Le normal et le pathologique

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vendredi 28 avril 2017
Canguilhem - Le normal et le pathologique
Notes
LEXIQUE MEDICAL :
-Tératologie : la science des anomalies de l'organisation anatomique, congénitale et
héréditaire, des êtres vivants.
-Nosologie : une branche de la médecine qui étudie les critères de classification des
maladies tandis que les classifications en elles-mêmes concernent la nosographie.
-Histologie : autrefois anatomie microscopique, c’est la branche de la biologie et de la
médecine qui étudie les tissus biologiques.
-Iatromécanisme : Principe qui ramène tous les phénomènes vitaux et la
thérapeutique à des actions mécaniques.
Sujet et notes :
Introduction :
Canguilhem définit l’objectif poursuivi dans sa thèse, il s’agira d’emprunter une voie
entre la médecine et la philosophie qui n’aura pas vocation à introduire une
métaphysique en médecine ou à renouveler cette dernière mais à renouveler certains
concepts méthodologiques grâce à l’apport de la médecine. Le problème du normal et
du pathologique se spécifiera ainsi d’abord comme un problème de tératologie et de
nosologie, ce dernier à son tour en nosologie somatique (physiopathologie) et nosologie
psychique (psychopathologie). Nous nous concentrerons en premier lieu sur le problème
décliné selon la nosologie somatique.
L’exposé se confrontera à une thèse généralement adoptée lors du XIXème siècle : les
phénomènes pathologiques sont identiques aux phénomènes normaux
correspondants, aux variations quantitatives près.
Première partie — l’état pathologique n’est-il qu’une
modification quantitative de l’état normal ?
I - Introduction au problème :
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Deux conceptions de la médecine. La conception pastorienne qui est une conception
ontologique de la maladie (les microbes) et donc un optimisme vis-à-vis de la
thérapeutique. A l’inverse, la conception hippocratique (grecque) est une conception
dynamique et totalisante de la maladie (tension vers un équilibre des quatre humeurs à
l’échelle d’un corps voire d’un environnement) et donc un optimisme vis-à-vis de la
nature. Ces deux conceptions si opposées soit elles ont un point commun, elles voient
toutes deux dans la maladie quelque chose comme une polémique (lutte contre un
corps étranger, ou entre des forces opposées). La maladie diffère de l’état de santé
comme une qualité d’une autre.
Cependant, et là est le problème qui s’est posé historiquement, dans une conception qui
admet que l’homme puisse forcer la nature (donc surtout dans la conception de type
pastorien), l’aliénation qualitative est difficilement soutenable, ne soutenait-on pas
depuis Bacon qu’on ne commande à la nature qu’en lui obéissant ? Commander à
la maladie, n’est-ce pas justement en connaître les rapports avec l’état normal ?
On a besoin de rétablir la continuité pour mieux connaître et mieux agir.
L’aboutissement de cette évolution c’est la formation d’une théorie des rapports entre le
normal et le pathologique qui se fonde exclusivement sur la différence quantitative. (on
passe sémantiquement des a ou des dys à des hypo ou des hyper-). Là on en est arrivé
au XIXème siècle, à Claude Bernard et Auguste Comte. Pour Comte, le pathologique
sert à explorer le normal, pour Claude Bernard c’est grossièrement l’inverse.
II - Auguste Comte et le «!principe de Broussais!»
Broussais affirme : Toutes les maladies admises ne sont que des symptômes et il ne
saurait exister de dérangements des fonctions vitales sans lésions d’organes ou plutôt
de tissus (chez Broussais cela s’appuie sur l’idée que l’excitation — du cerveau ou de
l’environnement — constitue le fait vital fondamental). Cela signifie que toutes les
maladies consistent essentiellement dans le défaut ou l’excès de l’excitation de
divers tissus par rapport à un état normal. Comte l’élève au rang de principe
universel de sa philosophie, ce qui lui permet d’en conclure que le progrès n’est que le
développement de l’ordre, cet aphorisme de Broussais il le résume ainsi : «"toute
modification, artificielle ou naturelle, de l’ordre réel concerne seulement l’intensité des
phénomènes correspondant."» Cela vaut pour l’organisme collectif comme pour
l’organisme individuel.
Apories :
-d’abord peut-il prouver que le phénomène pathologique a toujours son analogue dans
un phénomène physiologique et non qu’il constitue quelque chose de tout à fait
nouveau ?
