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La linguistique telle qu'on l'étudie actuellement s'est élaborée à partir de deux grands 
courants  de  pensée.  Ferdinand  de  Saussure  fut  le  premier  à  proposer  un  modèle 
abstrait de la langue. Dans le célèbre ouvrage intitulé Cours de linguistique générale, 
son enseignement, recueilli et publié après sa mort par ses élèves en 1916, influença 
toute  une  génération  de  linguistes  et  vit  son  aboutissement  dans  la  création  du 
structuralisme linguistique.  L'objet  d'étude  est  alors  : « la  langue  envisagée  en  elle-
même et pour elle-même. » Saussure (1985, p. 317). Le locuteur n'est que l'utilisateur 
de la langue définie comme un code commun. Celle-ci est la propriété de la collectivité 
et son caractère individuel (qu'il désigne par « la parole ») relève non de la linguistique, 
mais  de  la  psychologie.  La  langue  est  ainsi  considérée  comme  une,  indivisible  et 
indépendante de toute variation sociale. 
Pour Saussure, la langue ne s'observe qu'en elle-même.  Son 
étude  doit  faire  abstraction  de « tout  ce  qui  est  étranger  à  son 
organisme, à son système, en un mot tout ce qu'on désigne par 
le terme de « linguistique externe ». » Saussure (1985, p. 40). Il 
importe, ici, de distinguer ce qui relève, selon lui, de la linguistique 
« interne » (souvent appelée « linguistique fondamentale » et qui 
traite des aspects phoniques, morphologiques, syntaxiques ou 
encore  sémantiques  du  langage)  de  ce  qui  relève  de  la 
linguistique « externe » dans laquelle ce sont, entre autres, les 
aspects  sociologiques  (traités  en  sociolinguistique  et  en 
sociologie  du  langage),  ethnologiques  (dans  les  travaux 
d'ethnolinguistique),  psychologiques  (observés  en 
psycholinguistique), etc., de la langue, qui sont examinés. Bien 
que  quelques  passages  du Cours  de 
linguistique générale traitent du caractère social de la langue, la 
décrivant  comme  étant  soit « la  partie  sociale  du 
langage » Saussure  (1985,  p.  2),  soit « une  institution 
sociale » Saussure (1985,  p. 33),  Saussure  n'accorde  à  cette 
propriété qu'un intérêt minime. 
Si le Cours de linguistique générale posa les bases du structuralisme linguistique, 
Antoine Meillet, linguiste contemporain de Saussure, prit une direction bien différente et 
s'attacha  à  donner  une  valeur  principale  au  caractère  social  de  la  langue. Calvet 
(1998) résume particulièrement bien l'esprit des travaux de Meillet. Il note que dans son 
compte-rendu du Cours de linguistique générale, Meillet conteste dès le début l'une 
des  dichotomies  chères  à  Saussure,  l'opposition synchronie/diachronie : « En 
séparant  le  changement  linguistique  des  conditions  extérieures  dont  il  dépend, 
Ferdinand  de  Saussure  le  prive  de  la  réalité,  il  le  réduit  à  une  abstraction  qui  est 
nécessairement inexplicable. » ( Meillet (1921) cité dans Calvet (1998, p. 6)). Selon lui, 
on ne peut donc observer l'évolution présente de la langue sans analyser les facteurs 
antécédents. Autrement dit, les langues n'existant pas sans les gens qui les parlent,