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DHAMMAPADA, PAROLES DU BOUDDHA - THOMAS BYROM

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DHAMMAPADA
Paroles du Bouddha
THOMAS BYROM
SOMMAIRE
Remerciements
Avant-propos
Note historique
3
4
6
1 Les choix
2 La vigilance
3 L’esprit
4 Les fleurs
5 L’idiot
6 L’homme sage
7 Le maître
8 Des mille et des cents
9 La malice
10 La violence
11 La vieillesse
12 Vous-même
13 Le monde
14 L’éveillé
15 La joie
16 Le plaisir
17 La colère
18 L’impureté
19 Le juste
20 La voie
21 Hors de la forêt
22 Les ténèbres
23 L’éléphant
24 Le désir
25 Le chercheur
26 Le vrai maître
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REMERCIEMENTS
Je souhaite faire mention de ma dette à l’égard des traductions de Müller, Gray, Wagiswara
et Saunders, Woodward, Bhagwat, ‘’J.A.’’, Buddhadatta Mahathera, Mascaro et
Rhadakrishnan.
Je souhaite aussi remercier le Dr R.F. Gombrich qui enseigne le pali à Oxford pour ses
doctes conseils, David Jarett, Mary Jarett et Toinette Lippe pour avoir rendu mon texte plus
incisif, plus percutant et plus clair, et tous les amis à Puttaparthi, Oxford et New-York qui
m’ont offert leur aide.
3
AVANT-PROPOS
Voici les paroles du Bouddha, l’Illuminé. Si vous avez les oreilles pour entendre, ces paroles
pourraient vous éveiller et vous pourriez réaliser votre nature de Bouddha par leur
entremise. Ces paroles vous parviennent en toute pureté et pour vous toucher, elles doivent
être reçues en toute pureté. Ces paroles émanent de la simplicité divine. Pour vous libérer,
elles doivent être entendues en toute simplicité. Ces paroles proviennent de l’âme et pour
nourrir ce qui en vous appelle, ces paroles qui sont des paroles de sagesse, et non de savoir,
doivent être entendues par l’âme, et non par le mental. Car ce qui nourrit seulement le
mental piège, alors que ce qui nourrit l’âme libère. Et c’est l’âme qui a soif de vérité. Le
mental, lui, n’a soif que d’assouvir sa fascination.
La transmission de la vérité se fait d’un récipient à un autre. En tant que vase, si vous êtes
impur de corps, de cœur ou d’esprit, la vérité ne peut être contenue. Ce qui est pur devient
impur. Le pouvoir de la vérité est trop fort. Le vase se brise, la transmission se perd et
l’homme continue d’avancer dans les ténèbres. Au cours de votre vie, vous avez lu des
milliers de paroles semblables à celles contenus dans ce volume. Des paroles du Christ, de
Lao Tseu, des Patriarches du Zen, de Rumi ou de Kabir, de Sainte-Thérèse ou de Saint-Jean,
de Salomon ou d’Abraham, de Mahomet, de Krishna ou des Rishis védiques…des paroles qui
témoignent des secrets de l’Univers, mais vous avez si peu reçu, vous avez raté tellement de
transmissions, parce que vous n’étiez pas prêt à entendre.
Ayant acheté ce livre, est-ce suffisant que de vous asseoir dans un fauteuil confortable,
d’allumer votre lampe de lecture et puis de parcourir ce livre comme vous parcourriez un
magazine ou un roman ou peut-être un peu plus lentement comme si c’était un livre de
poésie ? Est-ce ainsi que vous vous préparez à entendre la parole du Bouddha, du Christ ou
de Lao Tseu ? Est-ce ainsi que vous vous préparez à vous asseoir devant un saint homme et
à recevoir ce joyau qui vous libérera peut-être de milliers d’existences futures sur la roue de
la naissance et de la mort ? Si vous deviez rencontrer le Bouddha, ne pourriez-vous pas vous
baigner dans la rivière pour purifier votre corps ? Ne pourriez-vous pas apporter une
offrande comme un fruit ou une noix de coco ? Ne pourriez-vous pas vous asseoir sous le
vent, les arbres et les cieux jusqu’à ce que votre esprit soit calme ? Ne pourriez-vous pas
reconnaître la souffrance de vos semblables avec un cœur ouvert et leur faire l’aumône ? Ne
pourriez-vous pas vous avancer et vous incliner profondément en signe d’humilité et
d’abandon ? Ne seraient-ce pas là des préparations adéquates pour recevoir les plus grandes
vérités ? Et après avoir entendu les paroles, ne laisseriez-vous pas de côté vos jugements
pour permettre aux mots de caresser votre être, de jouer avec votre conscience, comme un
ruisseau joue gaiement avec votre corps, ses eaux purifiantes nettoyant les tensions créées
par vos modèles de qui vous êtes et de comment sont les choses ?
Imaginez que le Bouddha soit sur terre en ce moment quelque part en Inde et que vous
entrepreniez un pèlerinage pour recevoir de lui un enseignement. Il se peut que vous arriviez
dans un village tel que Sarnath, où l’on dit que le Bouddha parle quotidiennement dans le
Parc des Cerfs à l’intention des moines. Mais là-bas, on vous dit : ‘’Non, c’est trop tard dans
la saison. Le Bouddha est parti vers le nord dans les montagnes.’’ Et ainsi, vous vous
remettez en route, empruntant tantôt un char à bœuf, mais le plus souvent, vous marchez,
jour après jour, semaine après semaine, de village en village en demandant à chaque échoppe
où l’on sert du thé des nouvelles du Bouddha.
‘’Oui, il était ici il y a quelques semaines. Il est parti vers l’est.’’ ‘’Oui, il était ici il y a cinq
jours. Il est parti vers le village qui est au nord.’’ Un mot par-ci, un geste par-là, et vous
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savez que vous vous rapprochez. L’excitation en prévision de la rencontre devient presque
une extase insupportable. Au fur et à mesure que vous vous rapprochez, vous pouvez dire en
voyant la lumière émanant des yeux et des visages des personnes que vous rencontrez,
qu’elles ont goûté le nectar du darshan (de la rencontre) avec le Bouddha. Chacune d’elle veut
vous entretenir de son expérience, de la Grâce, de sa façon de marcher, de ce qu’il a dit ou de
son sourire…Cela vous rappelle les Gopis qui cherchaient Krishna et qui dirent de la plante
grimpante : ‘’Krishna est certainement venu ici, car voyez comme cette plante porte le frisson
du délice dans ses fleurs.’’ Plus vous vous rapprochez, plus devient pâle toute autre joie que
celle de rencontrer le Bouddha. Vous êtes animé par une détermination farouche. Même la
nourriture et le repos s’inclinent devant votre impatience à aller de l’avant. Et puis
finalement, vous arrivez en un point du sentier où des femmes en châles qui gardent des
moutons pointent un index et disent : ‘’Oui, il est là-haut sur la colline.’’ Rapidement, vous
vous baignez et votre offrande en main, vous vous précipitez vers la colline en trébuchant
sur les pierres et en vous accrochant aux arbustes, mais le sort de vos pieds ne vous intéresse
pas car vous êtes sur le point de voir le saint homme. Le paysage a revêtu une luminosité
surnaturelle. Votre corps tremble, votre respiration s’accélère. Et là, sous un arbre, il y a le
Bouddha, la tranquillité parfaite. Vous accomplissez dundapranam, en vous allongeant trois
fois complètement devant lui, puis vous présentez votre offrande de fruits pour les
enseignements. Avec un mouvement infime de la tête, le Bouddha vous fait signe de vous
asseoir devant lui. Vous êtes accepté. Jamais auparavant, vous n’avez ressenti une telle paix.
Assis avec le Bouddha, vous êtes en dehors du temps, en dehors de l’espace. Vous ne
ressentez que l’instant présent…la brise qui joue sur votre visage, le chien qui aboie dans le
lointain. C’est comme si le monde s’était arrêté.
Après un moment, le Bouddha parle :
‘’Nous sommes ce que nous pensons.
Tout ce que nous sommes provient de nos pensées.
Avec nos pensées, nous créons le monde.’’
Il prononce encore quelques mots. Chaque mot s’imprime dans votre âme, car ce sont vos
clés pour la libération. Ces mots sont à la fois le but du voyage et le commencement du
suivant…
Après quelques instants de silence, il vous fait signe de vous lever. De nouveau, vous vous
inclinez, et vous poursuivez votre chemin. Combien de feux de camp, combien de cours d’eau,
combien de pièces de méditation où chacun de ces mots vous sustentera à nouveau ? Des
mots précieux si chèrement obtenus. Mais plus que les mots…l’espace illimité, la simplicité,
la compassion, la paix d’où jaillirent ces mots. Vous tenez en main un livre des paroles du
Bouddha. Lisez-les lentement…une phrase à la fois. Qu’elles sustentent votre âme. Je vous
souhaite la pureté de corps, d’esprit et de cœur qui vous permettra de pouvoir les entendre.