-N’y a-t-il pas une confusion entre homogénéité et continuité ? (Explication : le
concept d’homogénéité implique de définir une nature commune alors que le concept
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de continuité n’implique que d’intercaler entre 2 éléments des intermédiaires sans les
réduire l’un à l’autre et sans définir aucun des deux. )
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-ensuite, il ne donne aucun critère permettant de reconnaître ce qui est normal, ce qui
fait qu’on tourne en rond (si ce n’est en parlant d’harmonie - mais alors il réintroduit du
qualitatif). Ainsi, on ne peut que reconnaître le caractère normatif de l’état dit
normal et donc qu’un idéal de perfection plane sur la tentative de définition positive
de l’état normal.
Ainsi, on peut esquisser l’objection majeure contre la thèse selon laquelle le
pathologique est une physiologie étendue : l’ambition de rendre la pathologie et par suite
la thérapeutique intégralement scientifique, en la faisant procéder simplement d’une
physiologie préalablement instituée, n’aurait de sens que si d’abord une définition
purement objective pouvait être donnée du normal comme d’un fait, si de plus on
pouvait traduire toute différence entre l’état normal et l’état pathologique dans le langage
de la quantité, car la quantité seule peut rendre compte à la fois de l’homogénéité et de
la variation.
III - Claude Bernard et la pathologie expérimentale :
Les travaux de Cl. Bernard sur le diabète illustrent particulièrement la thèse selon
laquelle «"toute maladie n’est qu’une expression troublée d’une fonction normale
correspondante"», «"les symptômes préexistent toujours à l’état dit normal, seul leur
intensité varie"». La glycémie n’est pas chez le diabétique un phénomène pathologique
par elle-même mais par sa quantité selon Cl. Bernard.
Dans Claude Bernard, l’idée de continuité entre le normal et le pathologique est elle-
même en continuité avec l’idée de la continuité entre la vie et la mort, entre la
matière organique et la matière inerte, entre les fonctions physiologiques du
végétal et de l’animal. Reconnaître la continuité des phénomènes ne signifie pourtant
pas en méconnaître l’originalité (ce qu’il fait pour la mort et la vie). Doit-on alors
considérer que malgré cette continuité et comme pour la vie et la mort, les phénomènes
Qu’est-ce que cela signifie ? On a ici un argumentaire très intéressant que je ne saurais
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résumer, je cite donc : En ne s’appuyant que sur la continuité on en arrive à ne définir ni un
terme — la maladie — ni l’autre — la santé. C’est si vrai qu’on dira alors que la maladie ou que
la santé n’existe pas sans se rendre compte qu’on ressuscite alors l’argument ontologique. En
effet «"On a cherché longtemps si on pourrait prouver l’existence de l’être parfait à partir de sa
qualité de parfait, puisque ayant toutes les perfections, il aurait aussi celle de se donner
l’existence. Le problème de l’existence effective d’une santé parfaite est analogue. Comme si la
santé parfaite n’était pas un concept normatif, un type idéal ? En toute rigueur, une norme
n’existe pas, elle joue son rôle qui est de dévaloriser l’existence pour en permettre la correction.
Dire que la santé parfaite n’existe pas c’est seulement dire que le concept de santé n’est pas
celui d’une existence, mais d’une norme dont la fonction et la valeur est d’être mise en rapport
avec l’existence pour en susciter des modifications. Cela ne signifie pas que santé soit un
concept vide.)
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pathologiques ne sont pas inclus dans la catégorie «"phénomènes physiologiques"»
mais sont des expressions particulières, résultent de mécanismes spéciaux ?
Apories :
-collusion de concepts quantitatifs et qualitatifs. D’où la question : le concept de
maladie est-il le concept d’une réalité objective accessible à la connaissance
scientifique quantitative ?
L’exemple du diabète :
Si on considère le mécanisme rénal dans ses résultats, la maladie est l’apparition d’une
qualité nouvelle ; cependant, si on considère le mécanisme en lui-même, la maladie
n’est qu’une variation quantitative. Il y a un effet de seuil.
1) Mais a-t-on le choix du point de vue en tant que scientifique ? ne doit-on pas
toujours regarder les causes réelles plutôt que les effets apparents ?
2) Cela serait incontestable si notre organisme était une machine, mais ne tombe-t-on
pas alors dans les écueils des conceptions iatromécanistes ? (on voit par exemple
aujourd’hui que le seuil rénal dans le cas du diabète est essentielle mobile et son
comportement variable suivant les patients — autant dire qu’il faut introduire quelque
chose comme un «"comportement rénal"» qui brouille l’articulation mécaniste et les
seuils quantitatifs). La principale objection à la théorie de Cl. Bernard, c’est que dans
l’organisme vivant toutes les fonctions sont interdépendantes et leurs rythmes
accordés : le comportement rénal ne s’abstrait que théoriquement du comportement
de l’organisme fonctionnant comme un tout.
