Recherche et Formation8Octobre 1990
Études et recherches 19
LES CONCEPTS DE LA DIDACTIQUE
DES SCIENCES, DES OUTILS POUR LIRE
ET CONSTRUIRE
LES SITUATIONS D'APPRENTISSAGE
Jean-Pierre ASTOLFI
Résumé. La didactique des sciences, discipline nouvelle aux confins de l'épistémologie, lapsycholo¬
gie cognitive etlessciences de l'Éducation.
L'auteur nous propose trois concepts féconds pour lire les séquences de classe etpour la
formationprofessionnelle :
»le contrat didactique :àdifférencier du contratpédagogique, mais àrapprocher de
la notion de «coutume didactique »;les élèves répondent àl'enseignant en fonction de
son attente.
le concept de *préconception »:pour chaque niveau d'enseignement, les élèves dis¬
posent d'uncorps d'idéespréalables construits très tôtpourcomprendre le réel.
le concept de «trame conceptuelle s. Il s'agit d'étudier la structure conceptuelle du
savoiràenseigner.
Pour l'auteur, la didactique apporte des outils, mais ne se substituepas àla pédagogie, àla
prise de décision de l'enseignant.
Abstract. The didactics of science is anew subject verging on epistemology, cognitive psychology
andeducation science.
The author offers three fruitful concepts which can be used to readclass sequences andfor
vocational training.
The "didactic contract" which is different from the educational contract but close to the
notion of "didacticcustom"; pupils react to their teacher according to his expectations.
The concept of "preconception": for each teaching level, pupils can dispose ofaset of
preliminaryideas built up at avery earlystage, to understand reality.
The concept of "conceptual framework", which means studying the conceptualsbvcture
ofthe subject to be taught.
According to the author, didactics offers tools but cannot be substituted for educational
methods or teachers'decision making.
Au cours des dernières années, la Didactique des sciences apris un
essor important, et l'on est en droit de s'interroger sur le statut qu'elle a
ainsi acquis. N'est-elle qu'un nouvel avatar de ce que l'on appelait aupa¬
ravant avec moins d'emphase la pédagogie des sciences ?Constitue-t-elle
plutôt une mise en convergence et un point d'application des connais¬
sances récentes relatives àl'épistémologie, àla psychologie cognitive et
aux sciences de l'éducation ?En fait, elle ambitionne de se construire
comme discipline nouvelle, aux confins des précédentes, utilisant cer¬
taines de leurs données en fonction d'un objet spécifique (l'enseignement
scientifique), mais faisant d'abord émerger de novo des concepts origi-
Recherche et Formation8Octobre 1990
Études et recherches 19
LES CONCEPTS DE LA DIDACTIQUE
DES SCIENCES, DES OUTILS POUR LIRE
ET CONSTRUIRE
LES SITUATIONS D'APPRENTISSAGE
Jean-Pierre ASTOLFI
Résumé. La didactique des sciences, discipline nouvelle aux confins de l'épistémologie, lapsycholo¬
gie cognitive etles sciences de l'Éducation.
L'auteur nous propose trois concepts féconds pour lire les séquences de classe etpour la
formationprofessionnelle :
»le contrat didactique :àdifférencier du contratpédagogique, mais àrapprocher de
la notion de «coutume didactique »;les élèves répondent àl'enseignant en fonction de
son attente.
le concept de *préconception »:pour chaque niveau d'enseignement, les élèves dis¬
posent d'uncorps d'idéespréalables construits très tôtpourcomprendre le réel.
le concept de «trame conceptuelle s. Il s'agit d'étudier la structure conceptuelle du
savoiràenseigner.
Pour l'auteur, la didactique apporte des outils, mais ne se substituepas àla pédagogie, àla
prise de décision de l'enseignant.
Abstract. The didactics of science is anew subject verging on epistemology, cognitive psychology
andeducation science.
The author offers three fruitful concepts which can be used to readclass sequences andfor
vocational training.
The "didactic contract" which is different from the educational contract but close to the
notion of "didacticcustom"; pupils react to their teacher according to his expectations.
The concept of "preconception": for each teaching level, pupils can dispose ofaset of
preliminaryideas built up at avery earlystage, to understand reality.
The concept of "conceptual framework", which means studying the conceptualsbvcture
ofthe subject to be taught.
According to the author, didactics offers tools but cannot be substituted for educational
methods or teachers'decision making.
