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TV3ASEE La contention physique S. KHAMAR 2022 2023

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Année Universitaire
2022-2023
TV3ASEE- Sujet en situation de handicap, problématiques sociales et handicaps
Madame Sylvie CANAT FAURE
LA CONTENTION
Mécanique ou passive au CHU de Dijon
KHAMAR Sylvie n°étudiant : 21704360
INTRODUCTION
J’ai débuté ma carrière d’infirmière de nuit en 1988. A cette époque, j’ai dû sans trop me poser de
question attacher des patients, pour leur sécurité et la mienne, pas forcément pour leur confort mais
peut-être un peu pour le mien. C’est grâce à cette rétrospective que je peux écrire cela aujourd’hui.
Au fil du temps, on ne parle plus d’attacher, qui choque mais de contenir un patient, ce qui au final
revient à la même chose, le patient est privé de sa liberté de mouvement et privé de ses mouvements,
nous l’avons tous vécu pendant le confinement et cela nous exaspère au plus haut niveau. Alors
imaginez un patient, malade et vulnérable.
Dans ce travail, j’ai voulu m’intéresser à la pratique de la contention physique dans le service des
urgences de l’hôpital de Dijon. En effet, car d’une part, si ce travail demande de décrire une situation
de handicap et si d’autre part selon la loi n°2005-102 du 11 février 2005 la définition du handicap
est « constitue un handicap, toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en
société subie dans son environnement par une personne », alors un patient contentionné, privé de
liberté et de mouvements n’ est-il, pas à cet instant précis, en quelque sorte en situation de handicap ?
De plus, je me suis m’intéressée à la contention pour la simple et bonne raison que je me suis
retrouvée confrontée à une situation qui m’a réellement bouleversée pendant plusieurs semaines.
J’ai voulu donc en savoir plus sur cet outil de contention pour ma pratique professionnelle
quotidienne et pas seulement pour valider un devoir. Alors après avoir présenté le lieu où je travaille
de nuit, je décrirai, en respectant l’anonymat des malades et des personnels cette situation
stupéfiante avec d’autres toutes aussi interpellantes faisant intervenir la contention. Ensuite, la
réglementation en vigueur ainsi que les indications seront développées. Enfin, même avec le peu de
travaux de recherche sur ce sujet, l’utilisation de la contention dans les services d’urgences adultes
pose question (la psychiatrie exclue).
CONTEXTE
Depuis le 1er septembre, j’occupe un poste de cadre de santé de nuit au Centre Hospitalier
Universitaire (CHU) de Dijon. Cet établissement dijonnais répond à tous les besoins de santé de la
ville et de sa région. Il est la première entreprise en Côte d’Or avec 7500 agents. Cet établissement
regroupé sur 2 sites possède une capacité d’accueil de 1700 lits avec des pôles d’excellence comme
la cardiologie et l’ophtalmologie. On peut ajouter une maternité qui est une maternité de référence
avec plus de 3000 naissances par an, un hôpital d’enfants, un hôpital gériatrique avec un secteur de
psychiatrie et enfin il offre un service public d’accueil des urgences ouvert 24h/24h.
Les missions de mon poste sont d’organiser dans tous ces secteurs d’activités la continuité de soins
entre le jour et la nuit, de répondre à l’absentéisme et de pouvoir régler les problématiques de
l’hôpital avec l’aide d’un directeur administratif en astreinte à domicile. La nuit, les problématiques
sont quelques peu différentes, différentes car le cadre de santé doit y faire face la plupart du temps
seul et prendre la meilleure décision, selon les procédures établies. Je suis très sollicitée par le
Département Universitaire de Médecine d'Urgence (DUMU) ou plus couramment appelé le service
des urgences pour gérer toutes sortes de problématiques. Je peux citer la gestion d’armes à feu et
d’héroïne détenues par un patient entrant aux urgences, s’occuper d’un enfant de 18 mois qui arrive
avec les pompiers dont la maman est adressée au bloc opératoire en urgence vitale ou encore gérer
la fugue de deux adolescents un dimanche soir. Je pourrais citer encore de nombreuses difficultés
mais celle qui m’a surprise le plus, c’est la problématique de la violence. La violence des usagers
envers le personnel soignant mais aussi la violence des soignants envers les patients.