Ram Dass,
New-York, le 1er mars 1976
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NOTE HISTORIQUE
Le Dhammapada est un recueil des paroles du Bouddha (563-483 av. J.-C.). Celles-ci furent
probablement recueillies pour la première fois dans le nord de l’Inde au troisième siècle av.
J.-C. et consignées par écrit au Sri Lanka au cours du premier siècle av. J.-C. Dhamma
signifie loi, justice, vertu, discipline, vérité ; pada signifie pas, pied, chemin, fondement. Le
Dhammapada fut transmis et écrit en pali, la langue canonique du bouddhisme du sud, et il
est devenu la principale Ecriture des bouddhistes du Sri Lanka et de l’Asie du Sud-Est.
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LES CHOIX
Nous sommes ce que nous pensons.
Tout ce que nous sommes provient de nos pensées.
Avec nos pensées, nous créons le monde.
Parlez ou agissez avec un esprit impur,
Et les problèmes vous suivront
Comme la roue suit le bœuf qui tire le char.
Nous sommes ce que nous pensons.
Tout ce que nous sommes provient de nos pensées.
Avec nos pensées, nous créons le monde.
Parlez ou agissez avec un esprit pur
Et le bonheur vous suivra
Comme votre ombre, inséparable.
‘’Regardez comment il m’a maltraité et battu,
Comment il m’a jeté par terre et volé.’’
Vivez avec de telles pensées et vous vivez dans la haine.
‘’Regardez comment il m’a maltraité et battu,
Comment il m’a jeté par terre et volé.’’
Renoncez à de telles pensées et vivez dans l’amour.
Dans ce monde,
La haine n’a encore jamais chassé la haine.
Seul l’amour dissipe la haine.
Telle est la Loi,
Ancienne et immuable.
Vous aussi, vous trépasserez.
Sachant cela, comment pouvez-vous encore vous disputer ?
Un arbre frêle est facilement déraciné par le vent.
Recherchez le bonheur dans les sens,
Complaisez-vous dans la nourriture et le sommeil,
Et vous aussi, vous serez déraciné.
Le vent ne peut pas renverser une montagne.
La tentation ne peut pas toucher l’homme
Vigilant, solide et humble
Qui se maîtrise lui-même et qui respecte la Loi.
Si les pensées d’un homme sont troubles,
S’il est irréfléchi et plein de tromperie,
Comment peut-il porter la robe orange ?
Qui est maître de sa propre nature,
Lumineux, limpide et vrai,
Celui-là peut certainement porter la robe orange.
En prenant le faux pour le vrai
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Et le vrai pour le faux,
Vous oubliez le cœur
Et vous vous remplissez de désir.
Voyez le faux comme faux
Et le vrai comme vrai.
Regardez dans votre cœur.
Suivez votre nature.
Un esprit qui ne réfléchit pas est comme un toit qui perce.
La passion, comme la pluie envahit la maison.
Mais si le toit est solide, l’abri existe.
Celui qui suit des pensées impures
Souffre dans ce monde et dans le suivant.
Dans les deux mondes, il souffre,
Et ô combien,
Lorsqu’il voit le mal qu’il a fait.
Mais qui suit la Loi
Est joyeux ici et joyeux là-bas.
Dans les deux mondes, il se réjouit
Et ô combien,
Lorsqu’il voit le bien qu’il a fait.
Car abondante est la moisson dans ce monde,
Et plus abondante encore dans le suivant.
Peu importe le nombre de mots saints que vous lisiez,
Peu importe le nombre de mots saints que vous prononciez,
Quel bien vous feront-ils,
Si vous n’agissez pas en conformité avec eux ?
Etes-vous un berger
Qui compte les moutons d’un autre
Sans jamais prendre part à la voie ?
Lisez aussi peu que vous le voulez,
Et soyez encore plus parcimonieux dans vos paroles,
Mais agissez en suivant la Loi.
Renoncez aux vieilles habitudes—
La passion, l’inimitié, la folie.
Connaissez la vérité et trouvez la paix.
Empruntez la voie.
8
LA VIGILANCE
La vigilance est la manière de vivre.
L’idiot dort,
Comme s’il était déjà mort.
Mais le maître est conscient
Et il vivra toujours.
Il observe.
Il est clair.
Comme il est heureux,
Car il voit que la vigilance, c’est la vie !
Comme il est heureux
En suivant le chemin de l’éveillé !
Avec beaucoup de persévérance,
Il médite et cherche la liberté et le bonheur.
Alors, réveillez-vous, réfléchissez et observez.
Travaillez avec soin et attention.
Vivez dans la voie,
Et la lumière croîtra en vous.
En observant et en œuvrant,
Le maître se fabrique un îlot
Inaccessible aux flots.
L’idiot est inconscient,
Mais le maître veille à sa vigilance,
Comme si c’était son plus précieux trésor.
Il ne cède jamais au désir.
Il médite.
Et dans la force de sa résolution,
Il découvre le vrai bonheur.
Il surmonte le désir—
Et de sa tour de sagesse,
Il contemple avec détachement
La masse qui se lamente.
Du sommet de la montagne,
Il contemple ceux qui vivent au ras du sol.
Vigilant parmi les écervelés,
Éveillé, alors que les autres rêvent,
Vif comme un cheval de course,
Il laisse la rosse sur place.
Grâce à la vigilance,
Indra est devenu roi des dieux.
9
Quelle merveille d’observer !
Quelle sottise de dormir !
Le mendiant qui veille sur son esprit
Et qui craint le caprice de ses pensées
Brûle tous les attachements
Par le feu de sa vigilance.
Le mendiant qui veille sur son esprit
Et qui craint sa propre confusion
Ne peut choir.
Il a trouvé le chemin de la paix.
10
L’ESPRIT
Pareil à l’artisan qui taille
Et fabrique ses flèches,
Le maître dirige
Ses pensées vagabondes.
Semblables à un poisson
Echoué sur la plage,
Les pensées s’agitent et frétillent
Car comment peuvent-elles se débarrasser du désir ?
Elles tremblent et sont instables.
Elles vont comme bon leur semble.
Il est bon de les contrôler
Et les maîtriser apporte le bonheur.
Mais comme elles sont subtiles !
Comme elles sont fugaces !
La tâche est de les calmer
Et en les contrôlant de trouver le bonheur.
Avec une attention ciblée,
Le maître étouffe ses pensées.
Il met fin à leur vagabondage.
Installé dans la caverne du cœur,
Il découvre la liberté.
Comment un esprit troublé peut-il
Comprendre la voie ?
Si un homme est perturbé,
Il ne sera jamais comblé par la connaissance.
Un esprit paisible,
Qui ne cherche plus à considérer
Ce qui est bien et ce qui est mal,
Un esprit au-delà de tout jugement
Observe et comprend.
Sachez que le corps est comme une jarre fragile,
Et faites un château fort de votre esprit.
A chaque épreuve,
Que la compréhension combatte pour vous
Pour défendre ce que vous avez gagné.
Car bientôt le corps est abandonné.
Que ressent-il alors ?
Comme un tronc inutile, il gît sur le sol.
Que sait-il alors ?
Votre pire ennemi ne peut vous nuire autant
11
Que vos pensées sans surveillance.
Mais une fois celles-ci maîtrisées,
Personne ne peut vous aider plus,
Par même votre père ni votre mère.
12
FLEURS
Qui vaincra ce monde
Et le monde de la mort avec tous ses dieux ?
Qui découvrira
La voie éclatante de la Loi ?
Vous, de même que l’homme
Qui cherche des fleurs
Trouve les plus belles,
Les plus rares.
Comprenez que le corps
N’est que l’écume d’une vague,
L’ombre d’une ombre.
Brisez les flèches fleuries du désir
Et sans être vu,
Échappez au souverain de la mort
Et continuez votre route.
La mort rattrape l’homme
Qui cueille des fleurs,
Quand, l’esprit distrait et les sens avides,
Il cherche vainement le bonheur
Dans les plaisirs du monde.
La mort l’emporte
Comme un déluge emporte un village endormi.
La mort le surprend,
Quand, l’esprit distrait et les sens avides,
Il cueille des fleurs.
Il n’en aura jamais assez
Des plaisirs du monde.
L’abeille recueille le nectar de la fleur
Sans gâcher sa beauté ni son parfum.
De même, le maître se pose-t-il et puis s’en va.
Examinez vos propres fautes.
Ce que vous avez fait ou ce que vous n’avez pas fait.
Laissez passer les fautes d’autrui.
Ils ressemblent à une jolie fleur,
Éclatante mais sans parfum
Les jolis mots, mais les mots vides
De l’homme qui ne pense pas ce qu’il dit.
Ils ressemblent à une jolie fleur,
Éclatante et odorante,
Les jolis mots authentiques
De l’homme qui pense ce qu’il dit.
