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(Psycho-Oncologie) Marie-Frédérique Bacqué - Annoncer un cancer Diagnostic, traitements, rémission, rechute, guérison, abstention...-Springer (2010)

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Annoncer un cancer
Diagnostic, traitements, rémission,
rechute, guérison, abstention…
Springer
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Marie-Frédérique Bacqué
Annoncer un cancer
Diagnostic, traitements,
rémission, rechute,
guérison, abstention…
Marie-Frédérique Bacqué
Université de Strasbourg
Département de Psychologie
12, rue Gœthe
67000 Strasbourg
ISBN-13 : 978-2-8178-0159-9 Springer Paris Berlin Heidelberg New-York
ISSN : 2105-2700
© Springer-Verlag France, Paris, 2011
Imprimé en France
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Maquette de couverture : Nadia Ouddane
Mise en pages : Graficoul’Eure
Liste des auteurs
Françoise Auger
Médecin généraliste
24, chemin Dupuis Vert
95000 Cergy
Marie-Frédérique Bacqué
Psychologue
Département de Psychologie
Université de Strasbourg
12, rue Goethe
67000 Strasbourg
Gérard Benoit
Service urologie
CHU du Kremlin-Bicêtre
78, rue du Général Leclerc
94275 Le Kremlin-Bicêtre Cedex
Faculté de Médecine Paris-Sud
Université Paris XI
Caroline Besson
Hématologue
Service d’hématologie
CHU du Kremlin-Bicêtre
78, rue du Général Leclerc
94275 Le Kremlin-Bicêtre Cedex
Faculté de Médecine Paris-Sud
EA 1610
Ethique, Sciences, Santé, Société
Université Paris XI
VI
Annoncer un cancer
Martine Derzelle
Psychanalyste
Institut Jean-Godinot
1, avenue du Général Koenig
51056 Reims Cedex
Livia Edery
Psychologue
Département de psychologie
Université de Strasbourg
12, rue Gœthe
67000 Strasbourg
Patrick Festy
Association « Connaître et Combattre les Myélodysplasies »
19, rue de l’Estrapade
75005 Paris
Gilbert Gsell-Herold
Psychologue
Département de psychologie
Université de Strasbourg
12, rue Gœthe
67000 Strasbourg
Nicolas Guirimand
Sociologue
Institut de Recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux
EHESS-UP 13-INSERM-CNRS
96, boulevard Raspail
75006 Paris
URSHS de l’Institut de cancérologie Gustave Roussy (Villejuif)
Alain Leplège
Psychiatre et philosophe des sciences
Département d’Histoire et de Philosophie des Sciences
Université de Paris-Diderot
10, esplanade Pierre Vidal-Naquet
75205 Paris Cedex 13
Liste des auteurs
Marie-Estelle Pérennec
Infirmière assistante de soins en sénologie
Service consultation
Centre de lutte contre le cancer
28, rue Laennec
69373 Lyon Cedex 08
Sandrine Rannou
CHU du Kremlin-Bicêtre
78, rue du Général Leclerc
94275 Le Kremlin-Bicêtre Cedex
Alain Ronson
Psychiatre
Institut Jules Bordet
Rue Héger Bordet 1
B-1000 Bruxelles
Grigori Stefos
Psychiatre
Institut Jules Bordet
Rue Héger Bordet 1
B-1000 Bruxelles
Frédéric Tresvaux du Fraval
Département d’Histoire et de Philosophie des Sciences
Université de Paris-Diderot
10, esplanade Pierre Vidal-Naquet
75205 Paris Cedex 13
VII
Sommaire
Une annonce pluridisciplinaire
M.-F. Bacqué................................................................................................................................................
XI
Les principes de l'annonce d'une maladie grave
M.-F. Bacqué................................................................................................................................................
1
L'annonce d'une hémopathie maligne, les « syndromes
myélodysplasiques ». Du dispositif d'annonce au vécu des patients
C. Besson, S. Rannou, F. Tresvaux du Fraval, P. Festy et A. Leplège .................................................
21
Le dispositif d'annonce quatre ans plus tard, ce qu'en pensent les
patientes
M.-E. Pérennec ...........................................................................................................................................
43
Les impacts du dispositif d’annonce du diagnostic de cancer sur
l’organisation des services hospitaliers et le travail des soignants
N. Guirimand, C. Besson, G. Benoit et A. Leplège ................................................................................
67
Facteurs psychologiques impliqués dans l'annonce du diagnostic
de cancer
L. Edery ........................................................................................................................................................
81
Aspects psychiatriques de la révélation d’un cancer :
est-ce toujours un traumatisme ?
A. Ronson et G. Stefos ..............................................................................................................................
95
Comment le travail en groupe Balint facilite-t-il l’annonce
par le médecin généraliste ?
F. Auger.........................................................................................................................................................
113
X
Annoncer un cancer
Les blogs : où parler (écrire) de l'angoisse de l'annonce ?
G. Gsell-Herold ...........................................................................................................................................
121
Annoncer la « fin des traitements » ?
M. Derzelle ..................................................................................................................................................
135
Conclusion : l’annonce du cancer comme modèle de la mort
dans la vie
M.-F. Bacqué................................................................................................................................................
147
Une annonce
pluridisciplinaire
M.-F. Bacqué
« Bon, c’est positif », qu’il me dit. Heureusement que j’ai un diplôme
d’interprétariat. Je parle le français usuel mais aussi la langue du Dr. GG.
C’est un dialecte à part, que j’ai appris à force de fréquenter
Monsieur le crabologue (…).
« Vous voulez dire que c’est cancéreux ? »
« Ben oui ! » me répond-il au téléphone.
Marie-Dominique Arrighi. K, Histoires de crabe.
Journal, Paris, 2010, Éditions Bleu autour.
Il aura fallu les avancées de la médecine carcinologique, une augmentation
de la fréquence des cancers, mais aussi de leur guérison, un cadre juridique,
une revendication publique (les États généraux du Cancer, 1998), un
partage des connaissances avec le monde « profane », pour qu’enfin, en
France, recule le tabou de l’annonce du cancer. La mesure 40 du plan Cancer
en était la promesse. Nous sommes heureux de vous présenter le résultat de
ces avancées. Celles-ci ne pouvaient qu’être d’origine pluridisciplinaire.
Les médecins ont appris à partager un pouvoir qu’ils ont trop longtemps,
en France, cru détenir en exclusivité. Ils ont accepté de le partager très
progressivement avec les infirmiers et les autres professionnels paramédicaux. Comme de nombreuses institutions françaises, l’Église, la royauté et
même la République, le centralisme culturel avait en effet conduit un corps
(celui des médecins) à détenir un pouvoir de vie et de mort sur les patients.
L’histoire de l’annonce médicale est mouvementée. Des thaumaturges qui
gardaient le nom de la maladie caché ou déguisé derrière une langue inconnue des profanes, aux médecins plus modestes, n’avouant qu’à mi-mot aux
patients leurs faibles possibilités thérapeutiques, on passe de Diafoirus à
XII
Annoncer un cancer
Knock en croisant Raymond Pellegrin interprétant un jeune médecin
confronté aux grands patrons d’un hôpital de province (Les Hommes en
blanc, 1955).
Les derniers héros mondiaux de la médecine comme le Pr. Christian
Barnard et sa fameuse greffe cardiaque (4 décembre 1967) nous ont appris
à saluer les héroïques médecins et leurs non moins héroïques malades. Les
événements se sont suivis, de la naissance de la petite Amandine jusqu’à la
spectaculaire et symbolique greffe du visage en juin 2010... Là, se dessine,
depuis une trentaine d’années, une lente démythification associée à la
montée de l’autonomie du malade. Sur le plan de l’évolution de la médecine, l’accent mis sur la qualité de vie et la satisfaction du malade, les travaux
sur les psycho-traumatismes et, pour finir, la place grandissante de la
psycho-oncologie auront contribué à ces changements des dernières années.
Comme pour toutes les maladies graves, une fois la survie assurée, on peut
commencer à s’intéresser aux aspects moins urgents, mais non moins
vitaux, que sont la psychologie, la sexualité, le travail, le bien-être.
Les invariants de l’annonce du cancer
Les cancers ont bien changé depuis les cinquante dernières années. Et cela
inquiète… Entre 1989 et 2005, les nouveaux cas ont augmenté de 89 %.
Mais depuis 2005, c’est une augmentation de 10 % qui a eu lieu. En 2009,
350 000 nouveaux cas ont été déclarés, c’est dire qu’une famille sur trois est
touchée par le cancer.
Si le cancer est devenu la première cause de mortalité en France, le taux
de guérison a progressé de 25 % depuis 1995.
Ainsi, on rencontre de plus en plus de gens touchés par le cancer, mais
aussi une proportion croissante de malades guéris. Un phénomène qui
mérite d’être analysé, étant donné sa fréquence, sa gravité et aussi sa
durée…
Les cancers sont évocateurs de mort. Ils représentent la transformation
physique, la souffrance, la peur. La médecine connaît bien la problématique
de l’annonce, en général redoublée de l’urgence. Le cas classique de l’accouchement compliqué où le père devait prendre la décision de choisir
entre la mère et l’enfant a cependant vécu. Si le paternalisme a pu engendrer une forme de bio-pouvoir, selon Michel Foucault, la réflexion éthique
est passée par là, depuis les procès de Nuremberg.
Les recherches sur l’annonce d’un diagnostic sont au départ contenues
dans l’annonce de la mauvaise nouvelle. Mauvaise nouvelle au sens large :
enfant malformé in utero, handicap à court ou long terme, mort prématu-
Une annonce pluridisciplinaire XIII
rée, stérilité. Posséder la mauvaise nouvelle et devoir la divulguer en
l’amoindrissant, en la transformant pour la rendre moins abrupte, a
toujours été une difficulté complexe pour le médecin. Comment dire sans
entraîner le désespoir absolu, comment limiter les risques de passage à l’acte
suicidaire, comment éviter de faire plus de mal encore ?
Notre monde sécuritaire diminue les risques au maximum, mais nousmêmes n’avons plus la maturité de supporter l’approche d’un futur négatif.
La mort est en effet si redoutée que son association avec le diagnostic de
cancer produit un effet de bascule existentielle de la vie. Vivre sans projet
est insupportable pour la plupart, devoir réorganiser sa vie autour de l’hôpital ou de la maladie est considéré comme une atteinte à notre libre arbitre
ou de notre « droit à profiter de la vie »...
Or, le cancer commence par un rendez-vous avec la mort.
La mort fantasmatique certes, mais la mort rapprochée sans aucun
doute. Qui plus est, cette mort n’est pas la mort extérieure, donnée par
autrui. C’est une mort lente intériorisée. C’est une mort dont les prémisses
sont rapidement dévoilés, paradoxalement, par des traitements qui
devraient orienter vers la vie.
La question de l’annonce du cancer est en fait celle de notre rêve de
toute-puissance, partagé très démocratiquement depuis la fin de la Seconde
Guerre mondiale. Conjugué au fantasme d’un « progrès continu », rien
d’étonnant alors qu’il produise un choc lorsque ce qui nous caractérise s’effondre.
La santé est un bien volatile et inconsistant tant qu’on la possède. Elle est
imperceptible et définie par son négatif (l’absence de symptôme), elle est
manifeste dans l’autonomie, la liberté, la maîtrise. Des qualités qui, très vite,
se muent en aptitudes morales et offrent une possibilité d’action sur le
monde qui semble inépuisable. La perte de la santé reste cependant souvent
une abstraction dans le cas du cancer, du moins dans un premier temps. Il
faut donc une forte identification pour se reconnaître dans ce malade qui
est décrit par le médecin.
Pourtant, une équipe d’hématologie avec Caroline Besson du CHU du
Kremlin-Bicêtre, aidée de chercheurs en psychologie et sociologie, d’une
association (« Connaître et Combattre les Myélodysplasies ») et d’Alain
Leplège, psychiatre et philosophe des sciences, a mis en place une étude de
trois ans sur l’évaluation de l’annonce d’une hémopathie maligne. Sur 150
questionnaires adressés aux adhérents de l’association « Connaître et
Combattre les Myélodysplasies », 73 ont été analysés et leurs résultats
rapportés dans cet ouvrage.
XIV
Annoncer un cancer
Ne pas faire mal avec les mots
La moyenne d’âge est de 70 ans, ce qui correspond à l’observation épidémiologique générale du cancer qui atteint plutôt des personnes à partir de
cet âge. Les vécus de l’annonce sont assez disparates : réactions relativement
contrôlées, sentiment de gravité, parfois de violence, fréquemment d’incompréhension. L’impression de choc est nettement rapportée : c’est un
choc physique qui provoque souvent une gestuelle automatique qui n’est
pas engrammée, puisque certains patients « ne se souviennent de rien », les
sentiments sont complexes, souvent contradictoires. Les hommes ont
tendance à présenter un certain optimisme, les femmes témoignent de
sentiments négatifs (appréhension, surprise).
Mais que souhaitent donc les patients ?
Ils évoquent avant tout les mots, le discours tenu par le médecin : « des
mots moins difficiles à comprendre… », une singularisation de leur cas, la
conservation de l’espoir : « les hématologues devraient être vigilants quant
à la rédaction des comptes-rendus de consultation et rayer le mot ‘‘malheureusement’’ de leur vocabulaire. Le mien en contenait trois. Comment
garder le moral devant tant de pessimisme ? »
La plupart des répondants comparent l’effet du mot technique myélodysplasie à celui du mot cancer. Il semble qu’ils préfèrent que le terme de
cancer soit prononcé. En effet, en tant que représentation, il ne doit pas
laisser d’ambiguïté, cependant pour certains, le mot « chimio » est un équivalent du mot cancer et s’y substitue. Malgré tout, la place du mot cancer
donne une certitude plus rassurante que certains termes plus techniques
mais à la signification plus floue. Dans leurs écrits, les patients oscillent
entre deux positions, l’une théorique où les informations conduisent logiquement à une action, la mise en place des traitements ; l’autre, plus singulière, s’attache à leur réaction affective et à leur besoin d’empathie.
Dans tous les cas, cette étude nous apporte des éléments sur l’évolution
des Français face au diagnostic de cancer. La maladie n’est pas dédramatisée, elle déclenche encore cet effet de bascule, mais elle nécessite bien un
soutien de la part du médecin qui doit, par ailleurs, réfléchir à son discours
écrit comme oral et se garder de produire des effets négatifs.
Une annonce pluridisciplinaire
XV
Une assistante de soins qui complète le dispositif
d’annonce
L’étude menée par Marie-Estelle Pérennec, infirmière qui préfère être
nommée « assistante de soins », révèle les résultats de 300 questionnaires
adressés après l’annonce médicale d’un cancer du sein et un entretien avec
elle dans les deux à trois semaines qui suivent sa consultation.
« Assistante de soins » semble à cette infirmière plus juste que le terme
« infirmière d’annonce » qui peut induire une confusion avec le fait que,
seul, le médecin annonce le diagnostic. Sur les 700 questionnaires adressés
à des patientes après l’annonce de leur cancer du sein, 300 ont été retournés au centre Léon Bérard. Il s’agissait souvent de « ré-annonce », ce qui
signifie que les différents consultants médecins avaient déjà présenté le
diagnostic de cancer comme une possibilité. Mais celui-ci n’avait pas encore
été confirmé officiellement.
Lors de la confirmation, l’effet de choc est relaté, l’angoisse de mort
aussi, d’autant que ces femmes sont aussi plus jeunes que l’échantillon
précédent. Les émotions sont extrêmement présentes (sans doute parce
qu’autorisées), l’écoute de l’infirmière est non seulement reconnue mais
jugée fondamentale en termes d’existence renvoyée au malade, d’humanité
reconnue et de garantie d’accompagnement.
Une consultation infirmière humanisante
Il est clair que la consultation infirmière qui suit la révélation est particulièrement appréciée comme réconfort et pas seulement comme on aurait pu
le croire en termes beaucoup plus opérationnels, comme garantie de la
bonne compréhension du diagnostic ou comme pourvoyeur d’adhésion au
traitement. Pour ces femmes atteintes d’un cancer du sein, à la question
« Que vous a apporté cet entretien et qu’avez-vous apprécié ? »
– 137 patientes répondent « informations, explications simples, adresses,
réponses, orientations » ;
– 120 patientes répondent « réconfort, assurance, sérénité, apaisement,
calme, sécurité, douceur » ;
– 37 insistent sur le mot « écoute » et d’autres mots comme « gentillesse,
humanité, accueil, disponibilité, compréhension et courage ».
XVI
Annoncer un cancer
Des demandes plus récentes
L’intérêt de cette recherche, mise en place en 2007, est dans son évolution.
Les demandes ont vite évolué du côté des femmes atteintes de cancer. Ainsi,
la demande de confrontation avec d’autres femmes anciennement atteintes
émerge. La demande de psychologue, mais aussi de partager avec sa famille
font aussi partie du besoin de sortir de la solitude. Marie-Estelle Pérennec
précise également que les médecins ont été frileux au début de l’expérience
et communiquaient peu les références de l’infirmière assistante de soins,
mais au fur et à mesure des réactions positives des femmes malades, la carte
présentant l’infirmière a été de plus en plus largement distribuée. À l’issue
de cette expérience particulièrement enrichissante et convaincante, nous
attestons (s’il le fallait) de tout l’intérêt de la consultation infirmière. Sa
place est sans aucun doute unique, rejoignant la demande féminine (et
maternelle) d’entourage et de réconfort, en lien aussi avec les aspects
symboliques du cancer du sein. Une analyse anthropologique serait intéressante pour différencier les besoins identificatoires s’inscrivant dans une
recherche originale de solidarité féminine et les possibilités régressives autorisées aux femmes par nos sociétés. L’annonce du cancer est vraiment affaire
de culture…
L’impact du dispositif d’annonce sur l’organisation
hospitalière
Dans le même registre, le chapitre du sociologue Nicolas Guirimand et de
ses collaborateurs permet de comprendre les effets du dispositif d’annonce
sur l’organisation des services hospitaliers. Ils comparent la place de l’infirmière d’annonce attitrée à celle d’une infirmière polyvalente ou encore au
psychologue référent. Ils constatent que les infirmières dont le temps de
travail est entièrement consacré à l’annonce sont souvent marginalisées par
leurs collègues. Elles perdent à leurs yeux leurs compétences infirmières,
elles sont isolées par leur réputation négative de personnage de mauvais
augure. Bien que les institutions hospitalières n’aient pas vraiment accompagné les personnels soignants dans leur redéploiement pour appliquer le
dispositif d’annonce, l’implication des infirmières a été caractéristique.
Souvent passionnées par cette nouvelle tâche, elles ont véritablement transformé leur fonction pour donner du temps aux patients, elles ont modifié
leur façon de parler du cancer, tenu à utiliser du matériel pédagogique
pérenne. Les psychologues ont aussi un rôle clé pour renvoyer, quand cela
Une annonce pluridisciplinaire XVII
est nécessaire à l’équipe, la façon dont les malades ont vécu l’annonce. Celleci est alors considérée par les médecins comme un véritable acte thérapeutique, lorsqu’ils considèrent quels effets elle peut produire sur les malades.
Dans les services où la mise en place du dispositif d’annonce a été effectuée, on observe une augmentation de l’intérêt des médecins comme des
soignants à l’annonce du diagnostic, alors qu’une certaine standardisation
était crainte au début. Le personnel médical et soignant se félicite de cette
installation, tandis qu’il constate une amélioration de l’état psychique des
patients et une meilleure adhésion aux traitements.
L’hostilité face aux soignants et le refus
de traitement
Livia Édery, psychologue, a analysé dans sa thèse les différents facteurs de
personnalité entrant en compte dans le vécu de l’annonce du cancer et des
traitements. En particulier dans le refus de traitement. Ici, les traits de
personnalité hostiles prédominent. Les patients opposants, irritables et intolérants présentent souvent une méfiance importante à l’égard des soignants.
Ils remettent en question les informations et recherchent des incohérences
entre les différents intervenants. Si, cependant, ils perçoivent un cadre
contenant et s’ils se sentent impliqués (et donc responsables) dans les prises
de décision, ils pourront alors accepter l’enjeu du suivi. Cependant, ce sont
souvent les médecins ou les soignants qui éprouvent des difficultés à ne pas
céder devant leur impulsivité et leur violence. La place du psychologue ou
du psychiatre peut évidemment devenir déterminante dans ce cas pour
aider l’équipe soignante à comprendre ces comportements peu amènes.
L’importance de l’anxiété et de la dépression
Au contraire, les patients anxieux ont tendance à accepter l’offre médicale
parce qu’elle leur permet de pallier pendant un temps leur anticipation
négative des effets de la maladie.
De même, les patients déprimés sont souvent très inhibés pendant les
consultations. Ils ne participent quasiment pas au dialogue initié par l’oncologue et s’expriment très peu. Leur adoption des propositions de traitement ne doit cependant pas leurrer l’équipe soignante. Ils peuvent
abandonner très vite et, de ce fait, ont souvent besoin d’être suivis de très
près afin de conserver une compliance minimale. La possibilité d’une
XVIII Annoncer un cancer
consultation systématique avec un psychologue ou un psychiatre, dès que le
médecin a un doute sur les caractéristiques personnelles des patients, peut
apporter beaucoup dans l’aménagement des consultations de suivi des
patients.
L’annonce n’est pas toujours traumatique
mais parfois…
A fortiori lorsqu’un patient se plaint d’un choc persistant, de reviviscences,
de réactivation de la peur intense et de stress envahissant, lorsqu’il se met à
éviter ce qui pourrait le renvoyer au moment traumatique, lorsqu’il perd le
sommeil ou ses capacités cognitives, on peut alors identifier un psychotraumatisme. Alain Ronson et Stefos Grigori se posent la question du cancer
qui pourrait être conçu comme un système de traumatisation et de retraumatisation. En effet, certains facteurs impliqués dans une révélation abrupte
pourraient être comparés à ceux qui provoquent les effets psychiques
d’autres événements traumatiques comme les combats dans la guerre, les
actes de torture ou les viols. Les patients qui présentent un état de stress aigu
décrivent la consultation d’annonce comme une communication de très
mauvaise qualité. Froideur, violence, intrusion, abandon les ont marqués au
point de ne plus vouloir parler de ce qui s’était produit, mais de présenter
de nombreux signes somatiques caractéristiques.
Hélas, ces signes à l’origine de plaintes physiques se transforment en
symptômes confondants ne permettant plus de distinguer ce qui peut être
attribué aux traitements et ce qui découle des traumatismes. On imagine
alors combien la rechute cancéreuse va croiser la réactivation du traumatisme. L’angoisse de séparation en jeu dans l’annonce (indirecte) de la mort
pourrait sans doute être discernée à travers le style d’attachement des
patients. Pour Alain Ronson et Stefos Grigori, ces dangers pourraient être
palliés par une meilleure connaissance des diagnostics psycho-traumatiques
de la part des médecins, des psychiatres et psychologues. Les indications
psychothérapiques nombreuses impliquent une présence supplémentaire de
thérapeutes dans les services d’oncologie. La clinique de l’annonce traumatique, du vécu traumatique de la dégradation de l’image du corps, du deuil
de sa santé, de son corps d’autrefois a été déjà abordée dans des numéros
spéciaux de Psycho-oncologie, elle mérite clairement un approfondissement
pour comprendre des états dépressifs ou délirants, particuliers à l’affection
cancer.
Une annonce pluridisciplinaire XIX
La clinique subtile du médecin généraliste
Si les travaux précédents nous ont montré la complexité de l’annonce du
cancer, la pratique de la médecine de ville y ajoute encore. Comment en effet
aborder le cancer chez un patient qui vient consulter depuis l’enfance ?
Comment annoncer quand toute la famille se rend dans le cabinet en ville
et par ses remarques, ses regards, peut chercher à savoir ou tout simplement
exprime une certaine maladresse à vouloir accompagner autrui ? Le
médecin généraliste qu’est Françoise Auger montre très bien dans son
chapitre les dilemmes, les hésitations, les compromis toujours mis au service
du patient. Mais il y a des patients qui se font « famille » et des familles qui
deviennent patients… Grande est la finesse nécessaire pour déplacer le
cadre de la consultation, l’ajuster à chaque personnalité, garder les émotions
pour les élaborer plus tard, être disponible, encore et encore. Grâce à
quelques cas cliniques, nous comprenons comment la pratique du médecin
généraliste, d’une extrême variété, est souvent faite de surprises, de colères
mais aussi de nombreux moments de complicité à savourer avec ses
patients. La pratique des groupes Balint permet cette reprise après les
moments émotionnels les plus prenants, des ressentis, des représentations
inconscientes, des ratés de l’accompagnement. Ainsi grâce à cet accompagnement que le médecin investit pour lui-même et pour ses patients, l’énergie ne se dilue pas en vain dans des actes et des paroles pas toujours
thérapeutiques. Pour réserver aux patients le meilleur de soi-même, il faut
encore se retrouver entre médecins pour lâcher enfin ce qui a précisément
permis de tenir face à un patient. C’est à cette condition que la bonne
distance peut encore permettre de rire ou de pleurer avec un patient, mais
de rester là dans les moments de vérité.
Les blogs : une nouvelle clinique au temps d’Internet
Apparus dès les années 1990, les blogs sont des constructions personnelles
destinées à être lues par d’autres. Ces bio-feuilletons permettent aux lecteurs
anonymes d’échanger, d’entrer en contact. La lecture des blogs délimite une
communauté virtuelle composée de personnes sans aucun lien avec le bloggeur. Parfois les blogs peuvent engendrer de véritables relations, toujours
caractérisées par une grande liberté. Gilbert Gsell-Hérold, psychologue, a
analysé dans sa thèse une trentaine de blogs de patients cancéreux, tenus
pendant des années. L’annonce y tient une place particulière surtout pour
les femmes atteintes d’un cancer du sein : la découverte de la tumeur a lieu
XX
Annoncer un cancer
(avec un certain flou), puis, tout va très vite. Le « jour où les résultats
tombent s’inscrit de manière indélébile dans le psychisme des patientes ».
Les dates de l’annonce sont mémorables, la planète s’arrête de tourner. « La
violence, la réalité insupportable, l’état de sidération » sont bien décrits. Le
« verdict », la « condamnation » sont des mots qui qualifient ces annoncescouperet. Le médecin, « qui ne veut pas tourner autour du pot » et qui lâche
« c’est un cancer du sein, mademoiselle », nous semble sorti d’un autre âge,
celui qui évite et reste agité et angoissé sans rien dire est tout aussi anachronique. En lisant ces textes, on passe de l’autre côté de la barrière : ce n’est
plus le patient qui raconte à un autre médecin, un psychologue, une infirmière… C’est celui qui écrit. Il n’a personne à protéger, il n’a pas une institution à respecter du bout des lèvres pour éviter d’éventuelles représailles,
il n’a plus à revêtir l’uniforme du patient idéal. Dans ces blogs, les questions
vous sautent au visage : « Vais-je mourir ? Pourquoi moi ? Ce crabe en moi,
est-ce l’héritage de ma grand-mère ? Pourquoi pas mes cousines ou mes
sœurs ? » Les émotions sont fortes et ne connaissent de limites que celles du
vocabulaire et du mot adéquat pour une telle intensité.
Une écriture réactionnelle à un traumatisme
Après la stupeur, les mots. Pour nous psychologues, psychanalystes,
psychiatres, la production de mots est un bon signe. Le sujet se relève du
choc, il peut de nouveau mentaliser les événements et les relier aux affects.
Mais la déchirure initiale n’est-elle pas susceptible de se reproduire lors de
la prochaine annonce ? Si les mots ont cette densité, peuvent-ils vraiment
combler le trou sans fond lié à la rencontre avec sa propre mort ? La guérison de ce traumatisme semble suspendue à ce qui l’a précédé et à ce qui va
suivre. Les autres traumatismes (identifiés dans les études comme PostTraumatic Stress Disorders selon le DSM IV-R), les traumatismes antérieurs,
ceux qui font que 10 à 12 % des femmes ont subi des agressions sexuelles,
des abus et négligences pendant l’enfance et que les hommes, pour 5 %, ont
connu l’angoisse de la bagarre, le spectacle d’un préjudice, un accident
grave, des menaces pour leur vie (Jolly, 2000). Ce passé joue fortement lors
de l’annonce du cancer, bien qu’il n’ait rien à voir avec lui, il est cause de
fragilité. Quant à ce qui va suivre, re-traumatisation lors d’une rechute,
angoisse d’abandon lors de la guérison… Le blog tenu par Marie-Dominique Arrighi (2010) porte en sous-titre « Journal d’une nouvelle aventure
cancérologique », mais pour une « aventure » de ce type (qui passe par la
mort de l’auteure le 19 mars 2010), combien de peurs et de récupérations ?
Chaque nouvel examen, chaque courrier même, transporte sa frayeur, son
Une annonce pluridisciplinaire XXI
angoisse. Cette usure conduit la plupart à l’émoussement affectif, espèce
d’indifférence plate qui signifie bien « j’ai déjà connu le pire, que peut-il y
avoir de plus grave ? » Le blog est tout de même celui qui va accompagner
cette journaliste de Libération jusqu’au bout, grâce à son petit ordinateur
portable.
Confident sans transfert ? Ou transfert éparpillé dans les milliers de
lecteurs imaginés ?
Le nouveau médium que forme le blog est une possibilité de co-thérapie
non négligeable et cela spécialement après l’annonce du cancer.
Les enjeux d’une consultation rémission
Martine Derzelle, psychanalyste, s’est intéressée, dans son chapitre, à la
guérison. Quand les patients apprennent que maintenant ils ne sont plus
tenus de revenir aussi régulièrement qu’auparavant et que, sauf problème,
ils sont dorénavant libres. La perte de « l’effet-cadre » des soins peut alors
les renvoyer à une angoisse d’abandon désorganisante. Pour elle, le cancer
est une affection chronique, parfois de très longue durée, associée aux peurs
récurrentes de la récidive. Le choc de l’annonce a pu faire basculer l’identité
au point de faire passer une personne du fantasme d’invulnérabilité à la
faillibilité. Mais c’est surtout l’imprédictibilité qui est usante.
L’institution soignante propose souvent, selon l’auteure, aux patients une
« construction adjuvante et contenante qui donne une identité substitutive
de placage, colmatant la fracture du rêve d’intégrité ». Le malade, dépouillé
de sa croyance dans son immortalité, a adhéré à la nouvelle identité remise
lors de l’annonce de la maladie. Mais cette identité pourrait n’être que
partielle, donnée par l’institution, mais déposée à l’extérieur. Or, le malade
finit par la conserver lorsque « l’aventure » du cancer se prolonge.
Alors, comment « vivre à découvert » ?
Voilà la proposition de la consultation rémission : un échange clair au
sujet de la fin des traitements, de la fin du lien avec l’équipe soignante, mais
peut-être aussi la conservation des entretiens psychologiques pour réapprendre justement à se séparer une fois pour toutes…
On le conçoit bien maintenant, la consultation d’annonce est un
ensemble polyphonique.
Menée, dans un premier temps, par un médecin qui s’engage dans un
pacte de soins, elle est poursuivie par une infirmière qui apporte réconfort
et informations supplémentaires. Elle peut ensuite donner lieu à des entretiens psychologiques se prolongeant éventuellement par une psychothéra-
XXII Annoncer un cancer
pie. L’annonce, dans le cancer, est souvent un choc la première fois, mais
lorsqu’elle se répète, elle devient violence usante, décapante, au point de
provoquer l’émoussement ou l’anesthésie affective. Le médecin reste
compagnon de route, surtout s’il est le généraliste, le familier, celui qui
connaît la maison… Ce médecin, cette équipe, s’ils veulent conserver leur
fraîcheur d’âme, leurs compétences thérapeutiques, peuvent prolonger leur
mission d’accompagnement des malades par un véritable travail en groupe,
sur la relation soignante. Groupes Balint, parfois groupes de parole, supervision individuelle sont nécessaires parce que l’annonce n’est pas une et
indivisible, mais adaptation, fluctuation autour des représentations et des
cultures. L’éthique, en revanche, est invariable : en premier est le sujet, son
originalité, sa singularité. La reconnaissance des transferts, des défenses et
de tous les aspects inconscients de la relation sont complémentaires de cette
approche qui reste un modèle du lien social d’aujourd’hui.
Bibliographie
Arrighi MD (2010) K, Histoires de crabe. Journal. Paris Éditions Bleu autour
Jolly A (2000) Événements traumatiques et état de stress post-traumatique. Une
revue de la littérature épidémiologique. Ann. Méd.-Psychol. 158 (5): 370-8
Les principes de l’annonce
d’une maladie grave
M.-F. Bacqué
Du cabinet médical au grand public
L’annonce d’une maladie grave n’est pas une nouveauté en médecine. Elle a
longtemps été une affaire privée, réservée à la consultation médicale. Pour
les affections incurables, le patient majeur était le plus souvent informé
pour des raisons religieuses : il lui fallait préparer son âme à Dieu. Pour les
mineurs et souvent aussi pour les femmes, les personnes dépendantes, ce
sont les tuteurs qui étaient informés. Dans les services de cancérologie, il en
a longtemps été de même. La famille savait que son proche avait un cancer
et parfois portait le secret jusqu’au bout. Ces secrets transformaient le plus
souvent les relations familiales en séries de fuites, dénis, dénégations, au
point que l’altération des liens affectifs devenait insupportable. Les changements sont venus tardivement en France avec la démocratisation du
pouvoir médical, avec l’augmentation de la culture générale de la population et sa revendication antipaternaliste. La question « de dire le diagnostic » s’est focalisée sur le cancer depuis les années 1980, mais de nombreuses
situations médicales exigeaient aussi une réflexion de fond en raison de leur
impact psychologique à court et moyen terme. L’annonce d’une démence de
type Alzheimer posait la question de l’incurabilité, de l’angoisse de la
dépendance, de la dépression et du suicide (1). Le diagnostic prénatal et les
enjeux de la réanimation des bébés prématurissimes ont entraîné de
nombreuses réflexions ainsi que des ouvrages sur l’annonce d’une pathologie neurodégénérative, d’une maladie génétique… Tous ont, de façon
discrète mais ferme, apporté au moins une opposition préalable à une
réponse dogmatique. Il apparaissait de plus en plus que le débat sur la révélation diagnostique devait s’ouvrir à une réflexion pluraliste. Ainsi le
Comité National d’Éthique s’est interrogé sur les conséquences d’une révélation diagnostique à un malade, à un enfant, à ses proches, à son
2
Annoncer un cancer
employeur. Cette participation de l’instance éthique à une question, somme
toute banale de la pratique médicale, a élevé le niveau d’un problème qui
jusqu’alors se résolvait « sur le tas » et est bientôt apparu comme un véritable casse-tête avec des textes parfois contradictoires, entraînant un avis
collégial. La démocratisation d’Internet a accéléré le processus devant le
nombre de patients (vous, moi) en train de rechercher les noms de leurs
symptômes. Les effets parfois dévastateurs de telles prises de connaissances
brutes n’ont fait que tirer le signal d’alarme. Bien qu’aujourd’hui les sites
acceptés par la certification HON-HAS (Health On the Net-Haute Autorité
de Santé) soient les plus fiables, cela ne veut pas dire pour autant que le
patient sera accompagné. Le fait de fréquenter les sites Internet permet
plutôt de préparer sa consultation avec son médecin. Nous y reviendrons.
