77 L’intelligence économique, un outil de management stratégique orienté vers le développement de nouvelles connaissances par Mourad Oubrich 1. L’intelligence économique, un champ de recherche novateur en management stratégique Mourad OUBRICH International MBA Université de Laval (Canada) et University of South Florida (États-Unis), Docteur ès sciences de gestion, Université d’Aix-Marseille II Postdoctoral Université d’Ottawa (Canada) Professeur, Université d’Ottawa Pour nous, l’extrait d’Oscar Wilde « Les gens ne cessent de dire qu’il est beau d’avoir des certitudes. Il semble qu’ils aient complètement oublié la beauté bien plus subtile du doute. Croire est tellement médiocre. Douter est tellement absorbant. Rester vigilant, c’est vivre ; être bercé par la certitude, c’est mourir » (Oscar Wilde, 1995) exprime bien ce qui caractérise l’environnement actuel : fermeture et délocalisation de certaines entreprises, des plans de licenciement, attentats, augmentation des prix du pétrole… la liste est non exhaustive des événements qui perturbent l’ordre économique international et affectent la croissance des pays et des entreprises. Alors si nous étions capables d’isoler et d’extraire de l’environnement certaines des actions pertinentes qui participent à la structuration des discontinuités, puis de les amplifier pour leur donner du sens utile pour agir, il serait possible d’anticiper les événements (M.L.Caron, 1997 ; Lesca N, 2002). Il ne suffit pas de percevoir les événements et les actions des acteurs pertinents pour entrevoir leurs intentions. Il faut imaginer derrière les circonstances présentes, des possibilités d’évolution futures. La question que nous pouvons poser à ce stade est : comment armer les entreprises pour prévoir l’imprévisible ? Selon Ch. Harbulot et Ph. Baumard (1996), le développement de système d’information stratégique commun est le levier de la nouvelle économie. Cette orientation stratégique a été adoptée pour la première fois en avril 1989 par les membres de la Japanese Association of Chief Information Officers qui regroupe les responsables des structures d’information économique de 72 grandes sociétés japonaises. Elle traduit la volonté du patronat japonais d’accorder juillet-octobre 2007 Dossier Économie de la connaissance La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 226-227 – Stratégie Économie de la connaissance 78 La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 226-227 – Stratégie une place de plus en plus visible à l’information stratégique dans la gestion de leurs affaires. Notre article s’inscrit parfaitement dans ce contexte caractérisé par un environnement incertain et imprévisible, notre objectif consiste à donner des précisions et des réponses à la question : comment armer les entreprises pour prévoir l’imprévisible ? Pour répondre à cette question, notre article confronte le discours académique et la pratique managériale sur le thème de l’intelligence économique. Peu exploré jusqu’à maintenant, thème de recherche transdisciplinaire et concept en maturation, il fait progressivement l’objet de travaux de recherche en sciences de gestion (S. Larivet, 2002 ; D. Phanuel et D. Levy, 2003 ; M. Oubrich, 2004, 2005). L’intelligence économique (IE) représente une discipline récente en France (Ph. Baumard, 1991 ; H. Lesca, 1994 ; H. Martre, 1994 ; H. Dou, 1995 ; A. Bloch, 1995 ; F. Bournois et PJ. Romani, 2000,) qui se situe au carrefour de plusieurs sciences. 1.1. Problématique de recherche La littérature permet d’affirmer que la création des connaissances est désormais une préoccupation majeure pour les organisations, qui les considèrent comme un avantage concurrentiel, ou comme une nécessité dans le cadre de changements internes ou environnementaux. La recherche en sciences de gestion a produit une littérature riche sur le sujet (GP. Huber, 1991 ; M. Girod, 1995 ; J.-C. Spender, 1996 ; M. Polanyi, 1966 ; I. Nonaka, 1994, I. Nonaka et H. Tackeuchi, 1995). Malgré le large consensus à l’effet que l’intelligence économique contribue à la création de nouvelles connaissances, nous dénombrons peu d’études dans le domaine (F. Bournois et PJ. Romani, 2000 ; J.-L. Levet, 2001 ; A. Du Toit, 2003 ; M. Oubrich, 2003, 2004, 2005,). Les thèses en sciences de gestion soutenues sur le thème de l’intelligence économique se sont focalisées sur la réalité des pratiques d’intelligence économique dans les PME (CRM. de Vasconcelos, 1999 ; S. Larivet, 2002), elles sont donc plutôt qualifiées comme des recherches sur le contenu. Or, l’intelligence économique apparaît aussi comme un processus qui permet de fournir une réponse « intelligente » à une problématique qui semble aujourd’hui incontournable en sciences de gestion, celle de la création des connaissances (M. Oubrich, 2004). Nous estimons qu’aucun des travaux cités ne nous permet de répondre à cette problématique. Aussi sommes-nous amené à nous interroger sur l’existence d’une recherche en cours en sciences de gestion sur ce thème. A ce propos, le fichier central des thèses nous confirme qu’aucune recherche doctorale n’est consacrée à cette problématique. Finalement notre problématique de recherche est : Comment l’intelligence économique permet-elle de créer des connaissances nouvelles dans l’entreprise ? La problématique de cet article s’inscrit à la croisée des deux thèmes : l’intelligence économique et la création des connais- Dossier sances. Nous ne cherchons pas à apporter une nouvelle méthode d’organisation de l’intelligence économique au sein des entreprises. En revanche, nous nous intéressons à la création collective de connaissances. Par création collective, nous entendons la manière dont des individus interagissent pour arriver à une compréhension explicite de l’environnement. A travers cette problématique, nous répondons aux préoccupations actuelles d’une part, en gestion des connaissances qui évoluent vers des problématiques liées à la création des connaissances plutôt qu’à la seule question du stockage/mémorisation des connaissances, et d’autre part en intelligence économique cherchant à montrer que l’intelligence économique ne se réduit pas à la gestion de l’information, mais à la création des connaissances nécessaires à la prise de décision et à l’innovation. 