Ann Chir 2002 ; 127 : 449-55 © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0003394402008039/FLA Article original Comment prévenir la morbidité chirurgicale de la thyroïdectomie totale pour goitre multinodulaire euthyroïdien ? S. Montagne*, L. Brunaud, L. Bresler, A. Ayav, J.M. Tortuyaux, P. Boissel Service de chirurgie C, CHU de Nancy-Brabois, Allée du Morvan, 54511 Vandœuvre-les-Nancy cedex, France RÉSUMÉ But de l’étude : La thyroïdectomie totale a été proposée comme traitement initial des goitres multinodulaires euthyroïdiens bénins. Le but de cette étude est de déterminer, à partir de notre expérience, les moyens permettant de prévenir la morbidité liée à cette intervention. Matériel et méthode : Nous analysons rétrospectivement une série de patients opérés d’une thyroïdectomie totale pour goitre multinodulaire bilatéral euthyroïdien entre janvier 1996 et septembre 2000 dans le service de chirurgie C (chirurgie générale et digestive) du CHU de Nancy. Nous avons recherché la morbidité spécifique liée à ce geste, au moyen de contrôles cliniques et biologiques systématiques. Résultats : Notre série comprend 64 patients, dont 51 femmes (79,7 %) et 13 hommes (20,3 %). L’âge moyen était de 47 ans (22–76 ans). La morbidité récurrentielle a concerné deux patients, sous forme d’une atteinte unilatérale provisoire (1,6 %) et d’une atteinte unilatérale définitive (1,6 %). Deux atteintes provisoires (3,2 %) et une atteinte définitive (1,6 %) de la branche externe du nerf laryngé supérieur ont été suspectées cliniquement. Huit patients (12,5 %) ont présenté une hypoparathyroïdie transitoire. Une patiente (1,6 %) présente une hypoparathyroïdie définitive. Conclusion : La morbidité après thyroïdectomie totale pour goitre multinodulaire euthyroïdien bénin dans notre étude est comparable aux données fournies par la littérature après thyroïdectomie totale ou subtotale. La morbidité peut être prévenue par l’identification systématique du nerf récurrent, et par une stratégie opératoire ayant pour but le respect de la vascularisation parathyroïdienne. © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS Thyroïde / Goitre multinodulaire / Chirurgie / Morbidité Reçu le 23 novembre 2001 ; accepté le 8 avril 2002. *Auteur correspondant. Serge Montagne, 22, rue Pierre-Ronsard, 54630 Richardmenil, France ; Tél. : +06-18-95-01-62 ; fax : +03-83-25-64-97. Adresse e-mail : [email protected] (S. Montagne). ABSTRACT How to prevent surgical morbidity of thyroidectomy for nontoxic and multiglandular goiter? Aim of the study: Total thyroidectomy has been advocated for the treatment of multinodular nontoxic and benign goiter. The aim of this study, based on our experience, was to define the surgical factors which permit to decrease morbidity related to total thyroidectomy for multinodular euthyroid benign goiter. Methods and materials: In a retrospective study performed between January 1996 and September 2000, all records of total thyroidectomy for initial treatment of multinodular euthyroid benign goiter were reviewed. This study allowed to specify recurrent and parathyroid morbidity after surgery. Results: There were 51 women and 13 men with a mean age of 47 years. Recurrent laryngeal nerve injury occured in 2 patients. It resolved in 1 patient but was permanent in another (1.6%). Transient hypocalcemia was found in 8 patients (12.5%). One patient had permanent hypocalcemia (1.6%). Conclusion: The results of our serie are comparable to previous reports. Systematic identification of the recurrent laryngeal nerve, and preservation of the parathyroid blood supply permit to decrease the surgical morbidity. © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS Thyroid diseases / Goiter, nodular / Surgery / Morbidity La thyroïdectomie totale (TT) a été proposée comme traitement chirurgical initial des goitres multinodulaires euthyroïdiens [1-6]. Cette attitude radicale présente l’avantage d’éliminer le risque de récidive du goitre inhérent à toute chirurgie partielle, et par conséquent d’éviter les complications liées aux réinterventions sur la loge thyroïdienne [1-6]. De plus, la morbidité récurrentielle et parathyroïdienne © 2018 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 29/12/2018 Il est interdit et illégal de diffuser ce document. 