Chapitre 5 La difficile entrée de la France dans l’âge démocratique I) La IIème République : espoir déçu d’une république démocratique et sociale (1848-1852) A) Le rêve d’une république démocratique et sociale *En février 1848, la monarchie s’effondre face à une insurrection soudaine provoquée par la crise économique et par le refus de Louis-Philippe de réformer. La République est proclamée par Alphonse de Lamartine le 25 février. *Un gouvernement provisoire est composé, avec de grandes figures comme le poète Alphonse de Lamartine, l’avocat Alexandre Ledru-Rollin ou encore le journaliste socialiste Louis Blanc. *Ce gouvernement suscite un enthousiasme important symbolisé par les plantations d’arbres de la liberté ou encore l’ouverture de nombreux clubs politiques. Dans un premier temps, il tient ses promesses en proclamant le suffrage universel masculin*, la liberté de la presse et la liberté de réunion, l’abolition de l’esclavage ainsi que le droit au travail (avec diminution du temps de travail). *Suffrage universel masculin : système électoral dans lequel tous les hommes majeurs (21 ans en 1848) disposant de leurs droits civiques et politiques, bénéficient du droit de vote. B) Les divisions internes et la répression *Ce mouvement enthousiaste souffre de nombreuses divisions : entre les courants républicains, entre les villes agitées et des campagnes encore traditionnelles (Église, anciennes élites terriennes), entre bourgeois et ouvriers. *Les premières élections au suffrage universel, pour élire l’Assemblée constituante (avril 1848), consacrent ainsi la défaite du camp progressiste, la victoire des modérés et des « Républicains du lendemain »* *« Républicains du lendemain » : monarchistes qui se sont ralliés après la révolution de février à la République, sincèrement ou par intérêt (contrairement aux « Républicains de la veille »). *Ces derniers ferment les ateliers nationaux, grands chantiers d’intérêt public fournissant du travail aux très nombreux chômeurs, et répriment dans le sang (3000-5000 morts) l’insurrection ouvrière qui s’ensuit en juin 1848. L’image de la République est définitivement ternie. C) Le tournant conservateur et la fin d’une éphémère République *La constitution républicaine sépare strictement les pouvoirs entre un président fort nommant ses ministres et élu pour un unique mandat de 4 ans (pouvoir exécutif) et une Assemblée nationale puissante, élue pour 3 ans et ne pouvant être dissoute (pouvoir législatif). *Louis-Napoléon Bonaparte, neveu de Napoléon, est élu président de la République le 10 décembre 1848 avec 74 % des suffrages. Il forme un gouvernement comportant de nombreux conservateurs, regroupés dans le parti de l’Ordre, qui remporte les élections législatives de 1849. Cette majorité mène une politique conservatrice* : limitation des libertés, réforme de la loi électorale privant 3 millions de Français du droit de vote, etc. *Conservatisme : doctrine politique s’opposant aux évolutions sociales et politiques. *La Constitution l’empêchant de se représenter, Louis-Napoléon demande une réforme, mais c’est un échec. Il envisage un coup de force pour conserver le pouvoir : ce coup d’État a lieu le 2 décembre 1851. II) Le Second Empire : un régime autoritaire (1852 - 1870) A) La mise en place d’un pouvoir personnel Le coup d’État est annoncé par des affiches dans la France entière. Il suscite partout des oppositions, à Paris comme en Province. La répression est violente et fait plusieurs centaines de morts. Des milliers d’arrestations ont lieu dans les 32 départements mis en état de siège. Des députés sont emprisonnés ou proscrits*. *Proscriptions : condamnations à l’exil pour raisons politiques. S’appuyant sur la répression, Louis-Napoléon Bonaparte, qui a rétabli le suffrage universel masculin, n’a aucun mal à faire approuver par plébiscite sa prise de pouvoir pour dix ans et la rédaction d’une nouvelle Constitution. Cette constitution du 14 janvier 1852 consacre le pouvoir de Napoléon III : il est à l’initiative des lois, la justice est rendue en son nom. Le pouvoir législatif n’échappe pas à son contrôle : les membres du Sénat sont nommés par l’empereur et le Corps législatif, élu, ne peut que voter les lois proposées par l’empereur. B) Un régime autoritaire qui réduit les libertés publiques Les élections dans les années 1850 donnent au bonapartisme une majorité écrasante au Corps législatif. Comment expliquer ce succès ? Par l’aspiration à l’ordre et à la prospérité économique de ses soutiens (paysans, catholiques, bourgeoisie industrielle surtout) ; par les réussites réelles de Napoléon III (croissance économique, modernisation du pays, succès de la politique extérieure) valorisées par la propagande. *Bonapartisme : Courant politique qui défend un régime autoritaire fondé sur la souveraineté populaire par le biais du suffrage universel masculin. L’adhésion au régime passe aussi par des mesures autoritaires et policières qui limitent les libertés : la presse est muselée, les opposants sont exilés (ex : Victor Hugo), le droit de réunion est entravé, les élections sont surveillées, de même que les cafés et les cabarets, les candidats de l’empereur sont favorisés. L’empereur contrôle le territoire grâce à une police renforcée et à la nomination des maires et préfets. C) Montée des oppositions et libéralisation du régime Dans les années 1860, l’état de grâce s’interrompt, car Napoléon III, affaibli par la maladie, rencontre de nombreuses oppositions : - Celle des Républicains, horrifiés par son autoritarisme policier ; - Celle des catholiques après l’intervention française en Italie ; - Celle du patronat devant la politique de libre-échange et l’introduction du droit de grève (1864) Un groupe de députés, mené par Adolphe Thiers réclame alors des réformes libérales pour appliquer les « cinq libertés nécessaires » : liberté individuelle, liberté de la presse, liberté de vote, droit d’interpellation des ministres, rétablissement d’un véritable régime parlementaire. Napoléon III libéralise donc le régime : droit de réunion, droit d’interpellation, liberté de la presse, initiative parlementaire. Cette libéralisation lui permet d’être conforté par un plébiscite en mai 1870. Il en profite alors pour lancer la guerre contre la Prusse, ce qui précipite sa chute. III) La Troisième République A) La République de retour dans un contexte difficile Battu et capturé à Sedan, Napoléon III est déchu de son pouvoir. Le 4 septembre, Léon Gambetta proclame la République à l’Hôtel de Ville et un gouvernement de Défense nationale signe l’armistice avec la Prusse en janvier 1871. Les élections du 8 février 1871 débouchent sur une majorité monarchiste qui confie le pouvoir exécutif au républicain conservateur Adolphe Thiers. Le peuple parisien, majoritairement acquis à la cause républicaine et résolu à poursuivre la guerre se soulève le 18 mars 1871 : refusant la reprise des canons de Montmartre par l’armée, les insurgés s’opposent ouvertement aux « Versaillais », gouvernement de Thiers réfugié à Versailles. La Commune s’organise par des élections, adopte des mesures sociales et anticléricales. Les combats se poursuivent et les Communards sont finalement vaincus lors de la Semaine sanglante (21 - 27 mai 1871) : 10.000 Parisiens sont morts et 10.000 condamnés (notamment au bagne de Nouvelle-Calédonie). Cela marque une rupture entre la République et monde ouvrier. La République est surtout confrontée au spectre d’une Restauration : les monarchistes qui la dominent ne la voient que comme une transition vers un retour à la monarchie. Patrice de Mac Mahon est ainsi élu en 1873 pour succéder à Thiers et restaurer l’Ordre moral avec l’appui de l’Église. Face à lui, le camp républicain s’unit dans l’anticléricalisme et la défense du régime parlementaire : en 1875, il parvient à faire voter des lois constitutionnelles qui empêchent le retour de la monarchie. En 1879, face à des républicains redevenus majoritaires, Mac Mahon doit démissionner. Jules Grévy lui succède et les chambres quittent Versailles pour Paris. B) La République face à de grandes crises Dans les années 1880 et 1890, la République s’enracine en surmontant de graves crises menaçant son existence : - La crise boulangiste du nom du général Boulanger, ministre de la guerre en 1886, autour duquel se rassemblent royalistes et patriotes hostiles à la République parlementaire ; incarnant les espoirs d’un régime fort, il élu député de Paris en 1889, mais renonce à prendre le pouvoir par la force et se suicide ; - L’antiparlementarisme* est aussi alimenté par le scandale de Panama qui éclate en 1892 suite à la révélation de la corruption de députés par la compagnie créée en vue du percement du canal ; - Des attentats anarchistes* et en particulier l’assassinat du président Sadi Carnot le 24 juin 1894 à Lyon ; - L’affaire Dreyfus (1894 - 1906) du nom d’un capitaine d’origine juive injustement condamné et déporté en Guyane pour espionnage au service de l’Allemagne. Son sort devient une affaire nationale qui divise ses défenseurs (Dreyfusards), pour la plupart républicains convaincus comme Émile Zola ou Jean Jaurès, et ses détracteurs (Antidreyfusards) nationalistes (notamment Action française de Charles Maurras), catholiques, antisémites qui refusent de remettre en cause l’armée. Rejugé en 1899, Dreyfus est gracié par le président Émile Loubet, puis réhabilité en 1906. Si ces crises mettent la République à rude épreuve, le régime les surmonte et en ressort renforcé. C) Le triomphe de la République démocratique L’enracinement de la République est très progressif et aboutit en 1899 à la victoire d’une coalition de radicaux et de républicains, signe du triomphe de la République démocratique. Ce renforcement progressif de la République s’appuie sur : - L’éducation (lois Jules Ferry de 1881-1882 qui fondent l’école gratuite, obligatoire et laïque) - La réaffirmation des libertés fondamentales (liberté de la presse, de l’imprimerie, de la réunion en 1881 ; liberté syndicale en 1884 ; liberté de fonder une association en 1901) - Une symbolique nationale renouvelée (Marseillaise définitivement adoptée en 1879 ; 14 juillet célébré dès 1880 ; drapeau tricolore, Marianne, devise réaffirmée comme symboles officiels ; développement considérable de la statuaire républicaine et mise en valeur de bâtiments républicains comme le Panthéon lors des funérailles de Victor Hugo en 1885) - L’anticléricalisme* et la laïcité (répression des congrégations religieuses ; 1905 : loi de séparation des Églises et de l’État) - Le patriotisme entretenu dans l’optique d’une revanche contre l’Allemagne. Anticléricalisme : doctrine politique s’opposant à l’influence de l’Église et des clercs sur la société et la vie politique. Antiparlementarisme : Doctrine politique qui rejette le parlement et cherche à l’abattre. Anarchiste : courant politique qui se caractérise par son refus de toute forme d’autorité, y compris celle de l’État officiel.