S’asseoir pour parler (L’art de communiquer de mauvaises nouvelles aux malades) Robert Buckman Ed. Masson Les enjeux : pourquoi n’est-ce pas un luxe de bien communiquer ? L’ apprentissage de la communication se fait souvent « sur le tas » de manière occasionnelle et ponctuelle. Or il est essentiel d’acquérir un certain savoir-faire en la matière pour les raisons suivantes • masse croissante d’informations à maîtriser par le médecin • demande croissante d’information de la part des patients • litiges médecins-patients ayant souvent pour origine plus un défaut de communication que de compétences • augmentation du degré de satisfaction des patients et des soignants (prévention du burn-out) • parce que, si la vérité est terrible, on oublie que le mensonge est pire encore Dès lors, l’art de communiquer des mauvaises nouvelles : - fait partie intégrante du travail de soignant - doit s’apprendre selon une méthodologie éprouvée - doit obéir à un certain « dosage » : dire la vérité obéit à certaines « règles pharmacologiques » : dosage, etc…. - le praticien qui informe doit être celui qui a une certaine responsabilité thérapeutique envers le patient. Définition d’une mauvaise nouvelle C’est une information qui modifie radicalement et négativement la façon dont le sujet se représente son avenir (P 13). Donc l’impact sur le patient va résulter du fossé entre ce qu’il sait déjà, ce à quoi il s’attend et l’ information délivrée par le médecin. Celui-ci se sent souvent, au préalable, maladroit et incompétent . D’où vient cette crainte ? 1) de la société ambiante gagnée par le déni ou refus de la maladie, le « jeunisme » : la maladie y représente une menace de perte de la « valeur sociale » de l’individu 2) de faire souffrir le patient : il n’y a pas de lien direct entre la gravité de la maladie selon le médecin et son impact sur le patient qui dépend plus de la biographie et du mode de vie de celui-ci (p 15). « Les connaissances dont on dispose sur une maladie donnée ne permettent pas forcément de prévoir la réaction du patient »(P 15) » 3) des difficultés du soignant a. peur de faire mal b. projection (moi, à sa place, j’aurais peur) c. peur des reproches i. culpabilité du messager (p 17) « tout se passe comme si l’ être humain, face à une difficulté, a besoin de la personnifier pour trouver une cible à sa colère et à son indignation ». Et quand tout va mal, beaucoup de qualités attribuées au médecin se transforment 1 d. e. f. g. h. en défauts (p 18). En effet, un grand pouvoir est attribué à la science médicale. Mais quand il y a une mauvaise nouvelle, on se sent « lâché » par la médecine et on le reproche à son représentant càd le médecin (p 18) ii. Crainte de l’ échec thérapeutique, comme s’il y avait toujours un responsable à la souffrance, croyance qui découle de celle, entretenue par le scientisme, que la médecine aurait remède à tout. De telle sorte que la maladie, la souffrance et la mort sont toujours attribuées à une défaillance du système médical plutôt qu’à une dimension de la condition humaine ! Cette crainte de l’ échec ou de l’impuissance thérapeutique et renforcée par 1) les études médicales qui éduquent à dépister, traquer et traiter un maximum de situations pathologiques 2) le contexte social qui alimente la conviction que tout individu a un droit absolu à être guéri et que dès lors, en cas de non-guérison, il y a un responsable, un coupable et une victime qui a droit à un dédommagement (p 19) peur d’un domaine inconnu : « compétence » qui n’ a pas été acquise et qui ne bénéficie pas encore de « conduites standardisées » selon des normes admises par la profession. Peur de provoquer une « réaction secondaire » (p. ex. les pleurs) et de ne pas pouvoir y faire face. i. Or, « se taire » ne fait pas disparaître la maladie ii. Le médecin n’est pas « coupable » de la réaction du patient iii. Mais il a la responsabilité de la manière dont il conduit l’entretien peur de ressentir des émotions et d ‘exprimer des sentiments. Peur de la maladie et de la perspective de sa propre mort Peur de la hiérarchie médicale Finalement, le problème fondamental est d’avoir à affronter la mort ou l’idée de celle-ci è du côté de la société : o on ne meurt plus à la maison o espérance d’une longue vie sans maladie puisque la médecine a fait de tels progrès o prépondérance de l’argent o privatisation de la religion è du côté du patient : craintes multiples Hélène Kubler-Ross avait tenté de décrire les étapes successives par lesquelles était sensée passer toute personne mise en face d’une maladie grave : dénégation, colère, marchandage, dépression, acceptation. Ce modèle est trop stéréotypé et centré sur la maladie plutôt que sur le patient. Chacun en effet, réagit plus en fonction d’un répertoire d’émotions et d’expériences engrangées tout au long de son histoire personnelle (p 28). Le patient réagit donc plus en fonction de ces données personnelles que selon un processus standardisé supposé universel : chacun réagit en fonction de son être et non pas en fonction d’étapes supposées du processus ou de la maladie. Le modèle de Kubler-Ross ignore l’ angoisse, la culpabilité et l’ alternance 2 espoir / désespoir ( p 29-30). Tout la question est d’essayer de percevoir si les réactions du patient l’aident à surmonter sa maladie, son angoisse ou non. Compétences de base de la communication 1) laisser le patient parler et formuler ce qui l’amène, sans l’ interrompre. 