1.2. Question de recherche Notre problématique peut être traitée de différentes manières, il nous apparaît nécessaire à ce stade de faire un choix qui guidera notre raisonnement tout au long de cette recherche. Le terme mécanisme a attiré notre attention, par rapport à d’autres termes comme déterminant, condition… Le dictionnaire le Robert définit mécanisme comme une « combinaison ou agencement de pièces, d’organes, montés en vue d’un fonctionnement ». En ce qui nous concerne, nous entendons par « mécanisme » l’agencement ou la combinaison des éléments organisationnels, stratégiques et cognitifs, en vue de créer des connaissances pour l’entreprise. Nous nous plaçons dans le cas particulier de connaissances créées par un processus d’intelligence économique, et nous cherchons à identifier le ou les mécanismes de cette création des connaissances. Notre recherche vise ainsi à répondre à la question suivante : Par quel(s) mécanisme(s) le processus d’intelligence économique crée-t-il des connaissances dans l’entreprise ? 1.3. L’intérêt de la recherche L’intérêt de cette recherche pour les entreprises et leurs dirigeants découle pour une part essentielle de l’approche théorique et empirique que nous présenterons ultérieurement. Nous avons soulevé antérieurement quelques points qui clarifient les objectifs de notre recherche. Nous allons ici développer un peu plus et d’une façon plus structurée la réflexion sur les intérêts de cette recherche. Ces intérêts s’analysent en trois points : – sur le plan théorique : apporter une réponse à la question de création des connaissances dans un processus d’intelligence économique à travers une littérature centrée à la fois sur l’information et sur la connaissance ; – sur le plan pratique : proposer un modèle de l’intelligence économique comme processus de création des connaissances dans les entreprises, puis élaborer un cadre méthodologique juillet-octobre 2007 qui permettra aux entreprises de structurer leur processus d’intelligence économique ; – sur le plan méthodologique : utiliser une méthode importée de la psychologie sociale : l’analyse propositionnelle du discours. Ce choix est justifié par la nature stratégique et confidentielle des données que nous voudrions collecter. Cette technique d’analyse sera réalisée au moyen du logiciel Tropes. L’intérêt de cette méthode est de faciliter l’émergence d’éléments discursifs « invisibles » à la seule lecture des retranscriptions. 2. Le cadre conceptuel Dans ce point, nous souhaitons montrer que l’intelligence économique est un processus de création des connaissances et nous espérons le faire de façon à ce que les praticiens et les théoriciens puissent, si possible, facilement accéder à notre vision. 2.1. Les approches opératoires et théoriques de l’intelligence économique Approcher l’intelligence économique pour la reconnaître, signifie selon G. Massé et TF. Thibaut (2001), que nous ne pouvons pas l’atteindre pour la capturer, l’enfermer et la soumettre. Approcher l’intelligence économique est donc tout le contraire d’une réflexion aboutie et des certitudes qui en résultent. Nous proposons une brève définition de l’intelligence économique selon trois approches opératoires : – approche par une définition : la multiplication des définitions de l’intelligence économique depuis la sortie du rapport Martre, confirme un intérêt majeur pour ce concept dans la stratégie des entreprises. Parvenir à une définition serait un objectif de l’approche par une définition ; – approche par ses fonctions : un intérêt majeur pour ce concept pour les entreprises s’explique aussi par un foisonnement des fonctions que doit remplir ce concept. L’objectif de l’approche par ses fonctions, est de développer certaines fonctions qui sont indirectement traitées par les travaux antérieurs ; – approche par processus : cette approche vise à étudier les différentes phases du processus d’intelligence économique, et les interactions qui peuvent se faire entre elles. 2.2. Les modèles de la création des connaissances Les travaux qui traitent la création des connaissances sont aujourd’hui nombreux : Des revues spécialisées en gestion telles qu’Organization Science, La Revue des Sciences de Gestiondirection et gestion des entreprises, Strategic Management Journal, Journal of Management Studies, California Management 79 Review, Management Learning, L’Expansion Management Review, La Revue Française de Gestion, Journal of Organizational Change Management, Gestion 2000 ont consacré des numéros spéciaux à ces deux thèmes. L’objectif de ce paragraphe consiste alors à établir une synthèse des modèles concernant la création des connaissances. Modèle de Nonaka Selon I. Nonaka et al. (2000), la création des connaissances est un processus continu de transcendance de soi-même, qui traverse les frontières de l’ancien « soi-même » en un nouvel état de soi même en acquérant un nouveau contexte, une nouvelle vision du monde et une nouvelle connaissance. Ce passage de frontière se fait grâce à l’interaction entre individus, mais aussi entre les individus et leur environnement (Knowledge creation is a continuous, self-transcending process through which one transcends the boundary of the old self into a new self by acquiring a new context, a new view of the world, and new knowledge. In short, it is a journey from being to becoming. One also transcends the boundary between self and other, as knowledge is created through the interactions amongst individuals or between individuals and their environment. Une organisation crée de la connaissance par le biais de l’interaction entre la connaissance explicite et la connaissance tacite. Cette interaction entre ces formes tacite et explicite de la connaissance forme, selon I. Nonaka et H. Takeuchi (1995), la base d’une spirale dynamique de création des connaissances. I. Nonaka fournit un éclairage déterminant quant à la création des connaissances. Pour lui, la création des connaissances vient du dialogue perpétuel entre la connaissance tacite et explicite. Pour SDN. Cook et J.