1
Tout d’abord avant d’exposer des situations concrètes pour ce travail, il me semble important de
décrire ce DUMU souvent mis sous les feux de la rampe tant pour le flux important de patients que
pour les heures d’attente de prise en charge des malades.
LE DÉPARTEMENT UNIVERSITAIRE DE MÉDECINE D'URGENCE (DUMU)
Le DUMU prend en charge les adultes de plus de 15 ans envoyés soit par un médecin ou soit par le
service d’aide médicale urgente (SAMU). Les personnes peuvent aussi se présenter seules pour
une pathologie médico-chirurgicale, traumatique ou psychiatrique. Rayonnant sur la région
Bourgogne, le DUMU peut également accueillir des malades des hôpitaux périphériques. Enfin, il
assure grâce à la Permanence d’Accès aux Soins de Santé (PASS) la prise en charge des personnes
démunies et précaires ayant subies des violences ou des traumatismes.
SON ORGANISATION
Le DUMU est composé de plusieurs zones de soins où le patient sera orienté au regard de sa
pathologie vers :
•
•
•
•
•
Le Service d’Accueil des Urgences Vitales (SAUV) pouvant accueillir 5 patients en urgence
vitale absolue,
Le Service Régional Accueil Urgent (SRAU) composé de deux circuits : un circuit court
(CC) comprenant 5 box, un circuit long (CL) comprenant 9 box,
La Zone de Surveillance de Très Courte Durée (ZSTCD) pour les observations de quelques
heures, organisée pour 6 patients couchés et 5 patients assis, qui rentreront chez eux ou qui
seront hospitalisés,
La Zone de Surveillance de Très Courte Durée pour patients COVID (ZSTCD-Co)
accueillant 6 patients,
L’Unité d’Hospitalisation de Courte Durée (UHCD) composée de 15 lits d’hospitalisation.
Lorsqu’un patient arrive aux urgences, il est accueilli par l’infirmier d’accueil et d’orientation
(IAO). Puis, il sera adressé au CL ou au CC ou en ZSTCD selon sa pathologie pour y être examiné.
Il peut aussi rentrer chez lui. Par contre, un patient en urgence vitale ira directement en SAUV.
Le personnel soignant de nuit est reparti selon les secteurs d’activité :
-
2 infirmiers, 2 secrétaires et 2 agents de sécurité, à l’accueil
1 médecin, 1 infirmier et 1 aide-soignant à la SAUV,
1 médecin et 1 infirmier au CC,
1 médecin, 2 infirmiers et 1 aide-soignant au CL,
1 aide-soignant en ZSTCD et 1 en ZSTCD-co s’il y a des patients COVID,
2 infirmiers et 1 aide-soignant en UHCD.
Le personnel s’entre-aide, en fonction du nombre d’entrées, dans les différents secteurs d’activités.
L’ATTENTE AUX URGENCES
Environ 40 000 malades fréquentent annuellement le service avec des pointes de plus 130 patients
par jour. Etant responsable la nuit du flux patients et pour le suivre toutes les deux heures, je peux
dire aujourd’hui qu’il y a en moyenne de 19h à 7h avec un pic entre 18h et 23h au moins 50 patients
qui arrivent aux urgences. J’exclus ici les urgences pédiatriques et les urgences de la Maternité. Ce
2
chiffre s’entend pour la semaine, le week-end, il peut s’élever jusqu’ à 80 passages par nuit. En
charge également de la collecte des données du délai d’attente, je peux dire que ce délai d’attente
moyen de prise en charge médicale est compris entre 7h et 8h. Il peut s’étendre jusqu’à 10h lorsqu’il
y a un manque de médecins et/ou de personnels paramédicaux, ce qui engendre souvent des accès
de violences des usagers excédés d’attendre.
LES USAGERS
L’hôpital a pour vocation d’accueillir toutes les personnes nécessitant des soins urgents ou pas.
Depuis ma prise de fonction, je constate que l’on accueille beaucoup de patients qui nécessitent des
soins qui auraient pu être diagnostiqués en médecine de ville et je remarque aussi que nous prenons
en charge de nombreuses personnes de tous âges souvent habitués du SRAU entrant pour une
agitation liée à l’abus d’alcool et/ou la prise de substances illicites. S’ajoute à cette agitation une
violence envers eux-mêmes et les autres.
J’ai réalisé une étude quantitative soit un comptage du nombre d’entrées aux urgences de patients
admis pour agitation, entre 19h et 7h du vendredi 18 au mercredi 30 novembre 2022 (soit 13 jours).