2) reformuler pour vérifier auprès de lui qu’on a bien compris, au besoin après avoir posé des questions ouvertes puis « semi-fermées » 3) éviter le jargon médical qui plonge souvent le patient dans le désarroi, lui donnant à penser que sa maladie est plus grave qu’il ne croyait ou que le médecin lui cache quelque chose en se retranchant derrière un langage technique ou encore que le médecin ne lui accorde aucune place en tant que partenaire du processus de prise en charge de sa maladie. 4) Tâcher de repérer à quelle place les patients mettent le médecin au regard de la conception idéale qu’ils ont au départ de la relation médecin-patient (p 38) : figure parentale, scientifique, expertise, égalitaire, etc……...) Les étapes de l’ entretien médical 1) Préparation : se présenter ( de part et d’autre), serrer la main, s’ asseoir ! Tout ceci peut paraître futile mais indique si l’on veut prendre le temps ou non. Des questions se posent qui ne peuvent être abordées dans le cadre d’un résumé et qui concernent l’importance du contact physique et de la bonne distance physique. 2) L’ anamnèse : questions ouvertes (qui permettent au patient de mieux préciser ses questions, ses attentes, son vécu) et fermées qui permettent ensuite au médecin de se faire sa propre opinion. 3) L’ écoute active : « le silence est d’or » mais il faut pouvoir guetter la « question latente » que le patient n’ose pas toujours exprimer par crainte de paraître ridicule ou par crainte d’entendre une mauvaise nouvelle qui viendrait confirmer ses craintes non formulées (qu’elles soient fondées ou non) ( p 45) 4) Montrer des signe de compréhension : répétition, reformulation 5) Réponse : a. En cas d’ agressivité : reconnaître la réalité et l’origine de la colère en évitant d’y riposter. b. Éviter les réponses rassurantes trop rapides qui empêchent le patient d’exprimer totalement son inquiétude et lui donnent l’impression que l’on se soucie peu de ce qui l’inquiète. (P 50) 6) empathie : a. repérer, identifier la présence d’une émotion b. en identifier si possible l’origine c. reformuler au patient notre compréhension de ce qui se passe. 3 d. Ou formuler une question ouverte si on ne sent pas bien ce qui se passe. L’ ANNONCE D’ UNE MAUVAISE NOUVELLE ( pp 59 et suivantes) Deux processus sont impliqués qui interagissent constamment mais qui vont être décrits séparément par souci pédagogique 1) l’ annonce et l’information= processus qui va du médecin vers le patient 2) les réactions du patient ainsi que ses préoccupations qui peuvent être très différentes de ce que le médecin pense. Les auteurs insistent sur l’intérêt d’un protocole pour permettre aux soignants de donner leur pleine mesure en « gommant le sentiment de malaise ». (NB. : dans une approche plus balintienne, au lieu de gommer le sentiment de malaise par une procédure, on encourage au contraire le soignant à tenter d’analyser en quoi consiste son malaise et quelle en est l’origine, ceci afin justement de pouvoir non pas le « gommer » mais le dépasser ). Le temps à y consacrer devient de plus en plus court à mesure que le médecin, par une formation adéquate, détecte plus vite ce qui préoccupe vraiment le patient. Les auteurs insistent aussi sur la fonction de « porte-parole » du patient, remplie par un soignant privilégié (médecin traitant, infirmière, stagiaire en médecine) : cet interlocuteur privilégié du patient n’a pas réponse à toutes les questions de celui-ci mais les relaie auprès de la personne compétente. 1ère étape du protocole d’annonce d’une mauvaise nouvelle : les préalables Le lieu est-il adéquat ? (couloir ou pièce retirée et calme ?). L’état de santé du patient lui permet-il de soutenir un entretien ? Souhaite-t-il l’entretien maintenant ? Souhaite-t-il la présence d’un proche ? 