450 S. Montagne et al. définitive après thyroïdectomie totale semble similaire à celle observée après thyroïdectomie subtotale (TST) [1-6]. Ayant adopté cette attitude depuis 1996, il nous a paru utile de revoir les dossiers des patients opérés d’une thyroïdectomie totale depuis cette période, afin de déterminer la morbidité de cette intervention dans notre institution, puis de définir les modalités techniques permettant de prévenir cette morbidité. PATIENTS ET MÉTHODES Nous avons revu rétrospectivement les dossiers des patients opérés d’une thyroïdectomie totale pour goitre multinodulaire bilatéral euthyroïdien entre janvier 1996 et septembre 2000 dans le service de chirurgie C (chirurgie générale et digestive) du CHU de Nancy. Les patients opérés pour récidive d’un goitre étaient exclus de l’étude. L’euthyroïdie était définie par un taux de TSH compris entre 0,20 et 4,25 mUI/l associé à un taux de T4 normal. En raison du « hungry bone syndrom » et de ses conséquences biologiques, les patients non en euthyroïdie stricte ont été exclus de principe de cette étude, afin de rendre la série plus homogène vis-à-vis du risque d’hypocalcémie postopératoire [7,8]. Nous avons revu les compte rendus opératoires en recherchant le caractère bilatéral de l’exérèse, la notion de repérage du récurrent, le nombre et la localisation des parathyroïdes repérées. La calcémie et la phosphorémie étaient contrôlées la veille de l’intervention, puis quotidiennement pendant les trois jours suivant le geste chirurgical. Une laryngoscopie postopératoire n’était réalisée qu’en cas de dysphonie, ou de doute peropératoire sur l’intégrité d’un nerf récurrent. Une consultation systématique avec dosage phosphocalcique était réalisée six semaines après l’intervention. Lors de celle-ci, l’interrogatoire et l’examen clinique recherchaient systématiquement des arguments en faveur d’une lésion du nerf récurrent (dysphonie) ou de la branche externe du nerf laryngé supérieur (fatigabilité vocale, irrégularité dans le timbre de la voix, impossibilité de chanter). L’hypoparathyroïdie postopératoire précoce était définie soit par une calcémie inférieure à 75 mg/l sans hyperphosphorémie, soit par l’association d’une calcémie inférieure à 80 mg/l et d’une phosphorémie supérieure à 40 mg/l [9]. L’hypoparathyroïdie était considérée définitive lorsque la poursuite d’un traitement vitamino-calcique était nécessaire plus de 12 mois après l’intervention [9]. Les lésions récurrentielles ou du nerf laryngé externe étaient considérées définitives en l’absence de récupération complète au 12e mois postopératoire [2]. Un interrogatoire téléphonique a été réalisé auprès des patients ayant présenté une complication récurrentielle, laryngée externe ou une hypoparathyroïdie. Les résultats biologiques ou d’examen ORL postopératoires non en notre disposition ont été récupérés. La durée, le type et la posologie d’un éventuel traitement substitutif normocalcémiant étaient précisés. L’indication de TT était retenue sur les données de l’examen clinique et de l’échographie thyroïdienne préopératoire. Dans quelques cas, la décision de TT était prise devant la constatation peropératoire d’un lobe controlatéral pathologique, alors qu’il était supposé indemne d’après les données du bilan préopératoire. La