-49 ans, ce
pourquoi l’Italie surtout mais aussi la Grèce, le Portugal et l’Espagne sont en
bas de classement.
Pays émergents
Les pays émergents sont classés sur le graphique n°41 (p. 41) qui reprend cette
fois-ci le taux d’urbanisation et la croissance de la population active d’ici 2025.
Le classement qui en ressort (voir tableau) tient compte à parts égales du rang
sur le degré d’urbanisation et de celui du dynamisme de la population active.
Les pays les plus attractifs sont clairement les Philippines, l’Inde, l’Indonésie
— position (1) sur le graphique. Le dynamisme démographique est clair
alors que ces pays, peu urbanisés, ont un important effort d’investissement
à entreprendre. Ce dernier critère permet aussi au Vietnam de rejoindre ce
groupe.
La Chine a déjà fait un effort d’urbanisation considérable à l’échelle du pays.
En théorie, il lui reste encore du potentiel à cet égard mais elle va devoir
composer avec une population active au mieux stable d’ici 2025 — position
(2). La Thaïlande, pas plus urbanisée que l’Indonésie ou les Philippines a
une démographie encore moins porteuse que celle de la Chine. À l’opposé,
l’Amérique Latine et les pays du Golfe sont déjà très avancés en termes
d’urbanisation. Mais ils possèdent encore l’arme démographique pour faire
progresser leurs économies — position (3). Certains plus que d’autres : Pérou,
Mexique et Colombie sont les mieux lotis.
Enfin, l’Europe de l’Est est fortement pénalisée par le facteur démographique.
Certains peuvent encore compter sur un potentiel d’urbanisation (Roumanie,
Slovaquie). Mais d’autres sont déjà plus avancés de ce côté-là, comme la
Russie — position (4).
42
Amundi Discussion Papers Series - DP-10-2015
V. Conséquences des transformations en cours
sur la géopolitique et notre modèle de croissance
Le basculement du centre de gravité du monde, de l’Atlantique au Pacifique et les
mutations technologiques en cours ont au moins deux conséquences majeures :
l’une géopolitique et l’autre sur notre modèle de croissance.
5.1 La Chine a de par sa taille une vocation au leadership
Depuis le début de l’industrialisation il y a eu deux pays leaders : l’Angleterre puis
les États-Unis. L’émergence du géant chinois pendant cet hiver économique fait
penser qu’il pourrait un jour détrôner les États-Unis et retrouver la place qui était la
sienne au xviiie siècle avant la révolution industrielle anglaise (voir graphique).
n°44
42- Répartition du PIB mondial (en dollars Geary-Khamis de 1990)
100%
Afrique
90%
Moy. Orient
80%
Japon
70%
Inde
60%
Chine
50%
Am. Latine
Ex URSS
40%
Etats-Unis
30%
Roy.-Uni
20%
Italie
10%
Allemagne
0%
1500 1550 1600 1650 1700 1750 1820 1870 1913 1950 2000
France
Source: Maddison, Recherche Amundi
Si l’histoire se répète, il faudra néanmoins attendre plusieurs décennies avant de
voir la suprématie totale de la Chine et ce parcours sera sûrement chaotique. En
effet, les États-Unis ont dépassé l’Angleterre industriellement dans les années
1890, au cours de l’hiver du cycle II, mais ils n’ont vraiment acquis leur leadership
que lors de l’hiver suivant, avec la seconde guerre mondiale (voir graphique n°37).
Ils avaient déjà fait un pas important lors de l’été avec la première guerre mondiale
Amundi Discussion Papers Series - DP-10-2015
43
mais avaient beaucoup plus souffert que le Royaume-Uni de la crise de 1929.
N’oublions pas non plus que la démographie américaine devrait redevenir plus
porteuse à partir des années 2020-2025, contrairement à celle de la Chine. Enfin,
le Japon, allié clé des États-Unis en Asie depuis la seconde guerre mondiale,
commençait à rivaliser avec eux sur le plan économique dans les années 1980.
Après un déclin de plus de 20 ans, le Japon ne peut plus prétendre rivaliser avec
les États-Unis et ces derniers ont au contraire tout intérêt à favoriser l’équilibre des
forces économiques en Asie.
Un autre géant, l’Inde, pourrait aussi retrouver son lustre d’antan, au moins
partiellement ; sa population est beaucoup plus dynamique que celle de la Chine.
Avec une population jeune et un taux d’urbanisation encore très faible, l’Inde est
définitivement un candidat intéressant à suivre sur le long terme. L’Asie, qui reprend
son destin en main depuis la fin de la guerre froide, dont elle avait été l’une des
principales victimes, est donc à nouveau au centre de l’échiquier mondial.
5.2 L’économie capitaliste mondiale est en train de changer de taille
Le réveil de la Chine et le développement à marche rapide des autres pays
émergents sont à la base de ce phénomène.