Ces données sont issues du logiciel professionnel RE’SURGENCE. Ci-dessous, le tableau de
recueil de données :
Nombres
d’entrées entre
19h et 22h
Du 18 au
30/11/22
(13 nuits)
Moyenne des
entrées entre 19h
et 22h/nuit
Motif
Agitation
Nombre de
femmes
Nombre
d’hommes
684
53
5
2
3
Pour résumer, il y a sur cette période et cet intervalle horaire, 5 patients qui sont adressés pour une
intoxication éthylique essentiellement et qui seront pris en charge par les urgences. Les agitations
en lien à une pathologie psychiatrique sont quant à elles orientées directement en psychiatrie.
On peut remarquer une activité soutenue qui a fait l’objet d’une note de service, le 28 novembre
2022 et qui précise aux usagers d’appeler le 15 pour tous besoins de soins. « Cette décision est prise
en concertation avec l’ARS Bourgogne-Franche-Comté ... Elle constitue une réponse territoriale
adaptée à la situation actuelle de tensions que connaissent les établissements de santé en termes de
ressources humaines et d’afflux de patients. Elle permet aux professionnels des établissements de
santé de se concentrer sur les patients en situation d’urgence vitale ».
TROIS SITUATIONS INTERPELLANTES
Le lundi 3 octobre, je suis appelée par une infirmière du SRAU (CL) qui m’annonce que son
ordinateur avec lequel elle réalise l’entrée des patients est cassé. Un patient énervé et alcoolisé a
mis un coup de pied dans l’écran. Je me rends rapidement sur les lieux et je constate que deux agents
de sécurité maintiennent à bras le corps ce patient. L’infirmière débordée par l’activité au CL est
partie dans autre box s’occuper d’une patiente. Les deux agents de sécurité en accord avec
l’infirmière, ligotent les pieds et les mains du patient à l’aide d’un drap. Un des agents de sécurité
dira « Vous pouvez vous calmer maintenant ». On me dit que ce patient est connu des urgences.
Quelques nuits plus tard, toujours aux urgences, je remarque dans l’un des box d’accueil, une jeune
patiente, Madame A entrée pour intoxication éthylique qui est contenue par une ceinture ventrale à
fermeture aimantée et ses poignets sont attachés à des bracelets fixés au lit. L’aide-soignante
m’explique que cette femme a dû être attachée car elle s’est déperfusée à deux reprises et qu’il est
indispensable qu’elle soit hydratée. L’infirmière ajoutera « si je dois constamment la perfuser…j’ai
d’autres malades ».
3
Le dimanche 19 novembre à 22h, je suis dans le long couloir des urgences où
se trouvent des brancards vides, seul un patient très agité et alcoolisé veut se
lever. Les barrières de son brancard sont relevées mais sans hésiter ce Mr W.
veut les enjamber. A sa hauteur, je lui demande de s’allonger, qu’il risque de
tomber. Il me hurle qu’il veut sortir fumer et devient violent en paroles et en
gestes et je n’échappe pas à un coup dans la cuisse. Je dois appeler Y. l’agent
de sécurité pour le maitriser. Il décide de le maintenir fortement et la mise en
place d’une contention ventrale s’impose.
Ces situations ont engendré chez moi un véritable malaise et des moments d’impuissance devant
cette pratique contraire à mes valeurs de soignants. Après plusieurs nuits de réflexion, j’ai pu aller
en discuter avec les équipes soignantes du service des urgences et des services de psychiatrie du
CHU.
Aux urgences, le personnel m’explique qu’il ne peut pas faire autrement et que c’est toujours
perturbant de contenir un malade. Mais, cela le rassure que le patient soit contenu dans le but de le
protéger. Il ajoute avec honnêteté que les rares fois où il contient un patient agité c’est aussi pour
pouvoir s’occuper des autres patients. En psychiatrie, je suis allée à la rencontre des infirmières.
Elles m’ont expliqué qu’en psychiatrie la contention comme l’isolement étaient des pratiques très
encadrées et de dernier recours et qu’ils sont des outils de soin. Elles ont ajouté que la loi de
modernisation de notre système de santé de 2016 avait évolué en 2020 et la loi explicite la durée, la
surveillance et la traçabilité de l’isolement et de la contention.