dissection du pôle supérieur droit était réalisée dans un premier temps. Les branches terminales de l’artère thyroïdienne supérieure (branche interne ou antérieure, branche postérieure et branche externe) étaient liées électivement. Lorsque cela était possible, la branche postérieure de l’artère thyroïdienne supérieure n’était pas liée avant d’avoir identifié le mode de vascularisation de la parathyroïde supérieure. La dissection se faisait à distance du muscle crico-thyroïdien afin d’éviter de léser la branche externe du nerf laryngé supérieur. Le nerf récurrent était systématiquement recherché au voisinage de l’artère thyroïdienne inférieure, et disséqué jusqu’à son point de pénétration dans la région crico-thyroïdienne. En cas de dissection difficile, quelques mm3 de parenchyme thyroïdien étaient éventuellement laissées à ce niveau, afin d’éviter toute lésion nerveuse. Les parathyroïdes étaient toujours recherchées dans leur aire normale de dispersion. Lorsqu’elles n’étaient pas identifiées en position habituelle, la dissection n’était pas poussée plus avant. Les branches de l’artère thyroïdienne inférieure étaient liées au contact du parenchyme thyroïdien afin de préserver la vascularisation parathyroïdienne. Les parathyroïdes identifiées mais de vitalité compromise ou douteuse étaient autotransplantées dans le muscle sterno-cléidomastoïdien. RÉSULTATS Notre série comprenait 64 patients, dont 51 femmes (79,7 %) et 13 hommes (20,3 %). L’âge moyen était © 2018 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 29/12/2018 Il est interdit et illégal de diffuser ce document. 451 Thyroïdectomie totale pour goitre euthyroïdien de 47 ans (22–76 ans). La notion d’antécédents familiaux de thyréopathie était retrouvée dans 50 % des cas. La durée d’évolution moyenne du goitre était de 8 ans. Aucun des malades ne présentait de dysphonie ni de trouble métabolique phosphocalcique préopératoire. Un bilan morphologique ultrasonographique a été systématiquement réalisé. Une cytoponction a été indiquée chez 15 patients (23,4 %). Le bilan préopératoire montrait un goitre nodulaire bilatéral dans 78,1 % des cas. L’exploration peropératoire a affirmé le caractère bilatéral du goitre dans 100 % des cas de la série. L’existence de signes compressifs locaux a motivé l’intervention dans 49 cas (76,6 %). Onze de ces patients présentaient un goitre plongeant (17,2 %). L’indication opératoire a été portée dans 13 cas (20,3 %) pour suspicion de néoplasme associé au goitre. Enfin, deux interventions (3,1 %) ont concerné des patients cancérophobes très demandeurs d’une exérèse totale. Le nombre moyen de parathyroïdes retrouvées lors d’une intervention était de 2,8. Quatre parathyroïdes étaient retrouvées dans 34,3 % des cas (22 interventions), trois parathyroïdes dans 26,6 % (17 interventions), deux parathyroïdes dans 29,7 % (19 interventions), un parathyroïde dans 4,7 % (3 interventions), et aucune dans 4,7 % (3 interventions). L’autotransplantation d’une parathyroïde a été réalisée lors de quatre interventions (6,3 %). Les compte rendus d’examen anatomopathologique font état de quatre parathyroïdes intracapsulaires réséquées lors de quatre interventions différentes (6,3 %). Les deux nerfs récurrents ont toujours été identifiés. Une section récurrentielle gauche a été identifiée lors d’une intervention pour un goitre plongeant jusqu’à la crosse aortique. La morbidité récurrentielle a concerné deux patients, sous forme d’une atteinte unilatérale provisoire (1,6 %) et d’une atteinte unilatérale définitive (1,6 %) correspondant à la section nerveuse identifiée en peropératoire. Deux atteintes provisoires (3,2 %) et une atteinte définitive (1,6 %) de la branche externe du nerf laryngé supérieur ont été suspectées cliniquement. Huit patients (12,5 %) ont présenté