Redécouvrir la fente olfactive P Henrot1, R Jankowski2, T Georgel2, B Boyer1, P Troufléau1, B Grignon3, C Lorentz2, S Kacha2, S Lecocq3, A Blum3 1Service de Radiologie, Centre Alexis Vautrin 2Service de Chirurgie Cervico-Faciale, CHU de Nancy 3Service d’Imagerie Guilloz, CHU de Nancy Introduction • La fente olfactive fait l’objet d’une attention particulière dans la pathologie traumatique de la base du crâne et les troubles de l’olfaction • En pathologie tumorale la fente olfactive ne constitue pas un site d’origine spécifique dans les séries rapportées dans la littérature, à l’exception du neuroblastome olfactif (esthésioneuroblastome). • Les localisations tumorales rapportées sont souvent peu précises, « sinuso-nasales », « cavités nasales », « fosse nasale » sans qu’il soit fait mention de la topographie exacte Introduction • La chirurgie des tumeurs ethmoïdo-nasales est classiquement pratiquée par la voie para-latéro-nasale de Moure avec l’intention de réséquer la tumeur en bloc • Certaines équipes ont développé des techniques de chirurgie endoscopique des tumeurs dérivées de la nasalisation pratiquée dans les polyposes nasosinusiennes – La résection par ces techniques ne se pratique pas en bloc mais par morcellement Introduction • L’abord chirurgical direct de la fente olfactive par voie externe est historiquement considérée comme à éviter car dangereuse pour le patient • L’abord endoscopique direct de la tumeur pratiqué par l’équipe du CHU de Nancy a révélé de nouveaux concepts nosologiques – L’adénocarcinome des travailleurs du bois naît dans la fente olfactive et non dans l’ethmoïde (Jankowski R et col. Endoscopic surgery reveals that woodworkers' adenocarcinomas originate in the olfactory cleft. Rhinology 2007;45(4):308-14) – De nombreuses autres tumeurs des cavités nasales peuvent se localiser à la fente olfactive – Des pseudo-tumeurs telles que l’hamartome épithélial respiratoire adénomatoïde considérées comme rares seraient fréquentes isolées ou associées à la polypose naso-sinusienne Définition de la fente olfactive • Pour certains la fente olfactive correspond à la région olfactive – Muqueuse olfactive couvrant • La lame criblée • 1 cm² de chaque côté, sur la paroi turbinale et sur le septum nasal • Récepteurs olfactifs : neurones bipolaires dans la muqueuse nasale dont les axones constituent les filets du nerf olfactif qui traverse la lame criblée de l’ethmoïde vers le bulbe olfactif Définition de la fente olfactive • Pour la majorité des auteurs la fente olfactive est définie en accord avec la physiologie respiratoire nasale qui divise la fosse nasale en 2 compartiments – Compartiment inférieur : fente respiratoire • Passage de l’air à flux rapide le long du plancher de la fosse nasale et du cornet inférieur – Compartiment supérieur : fente olfactive • Espace aérien étroit à flux aérien lent entre – Paroi turbinale du labyrinthe ethmoïdal en dehors – Paroi septale correspondante Définition de la fente olfactive – Compartiment supérieur : fente olfactive • – Espace aérien étroit à flux aérien lent entre – Paroi turbinale du labyrinthe ethmoïdal en dehors – Paroi septale correspondante Compartiment inférieur : fente respiratoire • Passage de l’air à flux rapide le long du plancher de la fosse nasale et du cornet inférieur Radioanatomie de la fente olfactive Radioanatomie de la fente olfactive • Toit – Segment antérieur nasal – Segment moyen ethmoïdal – Segment postérieur sphénoïdal Radioanatomie de la fente olfactive • 1 2 3 Toit – Segment antérieur nasal : face inférieur de l’os propre du nez (1), épine nasale de l’os frontal (2) et paroi interne du sinus frontal (3) Radioanatomie de la fente olfactive • Toit – Segment moyen ethmoïdal : lame criblée Radioanatomie de la fente olfactive • Toit – Segment postérieur sphénoïdal : processus ethmoïdal du sphénoide Radioanatomie de la fente olfactive • Toit – Dans le plan coronal, le toit de la fente olfactive (flèche) est situé plus bas que le toit de l’ethmoïde (flèche) – Une asymétrie de hauteur du toit de la fente olfactive D et G est fréquente Radioanatomie de la fente olfactive • Paroi antérieure : – frontière virtuelle entre le vestibule nasal et la fente olfactive • Paroi postérieure : – paroi antérieure du corps du sphénoïde