-S. Brown (1999), le dialogue entre les formes de connaissance est possible grâce à un AO (apprentissage organisationnel). Le modèle de Wenger Un autre modèle, plus centré sur les interactions que sur la connaissance en elle-même, cherche à progresser dans la compréhension de la problématique de création des connaissances, sous l’angle de pratique collective. Il s’agit de penser la relation entre les pratiques, qui mettent toujours en jeu des connaissances, à la fois tacites et explicites, et la réification de ces pratiques, sous forme qui peut être également tacite ou explicite. Nous retrouvons cette dualité dans les travaux sur les communautés de pratique (E. Wenger, 1998). H. Amblard et al (1996) définissent les communautés de pratique comme un groupe d’individus ayant une identité forte, engagés dans des luttes de pouvoir, préservant des zones de flou leur autorisant des marges de manœuvre et de négociation. Alors que pour Ph. Baumard (1991), les communautés de pratique sont des juillet-octobre 2007 Dossier Économie de la connaissance La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 226-227 – Stratégie 80 Modèles de création de connaissances Économie de la connaissance Modèle de Nonaka Modèle de Wenger Modèle de Senge La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 226-227 – Stratégie Principes Auteurs La création de la connaissance doit être comprise comme un processus qui amplifie de façon organisationnelle les connaissances créées par les individus, et les cristallise en tant que partie d’un réseau de connaissances de l’organisation. Nonaka (1994) ; Nonaka et Takeuchi (1995) ; Spender (1996) ; Grant (1996) Les individus accumulent la connaissance d’après leurs propres expériences. La qualité de cette connaissance dépend de deux facteurs. Le premier est la variété des expériences individuelles en interaction. Le second facteur est la connaissance de l’expérience. Brown et Duguid (1991) ; Wenger (1998) ; Baumard (1999) ; Amblard et al (1996) ; Lesourne (1991). Une organisation apprenante est une organisation qui possède l’aptitude de créer, d’acquérir et de transférer des connaissances, ainsi que celle de modifier son comportement, afin de refléter de nouvelles connaissances. Senge (1990) ; Garvin (1993) ; Tobin (1993) ; Anciaux (1994) ; Baumard (1991) ; Mack (1995) Tableau : Modèles de création des connaissances. groupes d’individus ayant une identité forte, et partageant une connaissance tacite commune, acquise dans la pratique. Les communautés de pratique ont fait l’objet de travaux théoriques importants (E. Wenger, 1998, 2002). Les travaux sur le management de la connaissance expliquent que la création des communautés de pratiques facilite le développement des connaissances (K. Goglio, 2003). E. Wenger désigne par « création des connaissances » ce qui se manifeste dans la pratique et dans la modification permanente des routines, du fait de l’activité quotidienne. La pratique constitue alors un support à la création des connaissances collectives, et contribue à créer des cadres d’interprétation nécessaires à l’accomplissement des tâches. Au sein de ces communautés, les nouvelles connaissances qui sont tacites et socialement localisées sont essentiellement le « savoir-faire » (JS. Brown et B. Duguid, 1991). La nature de la connaissance est dépendante de l’objectif et de la structure des communautés de pratique. Enfin, elles produisent un répertoire partagé de connaissances communes (routines, sensibilités, artéfacts, vocabulaires, styles… etc.). Ce répertoire est principalement d’une nature tacite et la création des connaissances s’apparente essentiellement au mode de conversion de connaissance de type « socialisation » (I. Nonaka et H. Takeuchi, 1995). Ce modèle offre un cadre original de lecture de phénomène de création des connaissances et permet d’envisager celui-ci sous un angle d’AO. Modèle de Senge Le modèle de Senge souligne l’importance de la qualité du raisonnement des individus, de leurs visions partagées, de leur aptitude Dossier à la réflexion, de l’apprentissage en équipe et de la compréhension des problèmes complexes de la vie des affaires dans la création des connaissances. B. Garvin (1993) critique les approches adoptées par PM. Senge ; il pense que les entreprises gèrent de façon active leur processus d’apprentissage en intégrant dans le tissu opérationnel cinq principales activités : la résolution systématique des problèmes, l’expérimentation de nouvelles approches, l’apprentissage à partir des expériences propres et des enseignements du passé, l’apprentissage à partir des expériences et des succès des autres, le transfert de la connaissance à travers l’organisation. Ainsi, grâce à ces pratiques, l’entreprise possède l’aptitude de créer, d’acquérir des connaissances, ainsi que celle de modifier son comportement, afin de refléter de nouvelles connaissances et de nouvelles manières de voir les choses. Les trois modèles montrent que la création des connaissances sur le plan collectif implique la dynamique de l’apprentissage en groupe. Il faut s’assurer que les groupes sont créés avec des gens possédant des compétences complémentaires et que chaque groupe définit des objectifs réalistes. De plus, une atmosphère d’ouverture doit être soutenue et développée, au même titre que des espaces de communication permettant de déboucher sur des brainstormings, des centres de compétences, d’apprentissage, de retenir les leçons apprises… etc. Et grâce au développement de communautés des pratiques, une entreprise peut développer des connaissances de manière efficiente et efficace. Pour cela, il faut comprendre le