2e étape : « Que sait le patient de son état de santé ? » Repérer ce qu’il sait et ce qu’il ne sait pas ainsi que son état émotionnel : par exemple, déni (« on ne m’a rien dit », même si c’est peu probable) ; ou colère, tristesse, angoisse. Il ne s’agit pas de décider si les émotions sont normales ou non mais de les recevoir comme un reflet de l’état du patient et de les entendre comme lui étant nécessaires à ce moment-là. 3e étape : Que veut savoir le patient ? Très souvent, le patient se rend compte que son état de santé est sérieux. Toute une série d’indices le lui donnent à penser même s’il peut aussi et simultanément, mettre en œuvre des mécanismes de défense et de protection. Poser la question de ce qu’il souhaite savoir ou non n’est donc pas « vendre la mèche » et lui laisse quand même le choix de savoir ou de ne pas savoir. N’oublions pas que le médecin n’est pas la seule source d’information du patient ! Parfois le patient en sait long mais ne désire pas en parler ouvertement soit, parce que, tout en étant conscient de la gravité de son état , il préfère ne pas aggraver son angoisse par un 4 diagnostic précis qui déborderait ses défenses, soit parce que c’est plus son état de plus ou moins grande sérénité par rapport à la possibilité de mourir qui lui importe vraiment, soit encore parce qu’il préfère pour tenir le coup, vivre l’instant présent et ne pas penser à sa mort. Pour certains donc, le refus de savoir permet de s’habituer à leur nouvelle condition ou encore de se protéger contre le désespoir. Conséquence : parfois, on est amené à « sauter » l’étape de la communication du diagnostic pour aborder les possibilités de traitement, bénéfices et inconvénients. 4e étape : Communication d’informations Cette étape comporte 4 objectifs : - informations quant au diagnostic - informations quant au traitement - évaluation du pronostic - soutien du patient Ces objectifs doivent être présents à l’esprit du médecin mais sont fonction de la maladie et de ce que le patient veut savoir. Attention ! Le patient garde le droit de : 1) refuser toute proposition thérapeutique 2) exprimer ses sentiments par tout moyen, légal et/ou socialement acceptable que ce soit (p 74), sans pour cela que le médecin n’ait à se sentir mauvais, incompétent, frustré ou rejeté par le patient. Cette étape doit obéir à deux grands principes : 1) « alignement » : partir de ce que sait et éprouve le patient (la manière dont il parle et se comporte 2) « pédagogie » : vise à rapprocher l’état de connaissance du patient de celui des faits médicaux. Pour ce faire, voici quelques conseils. a. Délivrer une information fragmentée (et non pas fragmentaire !), càd par séquences assimilables par le patient. b. Utiliser un langage non médical : le jargon médical apporte des satisfactions au médecin, pas au patient. c. Vérifier la compréhension : « vous me suivez ? », « est-ce clair pour vous ? » « je sais que c’est difficile d’assimiler autant d’informations en aussi peu de temps », etc…….Ceci légitimise le fait qu’en cas d’incompréhension, on a affaire aux limites du psychisme plutôt qu’à un manque d’intelligence du patient. d. Vérifier le niveau de communication : idéalement, d’adulte à adulte mais parfois de « parent à enfant » quand ce niveau est utilisé par le patient pour faire face à sa maladie. 5e étape : Recueil des réactions du patient Parfois le patient a tout compris mais ne veut pas en parler ! Il est important que le médecin soit attentif aux stratégies que le patient développe pour faire face à la maladie ainsi qu’à ce qui constitue ses préoccupations propres. 5 Ce domaine sera développé dans un chapitre ultérieur. 6e étape : propositions et suivi (pp 83 et suiv.) - Empathie pour le désarroi du patient, pour son trouble mais aussi propositions et perspectives pour y mettre de l’ordre et démontrer ainsi son engagement aux côtés du patient. Soutien : essayer d’identifier le vécu du patient, ses préférences, ses réticences, son désir d’essayer quelque chose même si l’on n’est pas d’ accord. Synthèse et propositions de suivi. o Synthèse de deux points de vue : celui du médecin et celui du patient , surtout s’ils sont divergents. o Synthèse des propositions de traitement o Calendrier des prochains rendez-vous En conclusion, la manière dont se passe l’entretien a, en soi, une valeur thérapeutique. LES REACTIONS DU PATIENT Il n’y a pas d’étapes stéréotypées à l annonce d’une maladie grave : le patient réagit selon son mode habituel de réaction au stress, lui-même tributaire de l’ensemble de ses expériences affectives emmagasinées au cours d’une vie. Il est d’ ailleurs illusoire de vouloir faire changer les réactions du patient mais essentiel d’essayer de comprendre en quoi ces réactions lui sont nécessaires voire indispensables. Tâcher donc de ne pas juger mais de comprendre : quelles sont les racines de cette (ces) réactions ? Toutefois, il est important de garder à l’esprit les deux points suivants : - ces réactions restent-elles à l’intérieur des limites fixées par les usages d’une société ? C’est ainsi que coups et injures ne peuvent être acceptés. - Ces réactions aident-elles le patient ? En d’autres