une hypoparathyroïdie transitoire. Un traitement calcique d’une posologie moyenne de 2,89 grammes et d’une durée moyenne de sept semaines était alors prescrit. Une patiente (1,6 %) présente une hypoparathyroïdie définitive nécessitant un traitement vitaminocalcique depuis plus de 2 ans. Nous n’avons pas constaté de corrélation évidente entre la survenue d’une hypocalcémie et le nombre de parathyroïdes reconnues pendant l’intervention. Une hypoparathyroïdie a été observée dans chacun des groupes « 0 » et « une parathyroïde repérée » (33 %, mais groupes à faibles effectifs), deux hypoparathyroïdies dans le groupe « deux parathyroïdes repérées » (10,5 %), trois hypoparathyroïdies dont une définitive dans le groupe « trois parathyroïdes repérées » (17,7 %), et deux hypoparathyroïdies dans le groupe « quatre parathyroïdes repérées » (9,1 %). Les complications non spécifiques comprenaient un hématome compressif (1,6 %) et un abcès de la loge thyroïdienne (1,6 %). Une réintervention était nécessaire dans ces deux cas. La mortalité était nulle. L’examen anatomopathologique permettait la découverte d’un foyer de microcarcinome papillaire dans 7 cas (10,9 %). DISCUSSION Dès 1976, Perzik constatait une morbidité équivalente après TT ou TST pour goitre multi-nodulaire euthyroïdien bénin [1]. Après TT, des séries récentes retrouvent un taux d’hypoparathyroïdie définitive compris entre 0 et 2,6 %, et un taux de paralysie récurrentielle définitive compris entre 0 et 1,6 % (Tableau 1) [1,2,4-6]. Après TST, le risque parathyroïdien définitif est évalué entre 0,15 et 5,4 %. Le risque récurrentiel définitif est compris entre 0 et 1,4 % (Tableau 2) [1,4,9-11]. La morbidité après TT pour goitre multinodulaire euthyroïdien bénin dans notre étude est comparable aux données fournies par la littérature après TT ou TST. Une hypocalcémie survient après intervention pour goitre euthyroïdien lorsque les parathyroïdes ont été dévascularisées, traumatisées ou réséquées [7,12]. L’hypothèse d’une augmentation de la calcitoninémie liée aux manipulations de la thyroïde lors du geste a été évoquée, mais aussi réfutée [8]. Il est essentiel d’identifier et de respecter la vascularisation parathyroïdienne, assurée dans environ 80 % des cas par l’artère thyroïdienne inférieure [13]. Dans 20 % des cas environ, la vascularisation parathyroïdienne supérieure s’établit au dépend de l’artère thyroïdienne supérieure, en particulier de sa branche de division postérieure [13]. Ceci impose théoriquement de ne pas lier cette branche avant d’avoir identifié la vascularisation parathyroïdienne supérieure [9]. Cette identification nécessite une © 2018 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 29/12/2018 Il est interdit et illégal de diffuser ce document. 452 S. Montagne et al. Tableau 1. Morbidité spécifique après thyroïdectomie totale pour goitre multinodulaire Auteur/Année n Perzik/1976 [1] Reeve/1987 [2] Carditello/1990 [4] Rodier/1991 [5] Peix/1996 [6] 250 115 525 75 124* Hypoparathyroïdie transitoire Lésion récurrentielle transitoire 8,7 % 1,7 % 5,4 % 7,2 % 1,3 % 5,6 % Hypoparathyroïdie définitive Lésion récurrentielle définitive 0% 0% 0,3 % 2,6 % 0,8 % 0,4 % 0% 1,5 % 0% 1,6 % * série mixte GMN + Basedow dissection synchrone de la dissection de la parathyroïde supérieure, de sa vascularisation, et des derniers millimètres du nerf récurrent avant sa pénétration dans la membrane crico-thyroïdienne [9]. Ce geste, que nous réalisons lorsque les conditions locales permettent sa réalisation avec sécurité, nous semble néanmoins difficile lorsque le pôle supérieur est hypertrophié et nodulaire. Il nous paraît préférable dans ce cas de lier délibérément la branche postérieure de l’artère thyroïdienne supérieure, plutôt que de prendre un risque sur la dissection récurrentielle. De