L’émergence des classes moyennes, corollaire de l’urbanisation, s’accompagne
d’une hausse des revenus, et donc d’une demande croissante en biens de
consommation et en dépenses de santé, elles-mêmes dopées par le vieillissement
de la population mondiale.
Mais l’impact peut-être le plus important de ce changement d’échelle du niveau
de développement mondial est qu’il a fait prendre conscience que l’environnement
doit désormais faire partie de l’équation de notre modèle de croissance ; d’autant
que l’humanité vient de passer le cap des 7 milliards d’individus et est censée
croître encore d’un milliard d’ici 10 ans. Cela concerne les ressources qui ne sont
pas inépuisables (l’énergie, l’eau…) mais aussi tout simplement l’équilibre même de
notre planète mis à mal par le réchauffement climatique.
Le graphique suivant met en perspective la consommation de pétrole des pays
en relation avec leur niveau de développement mesuré par le PIB par habitant,
ainsi que la taille des populations des pays. Il est clair que vu la taille des pays qui
émergent, il faudra effectivement réinventer un mode de croissance différent.
Paradoxalement, ce défi a donc toutes les chances de constituer un des moteurs
du prochain Grand Cycle. La transformation de nos infrastructures (construction,
transport, communication) vers plus d’efficience énergétique va nécessiter des
investissements qui vont s’étaler sur des années, voire des décennies. Des progrès
technologiques considérables ont été réalisés dans les années 1990, il y a donc
une vingtaine d’années, comme dans les grands cycles précédents ; il n’y a pas
d’impossibilité technique pour y arriver. Les crises successives de 2000, 2007 et
2011 ont poussé les taux à des niveaux historiquement bas pour contrer la déflation.
44
Amundi Discussion Papers Series - DP-10-2015
Il n’y a plus de placement sans risque. Les liquidités sont donc disponibles pour
financer ces investissements une fois l’endettement purgé et la confiance revenue.
Enfin, remarquons que le passage à l’ère de l’information marque aussi une
évolution sociétale qui bouleverse nos comportements. Le développement de la
cybercriminalité, le pouvoir des réseaux sociaux qui ont précipité les révolutions dites
du « printemps arabe », la réduction des écarts entre pays développés et émergents
qui a conduit à étendre le G7 au G20 en sont des illustrations. La gouvernance
mondiale va aussi devoir se réinventer.
Certes, nous sommes encore en hiver, mais le printemps économique est devant nous !
43- Consommation de pétrole et PIB par habitant
100
Arabie Saoudite
Consommation de barils de pétrole
(par millier d'habitants et par jour)
90
80
60
Pays-Bas
Corée du Sud
50
Taiwan
Norvège
Australie
40
Japon
Espagne
30
Iran
Vénézuela
Russie
Indonésie
20
Mexique
Brésil
10 Inde
0
Etats-Unis
Canada
70
0
Italie
France
Pologne
Argentine
Turquie
Chine
Philippines
Pakistan
10 000
20 000
Hong Kong
Suisse
Allemagne
Royaume-Uni
Les bulles représentent la taille
de la population en 2008
30 000
40 000
50 000
60 000
PIB par habitant en dollar (PPA)
Source : BP, FMI, Recherche Amundi
Amundi Discussion Papers Series - DP-10-2015
45
Conclusion
Des cycles longs d’une cinquantaine d’années embrassent toute l’activité
économique et présentent un caractère endogène. Bien que chaque génération
tende à mettre en doute ce mécanisme, il se répète depuis le début du capitalisme,
il y a plus de deux siècles.
Ces cycles présentent une longue phase haussière, qu’on peut facilement lire sur
le mouvement des taux suivie d’une autre phase pendant laquelle les taux baissent
durablement. Quant aux actions, elles alternent de manière plus rapide les phases
de hausse et de baisse. Si bien qu’on peut ainsi découper le cycle long d’une
cinquantaine d’années en 4 phases, qu’on appelle des saisons économiques :
les actions montent au printemps puis baissent en été, remontent en automne et
consolident en hiver.
Le printemps correspond au redémarrage du cycle long. Il est surtout favorable aux
actions et légèrement défavorable aux obligations dont les taux d’intérêt montent
à partir de niveaux très bas. L’or surtout et les placements monétaires ne sont
pas non plus attractifs. L’été est une période d’excès qui marque le point haut de
l’inflation. Il est favorable à l’or, aux matières premières en général, au monétaire
et aux obligations indexées sur l’inflation. L’automne profite du vaste mouvement
de désinflation et de la poursuite de la montée de l’endettement. Il prend fin avec
un krach majeur et international. Cette saison est favorable aux actifs financiers, à
commencer par les actions. Enfin, l’hiver est marqué par un point bas majeur de
l’inflation et une purge de l’endettement. Les placements à rendement fixe, en tout
cas pour les plus sûrs d’entre eux, et l’or font mieux que les actions qui sont très
volatiles.