termes, sont-elles « adaptées » ou « inadaptées ». Attention, elles peuvent parfois paraître normales parce que peu dérangeantes pour le médecin mais ne pas aider le patient (p.ex. : patient trop « docile » ) NB. : si le problème de l’inadéquation des réactions du patient reste insoluble, rechercher un second avis. Passons maintenant en revue les différents types possibles de réactions du patient même si cet exercice de « classification » revêt un aspect quelque peu artificiel. Rappelons encore une fois qu’une réponse empathique qui tâche de comprendre ce qui se passe sera plus productive pour la suite qu’une réponse agressive ou fermée. Exemple : « Je me rends que cela doit être dur à entendre quand on ne s’y attend pas » versus « Ecoutez, il faut regarder la vérité en face ! » 6 1) INCREDULITE Première réaction assez fréquente : moins on s ‘attend à une mauvaise nouvelle, plus il est difficile d’y croire 2) CHOC C’est un comportement qui traduit une émotion si intense qu’elle dépasse les capacités d’adaptation de l’individu et le « paralyse ». 3) DENEGATION C’est le « refus » (inconscient !) d’assimiler une information fâcheuse et une manière de se comporter comme si cette information était fausse ou ne concernait pas l’individu (ex. : fausse impassibilité, projets à long terme alors que le pronostic semble mauvais d’emblée). Il s’agit d’un mécanisme de défense du « Moi » contre une information susceptible de mettre gravement en péril la représentation que ce « Moi » se fait du présent ou de l’avenir. La dénégation peut aussi se traduire par une attitude « délibérément positive » supposée avoir une influence bénéfique sur la maladie (p 112). Dans ce cas de figure, elle se prolonge alors au-delà de l’annonce du diagnostic durant une bonne partie de la maladie et prend alors la forme d’un espoir excessif comme s’il était « impensable » que le traitement puisse rester sans effets ( p 114). Autant elle peut être utile au moment du diagnostic (comme mécanisme « amortisseur » pour le psychisme), autant elle peut être inadéquate si elle se prolonge. 4) DEPLACEMENT Phénomène par lequel un sujet transfère ses émotions (et l’énergie qui y est liée) sur un objet ou une personne apparemment éloignée de la source réelle de ces émotions. L’activité choisie a une fonction de substitution : elle est mise en quelque sorte « à la place » de la maladie et sert à mobiliser les énergies du patient contre elle (recherche d’informations, jardinage, travaux dans la maison, création d’une association de patients atteints de la même pathologie, etc….) 5) QUETE Variante du déplacement : tout projet qui, comparé à ceux que le patient a entrepris jusqu’alors, prend une ampleur et une place hors de l’ordinaire. Cela peut prendre la forme - du développement d’un projet durable (versus la « finitude » annoncée par la maladie) pour le patient ou la société, - de la réalisation d’une ambition personnelle (projet déjà rêvé par le patient auparavant mais réactivé par le sentiment d’urgence suscité par la maladie grave), - d’une rivalité avec le(s) médecin(s) (se surinformer à propos de la maladie pour tenter de reprendre la maîtrise du processus) pour devenir le thérapeute à sa place, - Ou encore d’un projet dont la réalisation dépasse le temps prévu par le pronostic, comme s’il s’agissait de dénier ou d’annuler la finitude , d’espérer prolonger le temps « au-delà ». 7 6) PEUR et ANXIETE Préalable : il est plus normal d’avoir peur de la maladie que de ne pas en avoir peur. Dès lors, si un patient ne semble ressentir aucune peur, il faut s’interroger : a-t-il bien compris ce qui se passe ? N’est-il pas dans le déni ? etc…… Différence entre peur et objet, situation bien identifiés aiguë anxiété plus flou chronique Règle de base : on ne peut rassurer le patient que si, au préalable : - on a reconnu et entendu sa ou ses craintes - on a tâché d’en identifier l’origine (« mon ami est décédé lors d’une coronarographie, je refuse d’en passer une à mon tour » Réponse : « je conçois bien que cela vous ait fichu un coup, imaginez-vous que cela pourrait aussi vous arriver ? » ( p 123) - on peut alors moduler l’information en fonction du vécu du patient - on reconnaît la légitimité du sentiment et le fait qu’il peut faire l’objet d’un dialogue médecin-patient ! Rassurer trop vite est contre-productif car on « saute » l’étape préalable d’empathie avec le vécu du patient et on risque aussi d’entretenir de faux espoirs qu’il faudra décevoir par après. 