Ne pas mentir, garder l’espoir
« Ne plus mentir »… Bernard Hoerni a développé dans son historique du
mensonge en médecine (2) une chronologie de l’histoire du diagnostic en
France. Si, avant les années 1980, les positions sont extrêmement prudentes
et les points de vue en faveur de la révélation, anecdotiques, le véritable
ébranlement d’une pratique de mensonge « compassionnel » destiné à ne
pas affoler le malade a lieu avec la promulgation de la loi Huriet-Serusclat
(1988). Bien que dédiée à la protection des personnes participant aux essais
cliniques, les fiches d’information et de consentement reposent désormais
sur une connaissance bien délicate à mettre en œuvre. B. Hoerni (ancien
président de l’ordre des médecins) souligne qu’elle entraîne une protestation de l’instance ordinale quasi générale et véhémente… L’évolution est
cependant en marche et se voit consacrée par l’article 35 du code de déontologie médicale de 1995 : « Le médecin doit à la personne qu’il examine,
qu’il soigne ou qu’il conseille, une information loyale, claire et appropriée. »
La loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades, confirmera que
« toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé ». La révélation de la maladie débouche fort heureusement en général sur l’annonce
de traitements. Cependant dans certains cas, l’absence de traitement à court
terme n’empêche pas d’annoncer la maladie. On observe que, dans ces
conditions, la vérité peut s’avérer moins angoissante que des échecs successifs, témoins d’une létalité envahissante. Mais ce paradoxe s’établit lorsque
la relation avec le médecin ou l’équipe semble plus puissante que l’arrêt de
mort latent. Le malade, devant une relation authentique et fiable, peut être
amené à faire le point sur sa vie et à préparer sa mort. Comme pendant des
millénaires, ces préparatifs revêtent une importance spirituelle fondamen-
Les principes de l’annonce d’une maladie grave
3
tale (même chez l’enfant). Le fait que la personne ne se sente pas « vidée »
de son identité, de son rôle social ou affectif, la conduit à accepter ce temps
qui lui reste, après des passages de révolte ou de refus. Ce qui semble
primordial dans tous ces cas est la nécessité de ne pas mentir, tout en respectant les défenses du patient qui a besoin de temps pour s’aménager, pour
questionner, pour s’exprimer affectivement et rationnellement.
« Ne pas enlever l’espoir » est le deuxième principe. Il a bénéficié de l’expérience des soins palliatifs. En phase terminale, il n’y a clairement plus l’espoir de repousser la mort dans un temps relativement court. Cette fois, la
promesse des soignants et des médecins ne porte plus sur les tentatives
thérapeutiques, mais sur l’accompagnement : « Vous ne serez pas seul, nous
ferons le maximum pour être auprès de vous quand vous en éprouverez le
besoin et même sans le formuler, nous ne vous abandonnerons pas. »
En trente ans, les soins palliatifs, les services d’anesthésie-réanimation,
les coordinateurs de prélèvements d’organes, les services d’oncologie ont
propulsé la question de l’annonce au-devant de la scène. Mais là encore,
point de réponse toute faite, plutôt des principes et un investissement des
protagonistes dans une remise en cause fréquente et stimulante lors d’un
travail de groupe.
Préliminaires à la formation du médecin
La question de l’annonce est à la fois morale et éthique.
Morale car elle fait partie des devoirs du médecin. Ils sont pondérés par
le code de déontologie médicale qui souligne que la nécessité de ne pas
nuire peut conduire le médecin à différer la révélation complète de la
maladie pour éviter une réaction extrême du patient. Éthique, l’annonce
l’est du fait qu’elle ne préjuge pas d’autrui comme d’un être fragile qui
implique protection absolue au détriment de son autonomie. Il est éthique
de ne pas agir de façon systématique et de prendre en compte la personnalité du patient et son histoire pour ensuite divulguer les connaissances sur
sa maladie afin de lui donner toutes les chances de se soigner. D’autre part,
la possession d’un savoir sur autrui donne un pouvoir dont le médecin doit
apprendre à user avec mesure. Ce pouvoir, reconnu par le médecin, devrait
légitimement servir à maintenir la confiance et à soulager le patient de l’angoisse liée aux traitements pour se laisser guider plus sereinement.
En termes de pratiques professionnelles, le processus de l’annonce peut
être préparé dès les études de médecine par un questionnement personnel
et en groupe sur la relation médecin-malade et les aspects psychologiques,
éthiques et déontologiques du savoir.
4
Annoncer un cancer
Peut-on former un médecin (un soignant) à la relation ? C’est une question largement débattue sur laquelle, depuis Michael Balint1, les facultés de
médecines françaises butent encore, alors que nombre d’autres pays occidentaux intègrent systématiquement des groupes Balint dans leur formation. L’idée de centrer les médecins sur le malade plutôt que sur la maladie
est élémentaire. Et pourtant, combien de médecins trouvent plus de satisfaction intellectuelle à la recherche diagnostique et à l’élaboration d’une
thérapeutique qu’au difficile et complexe suivi du malade et de ses proches.
On observe souvent une corrélation inversement proportionnelle entre
technique et relation. Ainsi, plus la pratique médicale est technique, moins
elle comporte d’investissement relationnel, au contraire, le médecin généraliste, qui est moins centré sur une technique mais plutôt sur la globalité
diachronique du patient, développe une relation dense et complexe avec
tous ses malades.
L’approche psychanalytique de la médecine a connu ses lettres de noblesse
dès les années 1970 en France avec Ginette et Émile Raimbault, mais Françoise Dolto et Jenny Aubry leur avaient ouvert la voie dans le secteur pédiatrique. Lucien Israël l’avait largement souligné : « Le rôle de la psychanalyse
est de maintenir un humanisme médical, et peut-être même de sauver une
médecine menacée de toute part par un néoscientisme dont on voit poindre
partout les signes avant-coureurs. » (3). La médicalisation de la vie pointée
par Roland Gori et Marie-Josée Del Volgo (4) a montré que le pouvoir des
médecins leur échappait désormais face au diktat du chiffre et de la preuve.
La numérisation du corps humain et de ses composantes biologiques prenait
le pas sur l’histoire du patient et ses affects. L’approche psychanalytique est en
effet la seule qui mette en évidence les éléments cachés derrière les réactions
des médecins face au malade atteint de cancer. Ces éléments inconscients
varient, bien évidemment, avec chaque malade, chaque maladie. Il est impossible de se former à la rencontre de tous. En revanche, l’habitude de se poser
les questions directes : « Qu’est-ce que ce malade déclenche en moi ? À qui
me fait-il penser ? Ai-je envie de continuer avec lui ? », constitue la meilleure
base pour affronter et continuer de suivre les patients que l’on n’a pas forcément choisis. Ainsi, le souhait de M. Balint (5) d’une reconnaissance de l’impact psychique en médecine et d’une formation psychologique des médecins
correspond-il très clairement à la demande formulée aux États généraux du
Cancer en 1998 : « Nous voulons plus de psychologie, pas plus de spécialistes,
mais plus de psychologie chez nos médecins. »
1. Michael Balint (1896-1970) est un médecin et psychanalyste d’origine hongroise, installé en Angleterre en
1939. Il a créé la méthode dite des « groupes Balint », réunions régulières de médecins (généralistes), animées
par des leaders formés à la psychanalyse, destinées à intégrer les éléments inconscients de la relation médecin-malade. Voir le site de la Société Médicale Balint : www.balint-smb-france.org
Les principes de l’annonce d’une maladie grave
5
La formation à la psychologie est souvent conduite de manière partielle,
hélas. Des cours de psychologie n’ont pas grand sens car ils sont forcément
insuffisants dans un cursus d’études médicales déjà extrêmement lourd. Des
cours de psychopathologie sont trop souvent dédiés au diagnostic et à
« l’orientation » vers le bon spécialiste et ne vont pas permettre une remise
en cause de l’attitude et de la relation du médecin. Des cours de communication médicale sont trop souvent réduits à une série de recettes et de prises
de conscience ponctuelles qui ne modifient pas en profondeur le médecin.
La pédagogie la mieux adaptée à la formation à la psychologie de la relation revient à nouveau à travailler sur les cas. Non pas en groupes de pairs
(trop centrés sur le bon diagnostic ou le bon traitement) ou en jeux de rôles
(intéressants surtout sur le plan du comportement non verbal mais trop
superficiels), mais en groupe de type Balint. Pourquoi en groupe ? Parce
qu’il est fondamental d’apprendre à écouter ses collègues et de retrouver,
dans leur discours ou dans leurs attitudes, ses propres réactions. D’autre
part, le travail de groupe facilite les échanges interprofessionnels et augure
des relations institutionnelles.
La capacité à annoncer une diversité de pathologies à autant de patients
singuliers nous semble relever, d’une part de l’intégration des principes de
l’annonce, d’autre part d’une formation continue sous forme de participation à un ou plusieurs groupes Balint de travail sur des cas (6).
Et la formation du malade ?
Il nous paraît important de ne pas mettre la responsabilité de l’annonce sur
l’unique corps médical. Nous estimons que la peur des maladies chroniques,
de la souffrance du cancer et de la mort en général relève de notre société
tout entière actuelle. La situation serait moins traumatisante si nous
pouvions échanger plus fréquemment sur la maladie et la mort. Des
recherches sociologiques et anthropologiques nous permettent de comparer
les représentations de la maladie et de la mort entre différentes populations.
Sur un plan historique, nous pourrions aussi bénéficier des enseignements
qui montrent combien la mort et sa préparation ont été, pendant des millénaires, l’objet principal de la vie pour la plupart.
Enfin, de façon très pragmatique, il apparaît que si l’on souhaite limiter
l’infantilisation des patients, il est judicieux de baliser les grandes rencontres
médicales par des points de repère.
Le patient peut en effet préparer son entretien par des éléments simples.
6
Annoncer un cancer
Comment préparer la consultation médicale et le
suivi du côté du malade
Présentation subjective du malade :
– savoir se présenter avec les principaux événements de sa vie. Ici, le subjectif l’emporte largement sur une quelconque objectivité : qu’est-ce qu’il est
important de transmettre à mon médecin ? Les événements physiques :
maladies, opérations, accouchements, réanimations, mais aussi opérations
de « confort » (de plus en plus de chirurgie esthétique), les événements
familiaux (divorces, ruptures, deuils), l’environnement familial, le milieu
rural ou urbanisé, le travail et son coût en termes d’horaires, d’investissement physique et psychique ;
– ce qui est important : principes de vie, identité culturelle, sexualité,
descendance, questionnement face à la blessure et à la mort ;
– ce qui est inquiétant : les symptômes, les traitements, les évolutions irréversibles ;
– les attentes vis-à-vis du médecin et de la médecine.
Relation d’affiliation réciproque
Le médecin n’est pas interchangeable. Le malade établit une relation unique
avec lui (comme avec tout membre de l’équipe). Cette relation se traduit par
une notion de confiance : « Ce médecin est mon médecin. » La confiance
est réciproque : « Ce malade est mon malade. » Ces derniers termes ne signifient pas seulement possession, comme on le pense souvent. Il s’agit aussi
de confiance, le médecin souhaite savoir si le malade doute de ses traitements, il peut aussi comprendre que le malade sollicite un deuxième avis.
On peut élargir cette idée au fait que le médecin aimerait savoir si le malade
a besoin de traitements complémentaires (combien de malades font appel
aux médecines alternatives sans prévenir leur médecin).
Le malade peut s’interroger sur les droits et les devoirs qu’implique cette
affiliation réciproque. Il peut aussi verbaliser son désir de parler de sa relation à son médecin. On relève à la lecture de témoignages et de blogs de
malades combien les femmes parlent (et écrivent) plus facilement que les
hommes sur leur relation avec leur médecin. Elles se sentent parfois naïves
ou « demandeuses », mais beaucoup abordent sincèrement leur besoin de
soutien affectif de la part de leur médecin (7, 8).
Les principes de l’annonce d’une maladie grave
7
Comprendre et discuter la façon de travailler des médecins et
des équipes soignantes
Le contraste entre la symptomatologie angoissante et l’absence de réponse
immédiate du médecin provoque souvent l’étonnement. Certains malades
sont choqués ou déçus que les infirmières ou les médecins ne soient pas
préoccupés ou alarmés par leur état, qu’ils puissent encore rire, répondre au
téléphone, être pressés de rentrer chez eux, etc. La médecine est un travail
qui a des horaires, des limites, mais qui permet aussi de gagner sa vie, de
prendre du plaisir, de rechercher des satisfactions. Reconnaître ces conditions permet moins de décalage entre les protagonistes.
Savoir demander, savoir remercier
Beaucoup de malades n’osent pas… Et l’institution hospitalière fait tout
pour limiter ces demandes d’un point de vue architectural, mais aussi organisationnel et humain… Une certaine créativité pourrait pourtant
permettre des améliorations. Des questionnaires de satisfaction comme
dans les hôtels relèveraient sans doute d’importantes revendications au sujet
des bruits, de la cuisine inadaptée, des attentes prolongées… La possibilité
de critiquer doit être donnée aux malades sans que, pour autant, ils n’aient
l’impression de détruire leur propre outil de soins ; cela leur permettrait
également de s’orienter vers des réflexions sociales et politiques et de poser
la question des investissements dans le système de santé.
Les remerciements aux équipes ont un effet considérable. Les boîtes de
chocolat sont souvent offertes aux infirmières ou aux médecins généralistes,
rarement aux médecins hospitaliers. Cela illustre la distance qui existe avec
eux. Cependant, des lettres de remerciements adressées aux chefs de service
touchent toute l’équipe lorsqu’elles sont lues en réunions. Une véritable
sociologie du remerciement peut être établie comme contre-don. L’étape
ultime étant franchie par les malades qui « donnent leur corps à la Médecine » pour remercier un médecin, une équipe de les avoir soignés. Ce sacrifice ultime des rites funéraires pour combler le médecin, par-delà la mort,
en dit long sur les liens fantasmatiques que nourrissent certains entre la
médecine et la mort. Une anthropologie du don établirait sans doute un
parallèle avec les offrandes destinées aux dieux ou à leurs effigies. Religion
et médecine ne sont jamais très éloignées, dans le domaine du cancer plus
encore, avec un vocabulaire fortement emprunt de croyances (annonce,
révélation, rémission)…
8
Annoncer un cancer
Première étape de la consultation d’annonce :
préparer et installer la relation
Préparer l’annonce du diagnostic du côté du médecin
Lorsqu’on lit la littérature médicale anglo-saxonne sur le sujet de l’annonce,
on est frappé par la fréquence de l’expression what concerns …
patient/doctor. Ces préoccupations du malade ont une influence sur sa
propension à se déprimer ou à s’angoisser. Le médecin, s’il veut établir une
bonne relation et une relation de longue durée avec son malade, doit se
sentir concerné par ses préoccupations. Selon l’étude de Maguire (9), cette
prise en considération augmente la satisfaction et même diminue les souffrances des malades. Malheureusement, moins de la moitié des problèmes
sont traités pendant la prise en charge d’un cancer…
La question de l’accompagnateur
Les approches psychologiques du groupe humain nous ont appris qu’il était
difficile « d’extraire » le sujet de son groupe, spécialement en situation de
danger. La question de recevoir le patient seul ou accompagné se pose dans
la consultation d’annonce.
Il est important qu’un proche accompagne le patient, en particulier pour
rentrer avec lui (surtout en voiture, pour éventuellement prendre le volant),
en revanche, il n’est pas certain qu’il soit judicieux d’accepter sa présence
pendant la révélation.
Premièrement, il est souhaitable que le médecin demande au patient s’il
désire être accompagné ; deuxièmement, il serait pertinent que le patient
puisse rester seul avec son médecin à un moment de la consultation. Il est
clair que barrer l’entrée du conjoint ou de l’ami aura un effet désastreux,
c’est donc après le début de la consultation que l’on pourra proposer
d’aborder « des questions personnelles de santé, qui parfois sont intimes et
qui nécessitent que le patient soit seul avec son médecin ». S’il est clair que
le patient « n’a rien à cacher à son épouse », le médecin pourra plus tard
proposer cette consultation en duo. Les couples d’une certaine génération
(jusqu’à la génération d’après-guerre) sont pour la plupart forgés sur un
modèle paternaliste, mais dans lequel, à partir de la soixantaine, l’épouse
exerce un fort ascendant sur son conjoint. Cette épouse pose souvent les
questions à la place du malade et se charge de tous ses soins (de bouche, de
toilette, de poche, de trachéotomie, etc.). Elle sera aussi sujette potentiellement à un traumatisme (vicariant, c’est-à-dire en tant que témoin de ce qui
Les principes de l’annonce d’une maladie grave
9
arrive à son conjoint), ce sera elle qui, le plus souvent, présentera une
dépression chronique liée à l’épuisement de l’accompagnement. Cette
projection dans l’avenir nous rend vigilant à préserver tant que faire se peut
cet espace privilégié entre le malade et son médecin, en dehors du jugement
d’autrui.
Établir la toute première relation
Emmanuel Lévinas a mis en exergue la place « philosophique » du visage.
Ce visage « porte » notre identité, notre histoire, notre désir. Le premier
regard du médecin sur le patient est aussi révélateur de l’accueil donné au
visage du patient. Or, l’écoute des patients permet d’entendre les limites de
ce principe. Nous ne prenons évidemment pas en compte la surcharge de
consultations, l’épuisement des médecins, la difficulté d’un nouvel investissement émotionnel lorsque l’on a « une file active » de centaines de patients.
Il semble souhaitable que les conditions de travail et la réflexion personnelle
du médecin sur ses réactions inconscientes lui permettent de considérer
d’un œil neuf ce patient et de s’arrêter pour le regarder. Ce regard n’est ni
entomologique ni commercial ; nous forçons le trait, mais le médecin qui
juge avant tout du bon état général du patient qui lui permettra de supporter la chimiothérapie agressive n’est certainement pas celui qui offre le
regard humanisant, respectueux du patient.
Le médecin se lève et va à la rencontre du patient pour lui serrer la main.
Détail ? Dans cette démarche, il y a le véritable investissement qui montre
l’effort dédié au patient et le caractère de relation qui s’établit d’emblée.
Certes, nous reconnaissons que cette relation sera toujours inégalitaire, mais
du moins, sur le principe, a-t-elle débuté par le symbole du pacte d’alliance.
La position des fauteuils a toute son importance : deux fauteuils à
90 degrés sont placés face au bureau. Même si le médecin a besoin de
revenir derrière le bureau pour signer des documents, cette première
posture ouverte, mais indirecte, sera agréable au patient. Un face à face
absolu serait gênant à notre avis car angoissant pour le patient ; cette
posture médiate est recommandée par nos collègues canadiens et anglais
qui ont beaucoup d’avance sur nous (10, 11). En tant que psychanalyste,
j’emploie également cette disposition lors d’un premier entretien, pour les
mêmes raisons « d’engagement sans forçage ».
L’entretien est oral bien sûr, mais l’utilisation d’un paper board, voire de
l’écran d’ordinateur, peut s’avérer utile, cependant l’intrusion d’un objet
technique vient souvent rompre la relation ou sert de parade au médecin.
Ces outils seront peut-être souhaitables plus tard, de même que des
plaquettes ou des DVD interactifs. Pour les enfants, il est vrai que ces objets
peuvent être gratifiants et permettent une mise en retrait (tout en écoutant)
10
Annoncer un cancer
pendant que les parents s’entretiennent avec le médecin. Signalons dans ce
registre le grand intérêt des affichettes et des livrets qui expliquent ou
permettent à l’enfant de manipuler les termes difficiles ou qui font peur
(association Sparadrap). Si le verbe semble l’outil principal de l’annonce, le
médecin apprend également à connaître ses réactions comportementales et
à les contrôler. Il risque de confronter le patient à une certaine dissonance,
en effet, s’il croit offrir une écoute approfondie et qu’il présente paradoxalement une attitude de lassitude ou d’impatience masquée. Les traits du
visage, mais aussi l’agitation des membres, la posture, la distance avec le
patient, le contact d’œil à œil ou le toucher direct de son corps sont des
éléments permanents de l’entretien. Tous ces éléments non verbaux deviennent primordiaux lorsque le patient, pour des raisons de « décrochage du
discours » parce que les mots sont trop anxiogènes, se réfère dorénavant
uniquement aux indices comportementaux.
Les premières paroles au sujet de la maladie seront plutôt des questions
ouvertes. Robert Buckman utilise la formule Ask then tell, nous emploierions
plutôt « Ecouter, questionner puis parler ». Seules les questions ouvertes
permettent la liberté de pensée. En effet, répondre à une question fermée,
enferme, comme son nom l’indique, dans la question. Cela limite toute association de pensée et focalise le patient sur la demande du médecin. Or, c’est
bien le malade qui a une demande. Les grandes questions ouvertes du début
de la consultation d’annonce sont banales, d’autant plus que le médecin
généraliste, le laboratoire d’analyses médicales, le radiologue ont laissé
entendre que quelque chose de grave se tramait : « Comment cela a-t-il
commencé ? », « Pourquoi avez-vous consulté initialement ? » « Comment
vous sentez-vous aujourd’hui ? » « Que comprenez-vous de la situation ? »
Laisser la parole au patient va le libérer de l’attente anxieuse de l’annonce
couperet.
En prenant la parole, le patient déploie son existence tout en abordant
progressivement le sujet de sa consultation. Les recherches de Darius Razavi
et son équipe (12) ont montré que des groupes de médecins formés à l’annonce de mauvaises nouvelles, les uns à vingt heures, les autres à dix heures,
permettaient proportionnellement à leurs patients de parler et d’aborder les
sujets anxiogènes. Nous comprenons cependant que poser des questions
fermées pour le médecin lui permet de fragmenter les réponses potentiellement angoissantes.
Plus le médecin est à l’aise, plus il pose de questions ouvertes et plus les
questions sont ouvertes, plus le patient se sent compris globalement et non
pas comme « une maladie » ou « une somme d’organes ».
Les principes de l’annonce d’une maladie grave
11
La pose du cadre
Le premier entretien devrait déboucher sur le cadre de la relation. Les entretiens peuvent être délimités : « Nous avons trente minutes au moins et nous
pouvons facilement nous revoir la semaine prochaine. » Cette assurance
évitera le questionnement à marche forcée produit par un patient qui a noté
une liste de questions à poser et qui ne parle plus librement. Le médecin
présentera dans ce cadre, sa personne, son appartenance hiérarchique et
institutionnelle, ses liens avec le médecin généraliste, son équipe infirmière
(spécialement la visite de l’infirmière d’annonce) et paramédicale. À cette
occasion, il peut aussi présenter le psychologue du service et les possibilités
d’appartenance à un groupe de malades. Ici, nous insistons pour que cette
présentation soit sans ambiguïté : un médecin qui dit : « il y a un psychologue dans le service, mais je ne sais pas quand il consulte » ou bien « c’est
compliqué de le joindre » délégitime immédiatement ce collaborateur.
Même chose pour les groupes, le moindre flou montre le peu d’intérêt porté
ou le doute quant à leur efficacité. Nos collègues du Memorial Sloane Kettering Institute de New York aux États-Unis disent dès la première consultation : « Je vous conseille de rencontrer les animateurs de nos groupes de
malades, cela fait aussi partie du traitement… » Terminer les présentations
par : « si vous en êtes d’accord, je serai dorénavant votre médecin oncologue
référent» est extrêmement rassurant pour le patient. Lui donner sa carte de
visite, avec le téléphone de la secrétaire et les jours de consultation, confirmera la place du médecin et rassurera le patient pour la suite des opérations.
Deuxième étape de la consultation d’annonce : que sait le
patient ?
Le truisme de Jay Katz : « Que sait le patient ? Demandez-le-lui ! » a beaucoup dédramatisé la question, mais ce qui frappe est la sous-estimation des
médecins quant à la connaissance préconsciente de leur diagnostic par les
patients. À l’époque d’Internet, on pourrait craindre une hypocondrie généralisée, mais les autodiagnostics des patients sont plutôt raisonnables. En
revanche, la dédramatisation du diagnostic de cancer passe certainement
par une démarche heuristique qui vient du patient et non pas du médecin.
Ce pas à pas va être obtenu par la narration des événements par le patient
lui-même, à partir de la question simple posée par le médecin : « Cela m’aiderait d’en savoir plus sur le déroulement des événements qui vous ont
amené ici. Comment tout cela a-t-il commencé ? » C’est ici le patient qui
12
Annoncer un cancer
organise la suite signifiante des événements. Il n’est plus victime d’une
réalité qui le dépasse, il construit progressivement le fil d’une chaîne qui
peut conduire à un état inquiétant.
C’est à partir des représentations et même des mots du patient que le
médecin va pouvoir donner la signification médicale des symptômes
perçus : « Cette fatigue incompréhensible, cette boule qui grossissait, ces
traces de sang sur votre mouchoir, ces diarrhées alternant avec une constipation, etc. » Ici, l’interprétation médicale ne doit pas venir en compétition
avec celle du malade. Ce que M. Balint appelait la fonction apostolique du
médecin, qui consiste à vouloir absolument convertir le malade aux théories de la médecine, n’a pas d’action en profondeur et peut même bloquer
le malade.
Dans de nombreux cas, une théorie personnelle du malade semble aberrante au médecin et ce dernier croît de son devoir de l’en détourner. Or, les
représentations personnelles du malade sont respectables. Le médecin peut
questionner le patient : « Qu’est-ce qui vous amène à penser cela ? », puis,
donner son avis : « Je ne partage pas votre point de vue, mais je comprends
que vous ayez fait cette hypothèse… Cependant, mon expérience me
permet de dire que… » Pendant longtemps, l’étiologie du cancer est restée
extérieure au sujet. Comme de nombreuses maladies, le cancer ne pouvait
venir que des conséquences d’une faute commise à l’encontre du groupe. La
vengeance de la victime ou des dieux ne se faisait pas attendre : le coupable
payait dans sa chair. Cette vision simple est retrouvée dans de nombreuses
sociétés, elle a longtemps expliqué les maladies, mais aussi la mort qui
venait toujours de l’extérieur (mauvais sort, envoûtement en réponse à une
malversation, jalousie). Les interprétations scientifiques des maladies imposent l’abandon de ces théories « primitives », cependant, elles ne donnent
plus sens à la maladie. Il y a même absence de sens dans la mutation de l’oncogène, dans la lente transformation des cellules, dans l’envahissement
métastatique, etc. Vouloir persuader un malade du fait qu’il n’y est pour rien
dans son cancer peut engendrer une surdité psychique liée à son besoin
d’attribution causale personnel. Ainsi, en psychologie de la santé, ont été
définies les notions de locus of control interne ou externe en fonction de l’attribution de la cause à l’intérieur ou à l’extérieur de soi. Les patients qui ont
tendance à se sentir responsable des événements qui leur arrivent (placent
leur « lieu de contrôle » à l’intérieur) seront plus autonomes, mais aussi plus
difficiles à guider. Les patients qui sont plus fatalistes accepteront mieux la
régression, mais abandonneront plus facilement la partie.
Cette deuxième étape est souvent cruciale parce que très vite le patient
peut conclure à la maladie grave, cependant, une progressivité doit être
maintenue, tout simplement parce qu’une fois le diagnostic prononcé, le
patient « n’entendra » plus rien. En effet, dans la minute qui suit la révéla-
Les principes de l’annonce d’une maladie grave
13
tion diagnostique, 50 à 60 % des informations seront perdues. À la question
pressante : « C’est un cancer, n’est-ce pas docteur ? », le médecin doit se
garder de répondre par une affirmation trop sèche. Il vaut mieux reprendre
les éléments déjà énoncés par le patient avec lui.
Troisième étape de la consultation d’annonce : ce que peut
entendre le patient
La grande crainte des médecins est maintenant de déclencher une situation
psycho-traumatique. Or, avec la progressivité, le cadre rassurant porteur
d’alliance thérapeutique, les marques de respect qui laissent penser le
patient qu’il peut maîtriser au moins la relation avec son médecin, il n’y a
aucune raison que la façon d’annoncer le cancer soit traumatisante. En
revanche, le fait de se savoir atteint d’un cancer entraîne une proximité
nouvelle avec la mort. Et cela est un choc dans un contexte où la mort est
chassée à grand renfort de déni d’une société focalisée sur l’immédiateté et
la jouissance du temps présent.
Un grand principe de la révélation est l’alternance d’information objective et de questionnement subjectif.
À chaque nouvelle donnée, le médecin doit pouvoir faire preuve d’empathie, puis vérifier la compréhension en demandant au patient comment
il ressent cette information :
« Nous avons fait le tour de ce qui vous paraissait bizarre ces derniers
temps. Vous vous rappelez ?
— Oui, les essoufflements subits, les crachats rougeâtres, les battements de
cœur… Et ce rhume dont je n’arrivais pas à me sortir…
— Qu’en pensiez-vous à l’époque ?
— Je sais pas… Le généraliste m’avait demandé d’arrêter de fumer…
— Vous étiez d’accord ?
— J’avais tellement de problèmes… Manquait plus que le cancer…
— Habituellement, vous faites face aux problèmes ?
— J’aime mieux savoir, docteur…
— Vous avez quelque chose de sérieux… Êtes-vous le genre de personne qui
préfère savoir ? C’est parfois difficile de faire face… »
On voit dans ce fragment que c’est le patient qui a prononcé le mot
« cancer ». Cependant, le médecin ne s’est pas immédiatement faufilé dans
la brèche ouverte car il ne sait pas si le patient est prêt à entendre la
mauvaise nouvelle. Il va donc procéder par warning shot (disent les
Anglais), c’est-à-dire par un avertissement pour vérifier comment le malade
réagit. Si le médecin perçoit une importante détresse émotionnelle, il peut
toujours revenir en arrière et reprendre un à un les symptômes décrits par
14
Annoncer un cancer
le patient. Certains patients signifient clairement : « C’est un cancer, arrêtez,
docteur… » Le médecin réagit alors en signifiant qu’il comprend la difficulté et en rappelant l’alliance thérapeutique : « Je comprends que cette
nouvelle soit difficile à entendre. Dans notre service, nous accompagnons
systématiquement toutes les personnes qui le souhaitent. Comme je suis
votre médecin référent, nous pouvons nous voir tel jour, nous pouvons
reparler de tout cela ensemble, vous pouvez venir avec un proche… »
Des signes de détresse émotionnelle peuvent aussi se manifester. Le
silence, qui est une pause dans l’échange, n’est pas forcément mortifère. Au
contraire, il permet l’expression d’affects chez le malade. Des larmes
peuvent jaillir, parfois un écroulement. C’est un signe de détresse, mais c’est
aussi un signe de confiance. Le médecin peut revenir à des questions plus
existentielles : « Avez-vous connu d’autres épreuves dans votre vie,
auxquelles vous avez déjà fait face ? »
La révélation d’un cancer peut réactiver d’autres événements dans
lesquels la perte (la mort) est présente. Il ne s’agit pas tant de deuils non
résolus que d’épisodes dépressifs latents. Les risques de dépression sont très
importants lors de la révélation, du fait de la rupture d’équilibre psychique.
Des patients fragiles, ou qui ignorent leurs antécédents dépressifs, peuvent
plonger dans une culpabilité, une dévalorisation de soi, une péjoration de
l’existence qui les amènent à renoncer à se soigner ou à limiter l’adhésion
aux soins. Le patient déprimé aura besoin d’une aide particulière et une
psychothérapie de soutien proposée par un psychologue ou un psychiatre
permettra au patient d’entamer ses traitements tout en bénéficiant d’un
soin psychique approfondi.
Quatrième étape de la consultation d’annonce : partager
l’information et révéler le cancer
Si le patient a indiqué qu’il souhaite aller plus loin, le médecin va maintenant pouvoir donner un diagnostic. Parfois subsiste un manque de précision lié à l’absence de résultats d’une biopsie, IRM, analyse génétique.
Cependant, le mécanisme de la maladie, s’il est connu, peut être expliqué
simplement, dans un style narratif, en évitant les mots trop durs ou trop
techniques qui ajoutent de l’angoisse et de la distance avec le médecin.
Chaque phase d’information, suivie d’un résumé, doit être séparée de la
prochaine par un moment d’empathie. Pour Fogarty et al. (13), quarante
secondes de compassion permettent de réchauffer l’atmosphère et réduisent
l’anxiété du patient. Il ne s’agit évidemment pas de « mesurer » une quelconque marque d’empathie, mais de savoir que le signe de compréhension
réitérée est un élément indispensable à cette consultation.
Les principes de l’annonce d’une maladie grave
15
« Et si le patient sent mauvais ? Et s’il me rappelle une personne très
désagréable ? »
L’empathie professionnelle fait partie de l’éthique des métiers dans
lesquels la relation est omniprésente. Le sujet doit composer avec ses
propres projections. La prise de conscience de ces éléments transférentiels
(toute relation est comparée inconsciemment aux relations primitives avec
ses premiers objets d’amour), permet aux médecins d’exercer une empathie
professionnelle relativisée, sans risque de « brûlure » par identification
(burn out).
L’empathie permet aussi de comprendre le fonctionnement psychique
du patient, ses défenses, leur aménagement. Elle permet de véritablement
établir le lien qui dessinera par la suite les relations autour du cancer.
Cinquième étape de la consultation d’annonce: permettre
l’expression des réactions affectives du patient
Il ne s’agit pas à proprement parler d’une étape, puisque ces réactions affectives doivent pouvoir s’exprimer pendant toute la consultation. Cependant,
les patients sont souvent tendus vers un but et répriment toute réaction.
C’est pourquoi les pauses, les silences, les moments d’empathie où médecin
et patient se regardent dans les yeux, sont si importants.