processus par lequel se fait l’apprentissage organisationnel. juillet-octobre 2007 2.3. L’apprentissage organisationnel, quelles leçons pouvons-nous tirer pour la création des connaissances ? L’apprentissage organisationnel a fait, et fait encore l’objet de nombreux écrits. Ce thème complexe et ses différents aspects semblent loin d’être épuisés. L’apprentissage organisationnel est un concept multidisciplinaire utilisé pour décrire certains types de phénomènes qui ont lieu dans une organisation. Nous allons tenter dans ce paragraphe d’étudier les sources de l’apprentissage organisationnel dans le cadre du processus d’intelligence économique. Pour ce faire, nous allons choisir une définition et un modèle de l’apprentissage qui correspondent parfaitement à notre objectif de la recherche. Le choix d’une définition synthétique de l’apprentissage organisationnel (AO) Les définitions de l’AO sont aujourd’hui pratiquement aussi nombreuses que les travaux qui lui sont consacrés. Il est possible de doter d’une définition incorporant un certain nombre d’éléments émanant des efforts de conceptualisation de l’AO. Celle proposée par C. Argyris et D. Schön (1978) semble bien correspondre à cette volonté de synthèse : « le processus qui implique la détection et la correction d’une erreur. Lorsque l’erreur détectée et corrigée permet à l’organisation de poursuivre ses politiques actuelles ou d’accomplir ses objectifs présents, alors ce processus de détection et correction d’erreur est un apprentissage en double boucle […] l’apprentissage en double boucle apparaît lorsque l’erreur est détectée et corrigée de telle façon qu’elle implique la modification des normes, politiques, et objectifs fondamentaux d’une organisation ». L’AO comme détection et correction d’erreurs Pour ces auteurs, l’AO représente un concept d’action, en ce sens que, d’une part, l’apprentissage est une condition de l’action efficace, et d’autre part, l’acteur apprend dans l’action. Leur modèle montre que lorsque l’individu découvre une erreur, il élabore et met en pratique une théorie d’usage sensiblement différente de la théorie qu’il professe. « Quand les erreurs sont embarrassantes ou menaçantes, c’est-à-dire au moment précis où il est capital de savoir apprendre efficacement, l’individu développe des plans pour rester à l’ignorance de cette divergence » (C. Argyris, 1993). L’intérêt de l’analyse de C. Argyris et D. Schön (1978) réside, selon nous, dans la distinction qu’ils opèrent entre différents niveaux d’apprentissage. Ils insistent sur l’existence de boucles inhibitrices d’apprentissage lorsque les individus se bornent à corriger les erreurs de façon locale, ce qui ne leur permet pas de repérer les dysfonctionnements de la théorie en usage et de réaliser un apprentissage en double boucle. 81 L’apprentissage en double boucle dans un processus d’intelligence économique, résultat de transformation des programmes maîtres Après avoir défini l’AO, nous allons aborder ici les déterminants d’un apprentissage en double boucle dans un processus d’intelligence économique (M. Oubrich, 2004, 2005). Changement des représentations collectives Partant de ce principe, les acteurs au sein d’un processus d’intelligence économique se réfèrent sans cesse à ces cadres de représentation collective pour agir. Dans ce sens, l’intelligence économique peut être considérée comme une « agence » dans laquelle les individus cherchent à se forger une représentation de l’environnement interne et externe. Les individus, dans ce processus, interagissent pour affiner et compléter leurs représentations, les tester et les faire évoluer. Dans la même tentative d’explication de l’AO comme source de construction d’une représentation collective dans un processus d’intelligence économique, certains auteurs, et nous retrouvons ici les idées de R. Cyert et J. March (1963), qui notent que l’apprentissage provient d’un écart ponctuel ou continuel entre un niveau d’aspiration associé à un objectif et le niveau réel de performance. Changement de l’intention stratégique F. Charue (1992) précise qu’« il y a AO lorsque les membres de l’organisation construisent des savoirs pertinents par rapport à la mission de l’organisation et que ces derniers sont codés ou mémorisés dans l’organisation ». Le concept de mission de l’organisation est lié à celui d’intention stratégique. D’après A. Campbell et S. Yeung (1991a) et M. Lipton (1996), la mission de l’organisation est la réponse à la question « pourquoi l’entreprise existe-t-elle ? », tandis que pour N. Thornberry (1997), elle est « les missions fondamentales de l’organisation pour exister au-delà du simple fait de faire de l’argent ». Alors, pour l’intention stratégique, les auteurs américains notent qu’elle crée une inadéquation extrême entre les ressources et les ambitions. Pour E. Métais et C. Roux-Dufort (1997), cette inadéquation entre les ressources et les ambitions est la source de la tension créatrice décrite par PM. Senge (1990), et qui est à l’origine de l’atteinte de l’intention. Ils notent également que le niveau adéquat pour faire naître cette tension créatrice dépend également de l’organisation : « une organisation apprenante, habituée au changement est capable de supporter un niveau de tension nettement supérieur à une organisation statique, peu sollicitée au cours de son expérience passée ». L’idée de tension ne peut donc se concevoir que de manière absolument relative. E. Métais et C. Roux-Dufort (1997) distinguent plusieurs niveaux de tension selon l’importance de l’écart entre l’intention et la réalité. A juillet-octobre 2007 Dossier Économie de la connaissance La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 226-227 – Stratégie 82 La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 226-227 – Stratégie Économie de la connaissance chacun de ces niveaux est associé un type d’apprentissage différent. Ainsi, à une tension forte correspondra un apprentissage « double en boucle » (invention de nouvelles solutions, transformation en profondeur) (C. Argyris et D. Schön, 1978). 