Radioanatomie de la fente olfactive • Paroi latérale : paroi turbinale du labyrinthe ethmoïdal – Partie supérieure : lame conchale de Mouret • Lame osseuse verticale • S’insère sur le toit de l’ethmoïde • Donne insertion aux cornets moyen (flèche), supérieur et suprême de l’avant vers l’arrière Radioanatomie de la fente olfactive • Paroi latérale : paroi turbinale du labyrinthe ethmoïdal – Partie supérieure : lame conchale de Mouret • Lame osseuse verticale • S’insère sur le toit de l’ethmoïde • Donne insertion aux cornets moyen, supérieur (flèche) et suprême de l’avant vers l’arrière Radioanatomie de la fente olfactive • Paroi latérale : paroi turbinale du labyrinthe ethmoïdal – Partie supérieure : lame conchale de Mouret • Lame osseuse verticale • S’insère sur le toit de l’ethmoïde • Donne insertion aux cornets moyen, supérieur et suprême (inconstant) (flèche) de l’avant vers l’arrière Radioanatomie de la fente olfactive • Paroi latérale : paroi turbinale du labyrinthe ethmoïdal – Partie supérieure : lame conchale de Mouret • Se prolonge vers le toit de l’ethmoïde au-dessus de la lame criblée par un court segment appelé lamelle latérale de la gouttière olfactive (flèche) Radioanatomie de la fente olfactive • Paroi latérale : paroi turbinale du labyrinthe ethmoïdal – Partie inférieure : cornet moyen • Il n’y a pas de limite inférieure de la fente olfactive précise décrite dans la littérature • Le bord libre du cornet moyen constitue la limite inférieure de la paroi latérale de la fente olfactive telle que nous la définissons Radioanatomie de la fente olfactive • Paroi médiale : portion correspondante du septum nasal • Paroi inférieure : virtuelle ouverte sur la fente respiratoire Rapports anatomiques de la fente olfactive • Au-dessus : gouttière olfactive et étage antérieur de la base du crâne (tête de flèche) • Latéralement : labyrinthe ethmoïdal (flèche) puis orbite • Médialement : lame perpendiculaire de l’ethmoïde recouverte par le périchondre-périoste septal (tête de flèche) puis fosse nasale controlatérale Imagerie des tumeurs de la fente olfactive Données de la littérature • La séméiologie rapportée concerne les tumeurs des cavités nasales ou sinuso-nasales sans description spécifique rapportée pour les tumeurs de la fente olfactive: – Masse (TDM-IRM) – Signal variable en T1 et T2 (IRM), signal souvent isosignal en T1 et intermédiaire en T2 – Calcifications ou résidus osseux intratumoraux (TDM) – Ostéolyse des parois des cavités sinuso-nasales, des orbites et de la lame criblée, rarement ostéosclérose (TDM) – Comblement rétentionnel des sinus (IRM plus fiable que la TDM) – Epaississement méningé réactionnel, envahissement méningé ou envahissement cortical des lobes frontaux (IRM) – Envahissement sous-périosté de la paroi orbitaire ou extension intraorbitaire extraconique ou intraconique (TDM-IRM) – Infiltration périnerveuse le long des branches du Nerf Trijumeau (IRM) Adénocarcinome des travailleurs du bois : données récentes • Observations de la chirurgie endoscopique (Jankowski et al Rhinology 2007; 45: 308-14): – L’adénocarcinome des travailleurs du bois se développe de la fente olfactive vers la fosse nasale comme une tumeur polypoïde – Beaucoup de ces tumeurs même volumineuses n’infiltrent pas mais refoulent et compriment les structures environnantes, le septum nasal et la paroi turbinale de l’ethmoïde • Il existe des signes TDM qui confirment les observations de la chirurgie endoscopique Adénocarcinome des travailleurs du bois : imagerie TDM • Corrélations Radiologie – Chirurgie endoscopique • Scanner de 27 patients traités consécutivement par chirurgie endoscopique comparé au scanner de 33 patients indemnes de pathologie naso-sinusienne • (Georgel T, Jankowski R, et al. AJNR 2009) • Largeur de la fente olfactive – 15.12 +/-4.52 mm (8.6 - 25.7) vs 3.28 +/-0.68 (p < 0.001) • Déviation septum / ligne médiane – 4.58 +/-3.05 mm (0.1 – 13.7) vs 0.51 +/- 0.98 (p < 0.001) • Angulation latérale de la lame conchale / ligne médiane – 39.76°+/-13.83 vs 0.45°+/-2.13 (p < 0.001) Adénocarcinome des travailleurs du bois : imagerie IRM • Corrélations Radiologie – Chirurgie endoscopique • Séméiologie en IRM – – – – Masse de la fente olfactive Bascule latérale de la paroi turbinale de