Il est parfois possible d’explorer, avec la permission du patient, ses
émotions nouvelles. Pour cela, le lien avec ce qui précède est évident :
« Nous venons de passer une vingtaine de minutes à faire connaissance et à
essayer de comprendre ce qui vous arrive. Comment vous sentez-vous
maintenant ? », ou bien : « Pouvez-vous me parler de ce qui vous préoccupe
le plus », ou encore : « Qu’est-ce qui vous paraît le plus difficile en ce
moment ? »
Accueillir les réactions du malade fait partie du rôle du médecin qui se
gardera de la « réassurance prématurée » qui a tendance à, de nouveau,
bloquer le patient.
Nous avons donné (14) un exemple de cette réassurance qui montre un
médecin qui n’écoute pas mais essaie uniquement de se rassurer lui-même
en répétant les modalités thérapeutiques :
« Docteur, j’ai peur, je crois que je vais mourir. Ce sont surtout mes
enfants, comment vais-je leur dire ?
— Mais vous n’allez pas du tout mourir ! Qu’est-ce que vous me chantez
là ! Regardez, nous n’avons pas parcouru la moitié du chemin. La
première ligne de chimio n’a pas marché. Heureusement, nous avons
encore la radiothérapie, puis nous compléterons par une autre chimio,
vous verrez…
16
Annoncer un cancer
— Je n’en peux plus, mes enfants s’inquiètent, je devrais peut-être arrêter…
— Dans votre type de cancer, on voit souvent des non-réponses, mais dans
les dernières études, l’ajout du 5-FU a donné de bons résultats.
— Ma fille a arrêté de travailler pour moi, ma femme est épuisée. Je me sens
vraiment coupable de tout ce qui arrive…
— Ne vous inquiétez pas, j’ai déjà prévenu l’hospitalisation à domicile,
voulez-vous qu’ils viennent à la maison pour faire l’évaluation du projet
de traitement ? »
Dans cet extrait, il est clair que l’échange n’existe pas et que, malgré les
multiples appels à l’aide du patient, le médecin ne donne que des réponses
médicales qui semblent inopérantes par rapport aux demandes du patient.
On ne serait donc pas étonné de voir ce patient abandonner ses traitements
devant la culpabilité éprouvée face aux effets de sa maladie sur sa famille (15).
Il est également possible que le médecin ait peur de mourir et que, contaminé
par l’angoisse du patient, il l’empêche littéralement de s’exprimer. La fuite en
avant de certains médecins et soignants dans les conseils, les services, les
preuves, entraîne la fermeture des patients qui renoncent à donner leur avis
ou à questionner. La surprise des soignants ou médecins qui assènent : « Mais
pourtant, on lui avait bien dit », ou encore : « Il n’a pas compris ! » montre
souvent une absence d’écoute des difficultés du patient. Bien des passages à
l’acte des malades pourraient être évités, bien des prescriptions de psychotropes limitées si les échanges affectifs avec les patients étaient tolérés. Certes,
ces échanges affectifs sont coûteux en temps et en énergie, cependant, le
travail sur soi ou en groupe permet « d’ensemencer » ces investissements pour
produire des résultats pérennes.
Enfin, la qualité des échanges affectifs avec les malades est souvent le
« sel » de la fonction soignante. Bien plus que les traditionnelles anecdotes
(parfois qualifiées de façon machiste d’« histoires de chasse »), les relations,
toutes exceptionnelles, tissées avec les patients, enrichissent les soignants et
les transforment. Le cancer ne restera pas qu’une expérience détestable, mais
donnera des qualités uniques au médecin et à la personne tout entière. Car
n’oublions jamais que l’éthique professionnelle repose sur l’éthique personnelle. La révélation diagnostique est l’une de ces expériences humanisantes
qui singularise et relie les professionnels de la relation clinique (médecins,
soignants, psy, mais aussi pédagogues, avocats, travailleurs sociaux)…
Les principes de l’annonce d’une maladie grave
17
Sixième étape de la consultation d’annonce: résumé de la
situation et prémisses du suivi
Le médecin est ici attendu comme professionnel. Il connaît la maladie et est
recherché pour ses compétences. La compréhension du patient va permettre
au médecin d’adapter au mieux les traitements et surtout d’évaluer
comment il va supporter les conséquences psychiques et somatiques de ces
traitements.
Le résumé de la consultation doit s’arrêter sur une question : « Avez-vous
de nouvelles interrogations ? » La récente élaboration du discours médical
a créé une vision différente de son état par le malade. Le patient revêt maintenant une nouvelle identité et il se perçoit dorénavant comme changé. Avec
l’aide du médecin, le malade va apprendre à naviguer dans un autre univers.
Il n’est pas seul, par ailleurs, et le médecin n’a pas non plus une aura de
toute-puissance. Y perd-on en termes d’effet placebo ? On y gagne au
contraire en termes de connaissance de groupe, puisque c’est toute une
microsociété qui se fait présenter à lui. L’hospitalisation ne doit plus se
solder par une déshumanisation, mais par une rencontre sociale dans
laquelle des repères précis ont été pris. C’est l’objet de la consultation d’annonce et du suivi par le médecin référent.
Le travail en équipe est très rassurant en effet, mais ne doit pas apparaître
comme un substitut de la relation médicale. L’infirmière d’annonce, en
particulier, peut être présentée comme une autre relation privilégiée, une
personne qui connaît bien les traitements, leurs effets, les méthodes auxiliaires pour les supporter, les éléments pratiques (nutrition, perruques, sites
Internet), mais aussi qui donne les petits soins indispensables aux « grands
traitements ». Le psychologue est un spécialiste de la relation, mais c’est
aussi quelqu’un à qui l’on peut faire part d’une intimité psychique fluctuante, sans jugement et sans incidence sur la nature de ses traitements.
L’alliance thérapeutique avec le médecin peut être élargie à une alliance
avec le groupe des soignants. Celle-ci peut à son tour être élargie à la famille
du malade, lors d’une présentation groupale (malheureusement souvent
négligée, cette insertion discrète de la famille dans le service hospitalier est
un atout pourtant indispensable en cas d’aggravation du cancer). La prise
de connaissance de la famille peut débuter par une dernière phase de la
consultation très intéressante. Le médecin va faciliter le retour du patient
dans sa famille en lui demandant comment il va, à son tour, annoncer la
nouvelle à ses proches. Cette question facilitera le travail d’intégration du
malade qui va devoir échafauder une stratégie de révélation. C’est souvent
lors de ce dernier échange que le médecin peut montrer la difficulté de l’annonce, permettre un peu d’identification du côté du malade et, pourquoi
18
Annoncer un cancer
pas, aider le patient s’il le demande. En reformulant à sa famille l’élaboration diagnostique, le patient se soumet à un travail psychique d’intégration
de sa maladie. La mentalisation de son diagnostic correspondra progressivement à la combinaison des représentations fantasmatiques et objectives
du cancer aux affects déclenchés par cette révélation. Dans ces conditions,
le malade aura de son côté les moyens de ne pas vivre ce diagnostic comme
un traumatisme, d’être le plus autonome et libre face à la question du soin,
de développer de nouvelles relations avec les intervenants soignants, de tirer
une forme de sagesse du phénomène-cancer.
Les principes de l’annonce d’une maladie grave
19
Les six étapes de la révélation diagnostique d’un cancer
Avant l’annonce : la préparation
Qui est le patient ? Quel a été son parcours avant la consultation ?
Vient-il avec des proches ? Comment lui réserver un espace d’intimité psychique ?
Comment apparaît la relation médecin-malade?
Que ressent le médecin ? Quels éléments latents apparaissent au médecin
derrière ce patient ?
Poser le cadre de la relation afin de stabiliser la situation et préparer l’alliance
thérapeutique.
Que sait le patient ?
Le patient narre son histoire de la maladie. Grâce à son écoute active, le médecin
peut saisir certaines représentations de la maladie, de la santé, des traitements,
de la mort…
Que sait le patient de façon plus ou moins logique ou intuitive de sa maladie ?
Que pense-t-il de sa maladie ?
Que peut entendre le patient ?
Procéder pas à pas.
Faire une tentative, mais ne pas hésiter à différer l’annonce si le patient présente
des défenses évidentes.
Employer peu de vocabulaire technique et médical, mais reprendre la description du patient pour y mettre du sens.
Partager l’information et révéler le nom courant de la maladie
Après chaque série informative, résumer.
Alterner information objective et relation subjective empathique pour humaniser la révélation.
Utiliser un langage de tous les jours, clair et simple.
Vérifier que l’information est bien entendue en demandant au patient ce qu’il a
compris.
Ne pas évacuer les réactions extrêmes, chocs ou réactions dépressives. Les
évaluer en demandant comment le patient fait face habituellement.
Permettre les réactions affectives du patient
Cette préoccupation doit être constante pendant toute la consultation.
Identifier les réactions du patient, les verbaliser au besoin et exprimer son empathie professionnelle.
Établir l’alliance thérapeutique et l’élargir à l’équipe hospitalière.
Bien connaître les autres intervenants du service et les présenter de façon non
ambiguë.
Signaler les spécialistes de l’aide et leur éthique professionnelle.
Résumer la situation et préparer le suivi thérapeutique
Le résumé de la consultation débouche sur des questions ouvertes : qu’en
pensez-vous ? Que comprenez-vous ? Comment ressentez-vous les choses ?
Faciliter l’annonce à la famille : comment allez-vous annoncer les choses à vos
proches ?
Réitérer l’alliance thérapeutique et le contrat de non abandon.
20
Annoncer un cancer
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www.sparadrap.org
www.balint-smb-france.org
L’annonce d’une hémopathie maligne,
les « syndromes myélodysplasiques ». Du dispositif
d’annonce au vécu des patients
C. Besson, S. Rannou, F. Tresvaux du Fraval, P. Festy et A. Leplège
Le dispositif d’annonce d’un cancer
Le dispositif d’annonce est une réponse institutionnelle face à des revendications de patients et de proches qui protestaient contre des annonces du
diagnostic parfois menées sans ménagement, vécues comme un « coup de
bambou », faites à la sauvette parfois « dans l’escalier » et pouvant être
suivies d‘un sentiment d’isolement. Les patients auraient « aimé converser
avec quelqu’un dans les jours qui suivent ». La prise en compte de ces revendications a conduit notamment à l’élaboration du dispositif d’annonce.
Le processus de création du dispositif d’annonce s’est déroulé entre 1998
et 2006. En 1998, les premiers États généraux français des malades atteints
du cancer et de leurs proches ont souligné l’importance d’une consultation
d’ancrage entre le patient et son cancérologue pour établir cette relation
dans la confiance, la durée et le respect. En 2000, les seconds États généraux
ont insisté sur la nécessité de transmettre le plus clairement et le plus
honnêtement les informations essentielles au patient pour la compréhension de sa maladie, les traitements possibles avec leur bénéfice attendu et
leurs éventuels effets secondaires, et d’articuler cette consultation avec une
possibilité de prise en charge psycho-oncologique, sociale. Par la suite, la loi
du 4 mars 2002 a garanti à « toute personne le droit d’être informée sur son
état de santé… et d’avoir accès à l’ensemble des informations la concernant ». En mars 2003, le premier Plan Cancer a vu le jour. Il comportait
70 mesures portant sur 6 thématiques : la Prévention, le Dépistage, le Soin,
l’Accompagnement social, les Professionnels et la Recherche. En ce qui
concerne le Soin, trois, dont la Mesure 40 sur l’annonce, visent à « donner
l’accès à l’information pour que les patients qui le souhaitent puissent être
acteurs de leur combat contre la maladie ». Fin 2003, le ministère de la
Santé, la Mission interministérielle de lutte contre le cancer, la Ligue natio-
22
Annoncer un cancer
nale contre le cancer et Réseau de malades se sont réunis pour l’établissement d’un « cahier des charges » pour l’annonce d‘un cancer. Les premières
expérimentations ont eu lieu en 2004 et 2005. Celles-ci ont inspiré la circulaire de 2006, toujours en vigueur, dans laquelle le dispositif d’annonce
prévoit quatre temps :
– un premier temps d’annonce dite médicale qui peut se dérouler sur
plusieurs consultations. C’est également le moment où une stratégie
thérapeutique est proposée au patient afin de lui permettre de participer
aux choix importants qui concernent sa santé,
– un deuxième temps d’accompagnement soignant afin de le soutenir,
d’aider les patients à comprendre leur maladie et les orienter, si besoin est,
vers les services de support pouvant leur être utiles (service social, psychologue, association),
– un troisième temps d’accès à une équipe impliquée dans les soins de
support et présente dans le centre de soin du patient (psychologie, assistance sociale, kinésithérapie…), qui peut découler du second temps,
– un quatrième et dernier temps d’articulation avec le médecin de ville
permet de tenir informé ce dernier de l’évolution de la maladie de son
patient tout au long du traitement.
Enfin, ce dispositif précise la nécessité d’une Réunion de Concertation
pluridisciplinaire (RCP) afin de déterminer le traitement et de proposer un
Programme personnalisé de Soin (PPS) au malade, prévu par la mesure 31.
Le dispositif d’annonce représente donc une nouvelle structuration des
relations soignants/malade. Cependant, ce dispositif d’annonce conçu
initialement pour les patientes atteintes de cancer du sein n’est peut-être pas
généralisable à tous les cancers et à la diversité des patients atteints.
Pour contribuer à l’évaluation du dispositif d’annonce, un projet de
recherche, devant durer 3 ans, soutenu par l’Institut national du cancer
(Inca) et la Ligue Contre le Cancer, a été engagé en 2006. Son but est d’évaluer le retentissement du dispositif d’annonce sur la qualité de vie des
patients atteints de cancer. Il a comporté une phase d’observation des
pratiques, menée par des psychologues enquêtrices et un sociologue. Une
deuxième phase est consacrée à l’évaluation de l’impact du dispositif d’annonce sur la qualité de vie. Enfin, un temps de questionnement éthique
autour des modalités d’annonce du cancer et de la mise en œuvre de ce
dispositif était entrepris au sein d’établissements volontaires. Des études
ancillaires sur les enjeux professionnels de la mise en place du dispositif
d’annonce et sur les mots utilisés dans le cadre de l’annonce du diagnostic
des hémopathies ont également été entreprises. Dans ce chapitre, nous
rendons compte de l’étude qui a été réalisée sur les mots utilisés pour
annoncer le diagnostic de myélodysplasie.
L’annonce d’une hémopathie maligne, les « syndromes myélodysplasiques »…
23
L’enquête sur le vécu de l’annonce d’un syndrome
myélodysplasique
Au cours de la phase descriptive de ce projet de recherche, il est apparu que
le mot « cancer » n’était pas systématiquement employé lors de l’annonce
du diagnostic de certaines hémopathies malignes chroniques.
Pour connaître les conditions et le vécu de l’annonce de la maladie dans
le cas d’une hémopathie maligne, nous avons adressé un questionnaire aux
adhérents de l’association Connaître et Combattre les Myélodysplasies.
L’envoi et le retour d’un questionnaire à réponses ouvertes de quatre pages
ont eu lieu entre novembre 2009 et janvier 2010. L’association comptait
alors 150 membres. Nous avons recueilli 73 questionnaires exploitables, soit
un taux de réponse de l’ordre de la moitié. Cette phase avait été précédée
d’un test au cours duquel dix personnes avaient rempli une première
version du questionnaire et huit d’entre elles avaient eu un entretien téléphonique avec une psychologue-enquêtrice pour détailler avec elle leurs
réponses et proposer des aménagements du questionnaire. Le questionnaire
final (en annexe) comporte des questions ouvertes et d’autres à cocher.
Enfin, pour préciser le sens de certaines réponses écrites ambiguës, quelques
patients qui avaient préalablement donné leur accord dans le questionnaire,
ont été interrogés par téléphone.
Il peut être utile de dire quelques mots de la maladie pour éclairer ce que
peut représenter son annonce au détour d’une consultation médicale.
Quand on leur énonce le diagnostic d’une myélodysplasie, les patients
entrent tout d’un coup dans un monde inconnu où il y a bien des raisons
de se sentir « un peu perdu » : entre autres, le fait que ces maladies n’aient
été isolées et définies que récemment et que le nombre de personnes concernées est limité. Les syndromes myélodysplasiques font partie de la classification des hémopathies malignes chroniques. C’est seulement en 1982 que
les médecins français, américains et britanniques se sont mis d’accord sur
une classification claire des syndromes myélodysplasiques et ont doté ceuxci d’une terminologie spécifique qui remplaçait des formulations comme
« état préleucémique » ou « leucémie subaiguë ou atypique », évidemment
plus vagues et imprécises mais qui renvoyaient les profanes à des notions
possiblement plus familières. Ces syndromes sont caractérisés par la
présence d’anomalies qualitatives et parfois quantitatives des précurseurs
des éléments du sang. Cette maladie est chronique et son évolution peut être
très indolente, ne nécessitant pas ou peu de traitement. Elle peut aussi être
marquée par une évolution en leucémie aiguë (caractérisée par une
augmentation du pourcentage de cellules « blastiques »), nécessitant des
traitements par chimiothérapie, voire une transplantation de moelle osseuse
24
Annoncer un cancer
ou de cellules souches. Cette maladie est le plus souvent peu visible sur
chacun des patients atteints. Le symptôme le plus communément partagé
est une fatigue liée le plus souvent à une anémie et, même si cette anémie
peut s’accompagner de pâleur, de nombreux patients expriment l’incompréhension dont ils se sentent l’objet de la part des personnes à qui ils
parlent de leur état. Sans parler évidemment des complications comme les
hémorragies liées au manque de plaquettes (thrombopénie) ou la fragilité
face aux infections consécutives à la neutropénie. Les sensations qui accompagnent l’entrée dans le monde inconnu de la maladie sont difficiles à faire
partager.
L’hermétisme du terme « syndromes myélodysplasiques » se conjugue à
la relative rareté de la pathologie. En Europe, on parle de maladie rare
quand elle affecte moins de cinq habitants sur dix mille, soit en France
moins de 30 000 personnes. Or, on estime qu’environ 11 000 personnes sont
atteintes d’un syndrome myélodysplasique, soit à peine 2 pour 10 000 habitants. (Cela signifie qu’il y a une vingtaine de personnes atteintes de la
maladie dans une ville de 100 000 habitants, comme Nancy ou Rouen.) Les
adhérents de l’association constituent moins de 2 % des patients atteints de
myélodysplasie. Ils ne sauraient prétendre en être représentatifs. Cependant,
quelques caractéristiques des répondants reproduisent certains traits essentiels de la population des malades. Par exemple, un peu moins de 6 sur 10
sont des hommes, alors que le registre de plus de 2 000 malades du Groupe
francophone des myélodysplasies (GFM) compte à ce jour 57 hommes pour
43 femmes. L’âge moyen des répondants est de 70 ans, la plus jeune ayant
37 ans et le plus âgé 92. Ce sont des ordres de grandeur aisément compatibles avec la plupart des observations, où environ la moitié des diagnostiqués ont 70 ans (âge médian). Il existe certes des cas pédiatriques, mais ils
sont très peu nombreux (moins de 2 pour un million d’enfants). Dans le
vocabulaire courant, qui choque souvent les patients lors de l’annonce, c’est
« une maladie de vieux ».
En liaison directe avec leur âge, près de 9 répondants sur 10 n’ont pas
d’activité professionnelle (essentiellement des retraités) et les trois quarts
vivent en couple (essentiellement des gens mariés).
L’ancienneté du diagnostic peut aller jusqu’à une quinzaine d’années, ce
qui s’accorde bien avec le fait que des patients peuvent vivre un bon nombre
d’années avec leur maladie si celle-ci est de risque modéré. Cela implique
aussi que l’annonce du diagnostic dont rendent compte les répondants peut
être éloignée dans le passé et on peut supposer que le temps (et la survie)
en a adouci l’éventuelle acuité.
L’annonce d’une hémopathie maligne, les « syndromes myélodysplasiques »…
25
Enfin, une enquête en 2008 auprès des adhérents nous avait suggéré que
les myélodysplasies de divers degrés de sévérité étaient bien représentées au
sein des répondants : le pourcentage de blastes de leur moelle osseuse, que
les enquêtés étaient capables de se remémorer et de citer, reproduisait une
distribution proche de celle indiquée par le registre du GFM.
À défaut de représentativité au sens statistique du terme, on peut sans
doute parler de ressemblance des répondants de l’enquête avec l’ensemble
des patients atteints de myélodysplasie. On fera néanmoins une réserve : les
adhérents de l’association ont fait la démarche de rejoindre celle-ci, sans
doute parce qu’ils étaient plus préoccupés que la moyenne par leur état de
santé. On doit s’attendre de leur part à une vigilance et un désir de connaissance peut-être plus importants. Le recrutement des patients par l’intermédiaire de l’association peut donc constituer un biais de sélection, nos
résultats pourraient être confortés à ceux obtenus auprès d’une population
de patients recrutés par exemple à l’hôpital.
L’annonce ressentie par les patients
Lorsqu’un médecin (plus de 9 fois sur 10 un hématologue à l’hôpital) leur
a annoncé le diagnostic, les patients ont pu réagir différemment, en fonction des circonstances, mais aussi sans doute des personnalités des uns et
des autres, patients comme médecins. Dans l’enquête, le déroulement de
l’annonce et la façon dont celle-ci a été perçue font l’objet de deux questions ouvertes consécutives : quels mots ont été utilisés pour parler de votre
maladie ? Comment avez-vous ressenti les mots utilisés ?
Dans des entretiens approfondis que nous avions eus avec huit patients
avant l’enquête auprès de l’ensemble des adhérents, il était apparu que la
classification la plus convaincante était celle qui se faisait autour du ressenti.
Dans l’enquête auprès des adhérents, les propos de chacun sont moins
détaillés, mais nous avons davantage de récits et, en fin de compte, des situations dont nous percevons mieux l’étendue de la diversité. Elles sont groupées autour de deux pôles. Les uns font preuve de neutralité et parfois
même de sérénité, recevant l’information sur leur état de santé sans grande
émotion. D’autres, au contraire, sont bouleversés ou désarçonnés par cette
information, deux réactions voisines mais distinctes, la première marquée
par la violence subie lors de l’annonce, la seconde par l’incompréhension
ressentie. S’y ajoutent des sentiments moins forts mais aussi négatifs, la
maladie se caractérisant par sa gravité.
26
Annoncer un cancer
Un sentiment de neutralité, voire de sérénité
Dans l’enquête auprès des adhérents, 22 réponses traduisent un sentiment
plutôt positif parmi les 53 qui nous ont fourni suffisamment d’éléments
pour caractériser le ressenti de l’enquêté (4 personnes sur 10). Les mots
pour exprimer ce sentiment ne sont pas tous porteurs de la même intensité.
Pour les uns, l’expression est positive ; pour d’autres, elle adopte un mode
neutre et évite d’être négative.
Une terminologie positive
Des termes positifs sont utilisés par 15 enquêtés pour décrire leur ressenti.
Ce sont généralement des termes qui s’attachent à leur réaction de patient,
mais ils qualifient parfois le médecin ou les mots de celui-ci. Par exemple,
l’enquêté se dit « rassuré », il parle de sa « confiance », de son « espoir ». Ou
simplement, il a ressenti les mots du médecin « bien », voire « très bien ».
Quant au médecin, « il a été formidable », il a parlé « dans le calme et la
sérénité », il a donné des « explications claires », il a été franc.
Le plus souvent, un seul des deux registres est mobilisé, celui du patient
ou celui du médecin, mais dans quelques cas, le lien entre les deux est clairement indiqué : « j’ai bien pris la façon franche » ou « les mots utilisés,
prononcés par le médecin dans le calme et la sérénité m’ont rassuré et
donné confiance immédiatement ».
Une terminologie neutre, recourant parfois à la litote
Dans un nombre de questionnaires plus faible que précédemment (7 au lieu
de 15), les termes employés pour caractériser le ressenti des enquêtés ne
sont plus positifs mais neutres, tout en conservant à la réaction un caractère
de sérénité. Cette expression peut passer par l’usage de la litote, qui consiste
à écarter une attitude négative éventuellement pour sous-entendre quelque
chose de positif.
Il s’agit dans tous les cas du patient lui-même, jamais du médecin ni de
la relation à celui-ci. Exemples : « je ne me suis pas alarmée », « je ne me
suis pas affolée », « je n’ai donc pas été vraiment choqué ou perturbé ». Ou
encore plus neutre : « fataliste », « on verra bien ! »
L’annonce d’une hémopathie maligne, les « syndromes myélodysplasiques »…
27
L’annonce d’une maladie grave, voire fatale
Les réactions négatives sont majoritaires (6 cas sur 10) et, bien que l’expression écrite soit concise et inévitablement sobre, la palette des sentiments
est large : elle va de l’annonce de la mort à celle d’une maladie grave. Dans
des situations intermédiaires, des enquêtés expriment moins les degrés de la
violence subie que leur propre sentiment d’incompréhension ou d’incrédulité. Nous y avons joint les cas de sentiments mélangés, où les réactions
prennent des directions variées, majoritairement négatives, témoignant
parfois d’une confusion des sentiments.
Les degrés de la violence
À cinq reprises, les sentiments suscités par l’annonce de la maladie évoquent
la mort. Mais dans aucun cas, le mot n’est écrit (il avait été employé dans
les entretiens oraux). Les enquêtés préfèrent parler d’une « issue fatale
proche », du « commencement de la fin », d’un « avenir très court », d’une
« menace grave de la fonction vitale » ou de la phase « finale de ma vie
terrestre ».
Pour six enquêtés, l’annonce de la maladie est un choc, sans qu’elle
évoque la mort pour autant. Un enquêté dit même : « c’est un choc, le moral
chancelle mais l’issue ne semble pas fatale », comme un écho aux propos du
médecin qui lui avait dit que le pronostic vital n’était pas engagé. Pour les
autres, c’est « un choc psychologique et émotionnel », « un coup de masse
sur la tête ». Deux patients se disent « abasourdis », dont un explicite :
« Aucun souvenir de la façon dont je suis rentrée chez moi. »
Dans cinq questionnaires, l’enquêté constate sobrement qu’il est atteint
d’une « maladie grave ». Comme précédemment pour la sérénité, l’expression peut prendre la forme d’une litote : « Quand on vous annonce cela,
vous ne pouvez pas être bien. »
Incrédulité ou confusion des sentiments
Pour dix enquêtés, l’incompréhension est la réaction dominante, qui s’exprime sous forme de méconnaissance ou d’incrédulité, de surprise. Les
enquêtés donnent l’impression de regarder la maladie comme une curiosité
extérieure à eux-mêmes. L’un dit : « je pensais qu’il s’agissait d’une autre
personne dont il était question », un autre : « d’abord incompréhension,
puis j’ai essayé d’intégrer cette pathologie ». D’où une réaction qui diffère
28
Annoncer un cancer
d’un patient à l’autre : neutre « ne sachant pas exactement ce que j’avais
comme maladie et étant ignorant de ce que je pouvais avoir, j’étais indifférent », négative : « froid, je n’ai pas compris la maladie », « je connaissais
mal cette maladie et en ai eu aussitôt une impression très péjorative », ou
décidée : « c’est pourquoi je me suis adressé au docteur X à l’hôpital Y ».
Cinq enquêtés font état de réactions diverses pour caractériser leurs
sentiments. Pour trois d’entre eux, cette complexité est aussi celle du
diagnostic, qui a été donnée par plusieurs médecins, en plusieurs temps. Par
exemple : « J’ai pas pris cette maladie très au sérieux, c’est le docteur X
(consulté en second) qui a dû me mettre sur le bon chemin et savoir qu’il
s’agissait d’une maladie grave. » Dans le cas le plus emblématique, la palette
est large : — rassurée : « la maladie avait un nom donc était connue : ce
n’était pas une dépression » — désemparée : « maladie grave, je repartais
avec un rendez-vous pour dans 6 mois d’où sentiment d’incompréhension,
d’abandon » — colère : « on nous rabat les oreilles avec le dépistage du
cancer et dans ce cas, il y a une absence de projet thérapeutique » — incrédulité : « inconcevable d’avoir la leucémie aiguë myéloblastique en ligne de
mire pour espérer un traitement ».
Facteurs associés aux différences de ressenti
L’âge ne fait guère de différence. Il y a des jeunes et des moins jeunes dans
des proportions voisines chez ceux qui réagissent positivement ou négativement : un quart des patients ont moins de 65 ans, un quart plus de 75 et
l’âge médian est de 70 ans. L’ancienneté du diagnostic est plus discriminante. Les réactions les plus pessimistes, où l’annonce a été vécue comme
un choc, correspondent plus fréquemment que les autres à des maladies
récentes : une fois sur deux, le diagnostic vient d’être posé en 2008 ou 2009.
Ceux qui ont mieux vécu leur annonce n’ont été diagnostiqués aussi récemment qu’une fois sur quatre (deux fois moins souvent). Sans doute l’écoulement du temps estompe-t-il le souvenir des sensations les plus pénibles.
Les hommes et les femmes sont inégalement sereins face à l’annonce,
choqués ou frappés d’incompréhension. Les hommes sont nettement plus
nombreux que les femmes à faire preuve d’optimisme (7 hommes pour
3 femmes). À l’inverse, les femmes sont prépondérantes dans les groupes
qui témoignent de sentiments négatifs ou de surprise (6 femmes pour
4 hommes dans chaque). On peut peut-être y voir un effet du genre
(hommes-femmes). C’est une constante des enquêtes sur la santé que les
femmes ressentent plus négativement leurs maladies ou leurs handicaps que
les hommes, bien qu’elles aient une espérance de vie plus favorable qu’eux.
L’annonce d’une hémopathie maligne, les « syndromes myélodysplasiques »…
29
L’annonce souhaitée par les patients
Quand on interroge les patients sur leur conception de l’annonce de la
maladie, telle qu’elle devrait être pratiquée par les équipes soignantes, un
point fait la quasi-unanimité : la nécessité d’être bien informé. La question
était la suivante : « Vous semble-t-il important que le médecin donne à son
patient les informations principales concernant son état de santé, même si
elles sont pénibles à entendre ? » Les réponses sont positives pour plus de
9 patients sur 10 (9,5/10). Ce désir d’information est d’autant plus remarquable que la question faisait explicitement valoir que la vérité peut être
parfois dure à recevoir.
D’ailleurs, une autre question suggérait que le médecin doit « s’adapte(r)
à ce que son patient est capable d’entendre. » Cette proposition recueille,
elle aussi, une majorité d’approbations (les trois quarts des enquêtés), ce qui
nuance la réponse précédente. Mais une minorité substantielle (le quart des
patients) émet des réserves sur le « devoir d’adaptation » du médecin à la
personnalité du malade.
Ce que confirme encore la question suivante : convient-il « que le
médecin soit d’abord rassurant, même si cela l’amène à ne pas donner
certaines informations ? » Les réponses sont, cette fois, également partagées
entre approbation (la moitié des cas) et réserves (l’autre moitié). Comme à
la première question, l’attention de l’enquêté était attirée sur le fait que l’information donnée par le médecin et la réaction présumée du patient
peuvent être liées. Ici, ménager le malade peut conduire à ne pas tout lui
dire.
Ainsi, les enquêtés dessinent pour le praticien une voie étroite qui
combine les nécessités de l’information médicale avec des qualités humaines
de compréhension et de communication. À peu près tous les enquêtés
demandent à recevoir les informations principales concernant leur état de
santé, mais au-delà les avis divergent. Un patient sur deux souhaite aussi
une adaptation du propos médical à ce que le patient peut entendre et
même certains espèrent de la part du médecin une attitude rassurante, ce
qui peut éventuellement contredire le désir d’information. L’autre moitié,
plus radicale, souhaite que le médecin s’en tienne à « l’information, rien que
l’information », quitte à ce qu’elle soit adaptée à ce que le malade peut
entendre.
Ceux qui ont vécu l’annonce de leur maladie sereinement n’ont pas de
souhaits différents de ceux qui ont eu une expérience plus traumatisante,
mais il apparaît parfois d’importantes différences entre le ressenti de l’annonce vécue et les souhaits exprimés par les mêmes répondants.
30
Annoncer un cancer
Les patients qui ont ressenti l’annonce de leur maladie de façon positive
ou neutre jugent l’annonce qu’ils ont vécue conforme à leurs désirs. Alors
que ceux qui ont mal ressenti cet épisode estiment que leur médecin a
manqué à la fois de leur donner les informations principales sur leur
maladie, de s’adapter à ce qu’ils pouvaient entendre et de les rassurer. Le
déficit le plus sérieux est celui qu’ils ont ressenti en matière d’information :
tous souhaitent la recevoir, mais seulement la moitié d’entre eux estiment
l’avoir effectivement reçue.
L’écart du souhaité au vécu par les patients lors de l’annonce de leur
myélodysplasie, selon leur ressenti de l’annonce :
Lorsque les patients ont
eu un ressenti positif de
l’annonce
Lorsque les patients ont eu
un ressenti négatif de
l’annonce
Que le médecin…
Ils auraient
souhaité
Ils ont vécu
Ils auraient
souhaité
Ils ont vécu
… donne les informations
9/10
8/10
10/10
5/10
… s’adapte
8/10
8/10
7/10
5/10
… soit rassurant
5/10
6/10
5/10
4/10
Enquête auprès des adhérents de CCM fin 2009, 73 répondants, dont 4/10 avec un ressenti positif,
6/10 négatif.
Sans négliger leur exigence d’humanité de la part de leur médecin, les
patients mettent avant tout l’accent sur leur besoin impérieux de savoir.
Les mots employés et souhaités pour définir leur
maladie
Comment les patients définissent leur maladie
Lorsqu’on les questionne sur la définition qu’ils pourraient donner de leur
maladie, les patients offrent des éléments de réponses très variés, tant sur la
forme (caractère laconique ou plutôt étayé) que sur le fond. Cette diversité
témoigne à notre sens de la nécessaire reprise et élaboration psychique indi-
L’annonce d’une hémopathie maligne, les « syndromes myélodysplasiques »…
31
viduelle de cet événement qu’est l’irruption de la maladie dans la vie du
patient, au regard de son histoire et de sa structuration. Nous pouvons
néanmoins tenter d’ordonner ces réponses en différents groupes.