Au cours des dernières années, la Didactique des sciences apris un
essor important, et l'on est en droit de s'interroger sur le statut qu'elle a
ainsi acquis. N'est-elle qu'un nouvel avatar de ce que l'on appelait aupa¬
ravant avec moins d'emphase la pédagogie des sciences ?Constitue-t-elle
plutôt une mise en convergence et un point d'application des connais¬
sances récentes relatives àl'épistémologie, àla psychologie cognitive et
aux sciences de l'éducation ?En fait, elle ambitionne de se construire
comme discipline nouvelle, aux confins des précédentes, utilisant cer¬
taines de leurs données en fonction d'un objet spécifique (l'enseignement
scientifique), mais faisant d'abord émerger de novo des concepts origi-
20 Recherche et Formation
naux qui n'avaient pas cours sous cette forme jusque-là. Cela entraîne
un certain «jeu »des frontières disciplinaires préexistantes et une réor¬
ganisation logique de leurs relations.
En tenant un tel discours, les didacticiens ne cherchent pas àsurva¬
loriser leur domaine propre en profitant d'un effet de mode (encore que
certaines velléités de construire chaque Didactique comme une discipline
«dure »aient àêtre interrogées de ce point de vue). Ds insistent plutôt
sur l'idée que l'émergence des didactiques ne s'inscrit pas dans une
continuité théorique avec les orientations éducatives des années 70. Et
ils soutiennent qu'il vaut mieux marquer les ruptures et les renouvelle¬
ments de perspective ainsi introduites.
L'EMERGENCE DE LA DIDACTIQUE
On peut montrer comment, en une quinzaine d'années, on est passé
d'une perspective de pédagogie générale qui s'appliquait àl'enseigne¬
ment des sciences tout comme elle s'appliquait aux autres enseignements
(pédagogie par objectifs, questions d'évaluation, développement de
l'autodidaxie et de l'auto-évaluation, construction de «contrats »disci¬
plinaires négociés avec les élèves...), àune perspective nouvelle qui se
centre beaucoup plus fermement sur un «champ conceptuel », sur un
contenu d'enseignement particulier. Ceci ne signifiant nullement un
enfermement disciplinaire ni une cécité aux points de vue pédagogiques
généraux, mais obligeant de façon peut-être plus rigoureuse àtra¬
duire ces orientations générales en fonction des caractéristiques concep¬
tuelles particulières àchaque objet d'enseignement particulier.
C'est ainsi que dans le «Rapport Carraz », Gérard Vergnaud apu
définir la didactique de la façon suivante :
«La recherche en didactique ne constitue pas, comme certains le
pensent naïvement, àrechercher les moyens d'enseigner un objet de
connaissance donné, défini àl'avance, et intangible. Elle peut, au
contraire, remettre profondément en cause les contenus théoriques et
pratiques de l'enseignement, et les méthodes et procédures qui leur sont
associées. (...)
Comment rompre avec la présentation dogmatique du savoir et
transposer adéquatement, pour des élèves jeunes, le modèle de la
connaissance en train de se former ?Comment organiser une relation
vivante entre les aspects pratiques et théoriques de la connaissance,
entre l'action de l'élève ou duprofessionnel et les savoirs qui l'assurent ?
20 Recherche et Formation
naux qui n'avaient pas cours sous cette forme jusque-là. Cela entraîne
un certain «jeu »des frontières disciplinaires préexistantes et une réor¬
ganisation logique de leurs relations.
En tenant un tel discours, les didacticiens ne cherchent pas àsurva¬
loriser leur domaine propre en profitant d'un effet de mode (encore que
certaines velléités de construire chaque Didactique comme une discipline
«dure »aient àêtre interrogées de ce point de vue). Ds insistent plutôt
sur l'idée que l'émergence des didactiques ne s'inscrit pas dans une
continuité théorique avec les orientations éducatives des années 70. Et
ils soutiennent qu'il vaut mieux marquer les ruptures et les renouvelle¬
ments de perspective ainsi introduites.
L'EMERGENCE DE LA DIDACTIQUE
On peut montrer comment, en une quinzaine d'années, on est passé
d'une perspective de pédagogie générale qui s'appliquait àl'enseigne¬
ment des sciences tout comme elle s'appliquait aux autres enseignements
(pédagogie par objectifs, questions d'évaluation, développement de
l'autodidaxie et de l'auto-évaluation, construction de «contrats »disci¬
plinaires négociés avec les élèves...), àune perspective nouvelle qui se
centre beaucoup plus fermement sur un «champ conceptuel », sur un
contenu d'enseignement particulier. Ceci ne signifiant nullement un
enfermement disciplinaire ni une cécité aux points de vue pédagogiques
généraux, mais obligeant de façon peut-être plus rigoureuse àtra¬
duire ces orientations générales en fonction des caractéristiques concep¬
tuelles particulières àchaque objet d'enseignement particulier.