Ce constat m’amène à me pencher sur la contention physique à l’hôpital et à m’interroger sur :
-
Qu’est-ce que la contention physique et que dit le cadre règlementaire dans son utilisation ?
Est-elle une pratique banalisée dans les services d’urgence, utilisée pour les patients agités
et même violents ?
Avant d’engager la recherche sur la contention et ses aspects juridiques, il serait intéressant de
s’arrêter un instant sur la définition de la violence.
LA VIOLENCE
La contention et son utilisation font appel au concept de violence que l’Organisation Mondiale de
la Santé (OMS) définit comme « L’usage délibéré de la force physique ou de la puissance contre
soi-même, contre une autre personne ou contre un groupe ou une communauté qui entraîne ou risque
fort d’entraîner un traumatisme, un décès, un dommage moral, un mal-développement ou une
carence ». Dans ces cas cliniques, la contention est assimilée comme une certaine limitation de
mouvement et de liberté. Par conséquent, ne représente-t-elle pas une forme de violence ? Sa mise
en place peut être ressenti comme un acte traumatisant pour le patient, ses proches, d’autres patients
et les soignants. Mais cette violence vécue par les personnels de soin n’incite -t-elle pas aussi à sa
mise en place pour se protéger ?
GENERALITES SUR LA CONTENTION
Contention, du latin contentio et du verbe contendo, contendere, de cum et tendere, qui signifie
« tendre avec force », renvoie à la lutte, à l’effort et la tension. Elle rejoint l’action de maintenir, de
franchir certaines limites, de protéger l’individu de ce qui pourrait se trouver au-delà de ces limites.
La contention suppose aussi de la difficulté et même de l’importance de la part de la matière. Pour
Jérôme Palazzolo, médecin psychiatre et professeur de psychologie clinique et médicale à
l’Université Côte d’ Azur, la contention est la « limitation, par toute espèce de procédure, de
4
l’autonomie des mouvements corporels du patient1 » entrainant ainsi une certaine restriction de ses
libertés, entre autre, celle d’aller et venir dans l’établissement de soins quel qu’il soit. Selon
Palazzolo, deux modèles de contention peuvent se définir :
➢ Ce sont les contentions par souci de protéger l’individu. On peut citer le holding (manière
de maintenir, de porter) concept développé par Donald Winnicott où « la mère est capable
de contenir les angoisses de son enfant2 ».
➢ Ce sont les contentions physiques, chimiques et psychologiques. Elles sont plus souvent
« sources d’ambivalence et de culpabilité dans leur usage de contrainte et impose des
protocoles de soins pour leurs mises en place3». Elles sont le plus souvent imposées au
patient pour le protéger de lui-même et ainsi trouver l’apaisement nécessaire.
Autrement dit par la Haute Autorité de Santé4 (HAS), la contention est un ensemble de moyens
architecturaux, psychologiques, chimiques et physiques limitant la mobilité d’un patient pour le
protéger de son environnement ou pour le mettre en sécurité. S’il fallait préciser, nous pourrions
dire que la contention architecturale empêche le patient de jouir de l’espace dans lequel il peut se
déplacer. On peut citer la cellule ou la chambre d’isolement. On peut aussi y ajouter les services
fermés, les chambres fermant à clé en excluant les chambres carcérales qui par définition doivent
être fermées et qui sont, dans un hôpital public, la propriété du ministère de la justice.
Puis, la contention psychologique, plus difficile à identifier, qui fait appel à des injonctions
continues au patient, comme : « Vous ne sortez pas ! », « Ne vous levez pas ! ».
Ensuite, la contention chimique, quant à elle rassemble l’ensemble des traitements médicamenteux
comme les neuroleptiques et les sédatifs qui permettent une fois administrés de surveiller le
comportement d’un patient.
Enfin, la contention physique ou passive (ou encore contention mécanique) qui intéresse ce travail,
utilise des moyens matériels limitant la mobilité de tout ou d'une partie du corps d’un patient pour
préserver sa sécurité devant un comportement dangereux envers lui ou autrui. Ce type de contention
fait appel à des dispositifs médicaux comme la ceinture de retenue ventrale, les bracelets de
contention pour poignets ou pour chevilles, les barrières de lit, les sièges gériatriques et les sièges
avec un adaptable fixé. Il est à noter qu’il existe aussi d’autres moyens détournés de leur usage
comme les draps ou les vêtements qui sont utilisés pour contenir le malade. Sans oublier, la présence
humaine (agent de sécurité) qui peut maintenir physiquement le malade.