Un certain nombre de patients donnent une définition assez générale et
descriptive de la maladie, utilisant pour cela un vocabulaire médical : « un
syndrome qui affecte la moelle osseuse… » ; « une dégénérescence de la
moelle osseuse qui me donne une formule sanguine perturbée voisine de
celle des leucémiques » ; « maladie de la moelle osseuse, maladie chronique
pouvant prendre des formes diverses selon que l’on soit atteint d’insuffisance de globules rouges, blancs, de plaquettes ou d’une combinaison d’insuffisances ! »
D’autres enquêtés donnent une définition plus personnelle de leur
maladie, portant l’accent sur les conséquences de celle-ci sur leur forme et
leur quotidien. Par exemple, la fatigue et la diminution des capacités sont
fréquemment évoquées, dévoilant parfois l’atteinte narcissique de la
maladie : « maladie diminuant beaucoup les capacités physiques, limitant
considérablement les activités dont certaines doivent être abandonnées » ;
« épuisante, énervante » ; « maladie invalidante, fatigante due à l’anémie » ;
« un handicap permanent » ; « elle rend vieux avant l’âge par perte d’énergie, de force, par la fatigue ». L’angoisse suscitée par la maladie suinte d’un
certain nombre de définitions : « stressante et angoissante… » ; « une épée
de Damoclès qui, pour l’instant, ne s’est pas encore abattue sur moi » ;
« menace » ; « incurable » ; « la vérité sur cette maladie » ; « la leucémie a
toujours été considérée comme grave ». Enfin un dernier petit groupe de
patients semble se trouver en peine de définir leur maladie, du fait de son
absence de manifestation évidente ou de leur difficulté à la comprendre : « si
ce n’étaient les résultats des analyses et les compléments alimentaires que je
prends, je ne saurai pas que je suis malade » ; « pour l’instant silencieuse
mais je commence à me sentir décliner » ; « les médecins ne savent pas d’où
elle vient ».
Les mots qu’ils souhaitent pour annoncer leur maladie
Nous avons demandé aux patients quels mots devraient selon eux être
prononcés par les médecins pour expliquer la myélodysplasie lors d’une
annonce. Là encore, les réponses sont diverses.
Des patients évoquent la nécessité du caractère intelligible, compréhensible, de l’annonce : « Des mots moins difficiles à comprendre ». D’autres
enquêtés abordent la question du non-dit, d’un savoir du médecin qui
32
Annoncer un cancer
pourrait être dissimulé au patient : « difficile de répondre… être simple et
précis. Ne pas donner l’impression que l’on cache quelque chose » ; « ne pas
laisser les gens face à un mystère […] ».
D’autres patients tiennent compte du sujet malade comme singulier :
« cela dépend beaucoup du malade » ; « cela dépend du tempérament de
chacun, anxieux ou pas. L’acceptation d’une évolution défavorable, inévitable, est nécessaire ainsi que de ne pas à me plaindre de cette longue vie
sub-normale ». Quelques personnes interrogées mettent plutôt l’accent sur
la maladie comme singulière : « Un syndrome qui affecte la moelle osseuse
et pour lequel chaque patient est unique ou plus simplement une maladie
qui affecte les patients de façons très diverses ».
Certains enquêtés insistent sur le caractère curable ou non de la
maladie : « ce n’est pas une maladie mortelle, l’on peut mourir tout à fait
d’autre chose » ; « maladie que l’on peut guérir » ; « bien expliquer que l’on
peut ‘‘vivre’’ avec » ; « pour l’instant l’affection est incurable, mais depuis
trois ou quatre ans, on s’efforce de cerner l’affection et de trouver la médication adaptée ».
Dans le prolongement de ces idées, des réponses mettent l’accent sur les
perspectives, ou sur les conséquences sur la vie quotidienne : « Expliquer
l’évolution, le devenir, l’avenir » ; « que le rythme de la vie va être ralenti et
même très ralenti ». Il s’agit de préparer les patients à ce qui les attend mais
en gardant une certaine sobriété. Une patiente raconte ainsi : « Les hématologues devraient être vigilants quant à la rédaction des comptes rendus de
consultation auxquels nous avons accès et rayer le mot ‘‘malheureusement’’
de leur vocabulaire. Le mien en contenait trois. Comment garder le moral
devant tant de pessimisme ? Ce compte rendu m’a fait plus de mal que l’annonce verbale de la maladie. » À l’inverse, la banalisation de l’annonce peut
constituer une grande violence pour le patient, à l’exemple de cette femme
qui a vécu l’annonce comme si on lui diagnostiquait un rhume. Elle a eu le
sentiment que le médecin s’était moqué d’elle lorsqu’elle lui a demandé ce
qu’elle devrait dorénavant changer dans son rythme de vie. Ces deux
derniers témoignages mettent l’accent sur la difficulté de la mission du
soignant qui annonce la maladie. Personne n’aime le messager porteur de
mauvaises nouvelles, et cela influe certainement sur le discours des patients
interrogés. Cela n’est pas pour nous une difficulté insurmontable, puisque
nous nous intéressons ici particulièrement à la réalité psychique des
personnes auprès de qui l’enquête a été menée.
L’annonce d’une hémopathie maligne, les « syndromes myélodysplasiques »…
33
Usage du mot « leucémie »
Une dizaine de patients utilise les termes « leucémie, pré-leucémique », ou
« LAM » (leucémies aiguës myéloblastiques). Cela s’explique pour certains
d’entre eux par le fait qu’ils ont entendu l’un de ces termes lors de l’annonce : « Risque de leucémie ». Un des enquêtés retient surtout une partie
de l’annonce : « […] La phrase clé : ‘‘Je ne vous cache pas qu’il s’agit d’un
état pré-leucémique, mais qui peut durer 15, 20 ou 25 ans.’’ Il tente de faire
part de son vécu catastrophique dans sa définition de la maladie, écrivant :
‘‘Pour moi c’est un film : je tombe du 300e étage, je passe devant le 250e et
je dis : jusque-là tout va bien’’. » Ce patient explique l’importance de la
distinction des termes « myélodysplasie » et « leucémie », qui ont pour lui
un impact imaginaire bien différent : « […] bien faire la différence entre
myélodysplasie et leucémie. Car comme je le disais, la myélodysplasie,
personne ne connaît alors que la leucémie fait très peur ».
Quelques patients utilisent l’un des termes dans leur propre définition
de la maladie : « la leucémie a toujours été considérée comme grave » ;
« préoccupante, car elle a évolué en leucémie aiguë et sans que les divers
traitements de chimiothérapie aient pu remédier à la dégradation de mon
état de santé, qui reste donc inquiétant ». Un patient qui utilisait le mot
« cancer » dans sa définition de la maladie propose comme formulation
d’annonce de la myélodysplasie : « Une maladie à développement lent, c’est
plutôt rassurant. Dysfonctionnement de la moelle qui peut entraîner une
leucémie. C’est un bon ‘‘enrobage’’. » Ce patient considère que l’impact du
mot « leucémie » est moins traumatique que celui de « cancer » et qu’il est
donc préférable de l’utiliser au moment de l’annonce.
Pour deux patients, le terme de leucémie apparaît dans la réponse à la
question concernant les mots qui devraient être prononcés pour expliquer
la maladie ; il est porteur d’une grande angoisse : « Donner des explications.
Myélodysplasie, est-ce une leucémie ? Le mot cancer n’est jamais
prononcé ?? » La seconde patiente se dit encore sous le coup de cette
annonce : « Je ne suis pas encore sortie de l’effet négatif de cette annonce
sur ma vie. » Elle propose pour l’annonce : « Surtout pas le terme leucémie
: on se remet difficilement de cette annonce. Bien expliquer avec des mots
simples. Et dire que des traitements existent et qu’est-ce qu’ils apportent. Et
aussi les côtés positifs. »
Une autre patiente fait un lien explicite entre leucémie, traitement des
leucémies, puis cancer. Son hématologue lui a expliqué lors de l’annonce
qu’il s’agissait d’une maladie grave, sans traitement, pouvant rester stable
pendant des années, qui pourrait nécessiter des transfusions, et qui pouvait
« évoluer en leucémie avec, à ce moment-là, le traitement des leucémies (la
patiente ajoute : « sous-entendu : chimio ») ». Elle évoque ensuite point par
34
Annoncer un cancer
point et de manière très fine la palette de sentiments qui ont suivi l’annonce.
Elle s’est sentie tout d’abord rassurée, car la maladie avait un nom, donc
était connue. De son point de vue, une maladie objectivable, médicalement
repérable, était préférable car elle se trouvait en butte à l’incompréhension
de son entourage qui expliquait son déclin d’énergie par une dépression, ce
qu’elle avait elle-même finit par craindre. Puis la patiente s’est sentie désemparée, abandonnée, car on lui annonçait une maladie grave, pour la laisser
ensuite repartir avec pour seule perspective un rendez-vous 6 mois plus
tard. Ces sentiments ont ensuite fait place à la colère. Cette femme l’exprime
ainsi : « On nous rabat les oreilles avec le dépistage du cancer et dans ce cas
(il y a une) absence de projet thérapeutique. (Il est) inconcevable d’avoir la
leucémie en ligne de mire pour espérer un traitement. »
Dans l’esprit du grand public, les traitements par chimiothérapie sont
immédiatement associés au cancer. Ce n’est pas le cas des personnes interrogées, ou tout du moins elles ne le laissent pas apparaître de manière explicite. Un patient parle de son « traitement de chimio », pour définir sa
maladie, sans pour autant évoquer le cancer ou la leucémie. Un autre l’associe seulement au terme de « leucémie », expliquant que sa maladie est
préoccupante car elle a évolué en leucémie aiguë sans que les divers traitements de chimiothérapie aient pu remédier à la dégradation de son état de
santé qui reste donc inquiétant. Il peut paraître « curieux » que les termes
de « leucémie » ou de « chimiothérapie », par exemple, n’entraînent pas de
manière systématique ou évidente l’association au cancer, pourtant très
courante dans le grand public. Nous pouvons supposer que les patients se
protègent de telles associations anxiogènes en ne les laissant pas accéder à
la conscience.
Usage du mot « cancer »
Nous avons été surpris de constater que seuls 8 patients, soit une petite
proportion en regard du nombre interrogé (11 %), prononcent ou écrivent
le mot cancer. Une femme utilise plus précisément le mot pré-cancer. Lors
de l’annonce, qu’elle dit avoir vécue de manière positive, son médecin lui a
dit qu’elle était atteinte d’un pré-cancer, et c’est un terme qu’elle semble
s’être approprié et qu’elle reprend pour définir sa maladie. Alors même
qu’ils ne rapportent pas ce terme quand ils évoquent l’annonce de leur
maladie par le médecin, quatre autres patients parlent de cancer dans la définition de leur maladie, disant par exemple : « bien que personne n’ait osé
prononcer le mot, je pense à une maladie du sang donc cancer. Pas facile
d’accepter, il faut faire avec » ; « cancer de la moelle : car myélodysplasie
personne ne comprend […]» ; « une atteinte grave de la santé proche du
L’annonce d’une hémopathie maligne, les « syndromes myélodysplasiques »…
35
cancer ». Un patient, qui rapporte de l’annonce les propos suivants :
« Anémie importante. Carence de la moelle » a interprété que ces mots
cachaient en réalité les propos suivants : « c’est une forme de cancer de la
moelle. » La résonance de ce signifiant avait pour lui un impact tel qu’il a
alors pensé : « être en finale de sa vie terrestre ».
Trois patients estiment que ce mot devrait être prononcé par les médecins pour expliquer leur maladie à quelqu’un qu’on vient de diagnostiquer.
L’un dit ainsi, sous la forme exclamative, qu’il ne faut pas avoir peur d’utiliser le mot cancer. Les deux autres ont des interrogations pour le moins
inquiètes : « Donner des explications. Myélodysplasie, est-ce une leucémie ?
Myélome, lymphome. Le mot cancer n’est jamais prononcé ?? OUI-NON » ;
« Cancer du sang ??… » Ce dernier commentaire est celui d’un patient qui
ne mentionne pas ce terme dans le récit de l’annonce qui se trouve au début
du questionnaire. Le patient note que le médecin a parlé d’un état « sans
guérison », qu’on ne lui donnait rien, et que « tout ce qu’on lui donnerait
lui ferait plus de mal que de bien ». Pourtant, au téléphone, cet homme me
dira avec dépit et sans détour : « C’est un cancer de la moelle osseuse. Le
médecin m’a dit : ‘‘Vous en avez pour 3 ans.’’ La moyenne de cette maladie,
c’est 6 à 7 ans. Y’en a qui durent 10 ans. » Lorsque je tente de le questionner plus précisément sur la question du cancer, il me dit que c’est le médecin
qui a prononcé ce mot. Que s’est-il passé pour ce patient ? A-t-il refoulé au
moment de remplir le formulaire ces éléments de l’annonce ? Ces derniers
ont-ils fait retour à la fin du questionnaire dans sa question ? Cela indique
la prudence nécessaire à la conduite d’entretien auprès des patients, pour ne
pas brusquer les défenses de chacun, respecter la temporalité et l’aménagement singulier pour faire face à sa situation.
Ce que disent les patients ayant mentionné le mot cancer révèle une
opinion partagée entre l’à-propos de l’utilisation de ce terme et l’angoisse se
rattachant à ce mot : « cancer de la moelle : car myélodysplasie personne ne
comprend » ; « ne pas avoir peur d’utiliser le mot cancer ! » ; « j’ai pensé
être en finale de ma vie terrestre » ; « cancer du sang ??… » ; « […] le mot
cancer n’est jamais prononcé ?? » Chez les quelques sujets qui amènent la
question du cancer sous une forme manifestement très anxiogène, nous
constatons que c’est, non pas l’évocation de ce terme, mais bien plutôt son
absence d’énonciation par les médecins qui renforce ce poids anxiogène, qui
en fait un sujet interprété comme tabou.
Enfin, nous avons pu nous rendre compte qu’il était très délicat d’investiguer ces questions dans un dialogue avec les patients sans risquer d’induire
ou de confirmer un savoir, ou de les laisser face à des interrogations dans
l’après-coup de l’entretien, interrogations qui ne pourraient nullement être
reprises ultérieurement. Cela pose des questions éthiques et déontologiques
délicates ; l’enquêteur dans ce cadre n’est pas un observateur passif qui ne
36
Annoncer un cancer
modifierait en rien la vision du patient de sa maladie. Le questionnaire,
quoiqu’il limite l’investigation, permet à chaque patient de dire ce qu’il
souhaite sans trop risquer « d’effracter » ses propres défenses ou de créer
une inflation imaginaire trop angoissante. Il n’est pas à négliger malgré tout
que les items du questionnaire sollicitent en eux-mêmes la réactivation de
fantasmes, par ce qu’ils peuvent suggérer sur un plan interprétatif. Chaque
patient en fait certainement une utilisation différente et singulière. Nous
pensons que pour limiter au maximum les risques précédemment décrits,
le dispositif le plus approprié serait celui d’entretiens très peu directifs,
permettant au patient d’associer librement.
Discussion : Quelle place pour un dispositif d’annonce du cancer pour les hémopathies malignes ?
Cette enquête porte sur l’annonce des hémopathies malignes. Nous n’avons
pas trouvé d’autre étude permettant de connaître le ressenti des mots utilisés pour désigner leur maladie et en particulier du terme « cancer » chez les
patients atteints d’hémopathie maligne. La terminologie des hémopathies
malignes n’évoque pas directement un cancer pour la plupart des patients
(leucémies, lymphomes, syndrome myélodysplasique, syndrome myéloprolifératif…). Il semble pouvoir exister, dans le cas particulier de l’hématologie, un malentendu entre le médecin et le patient autour de la signification
des termes utilisés. Ne pas préciser le mot cancer peut équivaloir alors pour
le malade à un non-dit ou un évitement. Pourtant, nous avons vu en introduction que les récentes approches des droits des malades (États généraux
des malades du cancer (1998, 2000, 2004), lois Kouchner de 2002) préconisent la transparence, dans le discours médical. Notre enquête et la littérature confirment que les patients souhaitent que les informations concernant
leur santé soient données (1), que ces informations soient les plus claires
possible en limitant au maximum le jargon médical (2). Ils veulent également que le niveau d’information soit adapté à leur volonté plus ou moins
grande d’explications (2). En dehors du cas particulier de l’hématologie,
une étude réalisée sur un échantillon représentatif de patients atteints de
cancer a montré que 75 % des patients interrogés préfèrent une utilisation
du terme « cancer » lors de l’annonce, assurant ainsi la confiance qu’ils
accorderont à leur médecin mais aussi leur facilitant l’appropriation de leur
maladie (3).
Alors, pourquoi existe-t-il toujours une certaine réticence à l’emploi du
terme cancer ou pré-cancer ?
L’annonce d’une hémopathie maligne, les « syndromes myélodysplasiques »…
37
Tout d’abord, nous avons noté une certaine ambivalence des patients.
Beaucoup d’enquêtés donnent des réponses contradictoires ; par exemple,
ils disent qu’il leur semble important que le médecin donne à son patient
les informations principales concernant son état de santé, même si elles sont
pénibles à entendre et, parallèlement, affirment qu’il leur semble important
que le médecin soit d’abord rassurant, même si cela l’amène à ne pas donner
au patient certaines informations. Comment comprendre cet état de fait ?
Nous pensons qu’il est peu probable, vu la fréquence de ce phénomène, qu’il
s’explique par une mauvaise compréhension des questions. Peut-on faire le
postulat que les patients oscillent entre deux positions ? Une position
« théorique », celle d’un individu lambda auprès de qui on effectuerait un
sondage et qui répondrait à un cas de figure hypothétique, et leur position
de sujet malade et directement concerné. Les patients souhaitent connaître
toutes les informations se rattachant à leur état de santé, certes, mais plutôt
si elles sont bonnes ou propres à les rassurer. Ils témoignent d’une ambivalence qui laisse entrevoir la complexité d’une telle situation.
L’une des explications de cette ambivalence peut être recherchée dans le
caractère anxiogène du mot cancer. Il est vrai qu’une annonce trop brutale
du terme « cancer » peut provoquer de vives angoisses (4) et c’est pour
protéger le patient que l’on utilise des voies détournées pour en parler (5).
Il semble cependant dans notre enquête comme dans la littérature que l’utilisation du mot « cancer » génère une angoisse moins profonde que celle
provoquée par les non-dits et les aspects flous évoqués lors de l’annonce de
la maladie (6). En outre, la rétention d’information n’entraîne pas uniquement une plus grande angoisse chez le patient, mais peut dégrader également la relation médecin/malade. Cette dégradation va d’une part
compliquer la tâche du praticien (7) et, d’autre part, risquer d’entraîner une
augmentation de l’anxiété et de la dépression (8). De même, les situations
de collusion, où le patient est le seul tenu à l’écart d’une mauvaise nouvelle,
souvent dans le but de le protéger, amènent fréquemment aux mêmes
conséquences (9). Une annonce claire et sans tabou permettra de prendre
toutes les décisions nécessaires entraînées par l’apparition d’un tel bouleversement de sa vie : décisions médicales, matérielles, sociales, affectives,
spirituelles et, dans certains cas, dispositions de fin de vie (10).
Il apparaît également que les évitements lors de l’annonce ne correspondent pas seulement à une volonté de préserver le patient mais sont aussi
dus à une approche paternaliste des soins et/ou aux peurs des praticiens (6).
Ces peurs, qui semblent dues à une crainte d’être affecté par la souffrance
émotionnelle et physique des patients, sont ressenties par le médecin avant,
pendant et après l’annonce (11). Une formation des médecins à la relation
médecin/patient, et plus particulièrement l’annonce des « mauvaises
nouvelles », nous paraît ainsi essentielle pour donner aux patients les
38
Annoncer un cancer
meilleures conditions d`annonce. Il est conseillé d’utiliser des mots simples,
de préférence au jargon médical, cela étant d’autant plus valable que le
patient sous le choc de la nouvelle a du mal à se concentrer sur un discours
compliqué (12). Un moyen d’évaluer cet impact est d’interroger régulièrement le patient sur son ressenti lors de l’annonce afin de faire preuve d’empathie et de s’assurer de sa compréhension (12).
Bibliographie
1. Camhi B, Moumjid N, Brémond A (décembre 2004) Connaissances et préférences des patients sur le droit à l’information médicale : enquête auprès de 700
patients dans un centre régional de lutte contre le cancer. Bulletin du cancer 91
(12): 977-84
2. Reich M, Vennin P, Belkacémi Y (septembre 2008) Cancer diagnosis announcement : an act to seal the pact of trust between doctors and patients. Bulletin du
cancer 95 (9): 841-7
3. Bonnet V, Couvreur C, Demachy P et al (2000) Évaluation des besoins en information des patients suivis en radiothérapie : étude effectuée sur la base du livret
de la radiothérapie. Cancer Radiothérapie 4 (4): 294-307
4. Bettevy F., Dufranc C, Hofmann G (2006) Critères de qualité de l’annonce du diagnostic : point de vue des malades et de la Ligue nationale contre le cancer.
Risques et qualité III(2): 68
5. Fraisse P (mai 2007) Le dispositif d’annonce en cancérologie : entre éthique et
pratique. Revue des maladies respiratoires 24(5): Edito
6. Misery L, Chastaing M (décembre 2005) Patient’s information and announcement of a serious disease. Revue de Médecine Interne 26(12): 960-5
7. Färdow J, Stolt CM (septembre 2000) Should we always tell everything? About the
difficulties to manage prognosis. Lakartidningen 97(39): 4323-6
8. Ellis PM, Tattersall MH (octobre 1999) How should doctors communicate the
diagnosis of cancer to patients? Annals of Medicine 31(5): 336-41
9. Reich M, Mekaoui L (février 2003) La conspiration du silence en cancérologie :
une situation à ne pas négliger. Bulletin du cancer 90(2): 181-4
10. Zittoun R (2007) La mort de l’autre. Une introduction à l’éthique clinique.
Dunod Paris pp. 106-7
11. Perrain A, Kousignian I, Dauchy S et al (mars-avril 2009) Les difficultés d’annoncer la maladie grave pour les hématologistes français. Hématologie 15(2):
161-7
12. Lee SJ, Bach AL, Block SD, Stewart SK (January 2002) Enhancing physicianpatient communication. The American Society of Hematology 468-83
L’annonce d’une hémopathie maligne, les « syndromes myélodysplasiques »…
39
QUESTIONNAIRE CONCERNANT L’ANNONCE DE LA MYÉLODYSPLASIE
(ou Syndrome Myélodysplasique) ET LES MOTS UTILISÉS POUR LA
DÉSIGNER
1) Votre situation actuelle (entourer la réponse la plus appropriée) :
a) Votre âge :
b) Votre sexe : M F
c) Êtes-vous célibataire, marié ou vivant en couple, divorcé, veuf/veuve
d) Exercez-vous une activité professionnelle ?
Si oui, laquelle ?
e) Vivez-vous dans une grande ville, une ville moyenne, une petite ville, en
milieu rural ?
2) Dans quelles circonstances votre maladie a-t-elle été diagnostiquée ?
(cocher la réponse la plus appropriée)
■ Visite médicale ou prise de sang systématique
■ Lors d’un examen réalisé dans le cadre d’une autre maladie
■ À cause d’un retentissement de la maladie sur votre état de santé
■ Autre :
3) Qui a posé le diagnostic de votre maladie ?
(cocher la réponse la plus appropriée)
■ Médecin traitant
■ Hématologue hospitalier
■ Autre médecin hospitalier
■ Spécialiste en ville
■ Radiologue
■ Médecin du laboratoire d’analyses
■ Autre :
4) Quels mots ont été utilisés par cette personne pour diagnostiquer votre
maladie ? (répondre en quelques mots)
.........................................................................................................................................
.........................................................................................................................................
.........................................................................................................................................
.........................................................................................................................................
.........................................................................................................................................
40
Annoncer un cancer
5) Comment avez-vous ressenti ces mots utilisés pour diagnostiquer votre
maladie ? (répondre en une phrase ou deux)
.........................................................................................................................................
.........................................................................................................................................
.........................................................................................................................................
6) Pouvez-vous dire pourquoi vous avez eu un tel ressenti ?
(répondre en une phrase ou deux)
.........................................................................................................................................
.........................................................................................................................................
.........................................................................................................................................
7) Comment avez-vous vécu cette annonce du diagnostic de votre
maladie ? (cocher la case correspondant le mieux à votre vécu)
■ 1 : De manière très positive (en étant, par exemple, très apaisé ou très rassuré)
■ 2 : De manière positive (en étant, par exemple, apaisé ou rassuré)
■ 3 : Sans émotion particulière (ni positive, ni négative)
■ 4 : De manière négative (en étant, par exemple, angoissé ou perturbé)
■ 5 : De manière très négative (en étant, par exemple, très angoissé ou très
perturbé)
8) Quand on vous a annoncé le diagnostic de votre maladie, estimez-vous
avoir reçu de la part des médecins et de l’équipe soignante une information suffisante sur votre maladie ? (cocher la case correspondant le mieux à
votre vécu)
■ 1 : Tout à fait suffisante
■ 2 : Plutôt suffisante
■ 3 : Plutôt insuffisante
■ 4 : Très insuffisante
9) Quand on vous a annoncé le diagnostic de votre maladie, avez-vous eu
l’impression : (cocher le chiffre correspondant à votre impression)
a) Que le médecin m’a donné les informations principales concernant mon état de
santé, même si elles étaient pénibles à entendre :
1■
2■
3■
4■
5■
Non, pas du tout
Non, pas vraiment
Ni oui, ni non
Oui, plutôt
Oui, tout à fait
L’annonce d’une hémopathie maligne, les « syndromes myélodysplasiques »…
41
b) Que le médecin voulait d’abord être rassurant, même si cela l’a amené à ne pas
me donner certaines informations :
2■
3■
4■
5■
1■
Non, pas du tout
Non, pas vraiment
Ni oui, ni non
Oui, plutôt
Oui, tout à fait
c) Que le médecin s’est adapté à ce que vous étiez capable d’entendre :
1■
2■
3■
4■
5■
Non, pas du tout
Non, pas vraiment
Ni oui, ni non
Oui, plutôt
Oui, tout à fait
10) Quand on annonce le diagnostic d’une maladie comme la vôtre, vous
semble-t-il important : (cocher le chiffre correspondant à votre impression)
a) Que le médecin donne à son patient les informations principales concernant son
état de santé, même si elles sont pénibles à entendre :
1■
2■
3■
4■
5■
Non, pas du tout
Non, pas vraiment
Ni oui, ni non
Oui, plutôt
Oui, tout à fait
b) Que le médecin soit d’abord rassurant, même si cela l’amène à ne pas lui donner
certaines informations
2■
3■
4■
5■
1■
Non, pas du tout
Non, pas vraiment
Ni oui, ni non
Oui, plutôt
Oui, tout à fait
c) Que le médecin s’adapte à ce que son patient est capable d’entendre :
1■
2■
3■
4■
5■
Non, pas du tout
Non, pas vraiment
Ni oui, ni non
Oui, plutôt
Oui, tout à fait
11) Dans vos échanges d’informations avec les médecins et l’équipe
soignante, avez-vous eu le sentiment que : (cocher la réponse appropriée)
Souvent
a) Les médecins ou l’équipe soignante ne prenaient pas
répondre à vos questions
b) Vous étiez dans l’incapacité de poser des questions
c) Les informations médicales étaient trop compliquées
d) La quantité d’informations données était trop grande
e) Vous ne saviez pas comment poser vos questions
Parfois Jamais
assez de temps
■
■
■
■
■
■
■
■
■
■
pour
■
■
■
■
■
42
Annoncer un cancer
12) Avez-vous cherché à avoir des informations sur votre maladie par
d’autres moyens ? (répondre en une phrase ou deux)
.........................................................................................................................................
.........................................................................................................................................
.........................................................................................................................................
13) Aujourd’hui, estimez-vous avoir sur votre maladie une information…
■ 1 : Tout à fait suffisante
■ 2 : Plutôt suffisante
■ 3 : Plutôt insuffisante
■ 4 : Très insuffisante
14) Aujourd’hui, par quels mots définiriez-vous votre maladie ?
(répondre en une phrase ou deux)
.........................................................................................................................................
.........................................................................................................................................
15) Selon vous, quels mots devraient être prononcés par les médecins pour
expliquer votre maladie à quelqu’un pour lequel on vient de la diagnostiquer ? (répondre en une phrase ou deux)
.........................................................................................................................................
.........................................................................................................................................
.........................................................................................................................................
16) Selon vous, de quelle manière pourrait-on améliorer l’annonce de votre
maladie à d’autres patients affectés ? (répondre en quelques phrases)
.........................................................................................................................................
.........................................................................................................................................
.........................................................................................................................................
Veuillez vérifier que vous avez répondu à toutes les questions.
Nous vous remercions d’avoir répondu à ces questions. Votre participation va
nous être précieuse : elle va nous permettre de mieux analyser les conditions
d’annonce de votre maladie aux patients et d’en améliorer le dispositif.
Le dispositif d’annonce quatre ans plus tard,
ce qu’en pensent les patientes
M.-E. Pérennec
Rappel historique
Lors des États Généraux de la Ligue contre le Cancer en 1998 et 2000, les
malades exprimaient pour la première fois leurs attentes vis-à-vis des
professionnels de santé, revendiquant entre autres l’amélioration des conditions d’annonce du diagnostic de cancer. Depuis, ils ont fait de ce thème une
de leur demande prioritaire. Cette revendication avait déjà trouvé un écho
favorable dans le plan Gillot-Kouchner et était présentée en 2000 sous la
forme d’une « consultation d’ancrage » pour tous les patients atteints de
cancer.
En 2002, la cancérologie a fait l’objet d’une nouvelle réflexion profonde
dans notre pays, débouchant sur le plan cancer présenté par le Président de
la République, Jacques Chirac, le 24 mars 2003. Dans son discours de
présentation du Plan National de lutte contre le cancer 2003-2007, le Président de la République affirme que « les chiffres ne disent rien de la souffrance des patients et du poids du cancer ».
Ce plan a déclenché une véritable mobilisation nationale et le fort engagement affiché par le chef de l’État a montré que l’image sociale des malades
du cancer avait définitivement changé.
Dans ce programme, l’amélioration des conditions de l’annonce apparaît sous le numéro 40 dans la liste des 70 mesures retenues. La Ligue contre
le Cancer, et en son sein le réseau de malades, s’est engagée aux côtés du
ministère de la Santé, de l’Institut National du Cancer (INCa) et des professionnels de santé, pour définir puis expérimenter un dispositif qui
rassemble, dès l’annonce autour du patient, de nouvelles ressources, organisations et compétences.
44
Annoncer un cancer
Trente-huit sites pilotes, 58 établissements de santé ont ainsi participé à
la mise en place du « dispositif d’annonce » de mars 2004 à mars 2005. Ce
dispositif peut comprendre plusieurs consultations dont la consultation
médicale d’annonce du diagnostic initial, moment essentiel à l’établissement d’une relation de qualité entre patient et soignant. Sont également
concernées par ce dispositif l’annonce du programme thérapeutique, et
l’annonce de rechute. Cependant, chaque partenaire de la prise en charge du
malade peut aussi apporter son expertise au cours d’une consultation intégrée au dispositif d’annonce (consultation avec un infirmier, un psychologue, un travailleur social).
Face à un bilan extrêmement positif, la généralisation du dispositif d’annonce a été décidée et des recommandations nationales pour sa mise en
œuvre ont été adressées par l’Institut National du Cancer (INCa) aux
établissements de santé fin 2005.
Introduction
Le Centre Léon Bérard (CLB), Centre Régional de Lutte contre le Cancer de
Lyon, a fait partie des établissements de la région Rhône-Alpes participant
à l’expérimentation du dispositif d’annonce.
Dès novembre 2005, un poste « d’assistante de soins » était créé. La
candidature d’une infirmière ayant travaillé dans plusieurs services de l’Établissement (médecine et chirurgie) fut retenue.
Une formation à l’École de Formation Européenne en Cancérologie
(EFEC) intitulée « pratiques en psycho-oncologie », et une rencontre des
différents acteurs de la trajectoire de soins de support, ont constitué les
« pré-requis » pour la mise en place du poste.
Cependant, en raison de la diversité des pathologies traitées au CLB, et
devant le nombre croissant de cancers du sein pris en charge dans l’établissement (plus de 1 000 nouveaux cas par an), il est apparu plus judicieux
d’orienter le poste d’assistante de soins sur la prise en charge du cancer du
sein, afin d’optimiser la relation soignant-soigné et d’améliorer le vécu des
patientes.
Nommée en 2005 « assistante de soins », j’ai eu alors toute latitude pour
mettre en place une prise en charge respectueuse des recommandations du
dispositif d’annonce.
Le dispositif d’annonce quatre ans plus tard, ce qu’en pensent les patientes
45
Réflexions préalables
La révélation d’un cancer provoque une situation de crise. Cette crise,
épisode de désorganisation majeure faisant suite à l’annonce d’un diagnostic de maladie grave, provoque une hausse du niveau de l’anxiété. Elle
déstructure et demande par conséquent une adaptation.
Lors de la mise en place du poste, nous nous sommes interrogés : face à
cette crise situationnelle, quel est le meilleur moment pour intervenir, et
quel pourra être le rôle de l’infirmière ? Quel sens donner à la consultation
infirmière ? En quoi et comment l’infirmière peut-elle, après l’annonce
d’une maladie grave, favoriser l’adaptation du patient ?
Le personnel soignant est souvent démuni, impuissant, dans ce moment
de tension et de stress. Il n’est alors pas facile d’être « acteur » auprès des
patients.
Dans un CLCC, il s’agit souvent de ré-annonce, le diagnostic a été posé
antérieurement par un médecin généraliste, un gynécologue ou dans un
centre de radiodiagnostic.
L’infirmière doit-elle assister à la consultation d’annonce ?
Il n’y a, semble-t-il, pas de réponse formelle. Parfois, le médecin et son
patient préfèrent le colloque singulier. Les médecins se sentent parfois
« soutenus » par la présence d’une infirmière. Annoncer une mauvaise
nouvelle n’est jamais chose simple et peut être une réelle souffrance pour le
médecin. On ne redira pas l’importance d’être formé à l’annonce de la
mauvaise nouvelle.
Quoi qu’il en soit, si l’infirmière n’est pas présente à chacune des consultations d’annonce, il est primordial qu’elle assiste à des consultations d’annonces des divers médecins avec qui elle est amenée à travailler, afin de
prendre la pleine mesure des mots employés, des manières d’annoncer de
chacun. Les mots « carcinome, tumeur maligne » peuvent être employés
plutôt que cancer. Le support de communication entre le médecin et l’infirmière devra être le plus élaboré et complet possible, car il sera utilisé par
cette dernière pour mener sa consultation.