plus, ce mode de vascularisation est rarement bilatéral [13]. Classiquement, la parathyroïde inférieure est toujours vascularisée par l’artère thyroïdienne inférieure. Cependant, Delattre et coll. ne retrouvent cette disposition que dans 90 % des cas [13]. Ceci est souvent lié à une agénésie de l’artère thyroïdienne inférieure. La vascularisation de la parathyroïde inférieure est alors le plus souvent assurée par la branche antérieure de l’artère thyroïdienne supérieure, qui se termine à la face profonde du muscle sterno-thyroïdien après avoir abandonné son rameau parathyroïdien [13]. Cette disposition paraît dangereuse puisque cette branche artérielle est toujours liée lors de la libération du pôle supérieur. Nous n’avons pas retrouvé dans la littérature de précaution technique particulière liée à une éventuelle vascularisation atypique de la parathyroïde inférieure. Les avis divergent quant à la meilleure façon de préserver la fonction parathyroïdienne. Certains auteurs recherchent systématiquement les quatre parathyroïdes et leur vascularisation [14]. D’autres ne le font jamais devant le risque de blessure intempestive de ces glandes lors de la dissection [1,2]. Pour notre part, nous ne recherchons les parathyroïdes que dans leur aire habituelle de dispersion. La corrélation entre le nombre de parathyroïdes repérées et l’incidence de l’hypocalcémie postopératoire n’est pas certaine, comme nous avons pu le constater dans notre étude. La dissection et les ligatures vasculaires sont systématiquement effectuées au ras de la capsule thyroïdienne, afin de préserver les rameaux artériels parathyroïdiens. Afin de diminuer la morbidité parathyroïdienne, nous préconisons donc : – de respecter l’artère thyroïdienne inférieure ; Tableau 2. Morbidité spécifique après thyroïdectomie subtotale pour goitre multinodulaire Auteur/Année n Carditello/1990 [4] Demard/1988 [10] La Gamma/1993 [11] Perzik/1976 [1] Proye/1982 [9] 132* 223 68 664* 150 Hypoparathyroïdie transitoire Définition hypoparathyroïdie transitoire Lésion récurrentielle transitoire 33 % 22 % Ca < 85 mg/l Ca < 2,20 mmol/l 2,7 % 16 % 3,3 % Ca < 75 mg/l ou Ca < 80 associé à P > 40 mg/l * séries mixtes GMN+Basedow © 2018 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 29/12/2018 Il est interdit et illégal de diffuser ce document. Hypoparathyroïdie définitive Lésion récurrentielle définitive 0,7 % 5,4 % 3% 0,7 % 0% 1,4 % 0,15 % 1,3 % 0,3 % Thyroïdectomie totale pour goitre euthyroïdien – de rechercher lorsque les conditions locales le permettent une éventuelle vascularisation de la parathyroïde supérieure par la branche postérieure de l’artère thyroïdienne supérieure, qui est dans ce cas conservée de rechercher les parathyroïdes uniquement dans leur aire normale de dispersion ; – de réaliser des ultraligatures au contact du parenchyme thyroïdien ; – d’autotransplanter les parathyroïdes dévascularisées dans le muscle sterno-cléido-mastoïdien. Chonkich souligne que la TST n’offre aucune protection supplémentaire par rapport à la TT vis-àvis du risque récurrentiel, si l’on décide de disséquer et de repérer systématiquement le nerf récurrent [3]. Certains auteurs ne cherchent à l’identifier que dans les deux derniers centimètres avant sa pénétration dans la membrane crico-thyroïdienne, estimant qu’une dissection plus étendue peut être à l’origine de traumatismes [1,2,12]. Si l’identification du nerf est difficile à ce niveau, Harness préconise de le rechercher dans la région de l’artère thyroïdienne inférieure, ce que nous réalisons systématiquement [12]. La dissection du récurrent peut être difficile à proximité de son point de pénétration dans le larynx. Un « mini-mur » postérieur peut alors être réalisé à ce niveau, comprenant la capsule thyroïdienne postérieure et une fine