Ces mécanismes sont universels au sein des économies de marché, même s’il existe
des décalages de quelques années. Ces grands cycles sont même internationaux
par nature. Les progrès techniques réalisés de génération en génération font
progresser les échanges commerciaux. Le comportement des différents pays a
tendance à converger vers celui du pays leader, à savoir les États-Unis au xxe siècle.
Le cas américain nous semble d’ailleurs constituer une grille de lecture pertinente
pour l’avenir. En effet, il s’agit certes d’un cas exceptionnel mais il a connu moins
de phénomènes rares comme les destructions massives de population qu’a en
revanche connues la France, par exemple, pendant les deux guerres mondiales.
Les facteurs démographiques, clé pour comprendre les évolutions du xx e siècle,
sont loin de remettre en cause ce fonctionnement ; au contraire, ils le renforcent
tout en donnant des pistes pour mieux percevoir les évolutions à venir. À chaque
âge ses préoccupations et donc son impact sur les différents actifs. La proportion
de jeunes adultes influence les prix de l’immobilier sur le long terme, la génération
intermédiaire le niveau de la croissance potentielle et donc les taux réels. Enfin, les
40-59 ans impactent la croissance effective et l’épargne financière, et donc le prix
des actions.
46
Amundi Discussion Papers Series - DP-10-2015
Le baby-boom d’après-guerre par exemple a eu lieu au printemps ; quand cette
génération a eu l’âge de consommer, elle a porté l’expansion économique de
l’automne à partir de 1981. Le krach japonais de 1990, le krach de 2000 aux
États-Unis et même la crise européenne de 2010 dans la foulée de la crise des
« subprimes » américaine correspondent au déclin de la proportion de cette
génération dans la population totale. « L’écho  » du baby-boom ne devrait produire
ses effets bénéfiques sur le cycle long que vers 2020-2025.
Nous sommes aujourd’hui encore en hiver économique au niveau mondial et des
changements majeurs sont en train de prendre forme comme à chaque fois, y
compris géopolitiques avec un basculement du centre de gravité de l’Atlantique
vers le Pacifique. Avec le développement de nouveaux pays et le changement
de taille de l’économie mondiale, les avancées technologiques du boom des
années 1990 vont trouver des applications dans de nouveaux domaines à
l’échelle planétaire pour la cinquième fois depuis le début de l’industrialisation.
Après leur purge hivernale, les banques fourniront à nouveau du crédit pour ces
développements. Ce renouveau va transformer l’économie mondiale et notre
mode de vie. Il devrait déboucher sur une période de croissance équilibrée : un
printemps économique.
Chaque grand cycle a bien sûr ses particularités. Le passage de l’hiver au
printemps du début du xx e siècle (passage au cycle III) s’est fait en douceur.
Celui du dernier cycle (passage au cycle IV) a lui été repoussé dans le temps
par la seconde guerre mondiale qui a eu des conséquences inflationnistes
exceptionnelles pour une période hivernale. La gestion de ce dernier hiver par la
Fed (quantitative easing) peut aussi être considérée comme exceptionnelle par
rapport à l’histoire et a conduit à la formation de bulles. Il est ainsi possible que
le marché américain ait anticipé sur le printemps à venir.
Évidemment, le retour vers de meilleurs auspices n’est pas linéaire. Des cycles
courts s’insèrent au sein des cycles longs. Si positionner la période actuelle
au sein du cycle long est essentiel pour tirer parti des caractéristiques des
différents actifs, se positionner au sein du cycle court permet de mieux saisir les
opportunités. C’est ce que nous avons décrit dans le Discussion Paper publié en
octobre 2014 : « Le cycle court de l’investissement : notre feuille de route ».
Amundi Discussion Papers Series - DP-10-2015
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Amundi Discussion Papers Series - DP-10-2015
Amundi Discussion Papers Series - DP-10-2015
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éditeurs :
Pascal BLANQUÉ
Directeur Général Délégué
Directeur du Métier Institutionnels et Distributeurs Tiers
Chief Investment Officer Group
Philippe ITHURBIDE
Directeur Recherche, Stratégie et Analyse
Pia BERGER — Recherche, Stratégie et Analyse
Benoit PONCET — Recherche, Stratégie et Analyse
Amundi Discussion Papers Series
Mai 2015
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réglementation locale et, dans la mesure où l’offre en Suisse est concernée, les « investisseurs
qualifiés » au sens des dispositions de la Loi fédérale sur les placements collectifs (LPCC), de
l’Ordonnance sur les placements collectifs du 22 novembre 2006 (OPCC) et de la Circulaire FINMA
08/8 au sens de la législation sur les placements collectifs du 20 novembre 2008. Ce document ne
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