TRES PEU D’ETUDES EN FRANCE
L’évaluation de la mise en place de contentions existe peu en France et les études internationales
ont plus de vingt ans ce qui n’est pas représentatif au regard des évolutions législatives en santé. De
plus, même si les études reposent principalement sur l’utilisation de contentions physiques en
psychiatrie ou en gérontologie, leur utilisation en UHCD serait largement sous-estimée.
En effet, les journées nationales de l'information médicale, du contrôle de gestion et des finances en
psychiatrie à Toulouse du 11 octobre 2021, lors du débat sur l'isolement et la contention, Jérôme
Boucard, psychiatre et vice-président de la CME du centre hospitalier Gérard- Marchant (Toulouse)
1
Palazzolo, J.(2004), A propos de l’utilisation de l’isolement en psychiatrie : le témoignage de patients, l’encéphale
volume 30, pages 224-284
2
Zerillo, S, (2022) cours Psychanalyse Master 1, Sciences de l’éducation, Université Paul Valéry
3
Palazzolo, J. (2004), A propos de l’utilisation de l’isolement en psychiatrie : le témoignage de patients, l’encéphale
volume 30, pages 224-284
4
HAS (2017) Isolement et contention en psychiatrie générale Méthode Recommandations pour la pratique clinique,
https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2017-03/
5
a précisé « qu’ il y a une différence de traitement assez hypocrite entre ce qui se passe en
psychiatrie, sur laquelle on se focalise grandement […], et ce qui se passe dans d'autres services
comme la gériatrie, les urgences, la neurologie, ainsi que dans le médico-social5 ». Il ajoute que
toutes ces unités de soins où sont pratiquées la contention et l’isolement ne sont pas encadrées
légalement.
D’ailleurs, le travail de recherche de Imane Khireddine-Medouni, et Raphaël Gourevitch
médecins psychiatres à l’hôpital Saint-Anne à Paris, sur la mise en place de la contention physique
dans les services d’urgence, précisent eux aussi que si cette pratique est bien encadrée par la
législation en soins psychiatriques, on ne retrouve pas de « textes juridiques aussi clairs pour leur
pratique dans le cadre de l’urgence, les lieux accueillant les urgences n’étant par définition pas des
lieux de privation de liberté6 ». Cependant, comme on peut le constater à travers les situations
décrites plus hauts, les services d’urgence accueillent des patients agités voire même violents pour
eux et les autres et qui demandent donc une prise en charge plus coercitive.
En outre, comme le soulève également la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté
(CGLP) , Adeline Hazan, dans son rapport de 2015, Isolement et Contention « La pratique de la
contention physique n'est pas non plus l'apanage de la psychiatrie, on la rencontre également dans
de nombreux services de médecine ou en établissements médico-sociaux7 ». Elle indique
notamment que l’utilisation de ces moyens dans les services d’urgence le sont pour prévenir les
risques de chutes de lit ou de brancard et pour prévenir les crises d’agitation du fait ou non d’une
intoxication alcoolique. Elle ajoute que ces pratiques sont des atteintes aux droits fondamentaux du
citoyen et qu’elles n’ont pas prouvé leur efficacité thérapeutique.
ASPECTS REGLEMENTAIRES
La mise en place d’une contention physique n’est pas une pratique anodine, elle doit se réaliser en
respectant l’usager et ses intérêts et pour cela, le cadre législatif en place en France permet d’y être
attentif.
➢ LOI n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé
L’article L. 3222-5-1 de la loi indique que « L'isolement et la contention sont des pratiques de
dernier recours. Il ne peut y être procédé que pour prévenir un dommage immédiat ou imminent
pour le patient ou autrui, sur décision d'un psychiatre, prise pour une durée limitée8 ». La mise en
place d’une contention nécessite une surveillance accrue réalisée par des professionnels de santé
formés.
Cependant, en juin 2020, le Conseil constitutionnel par décision n°2020-844 QPC du 19 juin 2020
estimait que cet article était flou tant sur la durée des mesures d’isolements et de contentions, que
sur leurs conditions de renouvellement et d’évaluation. Ainsi pour la mesure de contention, la durée
maximale sera de six heures et si l'état de santé du patient le permet, « elle peut être renouvelée par
intervalles de six heures, dans la limite d'une durée totale de vingt-quatre heures9 ».