Plus que ce qu’a dit le médecin, c’est ce qu’a entendu et compris le
patient qui est important. Et l’infirmière reprendra les mots employés par
le patient pour ne pas le heurter et le laisser cheminer à son rythme. Il faut
respecter le temps d’appropriation, les mots usités et le souhait de chacun
de savoir ou non.
46
Annoncer un cancer
Mais dans tous les cas, l’infirmière qui serait présente à la consultation
d’annonce n’est pas là pour soutenir le médecin mais bien pour accompagner le patient et sa famille dans un moment difficile et bouleversant. En
position d’observvatrice, elle pourra recueillir les réactions du patient et de
ses proches.
À quel moment intervenir après l’annonce ?
Il est vrai que dans mon fonctionnement, je n’ai jamais attendu que les
patientes se manifestent ou prennent un rendez-vous. Je suis toujours allée
au-devant d’elles, en me présentant lors de l’entrée en hospitalisation (ou
lors de la première chimiothérapie). L’un de mes questionnements était
d’ailleurs de savoir, si cette rencontre n’était pas trop tardive par rapport à
l’annonce, qui était intervenue antérieurement de 2 à 4 semaines.
L’infirmière aura un rôle très différent, me semble-t-il, selon qu’elle
interviendra immédiatement après la consultation médicale d’annonce ou
quelques jours plus tard. Le cadre du dispositif d’annonce prévoit ces deux
hypothèses puisqu’il précise que le temps d’accompagnement soignant peut
intervenir « immédiatement ou à distance de la consultation d’annonce ».
Dans l’immédiateté, les patients atteints de cancer sont bouleversés, sous
le choc et traumatisés par l’annonce de cette maladie grave. Qui n’a pas
entendu des témoignages comme : « ce fut un coup de tonnerre dans un ciel
bleu », ou encore : « le ciel m’est tombé sur la tête », « la maladie est la pire
des choses à vivre ». L’infirmière sera là pour recueillir les émotions que
suscite cette mauvaise nouvelle, avec beaucoup d’écoute, d’empathie et de
chaleur humaine. Il sera alors difficile de faire autre chose dans ce temps-là
(information, par exemple) car les patients savent très bien le dire : « Ils
n’entendent plus rien. » Certaines femmes avouent même : « J’ai repris ma
voiture et suis rentrée chez moi je ne sais pas comment, je ne me souviens
de rien ! »
Au moment de l’annonce, quels sont les besoins précis du patient ?
– l’écoute, le respect, la disponibilité qui témoigne d’une attention particulière ;
– l’expression et la verbalisation de ses émotions (colère, peur, pleurs, sidération, questionnement de type « Pourquoi moi ? ») ;
– la chaleur humaine et l’empathie du soignant ;
– le besoin de parler des bouleversements engendrés par cette annonce
(professionnels, familiaux, sociaux) ;
– parfois une histoire familiale à raconter (reviviscence de certains souvenirs, sentiment de culpabilité) ;
Le dispositif d’annonce quatre ans plus tard, ce qu’en pensent les patientes
47
– parfois une crise existentielle avec la verbalisation de la peur de la mort
(l’annonce de cancer provoque la conscience de la finitude, le sentiment
que l’on est mortel).
À ce moment précis, l’infirmière doit être très disponible pour cette
écoute, et les paroles ne seront pas forcément une réponse aux besoins
immédiats des patients. Certaines femmes l’expriment très justement : « on
ne réclame qu’un peu d’humanité », « les paroles libèrent », « quelqu’un qui
a du temps à nous accorder, c’est vraiment appréciable, rassurant », « cette
création de poste fait chaud au cœur à un moment de notre vie où tout
bascule ».
L’attitude du soignant, sa disponibilité, l’aide à l’expression des sentiments, seront les premiers pas vers une relation. Le respect de l’autre est le
préalable nécessaire à tout acte de soins et donc à la relation.
Intervenir quelques jours après la consultation d’annonce donne une
autre dimension à la relation. Le patient est alors plus réceptif (il a eu du
temps pour intégrer l’annonce) ; l’apport d’informations et d’éléments lui
permettant de se réorganiser, diminue l’anxiété et l’agressivité que celle-ci
peut générer.
Le rôle du soignant est plus diversifié, plus constructif : reformulation,
information, présentation des équipes de soins de support, des associations,
mais aussi, écoute des craintes et des peurs des patients, des attentes et
besoins de ceux-ci. Ce rôle trouvera sa pleine expression lorsque se dessinera le projet thérapeutique annoncé par le médecin. Collaborer à l’élaboration du projet de soins et donner des repères créeront pour le patient le
sentiment d’une prise en charge et d’un suivi par une équipe solidaire et
centrée sur sa personne.
« Cette rencontre m’a rendue moins seule avec ma maladie, une interlocutrice à qui on peut faire part de ses pensées sans hésitation », « poste
indispensable et nécessaire qui donne un côté plus humain à la machine
hospitalière, son intervention m’a permis de me projeter positivement dans
l’avenir ».
Quelle appellation pour ces nouveaux postes d’infirmière
d’annonce ?
On conçoit aisément que les médecins qui n’étaient pas dans la dynamique
de l’expérimentation du dispositif d’annonce aient pu être offensés d’entendre parler « d’infirmière d’annonce » ou « d’infirmière de consultation
d’annonce ». Cela continue à surprendre (voire déplaire), et conduit à des
réticences, quand encore, il ne s’agit pas de refus, sous divers motifs, de
mettre en place ces postes paramédicaux d’accompagnement. La dénomi-
48
Annoncer un cancer
nation « infirmière d’annonce » laisserait à penser que le rôle d’annonce
pourrait être dévolu à l’infirmière, dépossédant ainsi les médecins de leur
rôle propre et de leur obligation.
Or il n’en est rien, et il est bon de réaffirmer que l’annonce diagnostique
et thérapeutique reste et restera toujours un devoir médical. L’infirmière
trouvera tout naturellement sa place comme accompagnatrice de ces deux
temps médicaux. Cet entretien avec l’infirmière relève bien d’une complémentarité soignante.
C’est pourquoi, j’ai toujours jugé préférable, et bien choisi, de parler du
« temps d’accompagnement soignant ». Mon Institution l’avait bien
compris, et dès le départ n’a pas inscrit ce temps infirmier comme une
« consultation d’infirmière d’annonce » mais a préféré me nommer « assistante de soins ».
Rappelons cependant que depuis 2005, toute Établissement prenant en
charge des patients atteints de cancer doit mettre en place le dispositif d’annonce et ces temps d’accompagnement soignant. C’est une obligation créée
dans le plan cancer n° 1 et confortée dans le 2e plan cancer.
L’organisation du poste d’assistante de soins au
CLCC de Lyon
La fonction d’assistante de soins en sénologie, définie dans le projet d’établissement du CLB, prévoit l’accompagnement de la personne malade après
l’annonce, par une optimisation et un renforcement de l’information médicale. Cette information, complémentaire de celle transmise par le médecin
au début de la prise en charge, doit permettre à la patiente de mieux
comprendre la maladie et, par là même, d’adhérer et de participer activement au projet de soins.
L’assistante de soins assure un entretien avec toute nouvelle patiente
atteinte d’un cancer du sein, ainsi que lors de tout changement du
programme thérapeutique. Il est important de remettre toujours la patiente
au centre des décisions. Cela permet de favoriser son implication au projet
de soins et de baliser les étapes de sa prise en charge. L’assistante de soins
ainsi rencontrée lors des différentes étapes devient une « infirmière référente ». « Je ressens ce poste d’assistante de soins comme un lien nécessaire
avec les autres intervenants autour du patient », « dans la multitude du
personnel soignant, il est appréciable d’avoir un référent qui peut servir de
coordinateur ». Classiquement, le cancer du sein est traité par un temps
chirurgical suivi ou non de chimiothérapie et/ou radiothérapie et/ou
hormonothérapie +/– immunothérapie.
Le dispositif d’annonce quatre ans plus tard, ce qu’en pensent les patientes
49
Lors de la prise en charge chirurgicale, le moment d’écoute et d’explications effondre l’angoisse de la patiente. Il s’agit au préalable de savoir ce que
la patiente a « entendu » lors de la consultation d’annonce et compris de sa
maladie, ses représentations, ses peurs, mais aussi ce qu’elle souhaite avoir
comme information avant même de reformuler. Informer sur la réunion de
concertation pluridisciplinaire qui propose la stratégie thérapeutique,
repérer les besoins en psycho-oncologie et besoins sociaux pour orienter
vers les soins de support, enfin faire connaître les associations, l’Espace
Rencontre Information, l’activité des bénévoles, le groupe de parole interne
au CLB.
Faciliter les relations entre la structure hospitalière, la patiente et l’extérieur (recours au médecin traitant) très précocement s’impose également.
La prise en charge avant traitements adjuvants donne lieu à la délivrance
du Programme Personnalisé de Soins prévisionnels qui constitue un calendrier très apprécié des patientes. Il matérialise une suite et leur permet de
se réorganiser sur le plan personnel.
Les explications détaillées sur les effets secondaires des traitements, la
prévention, la chronologie des événements prévisibles durant l’inter-cure
sont au cœur de l’entretien. Rappelons que la remise d’outils d’information
écrits est une nécessité à chaque étape des soins. L’assistante de soins doit
s’assurer que l’information est bien comprise et que la patiente saura
prendre des décisions concernant sa santé lors du retour au domicile. Il ne
s’agit pas d’éducation thérapeutique mais plutôt d’éducation à la santé.
« Quelqu’un qui vient nous offrir ses services, c’est toujours apprécié »,
« la guérison des malades passe aussi par la qualité des soins et de l’écoute
apportée ».
Objectifs de l’entretien paramédical
En quoi une prise en charge paramédicale après l’annonce est-elle importante ? Ce temps permet d’écouter les craintes, les peurs et les angoisses de
la personne malade. La reformulation, en dehors de l’information du
patient, permet d’écouter et de connaître la personne malade et ses proches,
d’amorcer un dialogue.
Cela permet d’aider le patient à trouver les ressources nécessaires pour
faire face à la crise, en activant ses capacités à résoudre les problèmes, en lui
permettant de verbaliser son ressenti. L’assistante de soins aide le patient à
reprendre pied dans la réalité, en restructurant et réorganisant sa vie
personnelle, familiale ou professionnelle, par des réponses adaptées aux
préoccupations et aux inquiétudes de chacun. « Le poste humanise le
50
Annoncer un cancer
contexte médical stressant qui, par manque de temps peut-être, privilégie les
soins du corps malade en oubliant l’affectif, le relationnel, le familial, le
social de tout individu », « très important pour moi ce poste d’assistante de
soins, par sa proximité et la quantité d’informations disponibles ».
La consultation infirmière apparaît comme un « sas de décompression
émotionnelle ».
Il est important pour le patient d’avoir un interlocuteur soignant moins
décideur de son traitement et plus accessible, à qui il pourra poser ses questions et s’ouvrira davantage. On est dans le début de la thérapie active.
Si la mise en place du poste et les débuts furent un peu difficiles vis-àvis des équipes médicales, peu informées du dispositif et de sa finalité, il
n’en fut pas de même auprès des patientes, d’abord surprises d’une telle
prise en charge, puis convaincues de cette nécessité. Mais je ne pouvais me
contenter de cette évaluation du domaine du ressenti ; encore fallait-il juger,
avec le recul, ce que ce « temps d’accompagnement soignant » pouvait
apporter aux patientes, et surtout faire une évaluation plus critique qui
permette de repérer ce qui, dans le fonctionnement du poste, pouvait être
amélioré.
Restait à construire, 4 ans après cette création de poste, un questionnaire
d’évaluation avec un maximum de questions fermées pour permettre une
synthèse plus aisée. Néanmoins, quelques questions ouvertes me paraissaient opportunes pour laisser aux patientes un espace d’expression plus
personnel.
L’année 2005 avait été une année de création interne du temps d’accompagnement soignant ; 2006 l’année d’une reconnaissance médicale du rôle
d’un soignant paramédical dans l’accompagnement personnalisé des
femmes atteintes de cancer du sein, avec une montée en charge du poste, en
terme d’effectifs de patientes prises en charge. Le questionnaire élaboré fut
adressé aux patientes rencontrées au cours de l’année 2007.
Bilan quatre ans plus tard
Quels étaient les besoins d’une femme à qui l’on vient d’annoncer un cancer
du sein ? Comment améliorer l’accompagnement, tout en restant dans le
cadre très précis du dispositif d’annonce ? Et, a posteriori, à quelles attentes
ne répondait pas le poste d’assistante de soins ?
Sept cents questionnaires (700) furent envoyés par courrier postal avant
l’été 2007. Trois cent trois (303) patientes envoyèrent leur réponse, soit un
taux de retour important : 40,7 %.
Le dispositif d’annonce quatre ans plus tard, ce qu’en pensent les patientes
51
À la première question : Avez-vous rencontré l’assistante de soins en sénologie pendant votre prise en charge au CLB ?
Il est intéressant de noter que si 275 patientes ont répondu par l’affirmative, 25 n’en avaient pas le souvenir. Cependant, elles avaient toutes été
rencontrées. L’analyse que je fais de cette situation est que parfois, en raison
du stress préopératoire, la patiente ne garde pas le souvenir des soignants
rencontrés avant une intervention, la seule référence restant alors leur
chirurgien. L’assistante de soins a pu alors être assimilée à une infirmière de
l’équipe sans particularisme ni identification particulière.
À la deuxième question : À combien de reprises l’avez-vous rencontrée ?
Les patientes se souviennent en général s’il s’agit d’une seule rencontre
ou de plusieurs, mais restent plus évasives sur le nombre d’entretiens. Pour
les patientes annonçant des entretiens répétés au-delà de 3, il est probable
que ce soit des patientes ayant participé à plusieurs reprises au « groupe de
parole hebdomadaire », coanimé par l’assistante de soins et une psychologue.
À la troisième question : Dans quel service ou à quel moment l’avez-vous
rencontrée ?
76 % des patientes se souviennent que cette première rencontre a eu lieu
en service de chirurgie (certaines citent le nom de leur chirurgien) ; les
réponses sont plus floues sur le temps pré ou postopératoire. Ce manque de
précision semble confirmer que la situation de stress s’accompagne souvent
d’une certaine désorientation et d’un manque de concentration.
23 % des patientes ont ce souvenir sur le temps de chimiothérapie ; à
cela, deux hypothèses. Soit il peut s’agir de patientes qui ont eu affaire à l’assistante de soins à plusieurs reprises et en conservent un souvenir plus
marqué lorsque l’avancée dans le temps et les traitements ont permis un
cheminement dans l’acceptation ; soit il s’agit de patientes commençant le
programme thérapeutique par la chimiothérapie néo-adjuvante.
Pour rappel, les recommandations lors de la mise en œuvre du dispositif d’annonce prévoyaient le « temps d’accompagnement soignant » immédiatement ou à distance de l’annonce médicale du diagnostic de cancer et
lors de l’annonce médicale thérapeutique, mais ne prévoyaient pas le suivi
des patientes tout au long de la trajectoire de soins.
Aux quatrième et cinquième questions : Avez-vous jugé ce moment bien
choisi ? Et pourquoi ?
81,5 % des patientes répondent « oui » contre 7,6 % « non » et 10,9 %,
un nombre conséquent, « ne se prononcent pas ».
L’accompagnement soignant lors de l’entrée en hospitalisation pour l’intervention est-il un moment plus propice que le temps de la consultation
d’annonce ?
52
Annoncer un cancer
142 patientes évoquent lors de l’hospitalisation, « le besoin de reformulation de l’intervention ou du programme de soins », certaines sont déjà sur
l’après-chirurgie et réclament « des explications sur la suite des traitements ».
92 patientes emploient les mots « se sentir rassurée, moins angoissée ou
stressée, se sentir écoutée », ou évoquent leur « meilleure disponibilité », au
sens émotionnel, à ce moment-là, certaines parlent même du besoin ressenti
« d’aide psychologique et aide morale ».
Pour les 52 patientes ayant trouvé le moment mal choisi ou qui ne se
sont pas prononcées, on note des éléments de réponse avec des justificatifs
comme : « rencontre trop tardive », « trop d’émotions », « moment de
doute », « pas réceptive pendant la rencontre ». Ce qui incite à penser que
pour ces patientes, une intervention de l’assistante de soins précocement,
lors du temps d’annonce, aurait peut-être pu leur permettre une adaptation
plus rapide à ce nouveau statut de personne malade qu’elles n’ont pas
encore assimilé.
Ce que confirme en partie la réponse à la sixième question, pour les
patientes ayant répondu négativement précédemment.
À quel moment auriez-vous souhaité rencontrer l’assistante de soins ?
Neuf patientes seulement affirment très clairement « dès l’annonce » et
trois « après la consultation médicale ». On peut donc penser que pour la
majorité des patientes, ce temps n’était pas si mal choisi. Il n’en reste pas
moins que pour les 18,5 % de réponses négatives (ou de non réponse), ce
temps n’était pas le leur et que le traumatisme de l’annonce était encore trop
présent. Cinq d’entre elles auraient souhaité une rencontre « après la chirurgie » ou « avant la sortie de l’hospitalisation ». On imagine que pour ces
patientes le stress préopératoire était trop intense et un frein au dialogue.
Il semblerait donc que, dans l’absolu, l’idéal serait de laisser à la patiente
choisir le moment de la rencontre avec l’infirmière. Selon ses besoins, ce
pourrait être, soit immédiatement après l’annonce, soit un peu en retrait de
celle-ci. Toute la difficulté sera dans l’organisation de ce temps qui demandera une planification rigoureuse.
La septième question portait plus sur l’aspect qualitatif et la clarté des
explications ou de la reformulation.
90,7 % de réponses satisfaisantes avec 70,6 % de très claires et 20,1 % de
plutôt claires. La disponibilité des patientes à entendre les informations
lorsqu’un peu de temps s’est écoulé après l’annonce semble confirmée par
ces chiffres. Les 9,2 % de patientes qui ne se prononcent pas sont sans doute
les mêmes qui ont trouvé le moment de la rencontre mal choisi !
L’une des qualités requises pour le soignant sera aussi de savoir « parler
simple » et se mettre à la portée de son interlocuteur. Le choix des mots fait
réfléchir sur le sens et l’éthique de ces nouvelles fonctions.
Le dispositif d’annonce quatre ans plus tard, ce qu’en pensent les patientes
53
À la huitième question : Que vous a apporté cet entretien et qu’avez-vous
apprécié ?
137 patientes répondent « informations, explications simples, adresses,
réponses, orientations », 120 : « réconfort, assurance, sérénité, apaisement,
calme, sécurité, douceur ».
37 : « écoute » et d’autres mots comme « gentillesse, humanité, accueil,
disponibilité, compréhension et courage » sont également choisis.
L’analyse d’une question ouverte est toujours délicate, néanmoins il
ressort des termes employés par les patientes leur fragilité et leurs questionnements, ainsi que le besoin de compréhension, d’écoute et de réassurance. Ce temps qui leur est consacré leur offre un peu d’apaisement et de
sérénité dans un moment de bouleversement émotionnel intense.
La question suivante confirme pour 89,1 % leur satisfaction de ce temps
qui leur est entièrement consacré.
Attentes des patients
Les patients souhaitent une relation authentique. « On se sent soutenu sans
être infantilisé », « sincère dans ses propos ».
Ils veulent avoir la possibilité d’évoquer des sujets et de poser des questions qu’ils n’osent pas forcément aborder avec le médecin, comme leurs
peurs, leurs problèmes d’ordre personnel et matériel. Certaines questions de
l’ordre de l’intimité sont soulevées, et de temps en temps la question d’une
échéance et de la peur de mourir est évoquée. « Au départ, le mot cancer,
pour moi qui n’avait que 35 ans, était synonyme de mort, j’étais effrayée,
pour moi, mes enfants, mon époux, à l’idée de ne pas survivre physiquement et psychologiquement à tous les traitements qui s’annonçaient ; après
les entretiens avec l’assistante de soins, je me suis sentie un peu plus
vivante. »
Certains patients ont parfois le souci de ne pas importuner le médecin
avec leurs inquiétudes.
Discuter du plan de traitement proposé, de ses objectifs, permet une lisibilité sur les étapes à venir. Pour le patient, avoir un projet de vie soutient.
C’est pourquoi il paraît important de consacrer ce temps d’accompagnement assez près du temps d’annonce. « Les oncologues ont une approche
qui me semble moins pratico-pratique. »
À la dixième question : Quelles remarques pourriez-vous formuler pour
améliorer cet entretien ? et en croisant les réponses avec celles obtenues à la
question n° 36 sur Les remarques positives ou négatives sur ce poste d’assistant
de soins, on constate que beaucoup de patientes demandent « plus d’entre-
54
Annoncer un cancer
tiens », ou « une rencontre avant le départ des services d’hospitalisation »,
mais également des demandes sur « plus de postes » (en termes de personnel dédié car l’assistante de soins n’est pas remplacée lors de ses absences),
« des rencontres plus régulières au cours du traitement », « un suivi en cours
d’hospitalisation », « un entretien en début de chaque étape du parcours de
soins ». Certaines proposent une « rencontre systématique de ce soignant »
ou encore d’être « prévenue à l’avance de la date de l’entretien pour préparer les questions » ou « des entretiens plus longs » dans un « lieu privé ».
D’autres aimeraient « plus de renseignements », « que l’on puisse parler
après les résultats » mais on se retrouve dans les limites de compétences de
l’infirmière qui ne doit en aucun cas annoncer les effets des traitements ou
les protocoles avant la consultation du médecin spécialiste, même si la
patiente est informée au préalable d’une chimiothérapie adjuvante. Il faudra
alors rester sur des informations généralistes. Enfin des femmes expriment
le souhait « de disposer de supports écrits, de s’aider de dessins, images, ou
d’avoir un feuillet récapitulatif de l’entretien ». Se dessinent donc des pistes
possibles d’amélioration.
S’exprime aussi le souhait de « traiter les problèmes au cas par cas » et
la nécessité pour certaines femmes de cheminer à leur rythme et « avoir l’information au fur et à mesure » ; ce peut être aussi suivant l’interprétation
que l’on a des problèmes au cas par cas, l’intervention de l’équipe pluridisciplinaire, où chacun dans sa spécialité accompagnera en fonction des
besoins et des problèmes rencontrés (assistante sociale, psychologue, etc.).
Mais globalement, toutes les femmes font remarquer de façon positive la
nécessité d’un tel accompagnement et de ces entretiens. « Ce poste est un
atout majeur dans le parcours difficile d’accompagnement des malades »,
« le soutien apporté est concret, les réponses pragmatiques ; on n’est pas un
patient parmi d’autres, mais un être que l’on écoute et à qui l’on donne
toutes les chances de s’en sortir du mieux possible sur le plan moral ».
La demande d’échanges avec d’autres patientes revient à plusieurs
reprises : « peut-être des réunions de groupe pour partager » ou « une
réunion groupe de parole avec cette assistante de soins et d’autres malades
où l’on aurait des réponses aux questions que l’on s’est posées ».
Les demandes récurrentes de « plus d’entretiens » et « d’entretiens plus
longs », « plus de temps, plus souvent » me posent question. « J’aurais aimé
la revoir plus souvent lors de mes chimios », « l’aide de l’assistante de soins
est trop ponctuelle », « j’ai apprécié ses visites et j’aurai aimé encore en avoir
un peu plus ».
Je n’ai jamais eu le sentiment de donner un cadre strict à mes entretiens
en termes de durée, estimant que la durée des entretiens doit être corrélée
au temps d’expression dont a besoin la patiente. Le sentiment que certaines
ont manqué de temps m’interroge de même que le besoin de plus d’entretiens !
Le dispositif d’annonce quatre ans plus tard, ce qu’en pensent les patientes
55
Se pose le cadre du dispositif d’annonce qui, lui, ne prévoit pas un suivi
des patientes avec des entretiens répétés. Y aurait-il un sentiment de frustration des malades ?
Infirmière, j’ai toujours pensé que le cadre restrictif du dispositif d’annonce ne correspondait pas à un accompagnement personnalisé satisfaisant
puisqu’il ne s’inscrivait pas dans la durée avec un suivi des patientes. Raison
pour laquelle, laisser aux patientes la possibilité de téléphoner ou de prendre
rendez-vous à tout moment, lors du déroulement du programme thérapeutique, a fait partie intégrante de ma réflexion lors de la construction du
poste d’assistante de soins. Dès la mise en place du poste fut élaboré un
document d’information papier remis aux patientes, sur lequel figuraient
les coordonnées téléphoniques et heures de disponibilité de l’assistante de
soins.
Certaines patientes réclament « que l’assistance de cette infirmière soit
proposée d’office », « avoir la possibilité de la rencontrer dès le premier
entretien avec le chirurgien ou l’annonce de la maladie », « un suivi et un
entretien dès la première visite », « une visite avant la prise en charge pour
redonner confiance, rassurer et conseiller », « anticiper la rencontre et
pouvoir aborder l’aspect émotionnel de cette douloureuse expérience »,
« des imprimés qui fassent connaître le poste d’assistantes de soins aux
médecins extrahospitaliers », « renforcer ce poste et l’intégrer systématiquement pour chaque patient », enfin « que le chirurgien remette les coordonnées de cette infirmière au cours de la consultation ».
Pour ce qui est d’intervenir plus tôt dans la prise en charge, je précise
qu’en 2007 les médecins lors de leur consultation d’annonce ne remettaient
pas mes coordonnées et ne parlaient pas aux patientes de ce temps soignant.
Il y avait une certaine frilosité à cette démarche. Depuis, une évolution s’est
faite tout naturellement avec le temps. Les médecins, à présent, remettent
mes coordonnées dès leur première consultation, allant même jusqu’à expliciter le rôle de l’assistante de soins dans la prise en charge, et inciter les
patientes à une rencontre. Les mentalités ont évolué et le temps à fait son
œuvre. Il ne faut surtout pas tout vouloir tout de suite. Ce qui s’acquiert
lentement s’acquiert durablement. Si l’on reposait la question aujourd’hui,
sans doute les réponses seraient-elles différentes.
On retrouve cette logique dans la réponse à la question n° 22 : Les coordonnées de l’assistante de soins vous ont-elles été remises en fin de consultation ?
– par le médecin seulement 10,6 % ;
– par l’assistante de soins 70,6 % ;
– parfois sont cités l’Espace Rencontre Information (ERI), des amis ou
l’affiche groupe de parole.
56
Annoncer un cancer
D’où l’importance, me semble-t-il, lors de la mise en œuvre du temps
soignant du dispositif, d’en informer un maximum de professionnels de la
trajectoire patient, de créer un réseau de soutien qui pourra faire appel au
soignant compétent dans la prise en charge, et être ainsi un relais de l’information.
On trouve aussi des demandes comme : « qu’il y en ait dans tous les
centres de soins pour le cancer ».
La onzième question interrogeait les patientes sur la compréhension du
poste d’assistante de soins.
Pour 86,8 %, cette fonction était très claire, pour 3,6 % non et 9,6 % ne
se prononcent pas.
Pour les patientes pour qui tout était très clair, on retrouve les notions
« d’explication, information, compréhension et acceptation de la maladie et
des traitements, accompagnement pendant le parcours de soins, aide
morale, soutien, écoute et rassurance » ; plus curieusement, la notion « d’intermédiaire entre les patientes et les médecins » apparaît à 73 reprises et avec
elle le sentiment pour moi d’appartenance à un binôme soignant
« médecin- infirmière ».
Spécificité de l’entretien
L’éthique et le sens donné à cette consultation sont essentiels. Quels en sont
les bénéfices attendus ? Les entretiens menés avec un patient ne sont pas des
relations de civilité, pas plus que des relations « dominant-dominé ». Le
patient est un partenaire, un acteur de soins qui sera toujours au centre des
décisions.
Il a besoin d’informations précises pour mieux « cerner son adversaire »,
connaître sa maladie.
La consultation infirmière n’est pas faite pour rendre le malade dépendant des soignants, mais au contraire pour le rendre autonome. Au final, ce
n’est pas la durée d’une consultation qui en détermine sa qualité.
Toute l’importance d’une communication de qualité est alors révélée.
Pour le soignant, disponibilité, écoute, capacité d’attention, adaptabilité,
précision, clarté et cohérence des propos, ton posé permettent d’établir une
relation et de progresser dans le sens d’une prise en charge personnalisée.
La libre expression du patient, la possibilité de poser des questions, de
permettre des temps de pause pour décompresser sont autant d’éléments
qui feront de ce moment un temps privilégié. Il faut beaucoup de souplesse
Le dispositif d’annonce quatre ans plus tard, ce qu’en pensent les patientes
57
lors d’un entretien et de prudence dans le choix des mots. La reformulation,
avec l’emploi de mots ou de termes médicaux traduits de manière simple,
permet de transmettre une information adaptée à la personne malade.
Jugements, préjugés, impatience et familiarité sont, bien sûr, à proscrire.
L’analyse des représentations que le patient a de la maladie est un préalable à tout entretien. Il faut évaluer ce que le patient sait déjà, ce qu’il veut
savoir et respecter son besoin d’information. Demander si le patient veut
être accompagné d’un tiers éclaire déjà sur les fonctionnements de la structure familiale, et permet de repérer des personnes ressources. Les proches
sont un soutien et un accompagnement non-soignant important. Ils apporteront le réconfort et l’aide pratique au quotidien.
Le soignant doit respecter ce désir d’être ou non accompagné. « Ces
rencontres m’ont fait un grand bien et mon mari, qui était présent lors de
celle qui a précédé la chimiothérapie, a vraiment apprécié de pouvoir poser
des questions et d’avoir des explications claires données calmement et gentiment. Je pense que les malades et leurs proches ont vraiment besoin de
cela. »
Aux questions n° 13 et 14, de 88,1 % à 88,8 % des patientes estiment que
l’entretien avec un soignant est un plus appréciable, et que cela répond à un
besoin dans la prise en charge.
Lorsqu’on demande aux patientes, question n° 15, « d’exprimer leurs
sentiments et besoins après la 1re consultation médicale », 46 parlent de
manque d’informations, 88 de leur peur, angoisse, stress, inquiétude, du
sentiment d’être perdues, désemparées, « le vide absolu », « une peur paralysante, tétanisante », « un peu de solitude avant que tout ne se mette en
marche », alors que 29 seulement sont rassurées et confiantes.
Question n° 16 : De quoi auriez-vous aimé parler à l’issue de la consultation médicale et avec qui ?
« De la suite des traitements », « de l’avenir », « plus de précisions sur la
maladie », et avec qui ? On retrouve une majorité de : « avec le chirurgien,
le médecin », et à part égale : « assistante de soins », « des patientes ou
anciennes patientes », « des psychologues la famille ou les amis ».
La notion qui se fait jour du besoin de parler entre patients est intéressante, cet échange d’expérience, le partage du vécu ici et maintenant ou avec
le recul pour les ex-patients sont une valeur ajoutée pour les établissements
qui offrent l’opportunité de parler au sein d’un groupe de patients.
Tout naturellement à la question n° 17 : Quel professionnel non-médecin
est susceptible de répondre le mieux à vos attentes après la consultation médicale ? (et un choix de plusieurs professionnels possible cités)
– 54 % une infirmière ;
– 42,6 % une psychologue ;
– 17,5 % autre professionnel ;
58
Annoncer un cancer
– 2 % une secrétaire médicale ;
– 18 % ne répondent pas à cette question.
Pour les autres professionnels cités, on retrouve 29 « assistante de
soins » ; les patientes n’auraient-elles pas bien identifié l’assistante de soins
comme une infirmière ? Quel particularisme se cache pour elles derrière
cette appellation ? Ont-elles identifié des compétences différentes ? Il aurait
été intéressant de poser la question : « Pour vous, qu’est-ce qu’une assistante
de soins ? », afin d’avoir la réponse à cette question.
Autres professionnels : 12 médecins avec des formulations comme
spécialistes, psychanalyste, psychiatre, et des réponses plus surprenantes
comme esthéticienne, coiffeuse, bénévoles, ostéopathe, prêtre.
À noter que 2 % seulement se tourneraient vers la secrétaire médicale
alors que le dispositif d’annonce leur laisse une place dans l’accompagnement soignant lors de la consultation d’annonce. Sans doute le rôle de l’assistante médicale est-il plus visible et pertinent dans le cadre de cabinets
libéraux où le binôme médecin secrétaire est plus affiché qu’en milieu
hospitalier.
Points forts de la consultation infirmière au CLB
La patiente a un personnel dédié disponible après l’annonce, mais aussi à
chaque étape de son parcours thérapeutique. Cette organisation structurée
et formalisée de rencontre avec une infirmière « référente », la cohérence
dans les propos des différents acteurs de la prise en charge, l’écoute créent
un climat de confiance.
L’assistante de soins, interlocutrice privilégiée, ouvre sur d’autres
rencontres avec des professionnels paramédicaux et crée un lien avec les
unités de soins. Elle permet le développement de relais interprofessionnels
autour de la patiente. Ces liens se formalisent à l’issue de chaque entretien
par un compte rendu dans le dossier patient informatisé accessible à tous
les soignants.
Fort logiquement, en réponse à la question n° 24 : Auriez-vous apprécié
que le médecin vous propose un entretien avec l’assistante de soins après la
consultation médicale ?
42,9 % des patientes répondent par l’affirmative. Et pourquoi ?
On retrouve des phrases comme « se sentir moins seule », « parler ou
parler de l’avenir », « comprendre, réaliser », « mieux se préparer » ou « la
rencontrer avant ! » et la notion de soutien. Une patiente avait un jour fort
bien verbalisé ce ressenti en disant : « Même si l’on est bien entouré, on est
toujours seule pour faire face à la maladie. » On entend la notion de se
Le dispositif d’annonce quatre ans plus tard, ce qu’en pensent les patientes
59
préparer à combattre la maladie, un adversaire redoutable dans les mots, «
mieux se préparer » comme exprimé lors d’un entretien, « il faut se battre
ou se laisser abattre ! », expression qui résonne si souvent à l’oreille des
soignants et des proches.
Si l’on demande ensuite question n° 19 : L’assistante de soins est-elle
susceptible de répondre en partie à vos besoins ?
82,8 % pensent que oui. 4 % non, 13, 2 % ne se prononcent pas. Soit
17,2 % qui auraient certainement besoin d’un autre professionnel des soins
de support ou d’une nouvelle consultation médicale.