3) En somme, postuler l’identité des lois de la physique et de la chimie n’oblige pas à
méconnaître la spécificité des phénomènes qui les manifestent. La théorie de Cl.
Bernard est valable dans les cas limités où a) on ne prend en compte que quelque
symptôme abstraction faite de son contexte clinique, b) lorsqu’on remonte des effets
symptomatiques à des mécanismes fonctionnels partiels.
En conclusion, Claude Bernard a formulé dans le domaine médical l’exigence profonde
d’une époque qui croyait à la toute-puissance d’une technique fondée sur la science. Un
art de vivre, la médecine, implique une science de la vie. Mais fallait-il en déduire avec
une brutale simplicité que la vie est identique à elle-même dans la santé et dans la
maladie ? «"La science des contraires est une, disait Aristote, doit-on en conclure
que les contraires ne sont pas des contraires ?!»
Ainsi ne conviendrait-il pas de dire que le fait pathologique n’est saisissable
comme tel, c’est-à-dire comme altération de l’état normal, qu’au niveau de la
totalité organique (et s’agissant de l’homme qu’au niveau de la totalité individuelle
consciente, où la maladie devient un espèce de mal) ?
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Alors pourquoi tant d’égarement ? Parce qu’il faut bien s’apercevoir que les symptômes
morbides subjectifs et objectifs diffèrent la plupart du temps ce qui conduit les médecins
à tenir l’expérience pathologique directe du malade pour négligeable. Voilà pourquoi on
a si peu retenu ce caractère qu’à la maladie d’être vraiment pour le malade une autre
allure de la vie.
IV - Les conceptions de R. Leriche :
Pour Leriche : «"La santé c’est la vie dans le silence des organes"» alors que la maladie
«"c’est ce qui gêne les hommes dans l’exercice de leur vie et dans leurs occupations et
surtout ce qui les fait souffrir"». Il va seulement redéfinir immédiatement la définition de
la maladie puisqu’il arrive que le silence des organes ne veuille pas dire absence de
maladie (parce que nous avons trop de poumons pour respirer…) On redéfinit alors la
maladie comme altération des tissus. Par exemple si un individu meurt par accident et
que l’autopsie révèle qu’il développait un cancer du rein ignoré de lui-même, le médecin
conclura à la maladie. Cela va contre l’idée de Canguilhem qui soutient que «"il n’y a
rien dans la science qui n’ait d’abord apparu dans la conscience!» et donc que
c’est le point de vue du malade qui est au fond le vrai. Son argument va se déployer en
montrant que le malade précède toujours la maladie (ou disons la recherche/
connaissance de la maladie donc la médecine). «"C’est donc toujours en droit, sinon
actuellement en fait, parce qu’il y a des hommes qui se sentent malades qu’il y a une
médecine, et non parce qu’il y a des médecins que les hommes apprennent d’eux leurs
maladies."»
Même Leriche va opérer un pas de recul, il dira finalement que la coïncidence de la
maladie ne s’opère pas au niveau de l’entité anatomique mais physiologique (au niveau
de l’organisme entier en fonction) mais il ne va pas encore aussi loin que Canguilhem
pour qui il y'a réellement coïncidence seulement au niveau de l’individu conscient de ses
fonctions organiques. Leriche va appuyer sa théorie sur une transformation du concept
de douleur : «"ce n’est plus par la douleur que la maladie est définie, c’est comme
maladie que la douleur est présentée"». Le phénomène de douleur vérifie ainsi élective
ment la théorie de la maladie comme «"nouveauté physiologique"». Autrement dit, tout
en elle est anormal, rebelle à la loi ; c’est un phénomène de réaction totale qui n’est un
sens qu’au niveau de l’individualité humaine concrète.
Ce que nous devons retenir c’est que Leriche, ayant à définir la maladie, ne voie d’autre
moyen de la définir que par ses effets. Or avec au moins l’un de ses effets, la douleur,
nous quittons sans équivoque le plan de la science abstraite pour la sphère de la
conscience concrète.
En conclusion de ce chapitre, nous voyons que les conceptions de Leriche renversent
en un sens l’idée commune à Cl. Bernard et à Comte selon laquelle la science précède
la technique. En droit, on devrait presque toujours procéder de la technique suscitée par
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