7) COLERE et REPROCHES ( p 127) Il s’agit à la fois d’une émotion et d’un comportement qui traduisent la peur. La colère peut être dirigée contre la perte des capacités ou de l’ autonomie, contre le patient lui-même qui peut s’accuser (à tort ou à raison) d’être responsable de sa maladie, ou encore contre les proches , contre les soignants (éventuel retard de diagnostic, colère contre le porteur de mauvaises nouvelles, etc….), ou contre Dieu, la religion, etc……. L’important est de rester calme, et de repérer quelles sont les sources de cette colère qui, étant reconnue, se calmera d’autant mieux. Si la colère est dirigée contre un confrère absent ou sollicité par le patient avant nous, mieux vaut ne pas prendre parti pour ce confrère ou pour le patient. D’abord, parce que nous avons rarement les données objectives concernant le situation précédente et ensuite parce que mieux vaut rester centré sur le vécu du patient, tel qu’il l’exprime devant nous : ce sont les seuls faits qui nous soient immédiatement accessibles au moment de la consultation. 8) CULPABILITE ( p 131) Il s’agit d’un sentiment fait de reproches, dirigés contre soi et comportant toujours un élément de regret . Elle n’est pas toujours médicalement fondée (p.ex. : tabac et cancer du poumon vs sclérose en plaques), loin s’en faut. Pour l’auteur, ce sentiment n’est que peu souvent utile au patient même s’il peut de temps en temps influencer indirectement son 8 comportement dans un sens favorable à sa santé (p.ex. : arrêter de fumer après un infarctus). Exemple : à un patient fumeur qui a un cancer du poumon et qui se le reproche, il y a plusieurs façons de répondre : - « vous fumez depuis longtemps ? » : cette question de pure information pour le dossier médical a comme effet de confirmer le patient dans sa culpabilité - « il fallait y penser plus tôt » : aggrave le sentiment de culpabilité et l’agressivité du patient - « ça doit être pénible de se croire responsable de son cancer » : autorise le patient à en parler car on se montre empathique (on essaie de se mettre à sa place) tout en restant à notre place de médecin qui ne prend pas position sur le caractère fondé ou non de cette culpabilité mais reste aux côtés du patient. 9) ESPOIR, DESESPOIR, DEPRESSION ( p 134) Sans lien nécessairement proportionnel à la gravité de la maladie, le patient passe souvent de l’espoir au désespoir. Il faut éviter les fausses promesses « pour rassurer le patient » ou pour « lui donner faussement espoir » (ce qui sert surtout à rassurer le médecin plus que le patient !), respecter scrupuleusement la vérité même si elle comporte une part d’incertitude. La meilleure attitude est d’assurer le patient de notre engagement à ses côtés. Le mot « dépression » s’utilise pour désigner un état prolongé d’abattement, découragement ou tristesse. A l’annonce d’un maladie grave, il est quasi général d’observer des réactions faites de tristesse, abattement, mélancolie : on parlera de « troubles liés à l’adaptation ». Par contre, si ces réactions semblent dépasser ce à quoi on s’attendrait normalement ou semblent se prolonger, on parlera de « dépression ». Dans ce cas, expliquer au patient ce qui se passe, souligner que c’est fréquent et prescrire un traitement antidépresseur éventuel, s’avérera utile. Envoyer au psy en cas d’idées suicidaires. Celles-ci peuvent amener de la part du praticien une réponse empathique : « je me rends compte que vous avez vraiment l’air déprimé par votre situation » ou encore « pourrions-nous d’abord parler des raisons de votre désespoir ? » (ce qui met un peu à distance la menace de suicide) A l’inverse, certains patients aux symptômes peu spécifiques, lesquels retardent le diagnostic peuvent être paradoxalement soulagés lorsqu’ enfin on trouve un diagnostic car on les prend alors « au sérieux » et eux-mêmes savent à quoi s’en tenir 10) DEPENDANCE THERAPEUTIQUE Inhérente jusqu’à un certain point à la relation médecin-malade, la dépendance témoigne de la confiance que le praticien a inspiré au patient et gratifie le médecin. Cependant, si celui-ci n’indique pas clairement ce qui est dans ses possibilités et ce qui ne l’est pas, le patient risque d’en attendre « des miracles » puis de vivre une intense déception par après quand les limites du médecin sont (rapidement) atteintes. Ex. : on peut garantir au patient qu’on lui donne le meilleur traitement pour sa tumeur mais ne pas lui promettre indûment qu’il n’aura pas d’effets secondaires : il n’ y a que lui qui peut signaler si le traitement est supportable ou non. 9 11) POURQUOI MOI ? Cette question exprime une souffrance : désespoir, colère, rage, culpabilité. Elle n’appelle pas de réponse comme telle. Une bonne formulation pourrait être : « Quand les gens disent cela, ils n’ont pas tous forcément la même idée en tête, pouvez-vous me dire ce que vous ressentez en ce moment ? » Cette formulation laisse ouverte l’accès à la très grande variabilité des situations sous-jacentes à cette réaction du patient. On se rend compte une fois de plus de l’ intérêt de formuler des questions les plus ouvertes possibles pour