l’ethmoïde Bombement du septum nasal Absence d’envahissement ou atteinte partielle du labyrinthe ethmoïdal • Contenu aérique: signal noir en T1-T2 • Epaississement en liseré des muqueuses d’aspect inflammatoire • Comblement rétentionnel des cavités (hypersignal T2, pas de rehaussement après gadolinium) • Préservation des cellules ethmoïdales sous le toit ethmoïdal y compris en cas de tumeur volumineuse Cas n°1 TDM Patient de 76 ans menuisier pendant 50 ans. Obstruction nasale et mouchages striés de sang révélant un adénocarcinome de type intestinal bien différencié. Comblement des cavités ethmoïdo-nasales G (flèche) Cas n°1 TDM Elargissement de la fente olfactive G (flèche rouge), refoulement à D du septum nasal (trait vert) et bascule latérale de la lame conchale (trait jaune) Cas n°1 TDM + IRM L’IRM montre un signal différent entre la tumeur en hyposignal T2 (astérisque) et l’ethmoïde en rétention en hypersignal T2 (flèche) T2 * L’origine de la tumeur est dans la fosse nasale et non dans l’ethmoïde Cas n°1 TDM + IRM L’IRM montre un signal différent entre la tumeur en hyposignal T2 (astérisque) et l’ethmoïde en rétention en hypersignal T2 (flèche) * T2 Cas n°2 TDM Patient de 50 ans menuisier pendant 17 ans. Obstruction nasale révélant un adénocarcinome de type intestinal mixte papillaire et mucineux. Comblement de la fosse nasale et du labyrinthe ethmoïdal G (flèche) Cas n°2 TDM Elargissement de la fente olfactive G (trait rouge), refoulement à D du septum nasal (flèche verte) et bascule latérale de la lame conchale (trait jaune) Cas n°2 TDM + IRM L’IRM montre un signal différent entre la tumeur en hyposignal T2 (astérisque) et l’ethmoïde en rétention en hypersignal T2 (flèche) * L’origine de la tumeur est dans la fente olfactive et non dans l’ethmoïde T2 Cas n°3 TDM Patient de 72 ans ancien menuisier. Epistaxis à répétition depuis quelques semaines révélant un adénocarcinome de type intestinal. Comblement de la fente olfactive G (astérisque) * * Cas n°3 TDM Elargissement de la fente olfactive G (trait rouge) et bascule latérale de la lame conchale (trait jaune) Cas n°3 TDM + IRM Le scanner et l’IRM montrent un labyrinthe ethmoïdal G normal à contenu aérien (flèche) T2 L’origine de la tumeur est dans la fente olfactive et non dans l’ethmoïde Cas n°3 IRM L’IRM en coupe axiale montre un labyrinthe ethmoïdal G normal à contenu aérien de signal noir en T2 et en T1 (flèche) T2 T1 + gadolinium L’origine de la tumeur est dans la fente olfactive et non dans l’ethmoïde Autres tumeurs et pseudotumeurs naissant dans la fente olfactive : données de l’imagerie Hamartome épithelial respiratoire adénomatoïde des fentes olfactives (HERA) • Décrit en 1995 par Wenig et Heffner • Initialement rapporté comme rare • Semble fréquemment associé à la polypose nasosinusienne • Jankowski et col. 380 patients opérés d’une PNS – HERA présent dans 18.2 %, bilatéral dans 62.3% – Signe TDM : comblement de la fente olfactive • Le traitement de la PNS doit prendre en compte l’existence d’un hamartome Hamartome épithelial respiratoire adénomatoïde (HERA) Patient de 85 ans. Obstruction nasale depuis plusieurs années. Le scanner montre un comblement des fentes olfactives (flèches rouges) contrastant avec des cellules ethmoïdales pratiquement normales (flèches jaunes). L’exérèse chirurgicale a confirmé le diagnostic d’ hamartome épithélial respiratoire adénomatoïde. Hamartome épithelial respiratoire adénomatoïde (HERA) Patiente de 70 ans. Sinusite antérieure G récidivante. Scanner avant ethmoïdectomie antérieure unilatérale associée à une méatotomie moyenne G. Une formation polypoïde est mise en évidence dans la fente olfactive G (flèche). La biopsie pratiquée révèle l’existence d’un hamartome épithélial respiratoire adénomatoïde. Neuroblastome olfactif • Rare : 2-5 % des tumeurs des cavités nasales • La plupart prennent origine au niveau de l’épithélium olfactif à la partie supérieure des fosses nasales • L’envahissement intracrânien est fréquent et constitue le principal facteur pronostic • Classification de Dulgerov 1992 (UCLA) – T1 : tumeur de la fosse nasale avec persistance d’air entre la tumeur et la lame criblée – T2 : tumeur en contact avec la lame criblée ou envahissement sphénoïdal – T3 : extension intracrânienne