lame de parenchyme thyroïdien [10]. Chez 0,3 à 1 % des patients, il existe un nerf récurrent non-récurrent à droite [15]. Le nerf vient alors directement du nerf vague jusqu’au larynx, sans passer par le médiastin supérieur. Cette anomalie doit être suspectée et identifiée si le nerf récurrent n’est pas retrouvé dans son trajet habituel. L’incidence du volume du goitre plongeant sur le risque récurrentiel est controversé. Dans notre série, la seule paralysie récurrentielle définitive était observée chez un patient présentant un goitre plongeant. Goudet et coll. retrouvaient 3 % d’atteintes définitives contre 0 % dans un groupe apparié de goitres cervicaux [16]. Cette différence était cependant non statistiquement significative. Makeieff ne constatait que 1,2 % d’atteintes récurrentielles définitives dans une série de 210 interventions pour goitre plongeant, dont 40 % de lobectomies [17]. Afin de diminuer la morbidité récurrentielle, nous recommandons : – de rechercher systématiquement le nerf récurrent à proximité de l’artère thyroïdienne inférieure ; – de le disséquer jusqu’à son point de pénétration laryngé ; 453 – de laisser un « mini-mur » postérieur de parenchyme thyroïdien au contact de sa portion terminale lorsque la dissection est difficile à ce niveau. Le nerf laryngé externe est une branche du nerf laryngé supérieur, qui innerve principalement le muscle crico-thyroïdien (tenseur des cordes vocales), les muscles sous-glottiques, la glande thyroïde. Les séquelles secondaires à une lésion de ce nerf sont la perte de l’étendue vocale avec gravité anormale de la voix, une fatigabilité anormale de la voix, et l’impossibilité de chanter. Ceci peut constituer un réel handicap dans certaines professions [18]. Les examens complémentaires à visée diagnostique sont complexes et ne sont pas de pratique courante (électromyographie, stromboscopie). C’est à cause du manque de critères objectifs simples que la fréquence de cette paralysie reste difficile à déterminer. L’incidence de cette complication est évaluée entre 0 % et 58 % des patients [19,20]. Pour notre part, nous avons systématiquement recherché lors des consultations postopératoire une fatigabilité vocale, une irrégularité dans le timbre de la voix, ou l’impossibilité de chanter. La morbidité laryngée externe constatée dans notre série est uniquement basée sur la plainte fonctionnelle. Il est donc probable que nous sous-évaluons le taux réel d’atteintes de ce nerf, ainsi que le taux de lésions récurrentielles. Les particularités anatomiques du nerf laryngé externe expliquent qu’il est difficile, voire illusoire de chercher à l’individualiser [18]. De plus, il est impossible de différencier le rameau moteur d’un rameau sympathique si on ne dispose pas d’un stimulateur [18]. L’existence de branches collatérales destinées à la thyroïde rend ce nerf vulnérable lors de la mobilisation du pôle supérieur. Par ailleurs, le nerf laryngé externe s’insinue souvent au niveau de la bifurcation de l’artère thyroïdienne supérieure [3]. Pour éviter toute lésion nerveuse à ce niveau, nous disséquons et réalisons des ligatures séparées des branches de division de l’artère thyroïdienne supérieure sans mobiliser le pole supérieur de la thyroïde. Les hémostases au bistouri électrique sont proscrites au niveau du muscle constricteur du pharynx ou du muscle crico-thyroïdien, afin d’éviter une lésion du nerf à ce niveau. A morbidité égale, la TT est supérieure aux exérèses non totales puisqu’elle élimine tout risque de récidive du goitre [1-6]. L’incidence exacte des récidives est mal connue, évaluée entre 6 et 15 % © 2018 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 29/12/2018 Il est interdit et illégal de diffuser ce document. 