5
Isolement et contention en psychiatrie: les interrogations de la "saison 2"(2021) , APMnews, Journées nationales de
l'information
médicale,
du
contrôle
de
gestion
et
des
finances
en
psychiatrie,
https://www.apmnews.com/freestory/10/373648/
6
Khireddine-Medouni, I, Gourevitch, R.(2021) Enjeux de la contention mécanique dans les services d’urgence
https://doi.org/10.1016/j.amp.2021.08.003
7
Hazan, A. (2015), Isolement et Contention. http://www.cglpl.fr/2016/isolement-et-contention-dans-lesetablissements-de-sante-mentale-2/
8
Légifrance, https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/article_jo/JORFARTI000031913312#:~:text=%C2%AB%20Art.9
Légifrance, https://www.legifrance.gouv.fr/eli/loi/2020/12/14/2020-1576/jo/article_84
6
➢ La Charte du patient hospitalisé
On constate que les contentions sont des restrictions aux libertés individuelles et elles ne se
retrouvent pas en adéquation avec la Charte du patient hospitalisé qui réunit ses droits pendant son
hospitalisation. En effet, celle-ci précise qu’ « Une personne ne peut être retenue par l’établissement.
Seules les personnes ayant nécessité, en raison de troubles mentaux, une hospitalisation à la
demande d’un tiers ou une hospitalisation d’office, peuvent être retenues10 ». Elle ajoute que
« L’information donnée au patient doit être accessible et loyale11 », ce qui veut dire que le patient
doit être constamment informé des soins qui lui sont prévus et prescrits auxquels il peut s’opposer.
Par conséquent, la contention physique n’est pas exclue de ce droit et une telle mesure doit être
motivée invoquant son caractère temporaire.
➢ La Conférence de Consensus : « L’agitation en urgence (petit enfant excepté) »
La 9ème Conférence de consensus de 2002 de la Société francophone de médecine d’urgence indique
que la mise en place d’une contention doit rester une mesure d’exception et temporaire sans oublier
de l’associer à d’autres prises en charge thérapeutiques. Elle ajoute que « cette mesure fait suite à
un échec de toutes les prises en charges relationnelles 12». En effet, les mesures alternatives existent
et elles permettent de prévenir l’escalade des actes de violence et le passage à l’acte auto ou hétéroagressif. En écartant les causes organiques, le contact relationnel se vérifie souvent être satisfaisant
pour contenir, calmer et rassurer les patients agités. Faut-il encore que les personnels de santé y
soient formés.
➢ Responsabilité de l’hôpital par son projet d’établissement
Il est de la responsabilité de l’hôpital d’établir un protocole de mise en place des contentions Il doit
noter les indications de la contention, sa durée, et les modalités de surveillance du malade. Cette
procédure est annexée au dossier de soins du patient. Il est à noter que la certification mise en
œuvre par l’HAS et qui avait pour objet d'évaluer la qualité et la sécurité des soins dispensés a
précisé dans son rapport d’octobre 2017 qu’ « il existe des procédures sur les droits des patients (Ex
: Contention, confidentialité-discrétion)13 ». Et que « L’établissement ne dispose pas d’une charte
de bientraitance mais plusieurs chartes en lien avec les droits des patients existent (confidentialité
et discrétion, contention)14 ». Enfin, il souligne que « La liberté d’aller et venir est normalisée
conformément à la réglementation15 ».
LES INDICATIONS DE LA CONTENTION
Comme nous venons de le voir, la contention mise en place implique une restriction majeure de la
liberté individuelle du patient, elle doit donc rester une pratique exceptionnelle et transitoire après
l’échec de mesures alternatives moins répressives. Néanmoins, si elle doit s’appliquer, elle doit se
faire dans le respect, la dignité et la sécurité du patient tout en s’assurant de son confort avec une
surveillance attentive et ciblée. Au regard de la loi, elle ne doit être mise en place que pour prévenir
ou répondre à une violence exceptionnelle pouvant entrainer un risque grave pour l’intégrité du
patient ou celle des soignants. Bien évidemment, l’évaluation clinique est incontournable avec une
prescription médicale horodatée estimant au plus juste le bénéfice-risque de la contention. Dans son
10
Circulaire ministérielle no 95-22 du 6 mai 1995, relative aux droits des patients hospitalisés
Ibid
12 ème
9 Conférence de Consensus (2002), Agitation en urgence (Petit enfant excepté), Toulouse
13
Rapport de certification CHU Dijon, (2017)
14
Ibid
15
ibid
11
7
article, la contention physique au service des urgences : indications et principes de mise en œuvre16
(2012) de Thomas Charpeaud, psychiatre au CHU de Clermont-Ferrand, expliquent qu’en UHCD,
il faut attentif à ces protocoles de mise en place de la contention physique dont les risques ont été
bien répertoriés : aggravation d’agitation, escarre, inhalation. On note 1/1000 décès par
strangulation à laquelle s’ajoute les complications de décubitus.