13
Comme des guirlandes tressées
A partir d’un monceau de fleurs,
Entreprenez autant de bonnes actions.
Le parfum du santal,
Du rhododendron ou du jasmin
Ne peut pas se propager face au vent,
Mais la fragrance de la vertu
Se propage même contre le vent
Jusqu’au bout du monde.
O combien plus fine
Est la fragrance de la vertu
Comparée à celle du santal et du rhododendron,
Du lotus bleu ou du jasmin !
Le parfum du santal ou du rhododendron
Ne va pas loin,
Mais la fragrance de la vertu
Monte jusqu’aux cieux.
Le désir ne traverse jamais le chemin
Des hommes vertueux et vigilants.
Leur clarté les libère.
Comme le lotus pousse et embaume doucement
Parmi les détritus au bord de la route !
Sa pure fragrance réjouit le cœur !
Suivez les éveillés,
Et parmi les aveugles,
La lumière de votre sagesse
Brillera, en toute pureté.
14
L’IDIOT
Que la nuit est longue pour l’homme de garde !
Que la route est longue pour le voyageur fatigué !
Que l’errance de nombreuses vies est longue,
Pour l’idiot qui manque la voie !
Si le voyageur ne peut trouver
Un maître ou un ami pour l’accompagner,
Qu’il voyage plutôt seul
Qu’en compagnie d’un idiot.
‘’Mes enfants, mes biens !’’,
Se tracasse l’idiot.
Mais comment possèderait-il enfants ou biens ?
Il n’est même pas son propre maître.
L’idiot qui sait qu’il est idiot
Est d’autant plus sage.
L’idiot qui pense qu’il est sage
Est effectivement idiot.
La cuillère reconnaît-elle le goût de la soupe ?
Un idiot peut vivre toute sa vie durant
En compagnie d’un maître
Et encore manquer la voie.
La langue reconnaît le goût de la soupe.
Si vous êtes conscient en la présence d’un maître,
Un seul moment vous montrera la voie.
L’idiot est son propre ennemi.
Les troubles qu’il suscite provoquent sa perte.
Combien il souffre amèrement !
Pourquoi faire ce que vous regretterez ?
Pourquoi attirer des larmes sur vous-même ?
Faites seulement ce que vous ne regretterez pas
Et remplissez-vous de joie.
Pendant un moment, la malice de l’idiot
Semble douce, aussi douce que du miel.
Mais à la fin, elle devient amère,
Et combien il souffre amèrement !
Durant des mois, l’idiot peut jeûner,
Ne manger que du bout des lèvres.
Pourtant, il ne vaut pas un radis
A côté du maître dont la nourriture est la voie.
15
Pour que le lait s’aigrisse, il faut du temps.
De même, il faut du temps
Pour que la malice de l’idiot le rattrape.
Comme les braises d’un feu,
Elle couve en lui.
Qu’importe ce qu’apprend l’idiot.
Il n’en devient que plus médiocre.
La connaissance divise son esprit.
Car alors, il veut être reconnu,
Une place devant les autres,
Une place au-dessus des autres.
‘’Que tous connaissent mon œuvre,
Que chacun se tourne vers moi
Pour recevoir mes conseils.’’
Tels sont ses désirs.
Son orgueil monte crescendo.
Un chemin conduit à la célébrité et à la richesse.
L’autre mène à la fin de la voie.
Ne cherchez pas à être reconnu,
Mais suivez l’éveillé
Et parvenez à la libération.
16
L’HOMME SAGE
L’homme sage vous dit
Où vous avez chuté,
Et où vous pourriez encore chuter—
Secrets inestimables !
Suivez-le, suivez la voie.
Laissez-le vous discipliner, vous enseigner
Et vous garder des problèmes.
Il se peut que le monde le haïsse,
Mais les hommes de bien l’aiment.
Ne recherchez pas la mauvaise compagnie.
Ne vivez pas avec des hommes
Qui ne se soucient de rien.
Cherchez des amis
Qui aiment la vérité.
Inspirez profondément.
Vivez dans la sérénité et dans la joie.
L’homme sage trouve son plaisir dans la vérité
Et suit la loi de l’éveillé.
Le fermier canalise l’eau vers ses terres,
L’artisan taille ses flèches,
Et le charpentier transforme le bois.
De même, l’homme sage dirige son esprit.
Le vent ne peut pas ébranler une montagne.
Ni les louanges ni les reproches
Ne peuvent émouvoir l’homme sage.
Il est la clarté même.
Ayant entendu la vérité,
Il est comme un lac,
Pur, tranquille et profond.
Ne souhaitez rien.
Là où il y a le désir,
Ne dites rien.
Le bonheur ou la tristesse—
Quel que soit votre sort,
Continuez à avancer,
Indifférent, détaché.
Ne demandez pas famille, puissance ou richesse,
Ni pour vous-même, ni pour autrui.
Un homme sage
Peut-il s’élever injustement ?
17
Peu traversent la rivière.
La plupart restent bloqués de ce côté.
Sur la rive, ils courent çà et là.
Mais l’homme sage qui suit la voie
Traverse et la mort ne peut plus l’atteindre.
Il quitte l’obscurité
Pour la lumière.
Il abandonne sa maison
Et cherche son bonheur sur la route.
Libre du désir.
Libre des possessions.
Libre des ténèbres du cœur.
Libre de l’attachement et de l’appétit,
Suivant les sept lumières de l’éveil
Et se réjouissant de sa liberté,
Dans ce monde, l’homme sage
Devient lui-même une lumière,
Pure, éclatante, libre.
18
LE MAÎTRE
Au terme de la voie,
Le maître découvre l’immunité
Contre le désir et la peine—
La liberté sans limite.
Ceux qui s’éveillent
Ne restent jamais en place.
Comme des cygnes, ils s’élèvent
Et quittent le lac.
Ils chevauchent l’air
Et suivent une trajectoire invisible.
Ils n’accumulent rien et ne conservent rien.
Ils se nourrissent de conscience.
Ils vivent du vide.
Ils ont vu comment se libérer.
Qui peut les suivre ?
Seulement le maître.
Telle est sa pureté.
Pareil à un oiseau,
Il s’élève dans le ciel sans limite
Et suit une trajectoire invisible.
Il ne désire rien.
Il se nourrit de conscience.
Il vit du vide.
Il s’est libéré.
Il est l’aurige.
Il a dompté les chevaux
De l’orgueil et des sens.
Même les dieux l’admirent.
Accommodant comme la terre,
Joyeux et clair comme un lac,
Tranquille comme la pierre,
Il est libre de la vie et de la mort.
Ses pensées sont tranquilles.
Ses mots sont tranquilles.
Son travail est tranquille.
Il voit sa liberté et il est libre.
Le maître renonce à ses convictions.
Il voit au-delà de la fin et du commencement.
Il tranche tous les liens.
Il renonce à tous ses désirs.
19
Il résiste à toutes les tentations.
Et il s’élève.
Et où qu’il vive,
En ville ou à la campagne,
Dans la vallée ou dans les collines,
Il y a beaucoup de joie.
Même dans la forêt déserte,
Il trouve la joie,
Parce qu’il ne veut rien.
20
DES MILLE ET DES CENTS
Mieux vaut un seul mot
Qui apporte la paix
Que mille vains mots.
Mieux vaut un seul vers
Qui apporte la paix
Que mille vers vains.
Mieux vaut une seule ligne de la loi
Qui apporte la paix
Que cent lignes vaines.
Mieux vaut vous conquérir vous-même
Que remporter mille batailles.
Alors, la victoire est vôtre.
Nul ne peut vous l’enlever.
Ni les anges, ni les démons,
Ni le ciel, ni l’enfer.
Meilleur que cent années de pratiques religieuses,
Meilleur que milles offrandes,
Meilleur que renoncer à mille habitudes matérielles
Pour obtenir du mérite,
Meilleur même que d’entretenir
Une flamme sacrée dans la forêt pendant cent ans—
Est le respect d’un instant
Pour l’homme qui s’est conquis lui-même.
Vénérer un tel homme,
Un maître de vertu et de sainteté anciennes,
C’est avoir la victoire sur la vie elle-même,
Ainsi que la beauté, la force et le bonheur.
Meilleur que cent ans de malice
Est un jour passé dans la contemplation.
Meilleur que cent ans d’ignorance
Est un jour passé dans la réflexion.
Meilleur que cent ans de paresse
Est un jour passé dans la détermination.
Mieux vaut vivre un seul jour
En se demandant
Comment les choses naissent et puis périssent.
Mieux vaut vivre une seule heure
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En voyant
La vie unique au-delà de la voie.
Mieux vaut vivre un seul instant
Dans l’instant
De la voie au-delà de la voie.
22
LA MALICE
Soyez prompt à faire le bien.
Si vous êtes lent,
Le mental qui se réjouit dans la malice
Vous rattrapera.