permettre au patient d’exprimer ses émotions plutôt que de s’engager dans une discussion philosophique très théorique que cette questions pourrait amener. On peut aussi ici discuter de la « quête de sens » et insister sur le caractère très culpabilisant de la recherche d’une causalité psychique de la maladie (ex ;: leucémie parce que l’on est rongé de culpabilité suite à un acte et que l’on se serait fait « du mauvais sang »). Aucune maladie n’est par elle-même porteuse d’un quelconque sens. (sens dit « intrinsèque »). Cependant, la survenue de la maladie peut amener une personne à s’interroger sur le sens qu’elle souhaite imprimer à son existence à partir de là : « la réaction d’un individu à un évènement biologique de sa vie peut revêtir un sens profond et la quête de ce sens peut avoir une importance inestimable » (p 159) 12) HUMOUR C’est un moyen utilisé pour mettre un cadre et prendre du recul par rapport à des situations susceptibles de mettre en péril l’individu ou la communauté. On peut remarquer en effet qu’il concerne souvent des domaines comme la sexualité, l’amour, la mort, les catastrophes, les épidémies, etc…. Attention cependant à deux choses : - le praticien veillera à ne faire de l’humour qu’en réponse à celui du patient. Une plaisanterie isolée du médecin, outre qu’elle traduit son angoisse, pourra apparaître comme déplacée pour le patient dépourvu d’humour - l’humour est parfois trompeur car discordant avec le vécu profond du patient (« humour de façade » destiné à se « donner du cran » et masquer l’ angoisse) 13) SEDUCTION (p 148) Comme pour les menaces, l’agressivité ou l’ humour, celle-ci peut être le signe d’une profonde angoisse et d’une tentative de conjurer celle-ci par l’obtention, grâce à ces moyens, d’une sorte de « traitement de faveur » supposé plus efficace. La séduction peur aussi prendre la forme de cadeaux ou d’éloges excessifs sensés « monnayer » en quelque sorte la garantie d’un bon pronostic. Il convient de remercier le patient tout en soulignant que c’est le traitement qui reste la pierre d’angle de la prise en charge avec ses possibilités et limites 14) MARCHANDAGE ( p 150) Un exemple vaut mieux qu’une longue explication : « je veux bien faire cet examen, ce traitement mais plus tard, après mes vacances ou le mariage de ma fille, etc.. » Cette stratégie peut être utile ou non au patient pour avoir le sentiment qu’il contrôle un tant soit peu le processus. Encore une fois, c’est l’utilité et le caractère pas trop éloigné de la réalité qui reste un bon critère d’évaluation. 10 15) QUESTIONS DELICATES • Combien de temps me reste-t-il ? Cette question est délicate pour le médecin car elle suppose de reconnaître un éventuel échec du traitement et d’avoir à affronter une conversation pénible à propos de la mort. Des études ont montré l’inexactitude fréquente des prévisions des médecins. Dès lors, mieux vaut décrire la situation actuelle telle qu’elle est, éventuellement donner une « fourchette » (« plusieurs mois », « quelques semaines ») mais surtout insister sur l’incertitude tout en reconnaissant qu’elle est source de souffrance. Une autre piste serait de se centrer plutôt sur l’inquiétude ou les préoccupations qu’une telle demande peut traduire. * Suis-je en phase terminale ? * Comment cela se passera-t-il ? Il importe d’entendre ces questions comme le point de départ d’une discussion sur ce qui préoccupe vraiment le patient plutôt que comme une simple demande d’information qu’en plus le médecin serait bien en peine de donner. Mieux vaut à nouveau tâcher de s’aligner sur ce qui préoccupe le patient et l’aider à l’ exprimer : « Pouvez-vous d’ abord me dire ce qui vous inquiète le plus ? » « J’ai le sentiment que vous êtes très inquiet, pouvons-nous en parler ? » 16) L’ ENFANT FACE AUX MAUVAISES NOUVELLES (p 156) Quelques grands principes doivent être observés : - s’entourer si possible des conseils ou de l’aide d’un professionnel de l’ enfance mener dans la mesure du possible l’entretien en présence de l’adulte de la famille le plus proche tenir compte de la « pensée magique », phénomène typique de l’enfant qui consiste à croire que des pensées, souhaits ou idées peuvent avoir une influence directe sur le cours des choses. Ceci amène fréquemment l’enfant à se croire coupable de sa propre maladie ou de celle d’un parent. Il ne l’exprimera spontanément que rarement et il importera souvent que le médecin, de sa propre initiative, souligne que « cette maladie, ce n’est la faute de personne, mais qu’elle fait partie d’une de ces mauvaises choses qui peuvent arriver dans l’existence » LES REACTIONS D’AUTRES PERSONNES Ceci concerne les membres de la famille et les amis. Tant que le patient conserve la pleine possession de ses facultés, ce sont ses choix et ses droits qui sont prioritaires et la responsabilité du médecin reste d’abord le patient et ses besoins. Toute communication d’une information concernant son état de santé à des proches nécessite donc l’accord préalable du patient sauf s’il n’est plus en possession de ses facultés mentales. 