La question ouverte n° 20 sur le pourquoi ?
Pour les patientes ayant répondu favorablement, on retrouve énumérées
majoritairement les notions de connaissances, de compétences, de réponses
aux questions, de soutien psychologique avec des phrases comme « elle sait
écouter », « elle est disponible », également « elle rassure », « elle est
humaine ».
Pour le non, « elle n’est pas médecin », « n’est pas habilitée à gérer différentes émotions générées par la maladie » ou « ne fait pas partie de la
famille ».
Cela souligne aussi la place des proches dans le soutien après l’annonce,
mais également l’importance pour le soignant de savoir rester dans son
domaine de compétences, afin de garder une crédibilité auprès des patients,
mais aussi des équipes de professionnels médicaux ou des soins de support.
Je me permets de réaffirmer aussi la nécessité de proposer une équipe
pluridisciplinaire au service du patient très précocement dans la prise en
charge, et de savoir, pour l’assistante de soins, créer le lien avec ces professionnels en fonction des besoins exprimés par les patientes.
Les questions 21 et 25 étaient plus centrées sur les compétences ou qualités nécessaires au soignant, et les besoins des patientes.
Les principales qualités sont la bonne connaissance de la maladie (137)
et sous-entendu aussi des traitements, puis l’écoute (126) « l’écoute est
primordiale » ; viennent ensuite des qualités humaines avec des notions de
gentillesse, patience, disponibilité, compréhension, empathie, douceur,
discrétion, calme, sincérité, franchise, humanité (mots clés sélectionnés qui
reviennent le plus fréquemment).
Quant aux besoins, ils ont déjà été énumérés plus haut et l’on retrouve
des réponses formulées à la question n° 20.
60
Annoncer un cancer
Les compétences de l’infirmière
L’infirmière doit avoir de bonnes connaissances de la pathologie pour aider
le patient et sa famille à comprendre l’histoire médicale. Une bonne
pratique professionnelle auprès de patients atteints de maladies graves est
donc requise. Les savoirs, savoir être et savoir faire sont nécessaires. Il est
essentiel de parler juste et de parler vrai. Le choix des mots est essentiel et
doit se faire avec beaucoup de prudence.
Intervenir tout au long du parcours de soins permet de donner des
repères au patient, mais surtout d’analyser et de formaliser des besoins qui
varient dans le temps. Cela permet de réajuster les informations aux différentes étapes des traitements (chirurgie, chimiothérapie, radiothérapie etc.).
C’est pourquoi le choix d’informer et d’éduquer tout au long de la trajectoire du patient s’est imposé tout naturellement au CLB.
Les patients sentent beaucoup de choses et doivent se sentir compris ; ils
ne sont pas rassurés par des généralités. Le soignant ne peut rester sur des
choses trop superficielles. Il faut savoir détecter la détresse du patient, analyser ses besoins et les formaliser.
Mais la prise en charge infirmière n’est pas seulement un savoir-faire en
technique de communication, c’est aussi l’occasion de présenter les équipes
qui accompagneront cette consultation infirmière en fonction des besoins
exprimés.
Cette consultation va également s’étoffer d’outils d’information écrits,
supports choisis, brochures, documentation de la Ligue contre le Cancer,
coordonnées téléphoniques, contacts d’associations, programme personnalisé de soins, véritable stratégie thérapeutique. C’est alors l’occasion de
remettre des documents adaptés (pour le patient qui le souhaite) qui
présentent l’avantage de transmettre l’information sous une forme autre
qu’orale.
Difficultés de la consultation infirmière
Lors des consultations médicales d’annonce, le pourcentage « d’oubli de
l’information » est phénoménal. En psychologie, l’oubli a une fonction, celle
de protéger, qui permettra à l’individu de continuer à fonctionner, de garder
son identité. Des études ont démontré que dans la minute qui suit l’information, 50 % des informations sont oubliées (limites cognitives). Si l’on
ajoute le problème de la compréhension, on se rend compte de la difficulté
à informer correctement.
Le dispositif d’annonce quatre ans plus tard, ce qu’en pensent les patientes
61
Nous avons tous une anticipation de l’avenir, c’est un facteur d’équilibre.
La perte de cette possibilité d’anticipation provoque la perte de contrôle.
L’être humain ne sait pas appréhender l’abstraction, ni gérer l’incertitude.
Cette gestion de l’incertitude est une des grandes difficultés des malades, qui
amène parfois à de vraies questions existentielles, certaines paroles sont
alors difficiles à recevoir. L’infirmière doit aussi savoir ne rien dire et
attendre dans ces moments de la consultation.
Quelques questions (n° 26 à 30) portaient tout naturellement sur l’intérêt du suivi téléphonique. Était-il rassurant d’avoir un soignant joignable
facilement ? Pourquoi ? Les patientes avaient-elles utilisé ce moyen ? À quel
propos ? Cela avait-il répondu à leur attente ?
– 86,8 % étaient rassurées d’avoir des coordonnées téléphoniques ;
– 29,4 % avaient utilisé ce recours pour avoir des conseils, des informations
sur les traitements, l’après-traitement, pour des problèmes divers (cicatrice, douleur, prothèses, bilan sanguin, pose voie centrale, etc.).
Mais aussi pour « être rassurée », « pour des angoisses », « être écouté »,
« se sentir en sécurité », « une aide », « se sentir moins seule », ou des questions sur le quotidien, « j’ai trouvé très rassurant d’avoir un numéro de téléphone avec une personne facile à joindre, dont je connaissais le visage, que
je n’avais pas peur de déranger et qui pouvait répondre simplement à mes
questions », « le numéro de téléphone ne me quittant pas, cela me rassure
de savoir que je peux faire appel à son écoute et ses conseils si j’en éprouve
le besoin ».
Ma réflexion sur le suivi des patientes m’avait conduite à remettre mes
coordonnées téléphoniques aux patientes afin de rester un « repère » disponible dans la trajectoire de soins.
Du lien
Il est essentiel de se rendre compte que parfois, le simple fait de créer du lien
avec la structure hospitalière peut suffire au patient, surtout lorsque ce lien
est créé et explicité par le médecin référent. Ainsi revient le souvenir d’une
patiente à qui le chirurgien lors de sa consultation d’annonce avait remis les
coordonnées de l’assistante de soins, répondant ainsi tout à fait aux recommandations du dispositif d’annonce. Cette patiente, rencontrée plus tard
lors de l’hospitalisation, m’avait alors avoué : « Oui, oui, j’avais vos coordonnées, et cela m’a suffi de savoir que je pouvais joindre quelqu’un en cas
de besoin ! »
62
Annoncer un cancer
Cela conforte aussi l’idée qu’il est rassurant pour une personne malade
d’avoir les coordonnées téléphoniques d’un soignant joignable pendant les
traitements, et donne tout son sens au 4e temps du dispositif d’annonce
relatif à l’articulation ville-hôpital, qui prévoit le renforcement du lien et la
coordination entre les différents acteurs hospitaliers et extrahospitaliers.
Les questions n° 31 et 32 portaient sur la remise de documentation et
l’intérêt que cela pouvait présenter.
71,3 % des patientes avaient eu de la documentation et 70,6 % jugeaient
cela appréciable. L’important étant, si l’on ne peut fournir soit-même des
documents, de renvoyer sur des lieux où le patient trouvera ce qu’il
recherche (Espace de rencontre et d’information (ERI), Kiosque Info
Cancer, associations) ou avec plus de prudence des sites internet référencés
et adaptés.
La question n° 33 faisait référence à la proposition des soins de support
et des professionnels proposés dans ce cadre.
– 42,9 % avaient eu l’information sur le recours possible à d’autres professionnels de la trajectoire patient ;
– 29,7 % des personnes n’ont pas répondu ;
– 27,4 % n’ont pas eu de proposition.
Il est intéressant de noter pour les réponses positives que les soins de
support comprennent des professionnels aussi divers et variés que psychologue, psychiatre, sophrologue, diététicienne, esthéticienne, assistante
sociale, groupe de paroles, ERI, mais aussi, moins attendu, associations,
coiffeuse, perruquier, prothésiste, Centre d’aide aux cancers.
Quand au 57,1 % qui n’ont pas répondu ou eu de proposition, peu
importe de savoir si cela fait partie des oublis de l’assistante de soins ou de
la mémoire « sélective » des patients, l’importance est pointée de ne pas
hésiter à redonner cette information à chaque consultation, et par tous les
soignants au sein de la structure hospitalière, à différents temps du parcours
de soin, car les besoins et les difficultés des patients évoluent aussi dans le
temps, et avec eux le recours aux diverses expertises.
Enfin le questionnaire se terminait sur des questions ouvertes, plus générales.
Quel souvenir marquant ou traumatisant gardez-vous de votre prise en
charge au Centre Léon Bérard ?
Sur les points positifs vécus comme marquants reviennent très souvent :
la gentillesse réconfortante des personnels, leur compréhension, attention et
humanité, le ton juste, le professionnalisme des équipes, les soins attentifs,
le « climat général paisible, rassurant, accueillant », l’impression de sécurité
« d’être au bon endroit », le sentiment de confiance, « se sentir l’objet de
soins attentifs du personnel ».
Le dispositif d’annonce quatre ans plus tard, ce qu’en pensent les patientes
63
Pour les points négatifs vécus comme traumatisants : « l’annonce »
diagnostique de la maladie, mais aussi l’annonce thérapeutique sont citées
une multitude de fois, « le stress inhérent au diagnostic qui ouvre en grand
la porte aux angoisses », les effets des traitements (mastectomie, alopécie,
chimiothérapie), « l’attente des résultats », des examens, le temps écoulé
avant la prise en charge chirurgicale, la décision partagée, les sorties trop
rapides de l’hôpital après intervention, la vue des enfants malades, la pose
de Voie Veineuse Centrale, « le traumatisme vient plutôt de l’inquiétude que
du lieu ou du personnel soignant », « l’angoisse de mort liée à la chimiothérapie et se retrouver seule à domicile ».
Pour terminer le questionnaire, j’ai laissé un espace de libre expression
sur les possibilités d’amélioration du poste d’assistante de soin, du contenu
des entretiens ou du ressenti par rapport à cette nouvelle fonction, afin de
pouvoir répondre mieux, dans le futur, aux attentes des patientes.
Je pensais que les patientes seraient force de proposition, mais cet espace
n’a pas permis de dégager des idées très nouvelles. Pour conclure, les
patientes manifestaient une forte demande pour que soit pérennisé ce poste,
que d’autres soient créés au sein de l’institution, que l’assistante de soins soit
remplacée pendant ses congés, qu’il y ait des entretiens plus fréquents.
Une idée nouvelle d’une patiente se faisait jour : « j’aimerais bien avoir
un entretien après un an », traduite par une autre : « je souhaiterais que
le contact ne soit pas coupé si tôt ».
Le Plan Cancer n° 2 répond à cette demande et prévoit d’accompagner
l’après cancer par un Programme Personnalisé de l’Après Cancer. Une
consultation de fin de traitement se mettra-t-elle en place ?
Ce qu’en pense l’assistante de soins après quatre ans
de pratique
Analyse de cette rencontre avec les patientes
L’annonce s’inscrit dans l’histoire de chacune comme un moment de vie
traumatique. Chaque patiente est différente, chaque rencontre est un
moment unique.
Les émotions sont très présentes ; la peur, formulée ou non, de la mort
plane dans chaque entretien. Les patientes ont besoin d’espoir, de savoir
qu’elles ont du temps devant elles pour concrétiser leurs projets. Infirmière,
il faut savoir rester dans son domaine de compétence. Ne pas donner d’espoir ne veut pas dire légitimer ou annihiler tout espoir !!
64
Annoncer un cancer
L’écoute suffit souvent. Écouter simplement. S’oublier pour être toute
entière à l’autre, totalement disponible à ses soucis.
Je permettrais de citer des extraits d’un article en ligne sur la reformulation de T. Tournebise, qui précise « pour être compétent en matière
d’écoute, il est impérieux d’accepter de ne pas savoir à la place de celui
qu’on écoute. Vous devez vous oublier et vous mettre à écouter vraiment.
Nous ne sommes pas habitués à cette attitude de non-savoir. L’habitude
culturelle nous invite plutôt à savoir plus pour être plus compétent. »
De même il ne suffit pas de se taire, d’arrêter de parler et de rester
passive. « Le patient n’est pas une voix qui parle mais un être humain qui
s’exprime, c’est un ensemble qu’il faut écouter, parce que les messages implicites sont souvent plus importants que les paroles prononcées. »
La position d’écoute totale demande un effort. Il s’agit de diriger toute
son attention vers l’interlocuteur, avec une concentration maximale.
En écoutant la patiente, en lui faisant verbaliser sa souffrance, ses peurs,
ses croyances, on recueille des informations essentielles sur son histoire, son
vécu, mais aussi ses savoirs et ses ressources. Cet entretien, empreint d’authenticité et de sincérité, crée une relation très humaine ; la personne
malade se sent estimée, considérée. Du sentiment d’existence qui en résulte,
l’écouté se sent entendu, reconnu, validé et accompagné. Il sort de son
désert pour rencontrer un peu de chaleur humaine.
Toujours selon T. Tournebise « Quant à la reformulation, elle ne peut en
aucun cas être réduite à une technique ». C’est tout autre chose qu’une répétition de ce qui vient d’être dit. « C’est offrir une présence assez sécurisante
afin que le patient puisse se rencontrer lui-même.
La qualité de la reformulation se tient au-delà des mots. Même si les
mots ont une importance, ce qui les accompagne en a bien plus. Les mots,
c’est la sémantique. Ce qui les accompagne, c’est le non-verbal, ce sont l’intonation de la voix, la gestuelle, les mimiques. Le non-verbal représente
90 % du message envoyé. Il s’agit d’entendre ce qui se dit hors des mots. Ce
non-verbal n’est que très partiellement contrôlable. »
(Les mêmes mots, la même phrase, selon le comportement non-verbal
qui les accompagne, peuvent changer le sens au point de signifier le
contraire.) Certaines patientes le disent fort bien : « J’ai compris ce que
j’avais en voyant la tête du radiologue ! »
Par ce colloque singulier, il est permis de penser que le soignant peut
favoriser l’adaptation à ce nouveau statut de personne malade et créer un
partenariat soignant-soigné qui favorisera l’acceptation et l’adhésion au
Le dispositif d’annonce quatre ans plus tard, ce qu’en pensent les patientes
65
programme thérapeutique. Ce pourrait être un thème de recherche en soins
infirmiers intéressant : « compliance et accompagnement soignant personnalisé ».
Enfin, il est essentiel de garder à l’esprit la notion d’appartenance à une
équipe, garante d’une prise en charge de qualité, en associant très précocement les professionnels des soins de support, mais aussi tous les soignants
en charge des patientes au jour le jour.
Il me semble, pour conclure, essentiel d’affirmer haut et fort que la relation est un soin.
Walter Hesbeen affirme que « la rencontre entre une personne soignante
et une personne soignée poursuit un objectif bien précis, celui de réussir
cette rencontre en tissant des liens de confiance… Cela équivaut d’une
certaine façon à ce que la personne soignée se dise que le professionnel peut
l’aider dans la situation qui est la sienne ».
Entrer en relation avec le patient, c’est l’accompagner « sur le chemin qui
est le sien ».
Si l’infirmière acquiert des habiletés techniques au cours de sa vie professionnelle, elle acquiert également des habiletés relationnelles (ou peut en
acquérir via les formations). Une prise en charge de qualité des patients ne
peut se départir ni de l’une ni de l’autre. Il faut une prise de conscience
collective pour réhabiliter le relationnel dans les soins, en faire une pratique
quotidienne dévolue à chaque soignant. Démontrer que « s’asseoir pour
parler » en faisant du bien au patient fait aussi du bien aux équipes, voire
réduit le nombre de consultations ou d’appels téléphoniques et est un
nouveau challenge des infirmières de consultation.
Bibliographie
Revues :
Blaizac C (mars 2006) La consultation infirmière, maillon central de l’organisation
des soins de support. Soins n° 703 pp. 49-51
Brédart A, Seigneur E (mars 2005) Quel soutien psychologique autour de l’annonce du cancer ? Soins n° 693 pp. 36-38
Pujol H, Clavier J, Scaramozzino C (mai-juin 2007) Ligue nationale contre le
Cancer, améliorer la prise en charge globale des malades. Revue hospitalière de
France n° 516 pp. 16-19
Smutek B (juillet-août 2006) La consultation infirmière, dispositif d’annonce de la
maladie cancéreuse. Soins n° 707 pp. 52-53
Tournebise T (novembre 2002) La reformulation, article publié en ligne
66
Annoncer un cancer
Phaneuf M (janvier-avril 1992) La communication et la relation d’aide : éléments
de compétence de l’infirmière. Chronique de l’inspection professionnelle Nursing
Québec
Brian P. Le plan cancer deux ans après. Soins n° 693
Livres :
Bataille P (2003) Un cancer et la vie. Paris Éditions Balland
Ligue nationale contre le Cancer (1999) Les malades prennent la parole. France Édition Ramsay
Ruszniewski M (2004) Face à la maladie grave : patients, familles, soignants. Paris
Edition Dunod
Buckman R (2002) S’asseoir pour parler. Édition Masson
Guex P (1989) Psychologie et cancer. Éditions Payot Lausanne
Razavi D, Delvaux N (1994) Psycho-oncologie. Éditions Masson
Cheneweiss L. Les soignants face à la psychologie des malades. Objectifs soins
Raoult A (2004) Démarche relationnelle. Éditions Vuibert
Hesbeen W (1997) Prendre soin à l’höpital, Éditions Masson, Paris
Sites :
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Plan Cancer 2003-2007, Mission interministérielle pour la Lutte contre le Cancer,
(en ligne) disponible à partir de URL : < http ://www.e-cancer.fr/v1/fichiers/public/
plancancerbase.pdf >
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cancer dans les établissements de santé, (en ligne) disponible à partir de URL :
< http ://www.e-cancer.fr/v1/fichiers/recommandations _nationales_da_nov_05.pdf
www.maieusthenie.com
Les impacts du dispositif d’annonce du diagnostic de
cancer sur l’organisation des services hospitaliers
et le travail des soignants
N. Guirimand, C. Besson, G. Benoit et A. Leplège
« Là où l'on ne peut rien savoir de vrai, le mensonge est permis.»
Nietzsche, Le Livre du philosophe.
Depuis un demi-siècle, l’information médicale fournie aux patients a fait
l’objet de nombreuses recherches dans le domaine des sciences humaines et
sociales et, en particulier, celui de la psychologie clinique ou de la sociologie de la santé (1-4).
La première à faire date est une étude menée par Oken en 1961, révélant
l’absence d’informations données par les médecins aux patients atteints de
cancer1. Le travail de Oken inspira par la suite plusieurs enquêtes (5-7) pour
tenter de déterminer les raisons de cette « conspiration du silence » (8).
Centrées sur les justifications données par les médecins interrogés sur leurs
motivations, à cacher ou à dévoiler partiellement, aux patients des informations sur le diagnostic de leur cancer, ces études préconisent pour la
plupart, de manière engagée, un partage de l’incertitude médicale avec le
patient, et pour certaines, un suivi psychologique. Bien souvent, les études
sur la transmission des mauvaises nouvelles (bad news) (9, 10) ou les
travaux sur les maladies chroniques, dont l’annonce est analysée comme
une rupture biographique (biographical disruption) (11) sont compassionnelles (12). Durant ces 40 dernières années, « la place croissante occupée par
les questions du corps, de la santé et de la vie, dans les affaires humaines »
(13) a contribué à une réévaluation des informations transmises ou non aux
patients par les médecins (7, 12) et à des changements dans la façon d’annoncer le diagnostic de cancer.
1. Près de 9 patients sur 10 n’avaient pas été informés par leurs médecins du diagnostic de leur maladie lorsqu’ils étaient atteints d’un cancer.
68
Annoncer un cancer
Annoncer le cancer différemment
Portée dans l’espace public, la définition de la « bonne » pratique de l’annonce a ouvert un débat sur les informations qui doivent être communiquées aux patients par leurs médecins. Les valeurs et les jugements mis en
avant par certains médecins pour justifier leur réticence ou leur opposition
de principe au partage du diagnostic médical avec leur patient ont fait
l’objet de critiques, d’abord de la part des médias puis des associations de
malades.
Informer les patients du diagnostic de leur cancer et de leur pronostic
vital devient l’objet de débats politiques et citoyens : celui d’une démocratie
sanitaire (10, 14). À l’information médicale sur l’état de santé d’un patient se
trouve assignée une valeur qui fluctue en fonction de la période historique
que l’on étudie. Jusqu’à la fin des années 1970, la circulation partielle de l’information médicale concernant le diagnostic de ses patients était valorisée.
Progressivement, cette pratique subit une dévaluation qui s’effectua au profit
d’une valorisation de la circulation dans le cercle de la relation singulière
médecin-patient. De la question récurrente : faut-il ou non informer les
patients de leur état de santé lorsqu’ils sont atteints d’une maladie grave ?,
nous sommes passés au début des années 1990 par une sorte de glissement
thématique à la question : faut-il tout dire aux patients de leur état santé ? si
oui, que doit-on dire ou cacher ? et à qui (proche ou patient), de quelle
manière, comment les médecins se justifient-ils ? (7, 12, 15).
Depuis la concertation nationale sur le cancer, organisée par Jack Ralite,
ministre de la Santé en 1982, jusqu’aux États généraux des malades du
cancer organisés par la Ligue nationale contre le Cancer en 1998, les plaintes
des patients concernant la façon dont leur médecin leur avait appris ou
caché l’existence de leur cancer ont été entendues par les membres des
gouvernements successifs.
Le dispositif d’annonce du diagnostic de cancer (mesure 40 du Plan
Cancer 2003) a été détaillé avec une grande précision : ses objectifs
(meilleure transmission aux patients des informations relatives à la maladie
et aux soins ; amélioration de la coordination entre la médecine de ville et
la médecine hospitalière) et ses temps (temps médical, temps d’accompagnement soignant, accès à une équipe impliquée dans les soins de support,
temps d’articulation avec la médecine de ville).
Malgré cela, on peut noter la grande latitude laissée aux chefs de service
et aux responsables du personnel soignant pour intégrer ce dispositif dans
l’organisation hospitalière. Cette marge de liberté fait appel aux ressources
des différents acteurs impliqués dans la mise en place du dispositif (16) et
en résultent différents modèles organisationnels.
Les impacts du dispositif d’annonce du diagnostic…
69
Les modèles organisationnels de la mise en place du
dispositif d’annonce du cancer
La mise en œuvre du dispositif d’annonce est passée par une phase préliminaire d’expérimentation, en 2004, dans 58 établissements. Les médecins
lui préfèrent de façon unanime, pour plus de raisons de clarté sémantique,
la dénomination de « processus » d’énonciation du diagnostic (17). Processus qui prend en compte les échanges verbaux et non verbaux2 qui annoncent tacitement au patient que quelque chose de grave va dans un avenir
proche lui être annoncé. Mais souvent, en dehors des patients admis en
urgence, les patients ont déjà été préparés par leur médecin traitant, ou bien
ils ont cherché des informations sur Internet, si bien qu’il est difficile de
parler, dans le cadre hospitalier, d’annonce du cancer. Il s’agit souvent de
confirmation du diagnostic « pressenti »3. Les données recueillies dans un
centre hospitalo-universitaire dans la région parisienne montrent tout
d’abord que les médecins interviewés durant notre étude (n = 12) considèrent que le cancer doit s’annoncer comme n’importe quelle autre maladie
grave. Ils reconnaissent cependant que le dispositif du Plan Cancer était
nécessaire car il leur a permis de faire le point sur leur pratique. Majoritairement, les soignants interrogés durant notre étude insistent sur le tact
nécessaire dont il faut faire preuve au moment de l’annonce, tenant compte
de la personnalité du malade. Ce type de déclaration sur les « ficelles » du
métier a fait l’objet d’une littérature médicale et psychologique abondante
(10, 18, 19). Les données recueillies nous ont permis de repérer au moins
4 modèles différents de mise en œuvre du dispositif d’annonce du cancer4 :
– le modèle de l’infirmier d’annonce mobile, référent à temps plein, mobile
sur plusieurs services ;
– le modèle de l’infirmière d’annonce, référente à temps plein attitrée à un
service ;
– le modèle de l’équipe d’infirmières polyvalentes, alternant soins et accompagnement d’annonce ;
– le modèle du psychologue référent des patients après l’annonce de leur
cancer.
Il faut toutefois insister sur le fait que la pluralité des modèles permet de
rompre avec une idée fausse, toutefois communément répandue, selon
laquelle la rationalisation des pratiques médicales à laquelle nous assistons
depuis 1993 a pour effet l’homogénéisation des pratiques médicales.
2. Une grimace ou un regard fuyant des soignants en disent long.
3. Ce pressentiment permet de relativiser la valeur heuristique du concept de « maladie chronique comme
rupture biographique » telle qu’il est analysé par Bury depuis les années 1980 (20, 21).
4. Il est important de souligner qu’à ce stade de l’étude, il n’est pas possible de hiérarchiser ces modèles car
se posent des difficultés, ni de dire si l’un est meilleur que l’autre en termes de bénéfices de qualité de vie.
70
Annoncer un cancer
Montrer que la normalisation des pratiques médicales aide les soignants,
qui trouvent dans ces normes des ressources à exploiter plutôt que des
limites à leur autonomie, est à contre-courant des idées reçues (22). Dans
notre étude, nous montrerons que cela s’avère pertinent concernant l’application de la mesure 40 du Plan Cancer.
Le modèle de l’infirmier d’annonce mobile sur plusieurs
services
Dans le cadre de la mise en place du dispositif d’annonce, un poste d’infirmier d’annonce a été créé par la polyclinique (consultations de chirurgie
digestive, gastro-entérologique et d’hématologie). Cet infirmier est chargé
de l’accompagnement des patients atteints de cancer dans deux différents
services de l’hôpital (hématologie et gastro-entérologie) dès leur entrée
dans leur parcours de soins. Lorsqu’il est sollicité par les médecins, l’infirmier d’annonce mobile joue un rôle essentiellement dans le temps de l’accompagnement soignant. La présence de l’infirmier d’annonce est ainsi
requise à son bureau pour recevoir en rendez-vous les patients et leurs
proches, dans la consultation d’hématologie ou de chirurgie digestive et
gastro-entérologique où il assiste à certaines annonces de cancer et dans les
chambres des patients hospitalisés qu’il visite. Si certains médecins hésitent
encore à faire appel à cet infirmier au moment où ils annoncent un cancer
à leurs patients, ils sont de plus en plus nombreux à le faire. Cet infirmier a
dû apporter la preuve de l’efficacité de cette nouvelle fonction hospitalière
qui nécessite une connaissance des traitements que recevront les patients
dans ces deux services. Cependant, n’étant pas présents lorsque l’infirmier
d’annonce prend le relais auprès du patient, nombre de médecins ne
cachent pas leur inquiétude sur ce qui sera dit au patient. Ils craignent en
particulier que ne soient fournies des informations médicales inexactes ou
non encore énoncées par eux.
Le modèle de l’infirmière d’annonce à temps plein et attitrée à
un service
Sous l’impulsion du chef du service d’ORL et du cadre de soin, un poste
d’infirmière d’annonce a été créé en septembre 2006. Ce poste a été confié
à une infirmière expérimentée dans le domaine des soins infirmiers de ce
service. Avant d’intégrer cette nouvelle fonction, elle a préalablement suivi
une formation de l’Assistance publique des Hôpitaux de Paris organisée
dans le cadre du Plan Cancer, spécifique à l’annonce infirmière en mai 2007.
Les impacts du dispositif d’annonce du diagnostic…
71
Cela, dit-elle, afin d’en savoir plus sur le principe de la consultation d’annonce, ses objectifs, ses origines et comprendre quelles pouvaient être les
différentes organisations dans les services de l’AP-HP. Elle est l’infirmière
référente de l’annonce de diagnostic de cancer pour les patients. Les médecins la qualifient de « pivot du service ». C’est-à-dire que les informations
concernant les patients sont rassemblées à son niveau, pour ensuite être plus
efficacement diffusées auprès des soignants qui les prennent en charge en
dehors de ce service. Bien que ce modèle organisationnel présente quelques
difficultés, il englobe le plus de temps différents consacrés à l’annonce :
1) le temps d’annonce : elle assiste à toutes les réunions de concertation
pluridisciplinaires, elle est présente à toutes les annonces de diagnostic de
cancer, 2) le temps d’accompagnement, 3) le temps de la coordination des
soins médicaux.
Cette infirmière référente organise les examens, avant et après, l’annonce
du diagnostic. Elle récupère les résultats des bilans des examens et des traitements effectués à l’extérieur de l’hôpital et fait le lien avec les différents
partenaires sociaux du système de soins (assistante sociale en particulier,
associations de malades telle que la Ligue contre le Cancer). Enfin, c’est elle
qui remet le programme de soins personnalisé (PPS) au patient. En résumé,
elle réalise tout un travail de coordination de l’information médicale de
chaque patient, planifie son parcours de soins et coordonne l’action des
différentes équipes médicales, des différentes institutions le prenant en
charge. Pour finir, elle participe à la reformulation des informations médicales et à la mise en confiance du patient avec qui elle communique. Pour
cela, elle s’efforce d’adapter son discours aux différents niveaux de compréhension des patients et de leurs proches et de répéter, à plusieurs reprises,
les différentes informations fournies par le médecin, ce qui optimise, selon
Silverman et Bloor (23), la communication. En s’appuyant sur les témoignages des patients qu’elle suit (interrogés par une enquêtrice psychologue),
cet investissement à temps plein apaise les angoisses des patients et facilite
la tâche des médecins qui savent à qui s’adresser pour faire le point rapidement sur leur patient.
Toutefois, il faut souligner que ce modèle demande une grande implication dans le rôle d’infirmière d’annonce « clinicienne » et, par conséquent,
il est susceptible d’être source d’épuisement professionnel (24, 25).
Le modèle de l’équipe des infirmières d’annonce polyvalentes
Ce modèle est sans doute le plus répandu dans l’ensemble des services
hospitaliers où la mesure 40 est appliquée (cadre infirmier, formateur à
l’AP-HP).
72
Annoncer un cancer
Dans le cadre de notre étude, nous avons observé sa mise en place dans
le service d’urologie. Pour les soignants de ce service, la réflexion amorcée
lors de la mise en place du dispositif d’annonce a permis d’améliorer la
qualité de vie des patients en précisant les conduites de chaque soignant
durant l’annonce du diagnostic :
– en formalisant les étapes de l’entretien d’accompagnement et en définissant des stratégies d’amorce de la conversation : « ne plus débuter l’entretien n’importe comment » ;
– en tenant compte de la « liberté d’expression » du patient : « on ne force
plus le patient à parler car soit il parle spontanément, soit il faut lui poser
des questions en douceur » ;
– en mettant du personnel soignant à disponibilité du patient en dehors de
l’hôpital ;
– en préparant l’entretien avec le médecin : « on n’arrive plus sans avoir lu
le dossier du patient » ;
– en préparant le matériel de présentation, brochures, kits et photos avant
l’arrivée du patient.
Si la question d’introduire des infirmières, au sein du dispositif d’annonce, allait de soi pour ceux qui dirigent ce service, encore fallait-il déterminer quelles étaient celles les plus à même d’apporter leur contribution à
l’optimisation de la réorganisation du service. Parmi les 11 infirmières du
service, 3 d’entre elles ont été sollicitées pour y participer. Sélectionnées
pour leur expérience des pathologies urologiques et leurs traitements,
souligne le chef de service, deux infirmières sont chargées d’assurer l’accompagnement des patients au sein d’une consultation infirmière, tandis
qu’une troisième s’occupe de l’accueil des familles et des patients hospitalisés. Depuis la mise en œuvre dans le service de la mesure 40, ces infirmières
sont investies de nouvelles tâches qui incombaient jusqu’ici aux médecins
(la vérification de l’information médicale comprise par le patient, l’analyse
des représentations de la maladie et du rapport du patient à sa maladie)
même si les précisions d’ordre médical demeurent parmi les prérogatives du
médecin.
Si la consultation d’annonce est souvent associée à la reformulation de
l’information médicale, elle contribue également à l’éducation thérapeutique du patient. Certaines interventions chirurgicales (telle l’ablation de la
prostate) occasionnent chez certains sujets des troubles de l’érection. Pour
les patients qui souffrent de ces troubles, la consultation d’annonce infirmière permet aussi d’aborder avec eux des problèmes de sexualité et de vie
conjugale. Enfin, lorsque ce modèle est appliqué de façon systématique, le
dispositif d’annonce semble avoir un effet dynamisant sur l’équipe
soignante.
Les impacts du dispositif d’annonce du diagnostic…
73
« Depuis que j’assiste aux annonces du Pr. X […], je me sens
plus investie dans l’accompagnement du patient, plus attentive aux
questions que pose l’annonce du cancer quand le patient apprend
qu’il en est atteint. » (infirmière)
Enfin, on peut se demander si la surcharge de travail immédiate permet
de réduire le temps d’hospitalisation des patients.
Le modèle du psychologue référent des patients après
l’annonce de leur cancer
Dans le cadre de la mise en œuvre du Plan Cancer, un poste de psychologue
à temps plein a été créé. Dans les services de rhumatologie et d’orthopédie
de cet hôpital, le personnel infirmier n’assiste pas aux consultations d’annonce du diagnostic de cancer. C’est la psychologue qui joue un rôle central
dans la mise en œuvre du dispositif. Elle visite les patients atteints de cancer
et hospitalisés dans le service pour faire le point sur leur vécu de la maladie.
Une fois par semaine, elle participe aux réunions de l’équipe pour y exposer
les informations recueillies au lit de chaque patient.
Les médecins de ce service soulignent l’importance qu’ils accordent aux
modalités de l’annonce car la qualité de la relation médecin-patient en
dépend durant le suivi thérapeutique. Les médecins disent considérer l’annonce de diagnostic comme un acte thérapeutique au même titre qu’une
prescription médicale.
Que ce soit dans le service de rhumatologie ou d’orthopédie, chaque
médecin ou chirurgien explique à ses patients le traitement qu’il va recevoir.
À l’aide de schémas explicatifs au cours de la consultation d’annonce, les
chirurgiens orthopédistes décrivent à leurs patients leur pathologie et les
étapes des traitements chirurgicaux destinés à l’exérèse de la tumeur. Ces
schémas sont remis aux intéressés à l’issu de la consultation préopératoire.