Détournez-vous de la malice.
Détournez-vous-en encore et encore
Avant que le chagrin ne s’abatte sur vous.
Prescrivez à votre cœur de faire le bien.
Faites-le encore et encore
Et vous serez rempli de joie.
Un idiot est heureux
Jusqu’à ce que sa malice
Ne se retourne contre lui
Et un homme bon peut souffrir
Jusqu’à ce que sa bonté ne donne des fruits.
Ne traitez pas vos défauts à la légère
En disant : ‘’Que sont-ils pour moi ?’’
Un vase se remplit goutte à goutte.
Ainsi, l’idiot devient débordant de folie.
Ne rabaissez pas vos vertus
En disant : ‘’Elles ne sont rien.’’
Un vase se remplit goutte à goutte.
Ainsi, l’homme sage devient débordant de vertu.
De même qu’un riche marchand
Qui dispose de peu de serviteurs
Evite une route dangereuse,
Et que l’homme qui aime la vie
Evite le poison,
Gardez-vous des dangers
De la folie et de la malice.
Car une main indemne
Peut manipuler du poison.
Il n’arrivera rien à l’innocent.
Mais pareil à du sable lancé contre le vent,
La malice retourne au visage
De l’idiot qui fait du tort au pur et à l’innocent.
Certains renaissent en enfer,
D’autres en ce monde.
Les bons vont au ciel,
Mais les purs ne renaissent pas.
23
Nulle part !
Ni au ciel,
Ni au milieu de l’océan,
Ni au cœur des montagnes,
Vous ne pourrez échapper à votre propre malice.
Ni au ciel,
Ni au milieu de l’océan,
Ni au cœur des montagnes,
Nulle part,
Vous ne pourrez échapper à votre propre mort.
24
LA VIOLENCE
Tous les êtres tremblent devant la violence.
Tous craignent la mort.
Tous aiment la vie.
Voyez-vous vous-même en autrui.
Alors qui pouvez-vous blesser,
Quel mal pouvez-vous commettre ?
Qui recherche le bonheur
En blessant ceux qui recherchent le bonheur
Ne trouvera jamais le bonheur.
Car votre frère est comme vous.
Il veut être heureux.
Ne lui faites jamais du mal,
Et quand vous quitterez cette vie,
Vous aussi vous trouverez le bonheur.
Ne prononcez jamais de paroles dures
Car elles se retourneront contre vous.
Les vilains mots font mal
Et le mal rebondit.
Comme un gong brisé,
Soyez calme et silencieux.
Connaissez la tranquillité de la liberté
Où il n’y a plus de lutte.
Comme des vachers conduisent leurs vaches au pré,
La vieillesse et la mort vous conduiront devant elles.
Mais l’idiot, dans sa malice, oublie,
Et il allume le feu
Dans lequel un jour il doit brûler.
Celui qui fait du mal
Ou qui blesse un innocent,
Dix fois, il subira
Le tourment ou l’infirmité,
La blessure, la maladie ou la folie,
La persécution ou la terrible accusation,
La perte de sa famille ou la perte de sa fortune.
Le feu du ciel frappera sa maison
Et quand son corps sera tombé,
Il s’éveillera en enfer.
Celui qui va, nu,
Les cheveux emmêlés, maculé de boue,
25
Qui jeûne et qui dort à même le sol
Et qui recouvre son corps de cendres,
Et qui s’assied dans des méditations interminables—
Aussi longtemps qu’il n’est pas libre du doute,
Il ne trouvera pas la liberté.
Mais celui qui vit plein d’assurance
Et de manière pure
Dans la tranquillité et la vertu,
Qui ne connaît pas le mal
Et qui est sans reproche,
Même s’il porte des vêtements fins,
Pourvu qu’il ait aussi la foi,
Il est un chercheur véritable.
Un cheval noble sent rarement
Le goût du fouet.
Qu’y a-t-il dans le monde
D’aussi irréprochable ?
Alors, pareil à un cheval noble
Vif sous le fouet.
Prenez le mors aux dents. Soyez prompt.
Ayez la foi, méditez, voyez.
Soyez innocent, soyez sans reproche.
Eveillez-vous à la Loi
Et libérez-vous de toute peine.
Le fermier canalise l’eau vers ses terres,
L’artisan taille ses flèches,
Le charpentier transforme le bois,
Et l’homme sage se maîtrise lui-même.
26
LA VIEILLESSE
Le monde est en feu.
Et vous riez ?
Vous êtes dans les ténèbres.
Ne chercheriez-vous pas la lumière ?
Regardez votre corps.
Une marionnette peinte, un jouet
Articulé et malade,
Plein de fausses imaginations,
Une ombre qui bouge et se dérobe.
Comme il est fragile !
Fragile et pestilentiel,
Il tombe malade, suppure et meurt.
Comme toute chose vivante,
A la fin, il tombe malade et il meurt.
Regardez ces os blanchis,
Les coquilles et enveloppes creuses
D’un été qui meurt.
Et vous riez ?
Vous êtes une maison d’os
Avec de la chair et du sang comme plâtre.
L’orgueil vit en vous
Et l’hypocrisie, la déchéance et la mort.
Les chars glorieux des rois sont anéantis.
De même, le corps retourne en poussière.
Mais l’esprit de pureté est immuable
Et ainsi, le pur instruit le pur.
L’ignorant est comme un bœuf.
Il croît en taille, mais pas en sagesse.
‘’Vainement, j’ai cherché
Le bâtisseur de ma maison
Pendant des vies innombrables.
Je n’ai pas pu le découvrir…
Comme il est pénible de piétiner vie après vie !
‘’Mais à présent je te vois, Ô bâtisseur !
Et plus jamais, tu ne construiras ma maison.
J’ai cassé les chevrons,
Brisé le madrier du faîtage,
Pulvérisé le désir,
Et maintenant, mon esprit est libre.’’
Il n’y a pas de poisson dans le lac.
27
Les grues aux longues pattes
Sont perchées dans l’eau.
Triste est l’homme qui dans sa jeunesse
Vécut négligemment
Et qui dilapida sa fortune—
Triste comme un arc brisé,
Et tristement il soupire
Après tout ce qui est apparu
Et tout ce qui a disparu.
28
VOUS-MÊME
Aimez-vous vous-même et observez—
Aujourd’hui, demain, toujours.
D’abord, établissez-vous dans la voie,
Puis enseignez
Et ainsi, mettez fin au chagrin.
Pour redresser celui qui est tordu,
Il vous faut d’abord accomplir une chose
Qui est plus difficile—
Vous redresser vous-même.
Vous êtes votre seul maître.
Qui d’autre ?
Conquérez-vous vous-même
Et découvrez votre maître.
Délibérément, vous avez nourri
Votre propre malice.
Bientôt elle vous broiera
Comme un diamant broie une pierre.
Votre propre folie
Vous conduira aussi bas
Que le souhaite votre pire ennemi.
C’est ainsi que la liane étouffe l’arbre.
Comme il est difficile de vous servir vous-même,
Et qu’il est facile de vous perdre
Dans la malice et dans la folie !
Le roseau kashta meurt
Quand il donne des fruits.
De même l’idiot
Qui rejette les enseignements de l’éveillé
Et qui éconduit ceux qui suivent la Loi
Périt quand sa folie germe.
La malice est vôtre.
Le chagrin est vôtre.
Mais la vertu est également vôtre
Ainsi que la pureté.
Vous êtes la source
De toute pureté et de toute impureté.
Personne ne purifie un autre.
Ne négligez jamais votre travail
29
Pour celui d’un autre,
Quel que soit son besoin.
Votre travail est de découvrir votre travail
Et puis de vous y adonner
De tout votre cœur.
30
LE MONDE
Ne vivez pas dans le monde
Dans la distraction et les faux rêves
En dehors de la Loi.
Eveillez-vous et observez,
Suivez joyeusement la voie
Dans ce monde et au-delà.
Suivez la voie de la vertu,
Suivez la voie joyeusement
Dans ce monde et au-delà.
Car, considérez le monde—
Une bulle, un mirage.
Voyez le monde tel qu’il est,
Et la mort vous ignorera.
Venez, considérez le monde :
Un char décoré pour les rois,
Un attrape-nigaud.
Mais celui qui voit est libre.
De même que la lune
Passe derrière un nuage et brille,
Le maître se découvre de son ignorance
Et brille.
Ce monde est dans les ténèbres.
Bien peu ont les yeux pour voir !
Bien rares les oiseaux
Qui échappent au filet
Et qui s’envolent vers le ciel !
Les cygnes s’élèvent et s’envolent vers le soleil.
Quelle magie !
De même, le pur vainc les armées de l’illusion,
S’élève et puis s’envole.
Si vous vous moquez du ciel
Et si vous violez la Loi,
Si vos paroles sont des mensonges,
Où votre malice finira-t-elle ?
L’idiot se rit de la générosité.