11 Les liens entre personnes d’une même famille se révèlent le plus clairement lorsqu’ils sont menacés …… par la survenue d’une maladie grave. Plus la famille a des liens forts, qu’ils soient positifs ou négatifs et plus les réactions des proches seront intenses, qu’elles soient bénéfiques ou nuisibles au patient (p 162). Si le patient reste la priorité du médecin, il vaut mieux que le médecin porte aussi attention aux proches afin de s’en faire des alliés plutôt que des adversaires. L’annonce à la famille se fait sur le même mode, en 6 étapes, tel que déjà décrit plus haut. Si la famille est nombreuse, mieux vaut lui demander de désigner un interlocuteur privilégié. Certaines réactions de la famille peuvent être épinglées • • • • • l’attitude protectrice : « ne lui dites rien, cela la tuerait ». Cette attitude peut traduire le désir d’épargner à l’autre (et à soi-même !) la maladie ou la peur de celle-ci. Parfois, cela peut servir de défense à une agressivité inconsciente vis-à-vis du malade : tout se passerait alors comme si l’annonce d’un diagnostic de maladie grave « matérialisait » en quelque sorte cette agressivité dans la réalité et comportait alors la menace de « tuer » réellement le proche, malade, vis-à-vis de qui cette agressivité n’était jusqu’alors que fantasmatique. Le souci du médecin sera alors de préserver le droit du patient à l’information tout en étant à l’ écoute empathique des craintes du membre de la famille. La culpabilité : elle n’est pas forcément liée à des manques réels de l’entourage mais témoigne plutôt du sentiment d’impuissance de l’entourage et aussi, et il faut le dire aux proches, de l’intensité des liens qui les unit au patient. Le deuil anticipé qui témoigne d’un mécanisme de défense normal comme si on voulait mieux se préparer à une douleur future. Le médecin veillera à conseiller, au moment opportun, une aide au deuil (« si jamais vous vous sentez déprimé après, une aide est possible si vous le souhaitez et n’hésitez pas à me recontacter pour cela. ») La colère : qui peut être dirigée vers le patient (« il aurait dû être moins négligent »), vers le corps médical, la médecine, le sort, Dieu, etc…. La meilleure réponse reste l’empathie : « je comprends votre désarroi, je puis en tant que médecin faire ceci……… mais il n’est pas en mon pouvoir de ……..cependant, vous pouvez compter sur moi » (se montrer disponible et supporter une certaine dose d’impuissance thérapeutique) La peur : elle concerne aussi bien l’ avenir (« comment cela va-t-il se passer ? » « je vais me retrouver seul », « après c’est mon tour », « vais-je attraper la même maladie ? » que le « comment cela ça se passer ? ». Il est important de repérer qu’elle peut se manifester sous la forme d’une « somatisation » qui ressemble à ou évoque la maladie du patient. Il est important de rassurer le proche sur le fait qu’elle traduit simplement l’intensité des liens qui l’unissent au patient et qu’il ne s’agit pas d’un signe de « folie » L’ annonce d’un décès à l’entourage Quelques principes préalables : - trouver un local adéquat (et pas le couloir du service !) 12 - se présenter s’enquérir de l’identité des personnes présentes pour s’assurer que l’on peut donner l’information en présence de tous. Préparer les proches à la mauvaise nouvelle par un court récit de l’évolution récente de l’état de santé du patient tout en étant prêt à l’interrompre si nécessaire pour ne pas faire durer l’ attente de manière trop longue Dire éventuellement que l’on a une mauvaise nouvelle à annoncer Annoncer alors clairement le décès et laisser s’exprimer l’émotion tout en restant empathique S’enquérir du soutien dont dispose le proche parent : présence d’un tiers durant l’entretien et/ou personne-ressource lors du retour à domicile Parents d’un enfant : les parents sont soumis à une tension extrême d’avoir à donner leur accord à toute une série d’interventions (*) et de sentir « défaillants » par rapport au sentiment d’avoir à protéger (**) leur enfant contre la maladie (culpabilité). Les parents ont une sorte de « double statut » : à la fois celui de substitut du patient (*) et celui de « proche » (**). Il importe d’être à la fois attentif lors de l’ annonce et aussi pour le suivi du couple car il va être soumis, du fait du décès, à des tensions extrêmes qui peuvent amener à des ruptures (divorces) . Une aide spécifique peut être proposée (ex. : thérapie de couple) REACTIONS DES SOIGNANTS ( médecins, infirmiers, etc……) Les soignants sont aussi des êtres humains et à ce titre, traversés par la capacité de s’émouvoir. Celle-ci a des conséquences : - positives : pouvoir s’identifier à la souffrance d’autrui, y compatir et y porter remède en s’appuyant à l fois sur cette capacité d’identification et sur des compétences professionnelles - négatives quand le patient suscite en nous des mouvements émotionnels qui nous éloignent de lui ou nous entraînent dans des réactions inadéquates. 