Les dossiers des patients hospitalisés sont repris un à un lors de la réunion
hebdomadaire de l’équipe médicale à laquelle se joint la psychologue de
manière quasiment systématique.
Les médecins de ces services jugent que l’annonce du diagnostic de
cancer organisée sous cette forme est inadaptée à leur pratique, en particulier pour les patents atteints de pathologies métastatiques. Ces pathologies
osseuses font suite à des cancers situés dans d’autres parties du corps (des
cancers du sein, des poumons, de la prostate, de la thyroïde ou du tube
digestif). Bien souvent, elles surviennent plusieurs mois, voire plusieurs
années, après que le patient a appris l’existence d’un premier cancer.
74
Annoncer un cancer
« La mesure 40 du Plan Cancer pour ce service était inutile
car elle ne change rien à la manière d’annoncer le cancer. On peut
même dire qu’elle préconise un protocole que nous, médecins de
ce service, jugeons moins bien que ce que l’on a l’habitude de faire.
Il est moins personnalisé. » (rhumatologue)
Les infirmières de ces services sont tenues informées par les médecins de
ce qui a été dit aux patients de leur maladie. Il est important de souligner
que, car cela ne va pas de soi, si les infirmières n’assistent pas aux annonces,
elles ne sont pas pour autant exclues du dispositif d’annonce. Pendant leurs
soins, certains patients leur demandent fréquemment des explications sur
les informations qui leur ont été données par leur médecin. Habilitées à ne
répondre qu’aux questions ayant trait aux soins infirmiers, elles transmettent au médecin référent ces questions pour qu’il y réponde au lit du
malade, dans un deuxième temps.
Le temps passé par le personnel médical à faire l’annonce du diagnostic
est identique à celui évoqué pour les autres services. Il est estimé à environ
une 1/2 heure-1 heure, comme nous l’a indiqué le chef de service. De même,
si le temps consacré par les infirmières à l’accompagnement des patients (à
qui l’on a annoncé un cancer), n’est pas comptabilisable, puisque fondu
dans celui des soins infirmiers, il ne semble pas plus court que celui accordé
aux patients dans le cadre d’une consultation d’annonce infirmière.
Un vécu de l’accompagnement d’annonce par le personnel
infirmier très contrasté
Nous avons ainsi pu définir les cas où le service fait appel à un infirmier
d’annonce mobile sur plusieurs services, le cas où le service dispose de sa
propre infirmière d’annonce, le cas où le service fait appel à une équipe d’infirmières polyvalentes, le cas où le service fait intervenir une psychologue.
Les avancées liées à l’annonce
Après les quelques mois de pratique nécessaires à l’adaptation du service
aux nouvelles procédures, la reconnaissance des effets de la consultation
d’annonce infirmière valorise les compétences techniques de l’infirmière
dédiée. Si, en termes d’actes techniques, la charge de travail des infirmières
augmente, toutes celles qui ne font pas d’annonce s’accordent pour dire que
leurs conditions de travail se sont améliorées, depuis la création de la
Les impacts du dispositif d’annonce du diagnostic…
75
consultation d’annonce car les patients pris en charge sont moins angoissés,
« moins stressés » car mieux informés des soins. Les patients font preuve
d’une plus grande compliance. Les infirmières qui assistent à l’annonce
reconnaissent que leur présence permet une meilleure prise en charge du
patient puisqu’elles « savent exactement ce qui a été dit ». En effet, en observant l’annonce faite par le médecin, elles ont connaissance de l’information
transmise par le médecin au patient et, par conséquent, sont en mesure de
réduire les interprétations ou les quiproquos qui peuvent survenir lors de la
consultation d’annonce du diagnostic (27).
L’annonce d’un cancer est un choc pour le patient, aussi les infirmières
précisent que si leur présence est importante lors de l’annonce, c’est par la
suite qu’elles peuvent apporter un soutien au patient, lorsque s’est établie
une certaine confiance.
L’infirmière d’annonce chargée d’accompagner à temps plein souligne
combien sa relation avec les patients est importante pour les hospitalisés.
Notamment parce qu’elle utilise les mots du patient durant la consultation
d’annonce infirmière, elle permet aux patients de ne pas perdre la maîtrise
de leur corps qui, en partie, leur échappe à cause de leur maladie (28-30).
Des difficultés d’ordre relationnel et psychologique
Les nouvelles fonctions de l’infirmière d’annonce engendrent cependant un
certain nombre de difficultés. Les modèles des infirmières d’annonce « cliniciennes » à temps plein (mobiles et attitrées au service) peuvent poser des
difficultés relationnelles entre collègues soignants non-médecins.
Tant l’activité du service en cancérologie était importante, l’infirmière
d’annonce s’est vue mise à distance de ses collègues : son espace de travail
n’est plus le même (elle a son propre bureau pour recevoir les patients et
leurs proches) et ses fonctions hospitalières ont changé (elle est pratiquement dispensée de soins infirmiers).
La création d’un cadre privilégié pour accueillir et accompagner les
patients, l’attribution de nouvelles prérogatives et la redéfinition des tâches
attribuées à l’infirmière d’annonce, soupçonnée d’avoir perdu ses aptitudes
professionnelles, ont contribué à sa marginalisation au sein de l’équipe
soignante.
« Disons que mes collègues ne savaient plus où me situer,
ne savaient plus comment me définir. Pour eux, je n’étais plus infirmière
puisque je ne faisais plus de gestes techniques infirmiers.
Autrement dit, je n’étais plus considérée comme infirmière
par les autres infirmières. » (infirmière d’annonce)
76
Annoncer un cancer
Cette spécialisation lui a valu de la part de ses collègues des qualificatifs
peu élogieux.
« Et puis d’être isolée et ne voir plus que des patients cancéreux,
ça m’a valu le surnom de Madame Cancer ou l’infirmière de mauvais
augure. Car venir dans mon bureau, c’est le signe que le patient a
un cancer. » (infirmière d’annonce)
Des propos péjoratifs du type : « Tu es masochiste ou quoi ? », ont été
émis par ses pairs qui ne perçoivent pas, dans l’immédiat, la nécessité de ce
nouveau poste au sein du service. Ces propos ont généré une souffrance
morale chez l’infirmière d’annonce à qui ils étaient adressés. Aujourd’hui,
reconnue pour ses compétences techniques, sa relation professionnelle avec
le reste de l’équipe soignante est repartie sur de nouvelles bases.
Par ailleurs, nous tenons à souligner le fait qu’en apportant sa coopération au travail d’annonce des médecins, le personnel paramédical contribue
à la redéfinition de son identité professionnelle. Cette redéfinition identitaire qu’implique le transfert de compétences5, peut être vécue douloureusement par le personnel infirmier d’annonce mobile et le personnel
infirmier d’annonce attitré à un service, référent et coordinateur à temps
plein. Ce personnel, contrairement à celui qui pratique l’annonce infirmière
en alternance avec les soins, est plus exposé au burn-out (24).
Il est apparu nécessaire de mettre à disposition du personnel soignant
impliqué dans l’annonce à temps plein un soutien psychologique pour faire
face à la charge émotionnelle que génère leur implication dans le suivi d’accompagnement des patients atteints de cancer. Une psychologue de l’hôpital assure un groupe de parole et de soutien du personnel soignant chargé
de l’annonce à temps plein.
À ces difficultés d’ordre relationnel et psychologique s’ajoutent des difficultés d’ordre structurel.
Des difficultés d’ordre structurel
L’administration hospitalière ne semble pas avoir suffisamment mesuré la
charge de travail supplémentaire supportée par le personnel soignant des
services dans lesquels est appliqué le dispositif d’annonce du diagnostic de
5. Le rapport sur la « coopération des professions de santé : le transfert de tâches et de compétences » fut réalisé par le Professeur Yvon Berland, Doyen de la Faculté de Marseille et remis au ministère de la Santé, de la
Famille et des Personnes handicapées, le 20 mars 2003. Il y est précisé que « la consultation première ou d’annonce au cours de laquelle sont présentés le diagnostic, la stratégie thérapeutique et le bilan préthérapeutique,
n’est pas jugée transférable sauf pour les explications complémentaires pratiques » (26).
Les impacts du dispositif d’annonce du diagnostic…
77
cancer. Si la mise en place du dispositif d’annonce a été facilitée par la création de plusieurs postes d’infirmiers, il semble que peu de moyens matériels
aient été fournis pour faciliter sa mise en place. Selon certaines infirmières
interrogées, peu de moyens permettraient d’améliorer la qualité de la relation soignants – patients/proches durant la consultation d’annonce. Il suffirait de « financer l’achat de fournitures des clés USB et CD vierges » (cadre
infirmier) qui seront utilisés comme des outils pédagogiques et « financer
l’achat d’une cafetière et de fauteuils » (cadre infirmier) pour créer un cadre
favorable à une relation de confiance entre soignant et soigné.
Pour le personnel qui accompagne à temps plein les patients après l’annonce de leur cancer, l’espace pour accueillir les patients et leur famille est
inadapté. Le personnel infirmier d’annonce à temps plein dispose d’un
bureau de 9 m2 sans fenêtre. Très impliqué dans son rôle, il regrette le
manque de moyens mis à sa disposition pour débuter et a fait le nécessaire
pour obtenir du mobilier pour donner une dimension « plus humaine et
conviviale » et remédier, comme il le dit, à la « froideur du local ».
Le personnel infirmier s’entend sur le fait qu’il est nécessaire de libérer
du temps en dehors des soins pour optimiser la consultation d’annonce
infirmière. Lorsque l’infirmière doit partager son temps entre l’accompagnement d’annonce et les soins, le temps dédié à l’annonce du diagnostic
est plus réduit, séquentiel et informel, il est limité par la charge de travail
dédiée aux soins infirmiers6. Par manque de personnel supplémentaire
recruté les jours de la consultation d’annonce, la part des tâches techniques
qui incombent à l’infirmière chargée de l’accompagnement d’annonce est
répartie entre les différentes infirmières qui exercent ce jour-là. Cette
surcharge de travail pose des problèmes organisationnels que le cadre
responsable du personnel soignant tente de régler en faisant appel à son
personnel « détaché » à la consultation d’annonce. Les multiples dérangements que subit le personnel soignant durant son travail à la consultation
d’annonce nuisent à la qualité du suivi et de l’accompagnement des
patients.
***
Cette « nouvelle » forme d’organisation du travail ne se traduit pas par
un lissage, une homogénéisation, une standardisation de la pratique de l’annonce comme nous aurions pu le penser a priori. Au contraire, la discussion avec les professionnels du soin sur cette question leur a permis de
réaliser toute une série de transformations internes dans la mise en place du
dispositif, par-delà l’hypothèse de son bénéfice pour les patients. On
constate rapidement que la mise en place d’un dispositif d’annonce, quel
6. Notons toutefois que ce laps de temps a l’avantage de laisser de précieuses heures au patient pour préciser
ou formuler d’autres questions.
78
Annoncer un cancer
que soit son modèle, a une incidence sur le fonctionnement du service et
génère différents types de réactions. La mise en place de ces différents
modèles correspond à une délégation ou à un transfert partiel de tâches
médicales aux professions paramédicales pour les explications complémentaires pratiques. Nous notons que dans l’ensemble, le dispositif a apporté
des améliorations dans la perception que chaque soignant avait de sa fonction. Si la question du gain de temps médical n’a pas lieu d’être posée
comme le font les débats sur les transferts de compétences, puisque les
médecins consacrent plus de temps à leurs patients au moment de l’annonce du diagnostic de cancer qu’ils ne le faisaient auparavant, on peut se
demander si la surcharge de travail immédiate du personnel soignant ne
permet pas de réduire le temps d’hospitalisation des patients.
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Annoncer un cancer
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Facteurs psychologiques impliqués
dans l’annonce du diagnostic de cancer
L. Edery
L’annonce du diagnostic est une étape importante dans la rencontre entre
un professionnel de santé et un patient atteint de cancer. Associé au
diagnostic, un projet thérapeutique est aussi annoncé par l’oncologue.
Cependant, un doute, une suspicion, une alternative diagnostique sont
souvent plus ou moins consciemment transmises pendant l’annonce.
Chez le patient, l’annonce du diagnostic peut réveiller une souffrance
psychique bien ancrée dans son passé et plus ou moins liée à sa personnalité.
Afin de préserver au mieux son intégrité psychique et physique, le
patient met en place, inconsciemment, des stratégies d’adaptation et d’ajustement à la maladie (1). Elles visent à réduire la portée trop brutale du
diagnostic délivré généralement sans préparation psychologique.
Ces efforts d’adaptation psychique se traduisent par un ensemble de
réactions psychologiques, émotionnelles, cognitives et comportementales (2) qui, à chaque phase de la maladie, vont influencer l’intégration
complexe entre les expériences passées, la perception des menaces futures et
les ressources personnelles ou sociales disponibles (3).
Les réactions des patients ne sont pas homogènes, ne serait-ce que parce
que les individus réagissent différemment en fonction de leur propre
histoire, de leurs caractéristiques sociales, mais aussi de leurs dispositions
personnelles.
Anxiété
L’anxiété est caractérisée par un sentiment d’appréhension, voire de tension
et de terreur face à un danger non déterminé (4).
82
Annoncer un cancer
Elle est définie par de multiples manifestations (5) :
– somatiques (cardiovasculaire, digestive, respiratoire, génito-urinaire,
neuromusculaire et sensorielle) ;
– émotionnelles (sentiment de honte, d’échec) ;
– cognitives (rumination, irritabilité, anticipation négative des événements,
sentiment de perte de contrôle) ;
– comportementales (agressivité ou inhibition, repli sur soi, conduites
d’évitement).
L’annonce du diagnostic de cancer ainsi que ses traitements sont une
source importante d’anxiété qui pourra être renforcée ou inhibée tout au
long du parcours thérapeutique du patient.
Nous avons observé que le niveau d’anxiété des patients influence leur
implication et leur participation à la prise en charge proposée par les
soignants (1).
Traits de personnalité anxieuse
La personnalité anxieuse se distingue par un état d’anxiété permanent, un
sentiment d’être paralysé par l’inquiétude et une irritabilité importante. Ces
personnes présentent une anticipation négative et craintive de l’avenir. La relation à l’autre va ainsi être inhibée, évitée, par crainte d’être jugé et critiqué.
La situation anxiogène de l’annonce du diagnostic va amplifier les traits
anxieux du patient et renforcer ses manifestations associées (anticipation
négative, irritabilité, somatisation, rumination…).
L’anticipation de chaque annonce ou examen médicaux va devenir une
source d’anxiété exprimée par une sollicitation importante des soignants.
Un besoin de justification permanent peut parfois exacerber les soignants.
Le patient n’est jamais satisfait des réponses et de l’attention qui lui sont
données. Il ressentira ainsi le besoin d’informations ou de nouvelles confirmations diagnostiques demandant l’avis d’autres professionnels de santé ou
en se documentant sur Internet.
Cette demande répétitive d’informations et d’une réassurance jamais
atteinte peuvent engendrer la fuite du patient dans les prises de décisions
face à son protocole thérapeutique. Ce manque d’implication est aussi
parfois lié aux difficultés de concentration et de mémoire dues à l’anxiété.
Prenons les effets secondaires de la chimiothérapie. Lors de l’annonce du
protocole thérapeutique, l’oncologue en énumère une liste susceptible d’apparaître pendant le traitement. Cette liste exhaustive et pénible à entendre
entraîne une intense inquiétude avec un sentiment de menace chez le
patient.
Facteurs psychologiques impliqués dans l’annonce du diagnostic de cancer
83
L’apparition ou non d’un effet secondaire va amplifier l’anxiété du
patient et nécessitera un rappel permanent du protocole thérapeutique avec
réassurance quant au bon déroulement du traitement.
La réponse de l’oncologue va être primordiale dans la prise en charge du
patient. Un comportement opérant du soignant consistera à ne pas éviter
les sentiments et les préoccupations du patient. Cependant, la banalisation
et la rationalisation de l’état émotionnel du patient ont pour effet de protéger les soignants. Ces mécanismes donnent pourtant l’impression d’abandonner les malades à leurs préoccupations.
La réassurance consiste à introduire dans un entretien des éléments
concrets sur lesquels le patient peut s’appuyer, comme les examens médicaux qui sont des valeurs objectives, mais aussi les bénéfices que peut apporter le traitement.
Un travail en équipe avec le psycho-oncologue est indispensable pour
évaluer l’anxiété du patient et adapter les attitudes et les informations rassurantes que peuvent apporter les soignants.
Anxiété « normale » ou pathologique ?
L’anxiété est une réaction psychologique déclenchée en réponse à un événement traumatique comme l’annonce du diagnostic. Des critères ont été
établis dans les nosographies actuelles pour distinguer l’anxiété normale de
l’anxiété pathologique : le nombre de symptômes, la durée, l’intensité et la
fréquence des manifestations anxieuses.
L’anxiété dite « normale » est une expérience commune et fondée, étroitement liée à l’annonce du diagnostic de cancer et de ses traitements. Ses
manifestations seront de courte durée (moins de 7 jours), d’intensité et de
fréquence modérées avec un nombre faible de symptômes (inférieur à 3).
Une anxiété qui n’aura pas de retentissement sur la vie du patient en ne
limitant pas ses activités quotidiennes et ses capacités à prendre du plaisir
(6). Cette anxiété va, certes, entraîner une gêne dans l’implication (écoute
et réflexion) du patient lors de la consultation mais le dialogue avec l’oncologue ne sera pas rompu.
L’anxiété pathologique est définie par un état de tension chronique, une
attitude de doute et un sentiment d’insécurité permanent (durée de plus de
6 mois). De nombreux symptômes (plus de 4) vont entraîner un caractère
disproportionné et inhabituel des réactions émotionnelles du patient (6).
L’annonce du diagnostic va être vécue comme une souffrance non
maîtrisable par le patient. Le patient va péjorer la moindre information
apportée par l’oncologue, qui, associée à une difficulté de concentration, va
rendre difficile la communication soignant-soigné (7).
84
Annoncer un cancer
Les récents travaux tentent de corréler le niveau d’anxiété des patients à
leur adhésion au traitement. Une disparité du niveau d’anxiété a été observée selon la prise de décisions de patientes, préalablement soignées d’un
cancer du sein, pour un traitement préventif d’une possible rechute (la
chimiothérapie adjuvante). Nous avons observé une relation significative
entre le niveau d’anxiété des patientes et leur adhésion au traitement. Plus
les patientes avaient un niveau d’anxiété élevé, plus elles ont accepté le
protocole thérapeutique proposé par l’oncologue (1).
Dans le cas particulier du cancer, il ne faut pas négliger l’anxiété iatrogène causée par les traitements anti-cancéreux tels que les corticoïdes.
Dépression
La dépression est caractérisée principalement par une humeur triste, une
perte de plaisir et d’intérêt.
Elle est définie par de multiples manifestations (8) :
– somatiques (digestives, cardiovasculaires, sexuelles, neuromusculaires) ;
– émotionnelles (perte d’intérêt, de plaisir et d’espoir, sentiment de dévalorisation, anesthésie affective et idées suicidaires récurrentes) ;
– cognitives (troubles de la concentration, de l’attention et de la mémoire) ;
– comportementales (ralentissement psychomoteur et psychique).
Ces signes doivent être différenciés des symptômes confondants liés à
l’affection cancéreuse (fatigue, perte de poids).
Humeur dépressive « normale » et pathologique
Une humeur dépressive peut être exprimée de diverses façons : tristesse,
perte d’espoir, d’intérêt ou de plaisir, sentiment de dévalorisation.
Une humeur triste « normale » ne constitue pas un véritable état dépressif mais une réaction temporaire déclenchée en réponse à un événement
traumatique comme l’annonce du diagnostic ou des traitements.
Une humeur dépressive « pathologique » se caractérise par une perception négative permanente qui engendre un désintérêt pour les activités qui
étaient antérieurement investies. Les symptômes précédemment décrits
sont permanents, incontrôlables et d’intensité élevée (9).
Facteurs psychologiques impliqués dans l’annonce du diagnostic de cancer
85
L’épisode dépressif majeur
Des critères ont été établis pour distinguer l’humeur dépressive de l’épisode
dépressif majeur : le nombre de symptômes, la durée, l’intensité et la
fréquence.
Au mois 5 des symptômes suivants, dont l’humeur dépressive et la perte
d’intérêt, doivent avoir été présents pendant une même période d’une durée
d’au moins deux semaines, d’intensité élevée et permanente, et avoir représenté un changement par rapport au fonctionnement psychique antérieur
du sujet (6).
Les principaux symptômes de la dépression [6] :
– perte ou gain significatif de poids en l’absence de régime, augmentation
ou perte de l’appétit ;
– insomnie ou hypersomnie ;
– agitation ou ralentissement psychomoteur, fatigue ou perte d’énergie ;
– sentiment de dévalorisation ou de culpabilité excessive ou inappropriée ;
– diminution de l’aptitude à se concentrer ;
– pensées récurrentes de mort avec risque suicidaire.
Dépression iatrogène
Le ralentissement existe dans le cancer, il convient donc pour l’oncologue
ou le psychiatre d’avoir fait la preuve qu’il n’y a pas de causes organiques
comme les effets propres de la maladie ou secondaires de la chimiothérapie
qui expliquent le ralentissement, avant de penser à la dépression (10).
L’asthénie et les troubles de la concentration peuvent également être
expliqués par un traitement antidépresseur prescrit avant l’annonce du
diagnostic.
Les patients déprimés sont souvent inhibés pendant la consultation. Ils
ne participent pratiquement pas, si ce n’est pas du tout, au dialogue initié
par l’oncologue. Le patient est replié sur lui-même et ne va pas chercher à
poser de questions. Il acquiesce à tout ce que propose le médecin et parfois
même n’exprime pas son avis sur la situation. Souvent, ce sont des consultations de courte durée. La majorité des informations médicales données ne
vont pas être discutées, ni comprises ou mémorisées.
Notre étude a permis d’observer que l’humeur dépressive de patientes
atteintes du cancer du sein a un impact dans l’implication dans leur choix
thérapeutique. Dans le cas de la chimiothérapie adjuvante, les patientes
déprimées ont majoritairement adopté le choix de l’oncologue (1).
86
Annoncer un cancer
Les états dépressifs, les états anxieux, l’anxiété et la tristesse
États dépressifs
Les états dépressifs sont des états transitoires, formés de 4 composantes
(11) :
– humeur triste accompagnée d’une anticipation négative de l’avenir et une
perte d’estime de soi ;
– ralentissement ou inhibition psychomotrice et psychique ;
– idée suicidaire et/ou comportement suicidaire ;
– signes objectifs (insomnie, asthénie, anorexie…).
États anxieux et états dépressifs
Un certain nombre de manifestations sont communes aux deux états :
l’anxiété, l’insomnie, la tension et les plaintes somatiques.
Les signes qui distinguent les états dépressifs des états anxieux sont la
perte d’intérêt, le ralentissement ou l’inhibition et le sentiment de dévalorisation (12).
L’anxiété
L’anxiété est un des signes fréquemment présents dans les tableaux dépressifs. Elle se définit comme une attente, une anticipation, une menace imprécise de quelque chose qui va survenir. L’anxiété est un sentiment pénible
d’attente d’une menace accompagnée d’une peur, alors que la dépression est
la constatation de ce drame. La présence de l’anxiété accroît le risque suicidaire chez le déprimé (5).
La tristesse
La tristesse est un état affectif pénible fluctuant au cours de la journée ou
de la semaine. Elle envahit la conscience et survient le plus souvent après un
facteur déclenchant comme l’annonce du diagnostic de cancer et de sa
thérapeutique. La tristesse ne rentre pas dans le tableau clinique de la
dépression et n’entraîne pas de ralentissement ou d’inhibition (13).
La tristesse est exprimée verbalement à travers des plaintes, des discours
évoquant des émotions ou des sentiments, alors que la dépression est exprimée principalement par des manifestations visibles de l’extérieur (fatigue,
ralentissement, inhibition, repli sur soi) (4).
Facteurs psychologiques impliqués dans l’annonce du diagnostic de cancer
87
Risque suicidaire
Chez les patients déprimés, l’annonce du diagnostic et la période thérapeutique peuvent renforcer les signes cliniques de la dépression et augmenter le
risque suicidaire. On peut observer chez le patient une présence importante
d’idées de mort accompagnées de conduites à risque comme l’inobservance
thérapeutique, l’absence du patient aux consultations oncologiques.
Les cancers avancés et métastatiques sont une source de désespoir et de
projection pessimiste dans l’avenir. Les cancers invasifs limitant les activités
quotidiennes comme l’alimentation dans les cancers ORL ou la sexualité
dans le cancer de la prostate, et ceux modifiant l’image corporelle tel que le
cancer du sein sont extrêmement dépressiogènes (14). La douleur physique
qui accompagne la maladie et les traitements sont aussi des facteurs déclencheurs d’idées suicidaires.
La prise en charge réclame une approche pluridisciplinaire, incluant une
évaluation et une surveillance accrue de l’état psychiatrique et psychologique du patient par le psychiatre et le psycho-oncologue. Une écoute
fréquente des manifestations émotionnelles des patients et de leur fragilité
psychiatrique est essentielle.
Face à cette situation, la plupart des soignants sont désemparés et
peuvent présenter une froideur, une neutralité émotionnelle exprimée
souvent par le silence, de peur des réactions comportementales du patient.
Dans ce cas, prôner le dialogue accompagné d’attitudes de bienveillance
et d’empathie envers le patient durant la consultation peut favoriser la
communication entre les deux protagonistes.
Traits de personnalité
Certaines manifestations émotionnelles, cognitives et comportementales
constantes et régulières se repèrent dans les façons d’être, de réagir, de
s’adapter aux situations, de traiter les problèmes.
Prendre en compte les traits de personnalité du patient permet au
soignant d’individualiser la prise en charge et donc l’information diagnostique. Est-ce que le patient veut connaître l’ensemble ou non de l’information diagnostic ? Veut-il y accéder immédiatement ou par étape ? (16)
Nous allons aborder ici les traits de personnalité obsessionnelle, histrionique et hostile, souvent rencontrés chez les patients atteints du cancer, lors
de l’annonce du diagnostic ou des traitements.
88
Annoncer un cancer
Traits de personnalité obsessionnelle
Une personnalité perfectionniste et rigide se développe au début de l’âge
adulte et est caractérisée par (6) :
– préoccupation par les détails, les règles, les inventaires, l’ordre ;
– perfectionnisme qui entrave l’achèvement des tâches (incapacité à achever
un projet parce que des exigences personnelles trop strictes ne sont pas
remplies) ;
– dévotion excessive pour le travail et la productivité, à l’exclusion des activités de loisir et des relations amicales ;
– personne trop consciencieuse, scrupuleuse et rigide sur des questions de
morale, d’éthique ou de valeurs (sans que cela soit expliqué par une
appartenance religieuse ou culturelle) ;
– incapacité à jeter des objets usés ou sans valeur même quand ils n’ont pas
de valeur sentimentale ;
– réticence à déléguer des tâches ou à travailler avec autrui, à moins que les
autres ne se soumettent exactement à sa manière de faire les choses ;
– avarice ;
– rigidité et entêtement.
Pour que le diagnostic soit établi, le patient doit présenter au moins 4
des critères (ci-dessus).
L’annonce du diagnostic de cancer provoque d’importantes perturbations psychiques. L’incertitude sur la nature, le cours et le pronostic de la
maladie, va venir renforcer la rigidité du patient.
Son besoin de maîtrise de son état de santé peut rendre la communication soignant-soigné chaotique. Les patients sont en demande d’une information médicale claire et précise. Un idéal qui ne peut être atteint du fait
de l’aspect imprévu de la maladie cancéreuse et de ses traitements.
Il est important que les patients soient rassurés quant à leur implication
dans leur protocole thérapeutique car cela peut induire un sentiment d’obligation thérapeutique amenant une diminution de l’espace personnel et un
sentiment d’absence de maîtrise de leur environnement. Une information
détaillée et régulière, tout en posant un cadre limité par les capacités de
contrôle du médecin et du patient sur la maladie, va permettre au patient
de se sentir protégé par l’univers médical.
Facteurs psychologiques impliqués dans l’annonce du diagnostic de cancer
89
Traits de personnalité histrionique
Une façon générale de réagir par des réponses émotionnelles excessives
et une quête constante d’attention apparaissent au début de l’âge adulte et
sont présentes dans des contextes divers, comme en témoignent au moins 5
des manifestations suivantes :
– malaise lorsque le sujet n’est pas au centre de l’attention des autres ;
– interactions caractérisées par un comportement de séduction sexuelle
inadaptée ou une attitude provocante ;
– utilisation de l’aspect physique pour attirer l’attention sur lui ;
– manière de parler trop subjective mais pauvre en détail ;
– dramatisation, théâtralisme et exagération de l’expression des émotions ;
– suggestibilité ;
– perception que ses relations sont plus intimes qu’elles ne le sont effectivement..
Ces patients sont en constante recherche d’attention de la part des
soignants. La majorité de leurs multiples plaintes somatiques n’ont aucune
cause médicale avérée. Ils établissent une relation avec le soignant basée sur
la séduction avec des conduites de manipulation. Une quête affective du
soignant à travers des consultations de longue durée où les patients ont une
liste de symptômes et de plaintes interminable (15).
Traits de personnalité hostile
La personnalité hostile s’organise autour de traits tels que l’opposition à
l’autre, l’irritabilité et l’intolérance.
Ces patients présentent une méfiance importante vis-à-vis du soignant.
Leur relation est souvent agressive et conflictuelle. Ils demandent de
nombreuses informations qu’ils vont continuellement remettre en question.
Lors de la consultation qui peut être très longue mais non fructueuse, le
patient cherche à dénigrer les informations apportées par le médecin. Il peut
être très revendicatif quant à sa prise en charge. Le patient va rechercher
principalement les incohérences justifiant sa méfiance envers le soignant
(17).
Dans le cadre du cancer du sein, nous avons observé, à l’annonce d’un
protocole thérapeutique adjuvant, une prévalence de traits hostiles chez les
patientes qui l’ont refusé. Les patientes se sont concentrées sur les aspects
négatifs du traitement (effets secondaires) au détriment des bénéfices qu’il
peut apporter dans le risque de récidive (1).
90
Annoncer un cancer
Du fait de l’absence de symptômes visibles ou palpables (absence de
tumeur dans le sein ou sous les aisselles, de fatigue, etc.) les patientes ont
remis en doute les compétences des médecins.
Ces patientes « hostiles » ont le besoin de se sentir impliquées dans les
prises de décisions qui les concernent à travers un cadre bien délimité.
Malgré leur agressivité et leur intolérance, il est important de garder le
dialogue avec les patients tout en ne se laissant pas envahir par leur tentative d’intimidation.
Il faut éviter la brutalité dans le discours car cela peut renforcer leur
méfiance et accroître leur intolérance et impulsivité envers le monde
médical.
L’annonce du diagnostic génère chez les patients une anxiété et une souffrance activant des mécanismes adaptatifs ancrés dans leur personnalité.
Dans cette situation angoissante, le patient va chercher le soignant dans
ce qu’il est et ce qu’il représente (18). Le patient va être en quête d’informations supplémentaires via les indices non verbaux présentés par le
médecin (19).
Lors de la consultation, les attitudes inconscientes du médecin provoquent chez le patient un niveau plus ou moins élevé d’information-compréhension et de participation à l’égard des traitements et une dimension
affective issue de la satisfaction en termes relationnel que retirent les
patients lors de leur soin.
L’influence inconsciente du médecin
Durant la consultation, plusieurs informations sont communiquées via les
comportements non verbaux du médecin.
Les études antérieures ont tenté de repérer les comportements non
verbaux perçus par le patient et susceptibles d’interagir avec son niveau de
satisfaction. La participation active du patient ainsi que sa compréhension
du discours médical ont également donné lieu à des études.
L’impact des comportements non verbaux du médecin sur le patient a
été mis en évidence :
– la posture (face au patient, de côté par rapport au patient) ;
– le regard (dirigé vers le patient, évitement du regard) ;
– l’expression faciale (orientation du visage, sourire, acquiescement de la
tête) ;
– le buste (orienté vers le patient, incliné vers l’avant ou l’arrière) ;
– les membres supérieurs et inférieurs (croisement ou non) ;
– les mains (jointes, crispées, gestes fréquents).
Facteurs psychologiques impliqués dans l’annonce du diagnostic de cancer
91
Ces comportements sont étudiés en fonction de leur fréquence, leur
durée et leur association.
Satisfaction du patient
Très tôt, des études ont montré à quel point la compliance du patient était
déterminée par la satisfaction que retiraient ces derniers de leur consultation (20). Une bonne communication soignant-soigné favorise la satisfaction et donc la compliance dans la continuité des soins. Elle contribue ainsi
à l’amélioration de l’état de santé, la sollicitation du patient et son engagement accordés aux soins (18).
La satisfaction du patient par rapport aux soins permet aussi de déterminer l’efficacité des interventions et des services.
La façon qu’ont les médecins de se comporter avec leurs malades déterminerait la satisfaction des malades (21). Le médecin aurait une influence
inconsciente sur le niveau de satisfaction du patient.
La présence de comportements tels que la proximité dans l’espace et
l’orientation du buste du médecin vers le patient, accompagnés d’un regard
dirigé vers le patient et la relaxation du menton du médecin augmenterait
la satisfaction du patient (22).
À l’inverse, un contact physique excessif diminuerait celle-ci (22).
Notre étude remet en question le lien entre la satisfaction, l’adhésion au
traitement du patient et la communication non verbale du médecin. En
effet, en étudiant la prise de décisions de la patiente quant à la proposition
d’une chimiothérapie adjuvante, nous n’avons pas clairement observé une
association entre le choix des patientes et leur satisfaction induite par les
indices non verbaux du médecin (1).
Tableau I – La satisfaction du patient en fonction des comportements non verbaux du médecin.
Comportements non verbaux
La proximité dans l’espace
L’orientation du buste vers le patient
Le regard dirigé vers le patient
La relaxation du menton du médecin
Les contacts physiques excessifs
Niveau de satisfaction
Augmente
Diminue
92
Annoncer un cancer
Compréhension du discours médical par le patient
L’exposition à l’information ne suffit pas à sa compréhension. L’attitude
qu’a l’émetteur durant la conversation et l’attention du récepteur sont donc
des facteurs primordiaux (23). L’attention participe à un ensemble
complexe du traitement de l’information (24).