454 S. Montagne et al. Tableau 3. Morbidité spécifique après totalisation de thyroïdectomie pour première récidive de goitre multinodulaire. Auteur/Année n Beahrs/1963 [24] Kraimps/1993 [25] Peix/1997 [26] Reeve/1988 [27] 377 30 47 71 Hypoparathyroïdie transitoire Paralysie récurrentielle transitoire Hypoparathyroïdie définitive Paralysie récurrentielle définitive 4,5 % 6,1 % 15,2 % 5,6 % 4,4 % 3,7 % 3,3 % 0% 1,4 % 7,9 % 6,6 % 0% 1,4 % [21-23]. Elle est sous-estimée en raison de l’absence de suivi à long terme des malades dans la plupart des séries et du caractère souvent infraclinique de la récidive nécessitant un dépistage échographique dans les premières années d’évolution [23]. Les interventions pour récidives de goitre multinodulaire sont classiquement associées à une morbidité importante [24,25]. Cependant, certaines séries ont retrouvé un taux minime voire nul de complications définitives après totalisation de l’exérèse pour première récidive (Tableau 3) [26,27]. La morbidité est en outre accrue en cas de totalisation après TST, où la fibrose cicatricielle entraîne une modification des rapports anatomiques et des difficultés de dissection [26]. D’autres arguments plaident en défaveur de la réalisation de TST : la constatation d’hypothyroïdies chez 40 à 84 % des patients ayant bénéficié de ce geste [28] ; l’inefficacité du traitement thyrotoxinique dans la prévention des récidives [29] ; la possibilité de méconnaître un prolongement rétro pharyngien droit ou intertrachéo-œsophagien gauche liée à l’absence de mobilisation complète du lobe thyroïdien, source de phénomènes compressifs ressentis par le patient, et facteur de récidive [2]. Les connaissances pathogéniques actuelles font état d’une autonomie de croissance du goitre liée à des facteurs non contrôlés par la TSH et indépendants des taux de thyroxine [30]. Cette autonomie de croissance du parenchyme thyroïdien expose à la récidive, et constitue pour certains un argument supplémentaire en faveur d’une exérèse totale d’emblée [4]. L’inconvénient majeur de la TT est l’hypothyroïdie postopératoire systématique, qui nécessite l’adhésion à un traitement thyrotoxinique à vie et à la surveillance qui en résulte. La récidive d’un goitre est effectivement moins préjudiciable pour le patient qu’une hypothyroïdie non compensée. Une exérèse non totale doit être discutée en cas de risque de non observance du traitement, ou devant des antécédents particuliers, notamment psychiatriques. CONCLUSION La morbidité constatée dans notre série après thyroïdectomie totale pour goitre multinodulaire euthyroïdien est faible et conforme aux données de la littérature. La thyroïdectomie totale constitue pour nous l’intervention de choix en cas de goitre multinodulaire euthyroïdien bilatéral bénin, en dehors de conditions particulières. La morbidité chirurgicale peut être prévenue par l’identification systématique du nerf récurrent à partir de son croisement avec l’artère thyroïdienne inférieure, par une stratégie opératoire visant à respecter de la vascularisation parathyroïdienne, et par la réalisation de ligatures électives au niveau des branches de l’artère thyroïdienne supérieure avant toute mobilisation du pôle supérieur de la thyroïde. RÉFÉRENCES 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 Perzik SL. The place of total thyroidectomy in the management of 909 patients with thyroid disease. Am J Surg 1976;132:480–3. Reeve TS, Delbridge L, Cohen A, Crummer P. Total thyroidectomy: the prefered option for multinodular goiter. Ann Surg 1987;206:782–6. Chonkich D, Petti H, Goral W. Total thyroidectomy in the treatment of thyroid disease. Laryngoscope 1987;97:897–900. Carditello A. Thyréopathies nodulaires : les résultats de 1300 interventions. J Chir 1990;127:330–3. Rodier JF, Janser JC, Rodier D. 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