C'est ainsi que dans le «Rapport Carraz », Gérard Vergnaud apu
définir la didactique de la façon suivante :
«La recherche en didactique ne constitue pas, comme certains le
pensent naïvement, àrechercher les moyens d'enseigner un objet de
connaissance donné, défini àl'avance, et intangible. Elle peut, au
contraire, remettre profondément en cause les contenus théoriques et
pratiques de l'enseignement, et les méthodes et procédures qui leur sont
associées. (...)
Comment rompre avec la présentation dogmatique du savoir et
transposer adéquatement, pour des élèves jeunes, le modèle de la
connaissance en train de se former ?Comment organiser une relation
vivante entre les aspects pratiques et théoriques de la connaissance,
entre l'action de l'élève ou duprofessionnel et les savoirs qui l'assurent ?
Études et recherches 21
La définition des contenus de l'enseignement se situe au carrefour de
nombreuses contraintes :
l'état des connaissances scientifiques et sociales au moment consi¬
déré ;les pratiques sociales des élèves et leur rapport au savoir ;
les buts généraux de l'institution éducative et les finalités profes¬
sionnelles ;
les partenaires extérieurs et intérieurs au système :les compé¬
tences du corps des enseignants par exemple ;
le développement cognitifet le désir des sujets enformation, leurs
connaissances antérieures et leurs représentations spontanées.
La didactique étudie ces contraintes. Elle étudie tout particulière¬
ment les situations d'enseignement et de formation, la signification des
tâches et des activités proposées aux sujets en formation, le rapport
entre les elaborations conceptuelles et les tâches àrésoudre. Elle
s'appuie sur l'analyse des conduites et des discours produits par les
sujets enformation, sur l'analyse des pratiques, des choix et des déci¬
sions des enseignants ou autres formateurs, sur l'analyse épistémolo¬
gique et historique des savoirs et savoir-faire en jeu, sur l'analyse de
leur signification sociale et professionnelle. »(1).
Ceci pour dire que la Didactique et, particulièrement celle des
sciences expérimentales, ne se présente pas comme une simple applica¬
tion deductive de connaissances générales disponibles sur la structure du
savoir et les modalités de son apprentissage. Mais qu'elle constitue
d'abord une nouvelle façon de lire et d'interpréter la dynamique des
échanges d'une situation d'enseignement.
LES CONCEPTS DIDACTIQUES COMME GRILLES
DE LECTURE DES SITUATIONS D'ENSEIGNEMENT
J'évoquerai donc maintenant, àtitre d'exemple, quelques-uns des
concepts majeurs actuels de la didactique des sciences (2) etje m'efforce¬
rai de montrer de quelle manière ils conduisent àune rupture dans la
manière de lire les séquences de classe, ce qui permettra de situer leur
intérêt dans la formation professionnelle des enseignants scientifiques.
(1) Gérard VERGNAUD, in :Roland CARRAZ. Recherche en éducation et
développement de l'enfant (Rapport au ministre de l'Industrie et de la Recherche).
Paris :La Documentation française, 1983, pp. 85-86.
(2) Je renvoie ici au récent volume de Ucollection Que sais-je ? : Jean-Pierre
ASTOLFI, Michel DEVELAY. La didactique des sciences. Paris :PUF, 1989.
Études et recherches 21
La définition des contenus de l'enseignement se situe au carrefour de
nombreuses contraintes :
l'état des connaissances scientifiques et sociales au moment consi¬
déré ;les pratiques sociales des élèves et leur rapport au savoir ;
les buts généraux de l'institution éducative et les finalités profes¬
sionnelles ;
les partenaires extérieurs et intérieurs au système :les compé¬
tences du corps des enseignants par exemple ;
le développement cognitifet le désir des sujets enformation, leurs
connaissances antérieures et leurs représentations spontanées.