L’avare ne peut entrer au ciel.
Mais le maître trouve de la joie à donner
Et le bonheur est sa récompense.
Et plus—
31
Car plus grande que toutes les joies
Du ciel et de la terre,
Plus grande encore que la domination
Sur tous les mondes
Est la joie de se fondre dans le flux.
32
L’ÉVEILLÉ
Il est éveillé.
La victoire est sienne.
Il a conquis le monde.
Comment pourrait-il perdre la voie,
Celui qui est au-delà de la voie ?
Son œil est ouvert.
Sa démarche est libre.
Qui peut le suivre ?
Le monde ne peut ni le reconquérir
Ni le détourner du droit chemin
Et le filet empoisonné du désir
Ne peut le retenir.
Il est éveillé !
Les dieux le gardent.
Il est éveillé
Et il trouve sa joie
Dans le silence de la méditation
Et la douceur de l’abandon.
Il est difficile de naître.
Il est difficile de vivre.
Il est plus difficile encore
D’entendre parler de la voie
Et il est difficile
De se lever, de suivre et de parvenir à l’éveil.
Pourtant, l’enseignement est simple :
Faites ce qui est juste.
Soyez pur.
Au bout de la voie, il y a la liberté.
Jusque-là, patience.
Si vous blessez ou si vous pleurez quelqu’un,
Vous n’avez pas encore appris le détachement.
N’outragez ni en parole ni en action.
Mangez avec modération.
Vivez dans votre cœur.
Recherchez la plus haute conscience.
Maîtrisez-vous en suivant la Loi.
Ceci est l’enseignement simple des éveillés.
La pluie pourrait se transformer en or
Que votre soif n’en serait pas étanchée pour autant.
Le désir est inextinguible
33
Ou il se termine dans les larmes, même au ciel.
Celui qui souhaite s’éveiller
Consume ses désirs joyeusement.
Dans sa crainte, un homme peut chercher refuge
Dans les montagnes ou dans la forêt,
Dans un bosquet d’arbres sacrés
Ou dans un sanctuaire,
Mais comment pourrait-il échapper là
A son chagrin ?
Celui qui prend refuge dans la voie
Et qui voyage avec ceux qui la suivent
En vient à discerner les quatre grandes vérités
Concernant la douleur,
Le commencement de la douleur,
La voie octuple,
Et la cessation de la douleur.
Alors, il est enfin en sécurité.
Il s’est débarrassé de la douleur.
Il est libre.
Les éveillés sont peu nombreux
Et difficiles à trouver.
Heureux la maison où un homme s’éveille.
Bénie, sa naissance.
Béni, l’enseignement de la voie.
Bénie, la compréhension chez ceux qui la suivent
Et bénie, leur détermination.
Et bénis, ceux qui vénèrent
L’homme qui s’éveille et qui suit la voie.
Ils sont libres de la peur.
Ils sont libres.
Ils ont traversé la rivière de la douleur.
34
LA JOIE
Vivez dans la joie,
Dans l’amour,
Même parmi ceux qui haïssent.
Vivez dans la joie,
Dans la santé,
Même parmi ceux qui souffrent.
Vivez dans la joie,
Dans la paix,
Même parmi les inquiets.
Vivez dans la joie,
Sans possessions,
Comme les radieux.
Le vainqueur sème la haine,
Car le perdant souffre.
Laissez tomber le gain et la perte
Et découvrez la joie.
Il n’existe nul feu comme la passion,
Nul crime comme la haine,
Nul chagrin comme la séparation,
Nulle maladie comme la faim,
Et nulle joie comme la joie de la liberté.
La santé, le contentement et la confiance
Sont vos plus grandes possessions,
Et la liberté votre plus grande joie.
Tournez-vous vers l’intérieur.
Soyez calme.
Libre de la crainte et de l’attachement,
Connaissez la douce joie de la voie.
Quelle joie de contempler les éveillés
Et de tenir compagnie aux sages !
Longue la route pour l’homme
Qui voyage avec un idiot
Mais celui qui suit
Ceux qui suivent la voie
Découvre sa famille et est rempli de joie.
Suivez donc les parfaits,
Les sages, les éveillés, les pleins d’amour,
Car ils savent
Comment œuvrer et être indulgents.
35
Suivez-les
Comme la lune suit le chemin des étoiles.
36
LE PLAISIR
Ne laissez pas le plaisir vous distraire
De la méditation, de la voie.
Libérez-vous du plaisir et de la douleur,
Car en ayant soif de plaisir
Ou en nourrissant la douleur,
Il n’y a que chagrin.
N’aimez rien de peur de le perdre,
De peur que cela ne vous apporte
Chagrin et crainte.
Dépassez les préférences et les aversions.
De la passion et du désir,
De la volupté et de la luxure
Naissent le chagrin et la peur.
Libérez-vous de l’attachement.
Il est pur. Il voit.
Il dit la vérité et il la vit.
Il accomplit son propre travail,
Aussi est-il admiré et aimé.
L’esprit déterminé et le cœur sans désir,
Il aspire à la liberté.
On l’appelle uddhamsoto—
‘’Celui qui va vers l’amont.’’1
Quand un voyageur rentre enfin chez lui
Après un long voyage,
Avec quel bonheur
Sa famille et ses amis ne l’accueillent-ils pas !
C’est ainsi que vos bonnes actions
Vous accueilleront comme des amis
Et avec quelle réjouissance
Lorsque vous passerez de cette vie à la suivante !
1
Celui qui remonte à la source
37
LA COLÈRE
Renoncez à la colère.
Renoncez à l’orgueil.
Quand vous n’êtes lié par rien,
Vous dépassez le chagrin.
La colère est comme un char
Qui fonce aveuglément.
Qui contrôle la colère
Est le réel aurige,
Les autres tiennent à peine les rênes.
Domptez la colère avec la gentillesse,
L’avarice avec la générosité,
La tromperie avec la vérité.
Dites la vérité,
Donnez tout ce que vous pouvez,
Et ne vous mettez jamais en colère.
Ces trois démarches vous conduiront
En présence des dieux.
Les sages ne font du tort à personne.
Ils sont maîtres de leur corps.
Ils gagnent l’infinitude.
Ils dépassent tout chagrin.
Ceux qui sont en quête de perfection
Sont vigilants jour et nuit
Jusqu’à ce que tout désir ait disparu.
Ecoute, Atula. Ceci n’est pas neuf,
C’est une vieille rengaine—
On te reprochera d’être silencieux,
On te reprochera de trop parler
Et on te reprochera de ne pas parler assez.
Quoi que tu fasses, on te le reprochera.
Le monde trouvera toujours
Le moyen de te louer et de te critiquer.
Ceci a toujours été le cas et il en sera toujours ainsi.
Mais qui oserait blâmer celui
Que l’homme avisé loue sans discontinuer,
Dont la vie est vertueuse et sage
Et qui resplendit comme une pièce d’or pur ?
Même les dieux le louent.
Même Brahma le loue.
38
Ainsi, prends garde à la colère du corps.
Maîtrise ton corps.
Qu’il serve la vérité.
Prends garde à la colère de la langue.
Maîtrise tes paroles.
Qu’elles servent la vérité.
Prends garde à la colère du mental.
Maîtrise tes pensées.
Qu’elles servent la vérité.
Les sages ont la maîtrise
Du corps, de la parole et du mental.
Ce sont les vrais maîtres.
39
L’IMPURETÉ
Vous êtes comme la feuille qui fane
Et les messagers de la mort sont à la porte.
Vous devez voyager loin.
Que comptez-vous prendre avec vous ?
Vous êtes la lampe
Qui éclaire votre propre chemin.
Pressez-vous, pressez-vous !
Quand votre lampe brillera
Sans impureté ou désir,
Vous parviendrez à l’infinitude.
Votre vie décline.
La mort est à votre porte.
Où vous reposerez-vous en chemin ?
Qu’allez-vous emporter ?
Vous êtes la lampe
Qui éclaire votre chemin.
Pressez-vous, pressez-vous !
Quand votre lampe brillera en toute pureté,
Vous ne naîtrez plus.
Vous ne mourrez plus.
Comme l’orfèvre enlève la poussière de l’argent,
Éliminez petit à petit vos propres impuretés
Ou comme la rouille corrode le fer,
Votre propre malice vous consumera.
Négligés, les vers sacrés s’abîment
Car la beauté s’altère si l’on n’en fait usage.
La maison qui n’est pas réparée tombe en ruine
Et la garde sans vigilance échoue.
Dans ce monde comme dans le suivant,
L’impureté se conjugue,
Quand une femme manque de dignité
Et quand un homme manque de générosité.
Mais l’impureté primordiale est l’ignorance.
Libérez-vous d’elle.
Soyez pur.
Facile est la vie
De l’homme dépourvu de honte,
Impudent comme une corneille,
Bavard impénitent,
40
Vain, indiscret et dissipé.