3. Considération méthodologique, Elaboration du modèle et propositions de recherche Ce point est divisé en deux parties : la première présentera le choix méthodologique tandis que la seconde élaborera le modèle et les propositions de recherche. Ils découlent de la construction théorique qui a constitué la première partie de cet article. 3.1. Méthodologie Nous avons démontré dans les développements précédents que, malgré la jeunesse de l’intelligence économique, celle-ci a donné lieu à des études en sciences de gestion (CRM de Vasconcelos, 1999 ; S. Larivet, 2002 ; D. Phanuel et D. Levy, 2003). Ces recherches antérieures apportent très peu de précisions concernant notre problématique de recherche. Par conséquent, notre recherche a pour but de partir de la revue de la littérature des deux concepts afin de construire un modèle de la recherche, et d’aller par la suite au terrain pour discuter ce modèle. Nous avons alors opté pour une approche déductive : développer des propositions à partir des travaux antérieurs autour de ces axes, et discuter ces propositions de manière empirique. Face à une problématique de recherche très large, développer des propositions nous aide à dresser un cadre de recherche, et nous guide pour déterminer la méthode qu’il convient de suivre. Notre choix de construire notre recherche autour de propositions s’inscrit plus dans une démarche proche de celle développée par MB. Miles et AM. Huberman (1991). 3.2. Modèle de recherche Le modèle de recherche élaboré pour les fins de cette recherche postule que la création des connaissances dans un processus d’intelligence économique, peut être effectuée à travers un AO généré par un changement de l’intention stratégique et de la représentation collective. Il explique un processus dynamique interne et vise à répondre à notre problématique de recherche. Ce modèle se structure en s’appuyant sur le processus d’intelligence économique décrit par plusieurs auteurs dans ce domaine. 3.3. Propositions de recherche Afin de pouvoir exploiter au mieux les apports théoriques exposés dans la première partie de cette recherche, nous nous sommes efforcé de formaliser certaines propositions, et comme le préconisent R. Quivry et L. van Campenhoudt (1995), « de les traduire dans un langage et sous des formes qui les rendent propres à Figure : Modèle de recherche Dossier juillet-octobre 2007 La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 226-227 – Stratégie L’expression des besoins en information • Type des besoins d’information – Information concurrentielle – Information technologique – Sur les parts de marché – Information commerciale – Sur les métiers – Autres • Qui exprime les besoins – Top management – Fonction intelligence économique ou veille – Chaque fonction ou business unit • Comment se définissent les besoins – Plan de renseignement La collecte de l’information • Comment se définit la collecte d’information – Presse, livres – Base de données – Salon, Forum, Congrès, Exposition, Mission et voyages d’études – Internet (Moteur de recherche, Agents intelligents…) – Réseaux informels (Fournisseur, client, concurrents, sous -traitants…). – Top management – Equipe chargée d’intelligence économique – Cabinet d’études – Toutes les personnes internes de l’entreprise • Quand l’information se collecte – Tous les jours – En fonction des besoins Le traitement d’information • Outils de traitement des informations – Réunions spéciales d’analyse, procédure d’analyse d’information – Outils informatique de traitement d’information (Datamining, outils de bibliométrique…) • Qui traite l’information – Top management – Fonction intelligence économique – Experts internes – Cabinet de conseil La diffusion d’information • Outils de diffusion de l’information – Réunion d’information – Rapports formels – Notes d’information – Un réseau d’ordinateurs – Intranet – E-mail – Téléphone La création de connaissance • Typologies de connaissances – Concurrentielle – Technologique – Sur les parts de marché – sur le développement de produits – Commerciale – Sur les métiers • Conversion de connaissances – Réunions formelles ou informelles – Communautés de pratique – Echange de message électronique ou outils de travail collaboratif – Plate-forme de connaissance guider le travail systématique de collecte et d’analyse des données d’observation ou d’expérimentation qui doit suivre ». 4. Indicateurs de mesure et étude de terrain Tel est l’objet de ce paragraphe qui constitue la charnière entre les propositions de recherche et le travail d’élucidation fondé sur une approche empirique. Nous allons tenter dans ce paragraphe à opérationnaliser nos variables, pour que nos propositions soient compréhensibles par les acteurs de terrain. 4.1. Indicateurs de mesure des variables dépendantes Nous nous sommes appuyés, ici, sur les travaux de chercheurs (D. Phanuel et D. Levy, 2003 ; F. Bournois et PJ. Romani, 2000 ; J.L. Levet, 2001) et de praticiens (F. Jakobiak, 1998 ; A. Bloch, 1995 ; L. Hassid, P. Jacques-Gustave et N. Moinet, 1997 ; B. Martinet et Ph. Marti, 1995, etc.) spécialistes en matière de l’intelligence économique ; leurs ouvrages et leurs études nous ont servi comme des références de base pour opérationnaliser le processus d’intelligence économique. Dans le tableau cidessous, nous proposons pour chaque variable indépendante des indicateurs (voir tableau ci-contre). 