La didactique étudie ces contraintes. Elle étudie tout particulière¬
ment les situations d'enseignement et de formation, la signification des
tâches et des activités proposées aux sujets en formation, le rapport
entre les elaborations conceptuelles et les tâches àrésoudre. Elle
s'appuie sur l'analyse des conduites et des discours produits par les
sujets enformation, sur l'analyse des pratiques, des choix et des déci¬
sions des enseignants ou autres formateurs, sur l'analyse épistémolo¬
gique et historique des savoirs et savoir-faire en jeu, sur l'analyse de
leur signification sociale et professionnelle. »(1).
Ceci pour dire que la Didactique et, particulièrement celle des
sciences expérimentales, ne se présente pas comme une simple applica¬
tion deductive de connaissances générales disponibles sur la structure du
savoir et les modalités de son apprentissage. Mais qu'elle constitue
d'abord une nouvelle façon de lire et d'interpréter la dynamique des
échanges d'une situation d'enseignement.
LES CONCEPTS DIDACTIQUES COMME GRILLES
DE LECTURE DES SITUATIONS D'ENSEIGNEMENT
J'évoquerai donc maintenant, àtitre d'exemple, quelques-uns des
concepts majeurs actuels de la didactique des sciences (2) etje m'efforce¬
rai de montrer de quelle manière ils conduisent àune rupture dans la
manière de lire les séquences de classe, ce qui permettra de situer leur
intérêt dans la formation professionnelle des enseignants scientifiques.
(1) Gérard VERGNAUD, in :Roland CARRAZ. Recherche en éducation et
développement de l'enfant (Rapport au ministre de l'Industrie et de la Recherche).
Paris :La Documentation française, 1983, pp. 85-86.
(2) Je renvoie ici au récent volume de Ucollection Que sais-je ? : Jean-Pierre
ASTOLFI, Michel DEVELAY. La didactique des sciences. Paris :PUF, 1989.
22 Recherche et Formation
1. Le concept de contrat didactique, introduit par Guy Brousseau,
développé par Yves ChevaUard et les didacticiens des mathématiques, est
certes quelque peu ambigu sur le plan conceptuel car il entretien une
confusion avec l'idée d'un contrat pédagogique qui puisse être explicité
et négocié avec les élèves dans le cadre d'une «pédagogie du contrat »
(1), ce qui n'est pas le point de vue des auteurs.
Il s'agit pourtant d'un concept important, puisqu'il renouvelle la lec¬
ture des situations didactiques en faisant référence àl'existence d'un
contrat «toujours déjà-là »(au sens du contrat social de J.-J. Rous¬
seau), lequel règle les échanges entre enseignants et élèves au sujet du
savoir en jeu.
Dans cette perspective, le terme de coutume didactique introduit par
Nicolas Balacheff peut apparaître préférable (2). Il renvoie de façon
analogique aux conceptions ethnologiques traditionnelles selon lesquelles
la classe serait une «société coulumière », une société d'avant le droit.
C'est-à-dire que les règles n'y sont écrites nulle part, mais que malgré
tout, elles s'imposent àchacun, et que les transgressions en sont sanc¬
tionnées. Ce sont d'ailleurs àces «ruptures »que se manifeste, le plus
clairement pour les élèves, le contrat ou la coutume en vigueur, et c'est
ce qui les aide le plus efficacement àaccomplir leur «métier d'élève » .
L'exemple le plus classique est celui dit de «l'âge du capitaine », qui
afourni le titre d'un ouvrage de Stella Baruk (3). Ds'agit d'un problème
aux multiples variantes, libellé dans les termes suivants :
(1) René AMIGUES, Yves CHEVALLARD, Samuel JOHSUA, Jean-Louis PAOUR,
Maria-Luisa SCHUBAUER-LEONI. Le contrat didactique :différentes approches.
Interactions didactiques, 8, Universités de Neuchâtel et Genève, 1988.
Guy BROUSSEAU. Le rôle central du contrat didactique dans l'analyse et la
construction des situations d'enseignement et d'apprentissage des mathématiques, in :
Actes de la 3* Ecole d'été de didactique des mathématiques. Grenoble :Université, IMAG,
1984.
Yves CHEVALLARD. Remarques sur la notion de contrat didactique, Interven¬
tion devant le groupe Inter-IREM. Ronéoté. Avignon, 1983.
Anne-Marie DROUIN. Sur la notion de contrat didactique, in :Apprendre les
sciences. Aster, 1, 1985.
Jcannine FILLOUX. Du contratpédagogique. Paris :Dunod, 1974.