Dure est la vie
De l’homme qui suit calmement
La voie de la perfection,
Avec pureté, détachement et vigueur.
Celui-ci voit clair.
En tuant, en mentant ou en volant,
En commettant l’adultère ou en buvant,
Vous déterrez vos propres racines.
Et si vous ne pouvez pas vous maîtriser vous-même,
Le mal que vous faites
Se retourne implacablement contre vous.
Vous pouvez donner de manière éclairée
Ou comme il vous plaira,
Mais si vous vous inquiétez de savoir
Comment un autre homme donne
Ou comment il thésaurise,
Vous troublez votre quiétude indéfiniment.
Ces racines de l’envie !
Détruisez-les
Et profitez d’une quiétude durable.
Nul feu comme la passion.
Nulles chaînes comme la haine.
L’illusion est un filet,
Et le désir, un flot tumultueux.
Comme il est facile de voir
Les fautes de votre frère,
Comme il est difficile de faire face aux vôtres.
Vous vannez les siennes au vent
Comme de la balle,
Mais les vôtres, vous les cachez
Comme un tricheur cache un coup malheureux.
Vous étendre sur les fautes de votre frère
Ne fait que multiplier les vôtres.
Vous êtes loin de la fin de votre voyage.
La voie n’est pas dans le ciel.
La voie est dans le cœur.
Voyez comment vous aimez
Tout ce qui empêche votre voyage.
Mais les tathagathas,
‘’Ceux qui sont allés au-delà’’,
Ont conquis le monde.
41
Ils sont libres.
La voie n’est pas dans le ciel.
La voie est dans le cœur.
Toute chose apparaît et disparaît,
Mais l’éveillé s’éveille pour toujours.
42
LE JUSTE
En optant précipitamment pour une ligne d’action,
Vous manquez la voie indiquée par la Loi.
Considérez calmement
Ce qui est juste et ce qui ne l’est pas,
En accueillant tous les avis de manière égale,
Sans hâte, sagement,
Respectez la Loi.
Lequel est sage,
L’homme éloquent ou l’homme paisible ?
Soyez paisible,
Aimable et sans crainte.
L’esprit parle,
Mais le corps sait.
Les cheveux gris ne font pas un maître.
L’homme peut vieillir en vain.
Le vrai maître vit dans la vérité,
La bonté et la maîtrise,
La non-violence, la modération et la pureté.
De belles paroles ou de beaux traits
Ne peuvent transformer en maître
L’homme jaloux et cupide.
C’est seulement si la jalousie et l’égoïsme
Sont éradiqués
Qu’il peut croître en beauté.
Un homme peut se raser la tête,
Mais s’il ment et s’il néglige son travail,
S’il s’accroche au désir et à l’attachement,
Comment peut-il suivre la voie ?
Le vrai chercheur
Jugule toute inconstance.
Il a soumis sa nature à la tranquillité.
C’est un vrai chercheur,
Non pas parce qu’il mendie,
Mais parce qu’il suit la voie légitime.
Il ne retient rien, il ne s’attache à rien.
Il est au-delà du bien et du mal,
Au-delà du corps et du mental.
Le silence ne peut pas transformer en maître
Un idiot.
43
Mais celui qui ne considère que la pureté,
Qui voit la nature des deux mondes,
Celui-là est un maître.
Il ne fait de tort à aucune chose vivante.
Et cependant, ce n’est pas la bonne conduite
Qui vous aide sur la voie,
Ni le rituel ni l’érudition,
Ni le retrait en vous-même,
Ni la méditation profonde.
Ceci ne confère ni la maîtrise ni la joie.
O chercheur !
Ne dépends plus de rien
Jusqu’à ne plus rien désirer.
44
LA VOIE
La voie est octuple.
Il y a quatre vérités.
Toute vertu réside dans le détachement.
Le maître garde l’œil ouvert.
Ceci est la seule voie.
La seule voie pour l’ouverture de l’œil.
Suivez-la.
Déjouez les manœuvres du désir.
Suivez-la jusqu’à la fin de la douleur.
Lorsque j’ai extrait la flèche de la douleur,
Je vous ai montré la voie.
C’est à vous de faire l’effort.
Les maîtres ne font qu’indiquer la voie.
Mais si vous méditez
Et si vous suivez la Loi,
Vous vous libérerez du désir.
‘’Tout apparaît et disparaît.’’
Quand vous voyez ceci,
Vous êtes au-delà de la douleur.
C’est la voie lumineuse.
‘’L’existence est douleur.’’
Comprenez et dépassez la douleur.
C’est la voie de la clarté.
‘’L’existence est illusion.’’
Comprenez, allez au-delà.
C’est la voie de l’intelligence.
Vous êtes fort, vous êtes jeune.
Il est temps de vous lever.
Alors levez-vous !
De peur que par irrésolution et paresse,
Vous ne manquiez la voie.
Maîtrisez vos paroles.
Maîtrisez vos pensées.
Ne permettez jamais à votre corps
De faire du mal.
Suivez ces trois options avec pureté,
Et vous vous retrouverez sur la voie unique,
La voie de la sagesse.
S’asseoir dans le monde,
45
C’est s’asseoir dans les ténèbres.
S’asseoir en méditation,
C’est s’asseoir dans la lumière.
Choisissez.
Laissez grandir la sagesse.
Abattez la forêt,
Pas l’arbre.
Car de la forêt vient le danger.
Abattez la forêt.
Abattez le désir.
Et devenez libre.
Tant qu’un homme désire une femme,
Son esprit est attaché
Aussi solidement qu’un veau à sa mère.
Comme vous cueilleriez un lys d’automne,
Arrachez la flèche du désir.
Car celui qui est éveillé
Vous a montré la voie de la paix.
Entreprenez le voyage.
‘’Ici je bâtirai mon habitation,
En été, en hiver,
Et pendant la saison des pluies.’’
Ainsi échafaude l’idiot
Sans la moindre pensée pour sa mort.
La mort surprend l’homme
Qui, enivré et distrait par le monde
Ne s’inquiète
Que de ses troupeaux et de ses enfants.
La mort l’emporte,
Comme une crue emporte un village endormi.
Sa famille ne peut pas le sauver,
Ni son père, ni ses fils.
Sachez-le.
Cherchez la sagesse et la pureté.
Dégagez la voie rapidement.
46
HORS DE LA FORÊT
Il y a le plaisir et il y a la félicité.
Renoncez au premier pour obtenir la seconde.
Seriez-vous heureux
Aux dépens du bonheur d’autrui,
Vous êtes à jamais lié.
Vous ne faites pas ce que vous devriez.
Vous faites ce que vous ne devriez pas.
Vous êtes irréfléchi et le désir croît.
Mais le maître est vigilant.
Il surveille son corps.
Dans toutes ses actions, il discrimine
Et il devient pur.
Il est irréprochable,
Bien qu’il ait pu assassiner
Son père et sa mère,
Deux rois, un royaume et tous ses sujets.
Bien que les rois fussent saints
Et leurs sujets parmi les vertueux,
Il est irréprochable.
Les disciples de l’éveillé
S’éveillent
Et jour et nuit ils veillent
Et méditent sur leur maître.
Toujours vigilants, ils observent la Loi.
Ils connaissent leurs frères sur la voie.
Ils comprennent le mystère du corps.
Ils trouvent de la joie dans tous les êtres.
Ils se réjouissent dans la méditation.
Vivre dans le monde est difficile
Et il est difficile de vivre en dehors du monde.
Il est difficile d’être seul parmi la multitude
Et pour le voyageur,
Longue est la route
Qui parcourt de nombreuses vies !
Qu’il se repose.
Qu’il ne souffre pas.
Qu’il ne tombe pas dans la souffrance.
Si c’est un homme bon,
Un homme de foi honoré et prospère,
47
Où qu’il aille, il sera le bienvenu.
Comme les Himalayas,
Les hommes de bien resplendissent au loin.
Mais les hommes mauvais se déplacent furtivement,
Comme des flèches dans la nuit.
Asseyez-vous.
Reposez-vous.
Travaillez sur vous-même.
Seul avec vous-même,
Ne vous lassez jamais.
A la lisière de la forêt,
Vivez joyeusement,
Sans désir.
48
LES TÉNÈBRES
Celui qui renie la vérité
Et celui qui renie ses propres actions,
Tous les deux se retrouvent dans les ténèbres
Et souffrent dans le prochain monde,
Puisqu’ils offensent la vérité.
Portez la robe ocre,
Mais si vous êtes irréfléchi,
Vous échouerez dans les ténèbres.
Si vous êtes irresponsable,
Il est préférable que vous avaliez du métal en fusion
Plutôt que de manger à la table de bonnes personnes.
Si vous courtisez la femme d’un autre,
Vous courtisez les problèmes.
Votre sommeil est perturbé.
Vous perdez votre honneur
Et vous sombrez dans les ténèbres.