4.2. Indicateurs de mesure des variables indépendantes Nous distinguons dans ce bloc d’indicateurs, des indicateurs liés à l’AO, à l’intention stratégique et à la représentation. En ce qui concerne ces trois variables, nous avons mené des investigations dans des thèses, ouvrages, et articles d’auteurs. En revanche, les mesures proposées par les auteurs ne correspondent absolument pas à ce que nous voulons indiquer par ces variables dans le cadre de l’intelligence économique. Un travail de réflexion, nous a permis de développer une certaine mesure. Nous les présentons dans les tableaux suivants : INDICATEURS DE MESURES Tableau: Indicateurs de mesure de la variable « processus d’intelligence économique » juillet-octobre 2007 Dossier Économie de la connaissance VARIABLE 83 Économie de la connaissance 84 La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 226-227 – Stratégie VARIABLE INDICATEURS DE MESURES VARIABLE Apprentissage organisationnel • Erreurs constatées – Le système de rôle est inefficace – Les règles de fonctionnement ne sont pas claires – L’interface des domaines de compétence est floue – Dysfonctionnement au niveau du management et de l’animation des hommes. – Mauvaise utilisation des outils et techniques – Dysfonctionnement de l’organisation de travail • Actions entreprises CORRECTION EN SIMPLE BOUCLE – Animation des hommes – Règle de fonctionnement des équipes de travail – Système de rôle CORRECTION EN DOUBLE BOUCLE – Changement des process interne et externe – Changement d’outil set de méthode de travail – Mettre en place une organisation transverse – Changement de style de management – Formation – Changement de culture Intention stratégique INDICATEURS DE MESURES – Renouvellement du plan stratégique – Renouvellement des objectifs affichés – Implication des employés au travail en fonction de l’objectif de l’intelligence économique – Participation et engagement des employés – Motivation des employés de l’intérêt de l’intelligence économique – Converger les objectifs individuels vs collectifs Tableau : Indicateurs de mesure de la variable « intention stratégique » VARIABLE INDICATEURS DE MESURES Représentation – Changement des représentations sur l’environnement (menaces/opportunités) – Changement des représentations sur l’entreprise (forces/faiblesses) – Changement des représentations des problèmes internes – Changement de croyance (idées sur les individus, sur le mode de gestion, sur l’environnement externe) Tableau : Indicateurs de mesure de la variable « Apprentissage organisationnel » Tableau : Indicateurs de mesure de la variable « représentation » 5. Méthode de collecte et d’analyse des données 5.2. Le recours à l’analyse du discours, comme une stratégie appropriée pour l’analyse des données qualitatives Tout chercheur en sciences de gestion est inéluctablement confronté au choix le plus approprié de collecte et d’analyse de données en fonction de ses objectifs et de la nature de son terrain de recherche. 5.1. Les entretiens semi-directifs, un outil le plus adapté pour notre recherche F. Wacheux (1996) met en évidence cinq sources différentes de données : l’entretien, l’observation directe, l’observation indirecte, les archives et la documentation disponible. Vu le caractère stratégique de la fonction d’intelligence économique et les types de données que nous cherchons à collecter, nous avons confronté des difficultés d’accès aux entreprises pour effectuer une étude de longue durée, et également une observation directe et indirecte. Par conséquent, de ces cinq sources décrites par F. Wacheux (1996), nous avons retenu pour notre travail comme source principale de collecte des données : l’entretien. Nous avons réalisé vingt entretiens semi-directifs. Ces entretiens se sont déroulés entre octobre 2003 et janvier 2004 et ont duré généralement entre 1 heure et 1 heure et demie. Leur conduite débutait par un climat détendu et propice à la discussion. Dossier Les techniques d’analyse de données en sciences de gestion sont nombreuses, et l’utilisation d’un outil plutôt qu’un autre dépend généralement de la question de la recherche et du résultat souhaité (RA. Thiétart et al, 1999). J.-C. Usunier, M. EasterbySmith et R. Thorpe (2000), distinguent entre deux moyens fondamentaux d’analyser les données qualitatives : l’analyse du contenu et la grounded theory ou « théorie fondée ». F. AllardPoesi, C. Drucker-Godard et S. Ehlinger (1999) ajoutent une troisième méthode issue de la psychologie cognitive et sociale. La grounded theory et la cartographie cognitive ne sont pas directement transposables, ni applicables dans le cadre de notre recherche. La grounded theory est utilisée dans des études fondées sur une démarche inductive (JC. Usunier, M. EasterbySmith et R. Thorpe, 2000), alors que la cartographie cognitive n’est applicable, comme le souligne A. Huff (1990), que dans des recherches longitudinales. Enfin certaines méthodes évoquées nécessitent une compétence considérable pour leur bonne mise en œuvre, dont il faut reconnaître que ne possédant malheureusement pas cette compétence, pour autant, le choix d’une méthode d’analyse collectée s’impose. Notre choix s’est orienté vers les préconisations de L. Bardin (1980). L’auteur propose la combinaison de deux méthodes d’analyse du contenu : analyse thématique, et analyse du juillet-octobre 2007 discours. Par ailleurs, ces deux méthodes permettent de réaliser deux types de traitement de nos données : un traitement qualitatif et un traitement quantitatif. 6. Synthèse des résultats de l’analyse des données Notre recherche avait pour objectif initial de développer les fondements d’une analyse du processus d’intelligence économique, en termes de création des connaissances. Le modèle de recherche élaboré peut être en grande partie retenu puisque la totalité des propositions initialement prévues n’ont pas pu être rejetées. L’analyse qualitative et quantitative débouche sur des résultats. Nous présentons la synthèse des résultats de l’analyse en relation avec les arguments que nous avons avancés pour justifier la pertinence du modèle de la recherche. 6.1. Synthèse des résultats relatifs à l’apprentissage organisationnel et la création de connaissances Nous pouvons constater, lors de nos analyses, que l’intelligence économique est devenue un mode de management qui permet aux entreprises interrogées de développer un apprentissage, sous forme d’acquisition des compétences en termes de méthodologie et d’outils. Cet apprentissage contribue, selon ces entreprises, à une rationalisation de leurs fonctions et un échange des connaissances nécessaire pour développer de nouvelles connaissances. P. Achard et J.