(2) Nicolas BALACHEFF. Le contrat et la coutume, deux registres des interactions
didactiques, in :Colette LABORDE (dir.). Actes du premier colloquefranco-allemand de
didactique des mathématiques et de l'informatique. Grenoble :La Pensée sauvage,
1988.
(3) Stella BARUK. L'âge du capitaine. Paris :Seuil, 1985.
IREM de Grenoble. Quel est l'âge du capitaine ?, in :Bulletin de l'APMEP, 323,
1980.
22 Recherche et Formation
1. Le concept de contrat didactique, introduit par Guy Brousseau,
développé par Yves ChevaUard et les didacticiens des mathématiques, est
certes quelque peu ambigu sur le plan conceptuel car il entretien une
confusion avec l'idée d'un contrat pédagogique qui puisse être explicité
et négocié avec les élèves dans le cadre d'une «pédagogie du contrat »
(1), ce qui n'est pas le point de vue des auteurs.
Il s'agit pourtant d'un concept important, puisqu'il renouvelle la lec¬
ture des situations didactiques en faisant référence àl'existence d'un
contrat «toujours déjà-là »(au sens du contrat social de J.-J. Rous¬
seau), lequel règle les échanges entre enseignants et élèves au sujet du
savoir en jeu.
Dans cette perspective, le terme de coutume didactique introduit par
Nicolas Balacheff peut apparaître préférable (2). Il renvoie de façon
analogique aux conceptions ethnologiques traditionnelles selon lesquelles
la classe serait une «société coulumière », une société d'avant le droit.
C'est-à-dire que les règles n'y sont écrites nulle part, mais que malgré
tout, elles s'imposent àchacun, et que les transgressions en sont sanc¬
tionnées. Ce sont d'ailleurs àces «ruptures »que se manifeste, le plus
clairement pour les élèves, le contrat ou la coutume en vigueur, et c'est
ce qui les aide le plus efficacement àaccomplir leur «métier d'élève » .
L'exemple le plus classique est celui dit de «l'âge du capitaine », qui
afourni le titre d'un ouvrage de Stella Baruk (3). Ds'agit d'un problème
aux multiples variantes, libellé dans les termes suivants :
(1) René AMIGUES, Yves CHEVALLARD, Samuel JOHSUA, Jean-Louis PAOUR,
Maria-Luisa SCHUBAUER-LEONI. Le contrat didactique :différentes approches.
Interactions didactiques, 8, Universités de Neuchâtel et Genève, 1988.
Guy BROUSSEAU. Le rôle central du contrat didactique dans l'analyse et la
construction des situations d'enseignement et d'apprentissage des mathématiques, in :
Actes de la 3* Ecole d'été de didactique des mathématiques. Grenoble :Université, IMAG,
1984.
Yves CHEVALLARD. Remarques sur la notion de contrat didactique, Interven¬
tion devant le groupe Inter-IREM. Ronéoté. Avignon, 1983.
Anne-Marie DROUIN. Sur la notion de contrat didactique, in :Apprendre les
sciences. Aster, 1, 1985.
Jcannine FILLOUX. Du contratpédagogique. Paris :Dunod, 1974.
(2) Nicolas BALACHEFF. Le contrat et la coutume, deux registres des interactions
didactiques, in :Colette LABORDE (dir.). Actes du premier colloquefranco-allemand de
didactique des mathématiques et de l'informatique. Grenoble :La Pensée sauvage,
1988.
(3) Stella BARUK. L'âge du capitaine. Paris :Seuil, 1985.
IREM de Grenoble. Quel est l'âge du capitaine ?, in :Bulletin de l'APMEP, 323,
1980.
Études et recherches 23
«Sur un bateau, il ya26 moutons et 10 chèvres. Quel est l'âge du
capitaine ?»
«Dans la classe, il ya 12 filles et 13 garçons. Quel est l'âge de la maî¬
tresse ? »
Ce qui surprend, c'est qu'un pourcentage important d'élèves, au CE,
au CM, et même jusqu'au Collège, répondent ... 36 ans dans le premier
cas, 25 dans le second !Est-ce parce qu'ils sont habitués àne pas réflé¬
chir aux données d'un problème et àrépondre «n'importe quoi »,
comme on apu le dire ?Ce n'est pas si sûr. Car les élèves doivent se
construire une «représentation du problème »àrésoudre, et recher¬
cher des indices sur le type de réponse que l'enseignant attend d'eux.