Vous enfreignez la loi.
Vos plaisirs se terminent dans la crainte
Et la punition du roi est lourde.
De même qu’un brin d’herbe manipulé maladroitement
Peut vous couper,
Le renoncement peut vous conduire dans les ténèbres
Car si dans votre renoncement,
Vous êtes irréfléchi
Et vous manquez à votre parole,
Si votre but vacille,
Vous ne trouverez pas la lumière.
Faites ce que vous avez à faire
Résolument de tout votre cœur.
Le voyageur hésitant
Ne fait que soulever la poussière de la route.
Il vaut mieux ne rien faire
Que faire ce qui n’est pas juste,
Car ce que vous faites,
Vous vous le faites à vous-même.
Comme une ville frontière bien gardée,
Gardez-vous de l’intérieur et de l’extérieur.
Ne laissez pas un seul instant passer
De peur de tomber dans l’obscurité.
49
Ne ressentez de la honte
Que si la honte est appropriée,
Ne redoutez
Que ce qui est redoutable,
Ne voyez le mal
Que là où il y a le mal,
De peur de vous méprendre sur la vraie voie
Et de tomber dans les ténèbres.
Voyez ce qui est.
Voyez ce qui n’est pas.
Suivez la voie de la vérité.
Levez-vous.
50
L’ÉLÉPHANT
Je supporterai les mots durs
Comme l’éléphant endure les lances
Dans la bataille,
Car beaucoup de gens parlent
A tort et à travers.
L’éléphant dompté va à la guerre.
Le roi le monte.
L’homme dompté est le maître.
Il peut endurer paisiblement les paroles dures.
Meilleur qu’une mule
Ou que les chevaux racés de Sindh
Ou que les puissants éléphants de guerre
Est l’homme qui s’est dompté lui-même.
Sur leur dos,
Il n’atteindra pas le pays vierge,
Mais seulement seul.
Le puissant éléphant Dhanapalaka
Est sauvage lorsqu’il est en rut,
Et attaché, il ne mangera pas
En se rappelant les bosquets
Où vivent les éléphants.
L’idiot est paresseux.
Il mange et roule dans son sommeil,
Comme un porc dans une porcherie
Et il doit vivre, encore et encore.
‘’Mon propre mental vagabondait
Là où le plaisir ou le désir ou la luxure
Le conduisait.
Mais à présent, je l’ai dompté.
Je le contrôle,
Comme le cornac contrôle l’éléphant sauvage.’’
Réveillez-vous.
Soyez le témoin de vos pensées.
L’éléphant se hisse hors de la boue.
De la même façon,
Hissez-vous hors de votre paresse.
Si le voyageur peut découvrir
Un compagnon vertueux et sage,
Qu’il l’accompagne joyeusement
Et qu’il surmonte les aléas de la voie.
51
Mais si vous ne pouvez découvrir
Ami ou maître pour vous accompagner,
Voyagez seul—
Comme un roi qui a renoncé à son royaume,
Comme un éléphant dans la forêt.
Voyagez seul,
Plutôt qu’avec un idiot comme compagnon.
N’emportez pas vos erreurs avec vous.
N’emportez pas vos soucis.
Voyagez seul
Comme un éléphant dans la forêt.
Il est doux d’avoir des amis en temps de besoin
Et de partager le bonheur,
Et il est doux d’avoir fait quelque chose de bien
Avant de quitter cette vie
Et de laisser partir la douleur.
Il est doux d’être mère,
Et d’être père.
Il est doux de vivre rigoureusement
Et de vous maîtriser vous-même.
Ô qu’il est doux de jouir de la vie,
En vivant dans l’honnêteté et la force !
Et la sagesse est douce,
Et la liberté.
52
LE DÉSIR
Si vous dormez,
Le désir croît en vous
Comme une plante grimpante dans la forêt.
Pareil à un singe dans la forêt,
Vous sautez d’arbre en arbre,
Sans jamais trouver le fruit—
De vie en vie,
Sans jamais trouver la paix.
Si vous êtes plein de désir,
Vos chagrins gonflent
Comme l’herbe après la pluie.
Mais si vous soumettez le désir,
Vos chagrins vous quittent
Comme des gouttes d’eau délaissent
Une fleur de lotus.
Voici un bon conseil
Et il vaut pour tout le monde :
Comme l’herbe est arrachée
Pour une fraîche racine,
Tranchez le désir,
De peur que la mort ne vous broie encore et encore
Comme une rivière écrase de malheureux roseaux.
Car si les racines se maintiennent,
Un arbre abattu pousse de nouveau.
Si les désirs ne sont pas déracinés,
Le chagrin croît de nouveau en vous.
Trente-six courants se précipitent vers vous !
Le désir, le plaisir, la luxure…
Jouez avec eux dans votre imagination
Et ils vous emporteront.
Puissants courants !
Ils coulent partout.
Vigoureuse la plante grimpante !
Si vous la voyez surgir,
Prenez garde !
Arrachez-la par ses racines.
Les plaisirs circulent partout.
Sur eux, vous flottez
Et vous êtes emporté de vie en vie.
Comme un lièvre pourchassé, vous courez,
53
Le poursuivant de désir poursuivi,
Harcelé de vie en vie.
Ô chercheur !
Renoncez au désir.
Brisez vos chaînes.
Vous êtes sorti du trou,
Dans la clairière.
La clairière est dégagée.
Pourquoi retourner dans le trou ?
Le désir est un gouffre
Et les gens disent : ‘’Regardez !
Il était libre.
Mais maintenant il renonce à sa liberté.’’
Ce n’est pas le fer qui vous emprisonne
Ni la corde ou le bois,
Mais le plaisir
Que vous trouvez dans l’or et les bijoux,
Les fils et les femmes.
Douces entraves,
Pourtant, elles vous maintiennent.
Etes-vous capable de les briser ?
Il y en a qui le peuvent,
Qui abandonnent le monde,
Qui renoncent au désir et suivent la voie.
Ô esclave du désir,
Coule avec le courant !
Petite araignée, reste collée à ta toile !
Ou alors, renonce à tes peines pour la voie.
Renonce à hier et à demain,
Et à aujourd’hui.
Traverse jusqu’à la rive lointaine,
Par-delà la vie et la mort.
Vos pensées vous perturbent ?
La passion vous trouble ?
Prenez garde à la soif,
De peur que vos souhaits ne deviennent désirs
Et que le désir ne vous lie.
Calmez votre esprit.
Réfléchissez.
Observez.
Rien ne vous lie.
Vous êtes libre.
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Vous êtes fort.
Vous êtes arrivé au terme.
Libre de la passion et du désir,
Vous avez ôté les épines de la tige.
C’est votre dernier corps.
Vous êtes sage.
Vous êtes libre du désir
Et vous comprenez les mots
Et l’assemblage de mots
Et vous ne voulez rien.
‘’La victoire est mienne,
La connaissance est mienne,
Et la pureté,
Et le renoncement.
Je ne veux rien.
Je suis libre.
J’ai trouvé ma voie.
Qui appellerai-je Maître ?’’
Le don de la vérité surpasse tous les dons.
Et son goût, tous les délices.
Et sa joie, toutes les joies.
La fin du désir est la fin du chagrin.
Le sot est son propre ennemi.
En cherchant la richesse,
Il se ruine lui-même.
Cherchez plutôt l’autre rive.
Les mauvaises herbes étouffent le champ.
La passion empoisonne la nature de l’homme,
Ainsi que la haine, l’illusion et le désir.
Honorez l’homme qui est sans passion,
Sans haine, sans illusion et sans désir.
Ce que vous lui donnez vous sera rendu.
Et ô combien davantage.
55
LE CHERCHEUR
Maîtrisez vos sens,
Ce que vous goûtez et ce que vous sentez,
Ce que vous voyez et ce que vous entendez.
En toutes choses, soyez maître
De ce que vous faites, de ce que vous dites
Et de ce que vous pensez.
Soyez libre.
Vous êtes un chercheur.
Réjouissez-vous dans la maîtrise
De vos mains et de vos pieds,
De vos paroles et de vos pensées.
Réjouissez-vous dans la méditation
Et dans la solitude.
Calmez-vous, soyez heureux.
Vous êtes un chercheur.
Tenez votre langue.
Ne vous glorifiez pas,
Mais éclairez la voie
Par la douceur de vos paroles.
Suivez la vérité de la voie.
Réfléchissez-y.
Faites-la vôtre.
Vivez-la.
Elle vous soutiendra toujours.
Ce que l’on vous donne, ne le refusez pas,
Ce que l’on donne à autrui, ne le recherchez pas
De peur de troubler votre quiétude.
Remerciez pour ce qui vous a été donné,
Même si c’est peu.
Soyez pur, ne fléchissez jamais.
Vous n’avez ni nom ni forme.
Pourquoi ce que vous n’avez pas vous manquerait-il ?
Le chercheur ne regrette rien.