-P. Bernat (1998) utilisent le terme « dynamique apprenante » pour qualifier le rôle de l’erreur dans l’apprentissage au sein d’un processus d’intelligence économique. Parmi les erreurs engendrant un apprentissage dans les entreprises que nous avons contactées, l’accent est mis ici sur les erreurs organisationnelles et managériales. Nous avons questionné les responsables de chaque entreprise, et nous avons constaté que le style de management et l’organisation du travail entraînent des erreurs dont la présence est tout à fait reconnue par la majorité des grandes entreprises, alors que pour les PME, nous pouvons remarquer que la centralisation de la gestion autour d’un nombre restreint de leurs dirigeants, combinée à la formalisation peu poussée des règles de fonctionnement des équipes de travail, constituent les deux principales erreurs. Les actions initiées par les entreprises pour corriger leurs erreurs concernent l’organisation du travail avec le fonctionnement en équipes de projets, la réduction des échelons hiérarchiques et la participation ou l’implication des salariés dans la définition des postes et des tâches. Nous remarquons également, avec intérêt, l’absence d’autres pratiques souvent présentées comme originales ou nouvelles dans les travaux sur l’apprentissage : la rotation de poste ou de responsabilité entre salariés, le tutorat et 85 le parrainage, le partage formalisé des expériences entre salariés. La création des connaissances par apprentissage dans un processus d’intelligence économique dépend de la structure interne du processus d’intelligence économique de chaque entreprise, souligne un responsable d’intelligence économique. Il a un caractère endogène. C’est en effet, à l’intérieur de chaque processus que se transforment les connaissances existantes, pour produire des connaissances nouvelles. Selon les résultats de l’analyse nous constatons également que l’intelligence économique n’est pas un processus dont la connaissance est figée, au contraire, elle est un processus ouvert en construction. Cette construction s’opère grâce aussi bien à l’extérieur de l’entreprise, qu’en interne. Nous nous apercevons que plus les entreprises intègrent un processus d’intelligence économique, plus elles génèrent des connaissances en interne sous forme de développement de nouveaux métiers, et en externe, sous forme de reconfiguration profonde des systèmes concurrentiels. Par conséquent, le rôle de l’apprentissage dans la capacité des entreprises à développer de nouvelles connaissances a fait l’objet d’un large consensus entre les différents répondants de notre échantillon. Par ailleurs, il y a une création des connaissances à la fois en interne et en externe, selon les répondants, parce qu’il y a un apprentissage en double boucle. 6.2. Synthèse des résultats relatifs à la relation à l’apprentissage organisationnel et l’intention stratégique (IS) Les résultats de notre analyse thématique montrent que le responsable d’intelligence économique est souvent perçu (c’est d’ailleurs sa fonction première) comme un pourvoyeur d’informations nécessaires à l’éclairage de la décision, et non comme l’acteur de cette prise de décision. En clair, il s’agit de fournir aux décideurs les éléments d’information qui leur permettront de mieux connaître et appréhender leur environnement. « Le responsable intelligence économique a une mission d’anticipation stratégique » résume l’un des responsables intelligence économique de notre échantillon. Leur fonction stratégique consiste à doter l’entreprise d’un réservoir informationnel nécessaire pour l’alimentation du processus de formation de l’intention stratégique (IS). Les résultats issus de l’analyse propositionnelle du discours confirment les résultats de l’analyse thématique, et ils montrent que le processus d’intelligence économique influence l’intention stratégique, puisque celle-ci est détectée en position d’actée par rapport à l’intelligence économique. Ce résultat est somme toute logique, puisqu’une entreprise qui ne réadapte pas voire ne change pas son intention stratégique suite à l’arrivée de nouvelles informations est condamnée à la disparition. De même, nous pouvons supposer, que l’intelligence écono- juillet-octobre 2007 Dossier Économie de la connaissance La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 226-227 – Stratégie Économie de la connaissance 86 La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 226-227 – Stratégie mique, en ce qu’elle modifie l’intention stratégique dans un sens favorable à l’entreprise, est un moyen d’apprentissage en double boucle. L’analyse factorielle de correspondance met également en évidence la réalité de relation entre l’intelligence économique et l’intention stratégique. Cette dernière se positionne à proximité des grandes entreprises et de la fonction d’intelligence économique. Un tel résultat reflète l’impact de la variable de contingence « la taille » sur le rôle assigné à l’intelligence économique. Pour les grandes entreprises, l’intelligence économique est perçue comme une composante active de la stratégie, tandis que pour les PME, l’intelligence économique est assimilée à une fonction de veille ou de surveillance. L’intelligence économique transforme l’intention stratégique de l’entreprise, c’est ce qui ressort de l’analyse thématique et de l’analyse propositionnelle du discours. Cette transformation de l’intention stratégique de l’entreprise renvoie à un apprentissage en boucle double, puisqu’elle consiste à questionner les cadres de référence de l’organisation pour proposer des nouvelles stratégies, qui prennent en compte les nouvelles informations collectées, puis traitées par la cellule d’intelligence économique. Les résultats de l’analyse factorielle des correspondances expliquent que, dans les grandes