Autrement dit, il yadans la classe une «coutume didactique »relative
àla résolution du problème. Et Us s'en servent en se disant :
a) qu'U faut sûrement utiliser tous les nombres de l'énoncé (Us ont
l'expérience de problèmes antérieurs la maîtresse se fâche quand
quelqu'un ne l'a pas fait) ;
b) qu'U faut effectuer une opération avec toutes ces données (oui,
mais laqueUe justement ?VoUà est le problème d'habitude) ;
c) qu'U faut aboutir àun résultat plausible.
L'usage de ce concept de contrat (implicite) ou de coutume didac¬
tique conduit àconsidérer de manière nouvelle la signification de ce que
les élèves expriment dans les dialogues de classe. On tend spontanément
àinterpréter les dires des élèves selon une catégorisation absolue du vrai
et du faux. C'est-à-dire en sous-eslimant gravement les biais psycho¬
sociaux qui influencent fréquemment leurs réponses. Plus souvent qu'on
ne le croit, les élèves ne répondent pas vraiment àla question posée
comme Us le feraient dans un contexte plus neutre, mais Us répondent
d'abord àl'enseignant, en s'efforçant àtort ou àraison de déco¬
der la nature de son attente et de s'y ajuster positivement. Comme dit
Chavallard, Us raisonnent sous influence.
Du coup, les décryptages de séquences didactiques prennent un sens
nouveau que peut ne pas percevoir l'enseignant, lequel pose des ques¬
tions, orientées par l'avancée notionnelle telle qu'U l'a prévue dans sa
progression.
L'analyse détaillée de ce jeu d'interactions sociales didactiques appa¬
raît comme un élément important pour la formation professionneUe, car
elle surprend les maîtres, peu habitués àvoir les choses sous cet angle.
Pourtant, les recherches récentes montrent que le jeu des questions et
des réponses occupe une place centrale dans la pratique de classe dialo-
Études et recherches 23
«Sur un bateau, il ya26 moutons et 10 chèvres. Quel est l'âge du
capitaine ?»
«Dans la classe, il ya 12 filles et 13 garçons. Quel est l'âge de la maî¬
tresse ? »
Ce qui surprend, c'est qu'un pourcentage important d'élèves, au CE,
au CM, et même jusqu'au Collège, répondent ... 36 ans dans le premier
cas, 25 dans le second !Est-ce parce qu'ils sont habitués àne pas réflé¬
chir aux données d'un problème et àrépondre «n'importe quoi »,
comme on apu le dire ?Ce n'est pas si sûr. Car les élèves doivent se
construire une «représentation du problème »àrésoudre, et recher¬
cher des indices sur le type de réponse que l'enseignant attend d'eux.
Autrement dit, il yadans la classe une «coutume didactique »relative
àla résolution du problème. Et Us s'en servent en se disant :
a) qu'U faut sûrement utiliser tous les nombres de l'énoncé (Us ont
l'expérience de problèmes antérieurs la maîtresse se fâche quand
quelqu'un ne l'a pas fait) ;
b) qu'U faut effectuer une opération avec toutes ces données (oui,
mais laqueUe justement ?VoUà est le problème d'habitude) ;
c) qu'U faut aboutir àun résultat plausible.
L'usage de ce concept de contrat (implicite) ou de coutume didac¬
tique conduit àconsidérer de manière nouvelle la signification de ce que
les élèves expriment dans les dialogues de classe. On tend spontanément
àinterpréter les dires des élèves selon une catégorisation absolue du vrai
et du faux. C'est-à-dire en sous-eslimant gravement les biais psycho¬
sociaux qui influencent fréquemment leurs réponses. Plus souvent qu'on
ne le croit, les élèves ne répondent pas vraiment àla question posée
comme Us le feraient dans un contexte plus neutre, mais Us répondent
d'abord àl'enseignant, en s'efforçant àtort ou àraison de déco¬
der la nature de son attente et de s'y ajuster positivement. Comme dit
Chavallard, Us raisonnent sous influence.
Du coup, les décryptages de séquences didactiques prennent un sens
nouveau que peut ne pas percevoir l'enseignant, lequel pose des ques¬
tions, orientées par l'avancée notionnelle telle qu'U l'a prévue dans sa
progression.
L'analyse détaillée de ce jeu d'interactions sociales didactiques appa¬
raît comme un élément important pour la formation professionneUe, car
elle surprend les maîtres, peu habitués àvoir les choses sous cet angle.
Pourtant, les recherches récentes montrent que le jeu des questions et
des réponses occupe une place centrale dans la pratique de classe dialo-
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