extradurale ou envahissement orbitaire – T4 : extension intracrânienne intradurale Neuroblastome olfactif • Imagerie – – – – – – Masse Calcifications intratumorales possibles (TDM) Hyposignal T1, hypersignal T2 (IRM) Rehaussement intense après gadolinium (IRM) Lyse de la lame criblée (TDM) Extension intracrânienne avec zones kystiques (IRM) • TDM corps entier et scintigraphie osseuse recommandées compte tenu du potentiel métastatique élevé Neuroblastome olfactif * * Patiente de 69 ans. Obstruction nasale unilatérale G depuis plusieurs années avec anosmie depuis 1 mois. A l’examen formation bourgeonnante saignant au contact. Biopsie révélant un neuroblastome olfactif. Le scanner montre une masse des fosses nasales (astérisques) siège d’un rehaussement intense après injection, à développement bilatéral avec lyse osseuse du septum (flèche) Neuroblastome olfactif * * * * T2 T1 + gadolinium L’IRM montre la topographie centrale de la tumeur dans les 2 fentes olfactives de signal intermédiaire en T2 et siège d’un rehaussement intense après gadolinium (astérisques). Le labyrinthe ethmoïdal apparaît comprimé des 2 côtés et d’aspect rétentionnel en hypersignal T2 et non ou partiellement rehaussé après gadolinium (flèches). Papillome inversé • Bénin mais localement agressif et récidivant • Rare : 0.4 à 4.7 % des tumeurs des cavités nasales • Origine : paroi latérale de la fosse nasale dans 95% des cas Papillome inversé • Imagerie : peut simuler la malignité – Masse polypoïde, lobulée – Calcifications 4 % : résidus d’ostéolyse plutôt que calcifications tumorales (TDM) – Hyposignal T2 (IRM) – Erosion, amincissement ou aspect soufflant des structures osseuses : atrophie par compression et remodelage plutôt que franche invasion (CT) – Rehaussement modéré après gadolinium • Carcinome épidermoïde associé dans 10 % des cas, initialement ou en récidive Papillome inversé Patient de 72 ans. Obstruction nasale G isolée depuis 2 ans. Biopsie: papillome inversé. La lésion comble la moitié postérieure de la fente olfactive G (flèche rouge) et comble la totalité de la fosse nasale dans sa partie postérieure (flèche jaune) Papillome inversé Patient de 71 ans. Obstruction nasale depuis 2 ans. A l’examen, formation polypoïde d'aspect papillomateux à D, lésion nécrotique de la fente olfactive gauche. Biopsie : papillome inversé avec foyers de dysplasie légère à modérée. La lésion comble la quasi-totalité des 2 fosses nasales et élargit les 2 fentes olfactives (flèches rouges). Elle détruit le septum et les cornets moyens dont il ne reste que des résidus (flèches jaunes) Papillome inversé T2 * * T1 + gadolinium L’IRM montre la topographie centrale de la lésion lysant le septum (flèche) s’extériorisant dans le vestibule nasal (tête de flèche) en hyposignal relatif en T2 (astérisque) et se rehaussant modérément après gadolinium (astérisque). Autres tumeurs Pour les autres tumeurs des cavités nasales la localisation dans la fente olfactive n’a pas été spécifiquement rapportée (localisations tumorales parfois mentionnées sur la paroi latérale ou la partie supérieure de la fosse nasale) – Carcinome épidermoïde – Carcinome indifférencié – Carcinome adénoïde kystique – Mélanome – Lymphome – Plasmocytome – Carcinome neuroendocrine – – – – – – – Métastases Paragangliome Schwannome Ectopique méningiome Ostéosarcome Chondrosarcome Fibrosarcome En conclusion • Les observations de la chirurgie endoscopique confirmées en imagerie font proposer une séméiologie spécifique des tumeurs de la fente olfactive à un stade précoce : 1. Masse occupant l’espace aérien de la fente olfactive 2. Elargissement de la fente olfactive 3. Bascule latérale de la lame conchale de Mouret 4. Bombement du septum nasal 5. Ostéolyse de la lame criblée 6. Compression du labyrinthe ethmoïdal homolatéral, à contenu aérien, d’aspect inflammatoire ou rétentionnel En conclusion • • • Il y a peu de données concernant la fente olfactive dans la littérature radiologique L’imagerie pourrait permettre la détection précoce de l’adénocarcinome chez les travailleurs du bois et le diagnostic d’hamartome chez les patients souffrant d’obstruction nasale ou d’anosmie L’imagerie contribue à la prise en charge des patients par les techniques récentes de chirurgie endoscopique