entreprises, l’apprentissage implique une intégration de l’intelligence économique dans la stratégie de l’entreprise. En revanche l’analyse des pratiques des PME montre que cette relation n’est pas encore établie. Pour ce faire, cela exige des dirigeants des PME de mieux comprendre cette fonction et de pouvoir en apprécier, par la suite, l’utilité. À notre avis, il faut comprendre la situation actuelle des PME comme un premier stade de sophistication de la fonction d’intelligence économique dans les PME. 6.3. Synthèse des résultats relatifs à la relation à l’apprentissage organisationnel et la représentation L’intelligence économique accorde une grande importance à l’action de l’entreprise sur l’environnement. Cette action se traduit par des représentations sous forme d’images et de croyances sur l’évolution de l’environnement. Selon les résultats de l’analyse thématique, le processus d’intelligence économique permet à l’entreprise de partager les représentations individuelles, afin d’élaborer une représentation globale sur l’environnement interne et externe. Un responsable d’intelligence économique résume cette nouvelle tâche de l’intelligence économique par la phrase suivante : « la mise en place du dispositif d’intelligence économique a permis à notre entreprise de passer à une position où les acteurs échangent leurs représentations pour mieux éclairer la direction générale sur les données environnementales et leurs évolutions ». Et comme le montrent les résultats de l’analyse propositionnelle du discours, intelligence économique et représentation (REP) sont fortement liées. Précisément Dossier l’intelligence économique agit en position actant par rapport à la REP, ce qui confirme l’impact de l’intelligence économique sur la représentation que peuvent avoir les différents acteurs sur l’environnement interne et externe. Les résultats de l’analyse factorielle des correspondances montrent que cette nouvelle fonction d’intelligence économique est partagée par les grandes entreprises et les PME d’une part, et entre les responsables d’intelligence économique et de gestion du savoir (knowledge management) d’autre part. Ainsi, l’intelligence économique trouve-t’elle sa place dans le nouveau paradigme stratégique comme un mode de management, et un processus de renouvellement de représentation. Les résultats de notre analyse thématique montrent que le rôle joué par le changement des représentations dans l’émergence d’un apprentissage en double boucle dans un processus d’intelligence économique, a fait l’objet d’un large consensus. Il ressort aussi de nos analyses que la nature dynamique des représentations, et le caractère cumulatif des apprentissages de l’intelligence économique, vont de paire avec le développement des connaissances nouvelles. L’idée selon laquelle les représentations ne sont pas stationnaires, dynamiques et se modifient au cours du processus d’intelligence économique, conduit à conférer un rôle non négligeable à celle-ci sur cette dynamique. Les résultats issus de notre analyse propositionnelle du discours montrent, également, une relation très étroite entre REP et information. Par ailleurs, cela rejoint les résultats de l’analyse thématique sur le rôle que joue la diffusion de l’information, comme élément responsable d’une prise de conscience par les acteurs de l’organisation de l’évolution de leurs environnements interne et externe. Conclusion Cette recherche permet d’avancer quatre types de résultats : D’après les premiers résultats obtenus, l’intelligence économique est un besoin croissant dans les entreprises, initié par le dirigeant et fondé sur le développement du cycle de l’information. Nous avons dressé une réalité du processus d’intelligence économique dans les entreprises. Les résultats ont montré que plus nous avançons vers l’aval du processus d’intelligence économique, plus les entreprises mettent en place des procédures spécifiques. Si 80 % déclarent que les outils sont importants, 20 % des entreprises considèrent que le processus d’intelligence économique peut fonctionner sans outils, mais que ceux-ci créent de grandes facilités. Nous trouvons toutes sortes d’outils permettant d’aider aux repérages, aux formalisations, aux traitements et aux diffusions des informations. Les entreprises pratiquantes de l’intelligence économique que nous avons contactées, soulignent que ces outils sont issus de pratiques d’intelligence économique assez conventionnelles, adaptées au contexte et à la culture de leur entreprise ; juillet-octobre 2007 Le second type de résultat concerne la nature des connaissances créées. Nous distinguons, suite aux résultats de l’analyse, des connaissances orientées en interne, et elles sont essentiellement sous forme de développement de nouveaux métiers, et des connaissances orientées externes sous forme de reconfiguration profonde des systèmes concurrentiels, de développement de nouveaux produits ou services, de pénétration de nouveaux marchés…. Nos analyses ont également permis de faire apparaître cinq facteurs-clés susceptibles d’influencer la création de nouvelles connaissances : organisationnel, technologique, humain, stratégique et cognitif ; Le troisième type de résultat concerne la relation entre création de connaissances et apprentissage. L’analyse a montré que seul l’apprentissage en double boucle qui permet de générer des connaissances. Cet apprentissage a concerné un changement radical à travers : un changement des process interne, des outils et des méthodes de travail, de style de management, de structure et de culture ; Le quatrième type de résultat concerne les sources de l’apprentissage en double boucle dans un processus d’intelligence économique. Le changement de l’intention stratégique de l’entreprise et le changement des représentations dans un processus d’intelligence économique, selon les résultats de notre analyse, sont les deux sources incontournables de cet apprentissage. 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