1) Contre-transfert Ce terme désigne les mouvements émotionnels que le patient suscite, le plus souvent à l’insu des deux protagonistes, chez le soignant et qui sont en rapport avec des données de l’histoire personnelle de celui-ci. Ces émotions sont inévitables et sont le résultat de l’interaction des deux protagonistes de la relation médecin – malade. Qu’elles soient positives (admiration, séduction) ou négatives (dégoût, rejet, irritation), elles peuvent être tout autant préjudiciables dans la mesure où elles prennent le pas sur l’ action professionnelle du soignant et la parasitent. C’est ainsi qu’un patient qui nous séduit ou nous irrite nous empêchera de le traiter avec le recul adéquat. Sans être obligé de recourir à une psychanalyse, le soignant peut toutefois, via un groupe Balint, pendre conscience de son contre-transfert et, de ce fait, mieux repérer en quoi il facilite ou péjore sa prise en charge du patient. Ce concept de contre-transfert peut expliquer en partie des réactions du soignant comme la colère, la culpabilité, la démission, l’attitude cavalière ou désinvolte, la rétractation (atténuer faussement la gravité d’une première annonce d’une mauvaise nouvelle par de fausses réassurances). Il peut être intéressant de verbaliser sa colère (« je regrette de paraître agacé ») tout en s’en excusant auprès du patient et en cherchant à voir avec lui ce qui, dans la situation, 13 l’a provoqué. Cependant, ceci nécessite d’avoir déjà parcouru un chemin thérapeutique personnel. Plus généralement, une colère inexpliquée ou un sentiment de culpabilité justifieraient que le médecin en parle à une personne neutre (ou dans un groupe) pour mieux la comprendre et s’en dégager. Ceci est également vrai et primordial pour l’équilibre du soignant en ce qui concerne les inévitables limites auxquelles nous serons confrontés tôt ou tard, surtout quand on se sent dépassé par les évènements. 2) Conflits dans l’équipe soignante 2.1 : « le chef de service interdit de dire la vérité au patient ». Les patients, souvent moins impressionnés par la jeunesse de l’interne, peuvent lui poser des questions qu’ils n’osent poser au patron. Le mieux est de rester empathique : « expliquez moi, au juste, quelles sont vos craintes/question et je tâcherai de les transmettre au responsable ». Ceci permet de ne pas se mettre en conflit inutile avec la hiérarchie tout en poussant celle-ci à modifier son attitude puisqu’il est alors clair que le patient se pose des questions ou se doute de quelque chose. 2.2 Quand le patient manipule l’équipe. Il s’agit là d’un mécanisme de « déplacement » psychologique : le patient qui se révolte contre son sort, déplace sa révolte contre l’équipe en se présentant par exemple comme victime d’une incohérence de celle-ci. La réponse consistera souvent en la désignation d’un seul membre de l’équipe comme interlocuteur privilégié du patient. 2.3 Quand le patient est d’une culture différente. La question à se poser est de savoir si la difficulté est due à la différence de culture ou à la personnalité de ce patient-là ou encore au contre-transfert du soignant ! CONCLUSIONS A une époque d’intenses progrès techniques dans la pratique médicale, ceux-ci suscitent des espoirs importants chez les patients en même temps que le caractère parfois très technique et impersonnel des techniques médicales entraîne le risque d’une déshumanisation de la pratique médicale. Les patients attendent donc aussi une attitude plus humaine des soignants. Ceux-ci, qui mettent aussi beaucoup d’espoirs dans les progrès de la pratique médicale, ont de plus en plus de mal à « penser » la question de la limite du pouvoir de la médecine et à y faire face. L’importance de la technologie médicale ne devrait pas faire oublier que les soignants sont aussi des personnes, avec un corps et des émotions, que la pratique de leur métier met parfois à rude épreuve dans le contact quotidien avec la souffrance humaine. D’où la nécessité de disposer de points de repères sur les réactions et interréactions humaines, ainsi que sur quelques règles essentielles qui régissent les échanges entre personnes ainsi que les réactions à la maladie, surtout quand elle est grave. C’était l’objet de ce résumé assez exhaustif de l’ ouvrage du Dr Buckman dont on ne saurait assez recommander la lecture. Dr Ph. Heureux CAMG UCL 2005 Révision janvier 2011 14 15