Aimez et suivez la voie joyeusement,
La voie tranquille vers le pays heureux.
Chercheur !
Vide le bateau.
Allège le chargement
De la passion, du désir et de la haine,
56
Et voyage rapidement.
Au départ, cinq sont à refuser,
Et cinq autres,
Et cinq sont à accueillir.
Et quand cinq1 ont été laissés en rade,
Le chercheur est appelé oghatinnoti—
‘’Celui qui a traversé’’.
Chercheur !
Ne sois pas irréfléchi.
Médite constamment.
Ou tu avaleras du feu,
Et tu crieras ‘’Assez !’’
Si vous n’êtes pas sage,
Comment pouvez-vous calmer l’esprit ?
Si vous ne pouvez pas vous calmer vous-même,
Qu’apprendrez-vous jamais ?
Comment deviendrez-vous libre ?
L’esprit calme,
Entrez dans cette maison vide, votre cœur,
Et ressentez la joie de la voie
Au-delà du monde.
A l’intérieur, contemplez
Ce qui apparaît et ce qui disparaît.
Quel bonheur !
Qu’il est doux d’être libre !
C’est le départ de la vie,
De la maîtrise et de la patience,
Des amis le long de la voie,
D’une vie pure et active.
Vivez donc dans l’amour.
Faites ce que vous avez à faire.
Mettez un terme à vos peines.
Car voyez comment le jasmin
Lâche et laisse tomber
Ses fleurs flétries.
Laissez tomber l’entêtement et la haine.
Êtes-vous calme ?
Calmez votre corps.
Calmez votre esprit.
Les cinq premiers sont l’égoïsme, le doute, la fausse spiritualité, la passion et la haine. Les cinq suivants sont la
nostalgie d’une naissance avec un corps et sans corps, la vanité, l’agitation mentale et l’ignorance. La troisième
série inclut la foi, la vigilance, l’énergie, la méditation et la sagesse. Les cinq derniers sont l’avidité, la haine,
l’illusion, l’orgueil et les faux enseignements.
1
57
Vous ne voulez plus rien.
Vos paroles se sont tues.
Vous êtes immobile.
Par vos propres efforts,
Eveillez-vous, observez-vous.
Et vivez joyeusement.
Vous êtes le maître,
Vous êtes le refuge.
Comme un marchand débourre un jeune poulain,
Maîtrisez-vous.
Avec quel bonheur vous suivez
Les paroles de l’éveillé !
Calmement et sûrement,
Vous vous approchez du pays heureux,
Le cœur du silence.
Peu importe sa jeunesse,
Le chercheur qui s’élance sur la voie
Éclaire le monde.
Comme la lune,
Sortez de derrière vos nuages !
Brillez !
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LE VRAI MAÎTRE
Vous ne voulez plus rien
Et de tout votre cœur,
Vous arrêtez le flux.
Quand le monde se dissout,
Tout devient clair.
Allez au-delà,
Par ici ou par là
Jusqu’à l’extrême rive
Où le monde se dissout
Et où tout devient clair.
Au-delà de cette rive
Et de l’ultime rive,
Au-delà de l’au-delà
Où il n’y a ni commencement,
Ni fin.
Sans crainte, allez-y.
Méditez.
Vivez avec pureté.
Soyez calme.
Faites votre travail avec maîtrise.
Le jour, le soleil brille
Et le guerrier brille dans son armure.
La nuit, la lune brille
Et le maître brille dans la méditation.
Mais jour et nuit,
L’homme éveillé
Brille dans l’éclat de l’Esprit.
Un maître renonce à la malice.
Il est serein.
Il laisse tout derrière lui.
Il ne s’offense pas, il n’offense pas.
Il ne retourne jamais le mal pour le mal.
Malheur à l’homme
Qui lève la main sur un autre,
Et encore plus à celui
Qui rend le coup.
Résistez aux plaisirs de la vie
Et au désir de blesser,
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Jusqu’à ce que les peines disparaissent.
N’outragez jamais
Par ce que vous pensez ou dites ou faites.
Honorez l’homme qui est éveillé
Et qui vous montre la voie.
Honorez le feu de son sacrifice.
Ni les cheveux emmêlés, ni la famille, ni la caste
Ne font le maître,
Mais bien la vérité et la bonté
Dont il est béni.
Les cheveux emmêlés,
Vous êtes assis sur une peau de daim.
Quelle folie,
Si à l’intérieur, vous êtes taquiné
Par la luxure !
Les vêtements du maître sont en lambeaux.
Ses veines saillent.
Il dépérit.
Seul dans la forêt,
Il est assis et il médite.
Un homme ne naît pas maître.
Un maître n’est jamais fier.
Il ne parle pas aux autres avec condescendance.
Il ne possède rien et rien ne lui manque.
Il n’a pas peur.
Il ne tremble pas.
Rien ne le lie.
Il est infiniment libre.
Ainsi, tranchez lacets, lanières et cordes.
Défaites les attaches.
Déverrouillez les portes du sommeil
Et éveillez-vous.
Le maître endure
Les insultes et les mauvais traitements
Sans réagir,
Car son esprit est une armée.
Il n’est jamais en colère.
Il tient ses promesses.
Il ne s’égare jamais, il est déterminé.
Ce corps est le dernier !, dit-il.
Pareil à l’eau sur la feuille d’une fleur de lotus
60
Ou à un grain de moutarde sur la pointe d’une aiguille,
Il ne s’accroche pas,
Car il est arrivé au terme de la souffrance
Et il a déposé son fardeau.
Il examine les choses en profondeur
Et voit leur nature.
Il discrimine
Et parvient au terme de la voie.
Il ne s’attarde pas
Chez ceux qui possèdent une maison
Ni avec ceux qui s’égarent.
Ne voulant rien,
Il voyage seul.
Il ne fait du tort à personne.
Jamais il ne tue.
Il se déplace avec amour
Parmi les gens peu affectueux,
Avec paix et détachement
Parmi les affamés et les grincheux.
Comme un grain de moutarde tombé
De la pointe d’une aiguille,
La haine l’a quitté,
Ainsi que la luxure, l’hypocrisie et l’orgueil.
Il n’offense personne.
Toutefois, il dit la vérité.
Ses paroles sont claires,
Mais jamais cruelles.
Ce qui n’est pas sien,
Il le refuse,
Bon ou mauvais, grand ou petit.
Il ne veut rien de ce monde,
Ni du suivant.
Il est libre.
Sans désir ni doute,
Au-delà du jugement, du chagrin
Et des plaisirs des sens,
Il est passé au-delà du temps.
Il est pur et libre.
Quelle clarté !
Il est comme la lune.
Il est serein.
Il brille.
61
Car il a parcouru
Vie après vie,
La route traîtresse et boueuse de l’illusion.
Il ne tremble
Ni ne saisit ni n’hésite.
Il a trouvé la paix.
Tranquille,
Il se détache de la vie,
Du foyer, du plaisir et du désir.
Rien qui n’appartient aux hommes
Ne peut le retenir.
Rien qui n’appartient aux dieux
Ne peut le retenir.
Rien—dans toute la création—
Ne peut le retenir.
Le désir l’a quitté à jamais.
Le chagrin l’a quitté à jamais.
Il est calme.
En lui,
La semence du renouvellement de la vie
S’est consumée.
Il a conquis tous les mondes intérieurs.
D’un œil égal,
Il voit partout
Ce qui s’élève et ce qui chute.
Et avec quel bonheur
Il sait qu’il en a terminé.
Il s’est sorti de son sommeil.
Et la voie qu’il a prise
Est cachée des hommes
Et même des esprits et des dieux
En vertu de sa pureté.
En lui, il n’y a ni hier,
Ni demain,
Ni aujourd’hui.
Il ne possède rien.
Il ne veut rien.
Il est rempli de puissance,
Intrépide, sage, exalté.
Il a vaincu toutes choses.
Il voit en vertu de sa pureté.
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Il est parvenu au terme de la voie
Par le fleuve de ses nombreuses vies
Et de ses nombreuses morts,
Au-delà de la douleur et de l’enfer
Et de la joie du ciel
En vertu de sa pureté.
Il est parvenu au terme de la voie.
Tout ce qu’il avait à faire, il l’a fait.
Et maintenant, il est un.
63
Le Dhammapada est l’un des livres les plus populaires et les plus accessibles de
toute la littérature bouddhiste. On y retrouve les paroles du Bouddha qui enseigne
que toute souffrance provient du désir et que le moyen pour atteindre la liberté est de
purifier son cœur et de suivre le chemin de la vérité. L’interprétation poétique du
Dhammapada de Thomas Byrom rend remarquablement les enseignements originels
du Bouddha, avec simplicité et lyrisme.
Le Dr Thomas Byrom a fait ses études à Oxford et à Harvard et il a enseigné la
littérature au collège Ste Catherine et au collège d’Exeter, à Oxford.
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