PROBLEMATIQUE
Nous pouvons remarquer que la contention est légiférée par les lois, l’HAS , la Chartre du patient
hospitalier et les procédures inscrites au projet d’établissement. Elle est utilisée en secteurs
psychiatriques où elle est discutée en équipe pluridisciplinaire, prescrite avec des indications bien
précises et réévaluée régulièrement. La contention mécanique est ici un outil de soins. Cependant,
aux urgences, il semblerait que cette pratique ne soit pas réellement encadrée ni prescrite et qu’elle
se met en place dès qu’un patient agité arrive dans le service.
Des pratiques différentes au sein d’un même établissement n’est pas en soi perturbant si elles ont le
même but. Or la mise en place de la contention qui restreint la liberté de l’individu, au CHU de
Dijon semble une mise en place que je qualifierais de sauvage. Si la contention comme nous venons
de le voir est bien codifiée en quoi sa mise en place dans les services d’urgences diffère des services
de psychiatrie qui l’utilisent comme outil de soin. Est-ce pour punir, pour palier à une organisation
défaillante accentuée par la surcharge de travail et le manque de personnels. Est-ce pour se protéger
et protéger le patient. Est-ce que les personnels sont suffisamment formés et informés des
procédures instituées ?
LIMITES DE CE TRAVAIL
Les limites de ce travail ne me permettent pas de réaliser une analyse de pratique de la contention
mécanique réalisée aux urgences. Néanmoins nous pouvons percevoir une pratique différente en
psychiatrie où les protocoles existants au CHU seraient appliqués de façon plus rigoureuse et
encadrée. Il aurait été tout aussi pertinent de comparer ces pratiques professionnelles dans ces deux
services en relevant les écarts pour les analyser et les comprendre.
Les limites de ce travail, ne me permettent pas de comprendre si la contention est mise en place par
défaut aux urgences pour des patients stigmatisés particulièrement très agités sans envisager le
contact relationnel en première intention. Nous aurions pu ainsi discuter de déontologie et d’éthique
dans les soins. Par des entretiens auprès des personnels de soin, l’analyse de leur propos auraient pu
montrer l’impact de la mise en place de la contention sur le personnel soignant souvent empathique
et bienveillant. A l’inverse, la maltraitance, la contention abusive, la formation insuffisante et le
manque de connaissance des protocoles pourraient tout à fait se découvrir aux détours de ces
entretiens.
Enfin, il aurait été tout aussi pertinent d’interroger les patients et leurs familles et leur ressenti face
à la contention physique.
CONCLUSION
Les contentions physiques sont utilisées selon des procédures et selon une législation bien précise
depuis 2021. Utilisées dans un environnement qui est par excellence un endroit de liberté et qui est
16
Charpeaud, T. (2012). La contention physique au service des urgences : indications et principes de mise en œuvre.
Urgences, chapitre 112, Société Française Médecine d’Urgence.
8
l’hôpital. Aux urgences, j’ai pu remarquer que son utilisation sans être abusive n’est pas conforme
aux attentes de l’établissement et me semble réservée à des patients agités sans avoir recours à
d’autres alternatives comme le contact relationnel. Il serait intéressant de pouvoir par une analyse
de pratiques ou une enquête qualitative d’aller à la rencontre des professionnels des urgences pour
comprendre cette pratique de la prudence et l’impact que cela peut générer sur les patients comme
sur les soignants dans un milieu de tension extrême.
9
BIBLIOGRAPHIE
Azoulay, M. & Raymond, S. (2017). La contention physique, un outil de soins ?. L'information
psychiatrique, 93, 841-845. https://doi.org/10.1684/ipe.2017.1723
Bagaragaza, E., Vedel, I. & Cassou, B. (2006). Les obstacles à l'adoption des recommandations
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