Alors pourquoi tant d’égarement ? Parce qu’il faut bien s’apercevoir que les symptômes
morbides subjectifs et objectifs diffèrent la plupart du temps ce qui conduit les médecins
à tenir l’expérience pathologique directe du malade pour négligeable. Voilà pourquoi on
a si peu retenu ce caractère qu’à la maladie d’être vraiment pour le malade une autre
allure de la vie.
IV - Les conceptions de R. Leriche :
Pour Leriche : «"La santé c’est la vie dans le silence des organes"» alors que la maladie
«"c’est ce qui gêne les hommes dans l’exercice de leur vie et dans leurs occupations et
surtout ce qui les fait souffrir"». Il va seulement redéfinir immédiatement la définition de
la maladie puisqu’il arrive que le silence des organes ne veuille pas dire absence de
maladie (parce que nous avons trop de poumons pour respirer…) On redéfinit alors la
maladie comme altération des tissus. Par exemple si un individu meurt par accident et
que l’autopsie révèle qu’il développait un cancer du rein ignoré de lui-même, le médecin
conclura à la maladie. Cela va contre l’idée de Canguilhem qui soutient que «"il n’y a
rien dans la science qui n’ait d’abord apparu dans la conscience!» et donc que
c’est le point de vue du malade qui est au fond le vrai. Son argument va se déployer en
montrant que le malade précède toujours la maladie (ou disons la recherche/
connaissance de la maladie donc la médecine). «"C’est donc toujours en droit, sinon
actuellement en fait, parce qu’il y a des hommes qui se sentent malades qu’il y a une
médecine, et non parce qu’il y a des médecins que les hommes apprennent d’eux leurs
maladies."»
Même Leriche va opérer un pas de recul, il dira finalement que la coïncidence de la
maladie ne s’opère pas au niveau de l’entité anatomique mais physiologique (au niveau
de l’organisme entier en fonction) mais il ne va pas encore aussi loin que Canguilhem
pour qui il y'a réellement coïncidence seulement au niveau de l’individu conscient de ses
fonctions organiques. Leriche va appuyer sa théorie sur une transformation du concept
de douleur : «"ce n’est plus par la douleur que la maladie est définie, c’est comme
maladie que la douleur est présentée"». Le phénomène de douleur vérifie ainsi élective
ment la théorie de la maladie comme «"nouveauté physiologique"». Autrement dit, tout
en elle est anormal, rebelle à la loi ; c’est un phénomène de réaction totale qui n’est un
sens qu’au niveau de l’individualité humaine concrète.
Ce que nous devons retenir c’est que Leriche, ayant à définir la maladie, ne voie d’autre
moyen de la définir que par ses effets. Or avec au moins l’un de ses effets, la douleur,
nous quittons sans équivoque le plan de la science abstraite pour la sphère de la
conscience concrète.
En conclusion de ce chapitre, nous voyons que les conceptions de Leriche renversent
en un sens l’idée commune à Cl. Bernard et à Comte selon laquelle la science précède
la technique. En droit, on devrait presque toujours procéder de la technique suscitée par