La compréhension de l’information ne peut se faire sans l’écoute et l’attention du patient des informations médicales données par le médecin. Les
comportements non verbaux du médecin vont influencer l’attention du
patient au discours médical qui est nécessaire à sa compréhension et son
intégration. Les indices non verbaux auraient donc un impact positif ou
négatif sur la compréhension du message médical.
La proximité dans l’espace, l’orientation du visage et du corps vers le
patient, l’inclinaison du buste vers l’avant et de la tête (22), des gestes et des
contacts visuels fréquents et le changement d’intonation dans le discours du
médecin augmenteraient la capacité de compréhension du patient (25).
À l’inverse, les contacts physiques excessifs diminueraient le niveau de
compréhension du patient de l’information médicale (22).
Tableau II – Le niveau de compréhension du discours médical du patient en fonction des comportements non verbaux du médecin.
Comportements non verbaux
Niveau de compréhension du discours médical
La proximité dans l’espace
L’orientation du visage et du corps vers le
patient
L’inclinaison du buste vers l’avant et de la tête
Des gestes fréquents
Des contacts visuels fréquents
Changement d’intonation dans le discours du
médecin
Augmente
Les contacts physiques excessifs
Diminue
Conclusion
Durant la consultation, les caractéristiques psychologiques peuvent être
amplifiées ou inhibées par l’attitude de l’oncologue.
L’identification précoce du profil psychologique du patient est primordiale afin de préparer l’annonce du diagnostic, de manière à adapter l’attitude du médecin.
Facteurs psychologiques impliqués dans l’annonce du diagnostic de cancer
93
L’échange d’expérience entre l’oncologue et le psycho-oncologue ne peut
qu’être bénéfique pour établir une prise en charge du patient globale et
personnalisée.
Par exemple, un bref entretien psychologique pourrait faire partie des
examens médicaux du patient, préalables à la « consultation d’annonce » du
diagnostic.
Cette évaluation psychologique serait basée sur les traits psychologiques,
l’expérience de la maladie et la relation avec le monde médical du patient.
Elle étudierait aussi les comportements non verbaux de chaque médecin
afin de les adapter à la problématique du patient. Enfin, et principalement,
les aspects évaluatifs seraient « fondus » au sein d’un entretien largement
centré sur la personne, permettant de manière fluide d’explorer certains
traits et certaines situations vécues de manière à obtenir un tableau psychopathologique précis.
Ainsi les aspects traumatisants de la révélation du diagnostic pourraient
être largement limités.
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Annoncer un cancer
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Aspects psychiatriques de la révélation
d’un cancer : est-ce toujours un traumatisme ?
A. Ronson et G. Stefos
Définir l’adaptation au traumatisme du cancer
Cette tâche, d’une extrême complexité, nous confronte à des sources de
confusion terminologique et conceptuelle. Sur le plan terminologique, le
français ne dispose que du terme « adaptation », alors que les Anglo-Saxons
peuvent utiliser adaptation et adjustment. Bien que les deux mots soient
souvent employés indifféremment, il conviendrait de concevoir le terme
anglais adaptation comme un état psychologique – on pourrait parler, par
exemple, de niveau de fonctionnement psychologique – et de réserver
adjustment au processus qui sous-tend l’état en question. Cependant, la
confusion existe probablement dans les deux langues, en raison de vastes
imprécisions d’ordre fondamental. Il convient également de se montrer
attentif à la signification précise donnée par chaque auteur à des concepts
tels que traits de personnalité, mécanismes de défense, styles de coping, stratégies d’adaptation ou ressources internes. Il apparaît en effet, dans ce
domaine également, des chevauchements sémantiques qui traduisent
probablement des dissensions profondes entre écoles théoriques. Enfin,
c’est la nature même des concepts discutés qui doit être interprétée dans
toute réflexion relative à l’adaptation des patients atteints de cancer. En
effet, en fonction des auteurs et des écoles théoriques, on peut dégager
4 grandes tendances dans la définition de l’adaptation :
– l’absence de psychopathologie ;
– le niveau de fonctionnement psychologique (l’état relatif de bien-être ou
de mal-être émotionnel) évalué à un moment donné ;
– le point final d’une phase de transition entre 2 états séparés dans le temps
par la survenue d’une crise existentielle. On trouve dans la présente catégorie les théories faisant appel au concept de coping (1). Au sein même de
cette école de pensée, il existe d’importantes oppositions entre un courant
96
Annoncer un cancer
défendant l’idée d’une palette stable de stratégies d’adaptation – principalement déterminée par le profil de personnalité –, l’autre arguant que
les styles d’adaptation sont flexibles et susceptibles de variations intraindividuelles au cours du temps, en fonction du contexte. Le principal
point d’accord porte sur le fait que le processus de coping (1) – défini
comme l’activité cognitive et comportementale destinée à affronter et à
surmonter l’adversité – n’implique pas de modification fondamentale de
la « vision du monde » des individus au terme d’une crise existentielle.
Une telle position paraît difficilement défendable, dans le contexte de l’expérience de la réalité du cancer, étant donné la rupture du sens de continuité exprimée par la presque totalité des malades. Par ailleurs, si une
adaptation « réussie » doit être définie, comme le proposent Spencer et al.
(2), par un retour « complet et enthousiaste » aux activités de la vie
– approche fonctionnelle s’il en est –, notre expérience clinique quotidienne peut-être biaisée il est vrai, ne nous permet pas de rencontrer
beaucoup de patients répondant à ces critères… ;
– le processus constant d’autorégulation, ou d’homéostasie, qui permet à
l’individu de faire face aux situations qui constituent une contrainte, un
défi, voire une menace, pour son intégrité physique et/ou psychique.
Dans ce modèle (3), les hypothèses de base consistent, d’une part, dans
l’existence de schémas cognitifs qui déterminent les conceptions générales
au sujet de la vie et du monde environnant – ces « cartes » cognitives résultent de la totalité de l’information et de l’expérience accumulées au cours
de la vie – et, d’autre part, dans des ajustements constants des dits schémas
cognitifs en réponse aux événements de la vie. Il est particulièrement
notable que ces matrices conceptuelles, qui diffèrent par leurs niveaux de
complexité, rejettent systématiquement le contenu émotionnel au rang de
« réponse secondaire » aux divers processus cognitifs activés à la suite d’un
événement de vie. L’on est frappé, également, par l’apparente simplicité du
« noyau explicatif » : si un événement quelconque confirme la vision du
monde existante, les schémas cognitifs s’en trouvent renforcés (il y a « assimilation » de l’événement). Si, en revanche, une expérience de vie est
incompatible avec les conceptions en place, il devra se produire un phénomène « d’accommodation » des cartes cognitives, destiné à intégrer les
informations nouvelles. Un tel processus est supposé expliquer que certains
individus « sortent grandis » d’une crise existentielle, bien que les modalités de cette « croissance personnelle post-traumatique » restent très floues.
Ce type de modèle se trouve notamment à l’origine de tentatives d’explication du tableau clinique de stress post-traumatique (4).
Les manifestations d’évitement ou de déni – concepts inexplicablement
« logés à la même enseigne » – tenteraient de protéger l’individu contre les
émotions asphyxiantes résultant de la confrontation d’informations incom-
Aspects psychiatriques de la révélation d’un cancer : est-ce toujours un traumatisme ?
97
patibles, alors que tous les phénomènes d’intrusion et de reviviscence viseraient à promouvoir et à accélérer l’accommodation. Quelle que soit sa
pertinence, cette formulation nous offre au moins l’opportunité d’affirmer
que les processus cognitifs n’ont d’autre objet que de servir le bien-être
émotionnel. Brennan (3), pourtant, ne semble pas partager cette proposition lorsqu’il envisage l’objectif premier des interventions psychosociales :
rééquilibrer les conceptions fondamentales par la réflexion intime, le
dialogue, l’empathie sociale et un coping actif… Il nous restera, pour notre
part, à démontrer que des éléments émotionnels déterminent également ces
mécanismes cognitifs d’adaptation, ainsi que leur traduction clinique. Les
théoriciens de ces courants de pensée nous livrent, dans ce domaine aussi,
quelques indications. C’est ainsi, par exemple, que Brewin (5) évoque un
phénomène d’interférence émotionnelle au moment de l’événement traumatique pour expliquer la création d’un ensemble incomplet d’informations dans le système de mémoire déclarative. À ce stade de la discussion,
nous nous proposons d’adopter une définition opérationnelle de l’adaptation : il s’agit de l’ensemble des processus, mis en œuvre par l’appareil
psychique sous la médiation des mécanismes de défense, visant au maintien
d’un niveau de bien-être émotionnel individuel optimal. Cette première
approche permet de n’exclure a priori aucune formulation théorique relative au contenu de « l’appareil psychique ». Elle implique également qu’un
niveau optimal de bien-être puisse ne pas être synonyme d’absence de toute
souffrance psychique. En d’autres termes, cette définition n’exige pas qu’un
processus d’adaptation efficace conduise à la reprise d’une vie « pleinement
enthousiaste et riche de projets », conception pour le moins réductrice
pourtant affichée par certains adeptes (2) de ce que nous n’hésiterions pas
à qualifier de vision « mécanique » de la vie psychique. En effet, si la
présente discussion se concentre principalement sur les exigences adaptatives qui font suite à l’annonce d’un diagnostic de cancer, il importe néanmoins de souligner que, par son évolution naturelle, le cours de la maladie
néoplasique constitue une séquence presque ininterrompue d’événements
traumatisants susceptibles de réactiver le « traumatisme oncologique inaugural », de l’entretenir, voire de créer les conditions d’une « re-traumatisation » massive.
Ainsi, par exemple, avant même que les modifications évoquées plus
haut ne soient apportées au système DSM, le diagnostic d’une rechute de
cancer avait-il été reconnu comme événement traumatique (6). Plus récemment, la mammographie diagnostique dans le cadre du suivi du cancer du
sein a été identifiée comme un facteur déclenchant de réponses aiguës de
stress (7), susceptibles de produire un phénomène de sensibilisation et il est
probable, de manière plus générale, que toute période de bilan oncologique
représente une exigence adaptative aux effets potentiellement délétères.
98
Annoncer un cancer
Question du « trouble de l’adaptation »
L’approche envisagée par Holland (8) illustre bien les difficultés, tant
cliniques que conceptuelles, auxquelles se trouvent confrontés les psychooncologues. Sa démarche s’inscrit, il est vrai, dans le cadre de recommandations cliniques pour le traitement des aspects psychologiques associés au
diagnostic et aux traitements du cancer. Avec l’objectif principal de
« contourner » les écueils du stigmate social encore attaché à toute notion
de psychopathologie, elle propose d’utiliser comme référence le concept de
« détresse psychologique », définie comme « le champ des sentiments et des
émotions exprimés par des individus atteints de cancer et confrontés à des
problèmes personnels et associés à la maladie ». Malheureusement, de
nombreux obstacles s’élèvent rapidement sur la voie de la clarification. La
détresse est dite normale lorsqu’elle se limite à une tristesse, à des peurs, à
des préoccupations compréhensibles et attendues. Un premier biais majeur
intervient ici sous la forme de la subjectivité qui influence inévitablement
l’appréciation de l’évaluateur. La détresse perd son caractère normal lorsqu’elle dérange l’individu et interfère avec son fonctionnement habituel.
Trois catégories sont alors établies sur un continuum de sévérité :
– quand les symptômes excèdent la détresse « normale », ils sont qualifiés
de « subsyndromaux » ;
– le stade suivant de sévérité porte l’appellation de symptômes « réactionnels » ou « situationnels » et est apparenté par l’auteur au diagnostic de
trouble de l’adaptation selon le DSM IV ;
– enfin, le dernier stade comprend les troubles psychopathologiques
formant les entités du DSM IV (trouble dépressif majeur, troubles
anxieux spécifiques).
Deux questions s’imposent ici.
1) D’une part, pourquoi avoir introduit encore une entité clinique, située
entre la détresse normale et le trouble de l’adaptation, et dont les critères de
différenciation d’avec ce dernier apparaissent extrêmement flous ? À la
lecture des recommandations pratiques, il semble que des facteurs économiques interviennent probablement. En effet, seules les deux catégories
diagnostiques les plus « sévères » seraient justiciables d’une évaluation
spécialisée, réalisée par un professionnel de la santé mentale, les symptômes
dits subsyndromaux étant confiés aux soins d’un médecin non-psychiatre,
d’une infirmière ou d’un travailleur social. L’indication d’une évaluation
spécialisée est posée sur base d’un score de 6 ou supérieur sur une échelle
visuelle analogique « mesurant » la détresse émotionnelle entre 0 (absence
de détresse) et 10 (détresse extrême). Le « seuil » constitué par ce score de
6 aurait été corrélé aux scores de l’échelle Hospital Anxiety and Depression
Aspects psychiatriques de la révélation d’un cancer : est-ce toujours un traumatisme ?
99
Scale (HADS), indiquant la nécessité d’une évaluation psychosociale et
probablement aussi d’une intervention. Si l’on se place dans une perspective de spectre d’intensité symptomatique, il paraît difficilement justifiable
de « refuser » à certains patients l’accès à une évaluation approfondie, voire
à une intervention aux vertus potentiellement préventives. Il est vrai cependant que l’efficacité d’une telle approche reste à démontrer. Enfin, si l’on
accepte d’appliquer cette méthode, et malgré sa simplicité, le fait même
qu’un seul score permette de différencier les situations à caractère pathologique de celles qui en seraient dépourvues indique à notre sens la totale
inutilité de créer une entité clinique supplémentaire.
2) La deuxième question qui nous paraît mériter un examen relève de la
démarche conceptuelle : comment concilier, sur la base d’un continuum de
sévérité, la présence de deux entités dont l’une apparaît presque exclusivement fondée sur des critères quantitatifs (la dépression majeure), alors que
l’autre repose sur une appréciation beaucoup plus qualitative d’écart à la
norme et de perturbation du fonctionnement (le trouble de l’adaptation) ?
L’origine de l’ambiguïté doit être portée au passif du DSM IV – encore
lui ! – qui, dans la discussion du diagnostic différentiel de l’épisode dépressif majeur propose, si tous les critères de ce dernier ne sont pas rencontrés,
de s’en tenir au trouble de l’adaptation avec humeur dépressive. Par ailleurs,
il existe un diagnostic possible d’épisode dépressif mineur, lorsque moins de
5 symptômes dépressifs sont présents. Peut-être cette dernière entité est-elle
réservée exclusivement aux situations pour lesquelles aucun facteur de
stress psychosocial n’est identifiable. Si tel était le cas, il conviendrait d’appliquer la même restriction à la dépression majeure, ce qui nous conduirait
à raviver l’antique polémique relative à la dichotomie entre formes endogène et exogène de la dépression. Dans cette confusion, il faut ajouter que
le combat fait rage entre les écoles de pensée, pour savoir si les formes « non
majeures » de dépression constituent effectivement une position intermédiaire sur un continuum de sévérité ou une entité phénoménologique
distincte.
Pour notre part, nous proposons, chez les patients atteints de cancer, de
ne retenir que 2 entités diagnostiques pour décrire les tableaux de dépression : l’épisode dépressif majeur, tel que formulé par le DSM IV, et la dépression subsyndromale qui comprend une tout autre combinaison de
symptômes dépressifs. La distinction entre situation « non pathologique »
et dépression subsyndromale reste basée sur des critères quantitatifs : la
présence de 2 symptômes dépressifs – dont l’un au moins est une tristesse
de l’humeur ou une perte marquée d’intérêt – pendant une période minimale de deux semaines, permet de poser le diagnostic. Le traitement des cas
relevant de cette entité clinique devra faire l’objet d’investigations spéci-
100
Annoncer un cancer
fiques. La validité du concept de dépression majeure, quant à elle, est établie
par d’innombrables travaux relatifs à sa physiopathologie et à son traitement.
Spectre post-traumatique
L’examen d’un éventuel spectre post-traumatique comme « grille de lecture »
des processus d’adaptation en cancérologie impose 3 axes de réflexion (9) : la
nature du facteur de stress, l’amplitude du tableau symptomatique et les
caractéristiques associées (symptômes associés et comorbidité).
Nature du facteur de stress
La nature du facteur de stress est représentée par le diagnostic de cancer, son
annonce, ses implications et les traitements comme événements traumatiques.
Étant établi que des manifestations de reviviscence, en particulier les
flash-back, peuvent être automatiquement déclenchées par des indices
internes et externes (5), le cancer en tant qu’événement traumatique se
trouve immanquablement à l’origine d’un cercle vicieux potentiel. Le
diagnostic de cancer constitue un événement non discret, dont les conséquences ne sont pas limitées dans le temps. Les stimuli déclencheurs sont
innombrables, tant internes (sensations somatiques résultant du cancer ou
des traitements) que d’origine externe (visites fréquentes à l’hôpital,
rencontres avec d’autres malades, procédures diagnostiques et thérapeutiques agressives). Les manifestations de reviviscence, de somatisation et
d’hypervigilance pourraient, quant à elles, promouvoir la perpétuation de
stimuli internes, générateurs à leur tour d’anxiété et de phénomènes d’intrusion. En fait, l’expérience « cancer » constitue probablement la construction la plus complexe qui soit d’événements responsables de traumatisation
et de « re-traumatisation ». À cet égard, l’extraordinaire diversité des
facteurs impliqués distingue notamment le cancer d’autres événements
traumatiques à composante chronique, prolongée, ou répétée, tels que des
abus sexuels à répétition, des situations de guerre (combats, bombardements) ou des tortures répétées de détenus politiques.
Indépendamment de variables objectives (caractéristiques de la tumeur
susceptibles d’influencer le pronostic vital, prélèvements et injections itératifs, effets secondaires de traitements notamment responsables du développement de réactions d’aversion conditionnée), il faut aussi prendre en
Aspects psychiatriques de la révélation d’un cancer : est-ce toujours un traumatisme ?
101
compte les éléments subjectifs qui modulent de manière déterminante la
perception et l’interprétation associées à ces différents événements. C’est
ainsi par exemple que la perception par les patientes d’une communication
de mauvaise qualité lors de la transmission du diagnostic de cancer a pu être
corrélée à une prévalence accrue de l’état de stress aigu (10), un trouble qui
prédit le développement ultérieur de syndromes de stress post-traumatique
(11). De telles interférences apparaissent d’autant plus significatives que des
antécédents traumatiques représentent, de manière générale, un facteur de
risque important de réponses post-traumatiques et d’autres difficultés
d’adaptation chez des malades atteints de cancer (12). Cette observation,
qui n’est nullement limitée au champ de l’oncologie, suggère que l’événement traumatique, en l’occurrence le diagnostic de cancer, pourrait ne
représenter qu’un « épiphénomène » (13), dont la survenue contribue principalement à raviver des traumatismes anciens, pour la plupart profondément enfouis. Il n’en reste pas moins vrai, cependant, que la diversité des
affections néoplasiques dans leur évolution naturelle ainsi que les divergences apparues dans les progrès thérapeutiques imposent des distinctions
fondamentales dans l’appréciation du caractère traumatisant des différentes
formes de cancer. Il n’existe pas, à notre connaissance, de données épidémiologiques établissant la distribution de manifestations post-traumatiques
en fonction du site tumoral ou de l’histologie de la tumeur.
Tableau clinique subsyndromal
Le concept de PTSD partiel ou subsyndromal est issu de la littérature générale relative au syndrome de stress post-traumatique, qui reconnaît l’existence de présentations cliniques ne satisfaisant pas à tous les critères
diagnostiques (système DSM ou échelles de mesure basées sur des questionnaires) mais néanmoins responsables de perturbations du fonctionnement
social, interpersonnel ou physique (7). Un diagnostic de syndrome de stress
post-traumatique partiel peut ainsi être envisagé selon deux modalités, à
savoir un nombre de symptômes inférieur aux exigences du DSM IV
(présence des symptômes requis dans deux des trois groupes établis par la
classification : tableau I) (14), ou un score inférieur à la limite indicative du
diagnostic de syndrome complet sur des échelles diagnostiques validées (15).
Sur la base de ces deux approches, Andrykowski et al. (16, 17) ont mis en
évidence, dans un groupe de 82 patientes porteuses d’un cancer du sein, une
prévalence de syndrome post-traumatique partiel variant de 4 à 13 %. La
prévalence la plus faible a été dégagée par l’utilisation d’un questionnaire
structuré, établi pour répondre aux exigences du DSM IV, ce qui traduit la
plus grande rigueur de ce système diagnostique.
102
Annoncer un cancer
Les groupes de symptômes du PTSD selon le DSM IV
Exposition à un événement traumatique avec :
– danger de mort ou menace à l’intégrité physique, réel ou symbolique,
pour l’individu ou pour autrui ;
– la réaction s’est traduite par une peur intense, un sentiment d’impuissance ou d’horreur.
L’événement traumatique est constamment revécu (au moins 1 manifestation) :
– souvenirs répétitifs et envahissants de l’événement, provoquant un sentiment de détresse et comprenant des images, des pensées ou des perceptions ;
– rêves répétitifs de l’événement traumatique ;
– impression ou agissements soudains « comme si » l’événement traumatique allait se reproduire (incluant le sentiment de revivre l’événement,
des illusions, des hallucinations et des épisodes dissociatifs – flash-back) ;
– sentiment intense de détresse psychique lors de l’exposition à des indices
internes ou externes évoquant ou ressemblant à un aspect de l’événement
traumatique en cause ;
– réactivité physiologique augmentée lors de l’exposition à des indices
internes ou externes pouvant évoquer ou ressembler à un aspect de l’événement traumatique en cause.
Évitement persistant des situations associées au traumatisme et émoussement de la réactivité générale (au moins 3 manifestations) :
– efforts pour éviter les pensées, les sentiments ou les conversations associés
au traumatisme ;
– efforts pour éviter les activités, les endroits ou les gens qui éveillent des
souvenirs du traumatisme ;
– incapacité de se rappeler un aspect important du traumatisme ;
– réduction nette de l’intérêt pour/ou de la participation à des activités
importantes ;
– sentiment de détachement d’autrui ou de devenir étranger par rapport
aux autres ;
– restriction des affects ;
– sentiment d’avenir « bouché ».
Présence de symptômes persistants traduisant une activation neurovégétative (au moins 2 manifestations) :
– difficultés d’endormissement ou sommeil interrompu ;
– irritabilité ou accès de colère ;
– difficultés de concentration ;
– hypervigilance ;
– réaction de sursaut exagérée.
Aspects psychiatriques de la révélation d’un cancer : est-ce toujours un traumatisme ?
103
PTSD : état de stress post-traumatique ; DSM IV : manuel diagnostique
et statistique des troubles mentaux, quatrième édition.
Ensemble des tableaux cliniques
Le spectre post-traumatique peut dépendre de l’ensemble des tableaux
cliniques observés à la suite de l’événement traumatique, associés ou non au
PTSD.
Dans une volonté, qui paraît à certains comme obsédante (18), de rejeter
toute référence à un quelconque cadre théorique, les concepteurs du
système DSM se seront probablement trouvés « contraints » de sous-estimer
significativement, voire d’ignorer, des dimensions pourtant importantes du
spectre post-traumatique. C’est sans doute pour éviter toute assimilation
avec les concepts « antiques » – mais néanmoins maintenus en mémoire par
le travail des historiens de la question (19) – de névrose traumatique ou
d’hystérie, que les phénomènes de somatisation ont été presque complètement oubliés dans ladite classification. La présence de nombreuses plaintes
physiques a pourtant été bien répertoriée, aussi bien chez des vétérans de
guerre que dans des populations civiles (9). Des modèles théoriques ont
également été formulés pour tenter d’expliquer la genèse de ces manifestations. Ces données recouvrent une importance fondamentale dans le
contexte oncologique. En effet, des plaintes somatiques, telles que céphalées,
douleurs articulaires, fatigue, insomnie, troubles de la mémoire et difficultés de concentration peuvent poser de grandes difficultés d’interprétation
aux chercheurs et aux cliniciens. Comme c’est le cas dans le diagnostic de la
dépression majeure chez les patients cancéreux (20), les signes et symptômes somatiques pourraient se trouver, en fonction de la signification qui
leur est donnée, à l’origine de sur et de sous-estimations de réponses posttraumatiques. Quoi qu’il en soit, une attention particulière doit leur être
accordée dans tout processus d’évaluation psychosociale, de sorte que leur
rôle soit au moins pris en compte dans la réflexion, diagnostique ou théorique. Si par ailleurs, comme le proposent certains auteurs (21), le syndrome
de stress post-traumatique se caractérise notamment par une difficulté
générale d’appréciation de la pertinence de stimuli internes et externes et
par une tendance à se focaliser sur (et à interpréter incorrectement) les
sensations somatiques, la probabilité apparaît extrêmement élevée que de
nombreux patients cancéreux soient concernés. Les stimuli somato-sensoriels sont légion et ouvrent la voie à un autre cercle vicieux d’interprétations
erronées, de somatisation et d’anxiété accrue. D’autre part, la mise en
évidence de nombreuses manifestations de somatisation, associées à des
tableaux complets, partiels ou résiduels, de stress post-traumatique, exige
104
Annoncer un cancer
un réexamen des conséquences physiques à long terme du cancer et de ses
traitements. En particulier, les plaintes de troubles mnésiques, de difficultés
de concentration, de fatigue persistante et de troubles du sommeil, attribuées notamment à la chimiothérapie et à l’hormonothérapie (22), pourraient en fait n’être rien d’autre que des caractéristiques post-traumatiques
associées.
De la même manière, le concept de dissociation, passablement ignoré
pendant à peu près un siècle alors qu’il était apparu comme central aux
pères fondateurs des théories relatives au traumatisme psychique, refait
progressivement surface dans la littérature post-traumatique générale (18).
Il nous paraît très probable que ce phénomène occupe une position critique
dans la genèse des manifestations émotionnelles observées chez les patients
cancéreux. La littérature psycho-oncologique n’y fait pourtant, à ce jour, pas
la moindre référence substantielle. Il faut reconnaître que les défis sont de
taille, par leur nombre autant que par leur complexité. Ces considérations
feront l’objet d’un article ultérieur dont le but consistera à mettre en
évidence le caractère dissociatif de nombreuses manifestations psychologiques immédiates, résultant de l’annonce du diagnostic de cancer. Cela
permettrait de conceptualiser les symptômes psychiatriques précoces dans
le cadre d’un état de stress aigu, entité qui prédit le développement de
réponses post-traumatiques chroniques.
La place des processus émotionnels dans l’adaptation
au traumatisme du cancer
On trouve, jusque dans les théories cognitives les plus complexes, des arguments qui plaident en faveur d’un rôle premier, chronologique et hiérarchique, des processus émotionnels dans l’adaptation.
Les théoriciens du coping nous expliquent que tout événement de vie
fait l’objet d’un double processus d’évaluation. Une première composante
apprécie les caractéristiques de la menace, puis un processus secondaire
évalue les ressources disponibles (23). Il nous semble, en dehors même de
tout contexte psychopathologique – dont l’impact potentiel sur la cognition
est établi – difficile d’affirmer que le contenu émotionnel, associé immédiatement à la survenue d’un événement, ne détermine pas, au moins partiellement, chacune des deux composantes du processus d’évaluation cognitive
de la situation. En effet, une telle affirmation impliquerait que la détresse
émotionnelle ne peut constituer qu’une réponse « secondaire » aux conclusions négativement chargées des deux étapes de l’évaluation. Or, il existe
une contradiction fondamentale inhérente à cette éventualité. La plupart
Aspects psychiatriques de la révélation d’un cancer : est-ce toujours un traumatisme ?
105
des modèles relatifs à l’adaptation se réfèrent à l’évolution des espèces et aux
avantages sélectifs que l’être retire de ses capacités à apprendre, à associer, à
représenter symboliquement et, surtout peut-être, à prévoir. Dans ce
contexte, les « cartes » cognitives qui soutiennent la représentation du
monde devraient, pour des raisons phylogénétiques autant que par l’expérience acquise, pleinement intégrer et anticiper la réalité de la mort. Pourtant, la confrontation brutale à cette éventualité représente précisément
l’information la plus incompatible avec nos conceptions. Comment, autrement que par une déchirure émotionnelle, expliquer ce dilemme ?
On retrouve cette même dialectique dans les modèles « connexionistes »
des fonctions cérébrales supérieures. Selon ces approches – fondées sur la
théorie de réseaux neuraux générant des « processus parallèles distribués » –, les phénomènes intrusifs caractéristiques de la réponse post-traumatique immédiate seraient à comprendre dans le cadre d’un apprentissage
par répétition, destiné à renforcer les connexions synaptiques, permettant
ainsi de prendre acte de l’événement (24). À ce stade déjà se pose un
problème, puisque ce renforcement synaptique est supposé faciliter l’acquisition d’informations similaires ultérieures. Sachant qu’un événement traumatique constitue un facteur de risque pour le développement de réponses
pathologiques ultérieures, le caractère adaptatif de ce mécanisme s’explique
mal. L’installation de la détresse émotionnelle résulterait, quant à elle, de
l’activation de réseaux neuraux affectifs – en parallèle avec les réseaux
cognitifs tentant d’assimiler et de donner du sens à l’expérience traumatique – lors de chaque phénomène intrusif, puis à la mise en place progressive d’une « domination » de ces réseaux affectifs. Comment concilier cette
analyse avec l’exigence du DSM IV (critère A2), selon laquelle l’événement
traumatique doit s’accompagner immédiatement d’une réaction de peur
intense, d’impuissance ou d’horreur ? La réponse à ces questions nous est
apportée par une élégante étude de l’activité cérébrale dans des processus
mentaux impliqués dans la résolution de dilemmes moraux (25). Les
auteurs de ce travail ont examiné l’activation différentielle de diverses
régions cérébrales en réponse à des paradigmes faisant appel à trois catégories de jugement, qualifiés respectivement de « non moral » (par exemple,
choisir entre deux modes de transport en commun en fonction de
contraintes horaires), « moral-impersonnel » (par exemple, quoi faire de
l’argent trouvé dans un portefeuille perdu ?) et « moral-personnel » (par
exemple, devoir décider de bouter certaines personnes hors d’un canot de
sauvetage). Par des techniques d’imagerie cérébrale fonctionnelle, ils ont pu
mettre en évidence que seul l’aspect « personnel » associé au jugement activait des zones cérébrales impliquées dans le traitement émotionnel de l’information. Plus intéressant encore, « l’allumage » des zones émotionnelles
à la résonance magnétique fonctionnelle s’accompagnait d’une réduction
106
Annoncer un cancer
d’activité cérébrale dans des régions impliquées dans la mémoire de travail
et les réponses considérées comme émotionnellement non congruentes
dans le paradigme « moral-personnel » étaient assorties de temps de réaction plus longs, démontrant l’interférence des processus émotionnels !
Appliquées au contexte du diagnostic de cancer, ces connaissances nous
permettent de formuler les hypothèses suivantes. D’une part, tous les
éléments d’appréciation de la situation auxquels se trouve confronté l’individu face au diagnostic de cancer sont d’ordre éminemment personnel. Dès
lors, il est permis de supposer qu’une inhibition relative de certains processus mnésiques – et probablement d’autres fonctions cognitives – survienne
à l’occasion du choc produit par l’annonce du diagnostic. Enfin, l’interférence émotionnelle mise en évidence dans l’étude de Greene et al. doit nous
inciter à considérer les processus d’évaluation, tant primaires que secondaires (appréhension de la menace et appréciation des ressources disponibles), comme déterminés par la réponse émotionnelle qui prend cours
immédiatement après l’événement, et non l’inverse. Cela doit être le cas au
moins chez ceux d’entre les patients qui développent une détresse émotionnelle intense et persistante, ce qui conduit à une probable révision des indications d’approches psychothérapeutiques proposées à ces malades.
Conclusion
Nous pensons que les manifestations dépressives, quelle que soit leur intensité, ne surviennent presque jamais isolément, mais en association avec des
symptômes post-traumatiques, quelle que soit leur sévérité et quelle que
soit leur intensité. Cela demande un réexamen complet et une éventuelle
révision de l’épidémiologie des troubles psychiques en oncologie. Si l’existence de manifestations dépressives isolées devait cependant être avérée par
un tel réexamen, deux hypothèses s’affronteraient, à savoir d’une part
l’éventualité d’un « fondu enchaîné » – transition lente d’un tableau posttraumatique en phase de résolution vers une présentation dépressive résultant de l’impact des facteurs de stress « secondaires » – ou, d’autre part, la
possibilité de deux orientations psycho-pathologiques distinctes, dont les
déterminants devront être identifiés. Notre hypothèse est au moins soutenue par des données issues de la littérature psychiatrique générale. En effet,
dans une revue de données rétrospectives et prospectives provenant d’un
registre épidémiologique de jeunes adultes de l’État du Michigan, Breslau et
al. (26) ont démontré qu’un risque augmenté de dépression majeure à la
suite d’un événement traumatique n’existait que chez les personnes aussi
atteintes de PTSD. Si l’on met en perspective ces données avec la démons-
Aspects psychiatriques de la révélation d’un cancer : est-ce toujours un traumatisme ?
107
tration, chez des patients cancéreux déprimés, d’une fréquence accrue de
mémoires intrusives et de comportements d’évitement (27), il est permis
d’anticiper l’existence d’un cercle vicieux renforçant l’amplitude du spectre
post-traumatique au travers d’une intensification de la co-morbidité.
Des modèles d’intervention « universalistes », reposant exclusivement sur
des formulations cognitives rationnelles, telles que « renforcer les convictions
d’efficacité personnelle », « engager à nouveau l’individu dans la réalisation
de ses objectifs », tout en l’incitant à « accommoder ses schémas cognitifs
antérieurs à la réalité d’une espérance de vie diminuée (!) » (3), nous
semblent, dans ce cadre, réducteurs et voués à l’échec dans la majorité des
cas. Les données les plus récentes se révèlent d’ailleurs critiques à cet égard.
En effet, il convient de reconnaître que, en dépit de certains résultats encourageants, l’efficacité des interventions psychosociales en oncologie reste
généralement faible. Il est exemplaire à cet égard de souligner que Moynihan
et al. (28) n’ont pas été en mesure de démontrer l’efficacité de la thérapie
psychologique adjuvante dans une population de patients atteints de cancer
testiculaire. Or, ce modèle de prise en charge, structuré et reproductible, était
jusqu’alors considéré comme la référence en termes de thérapie cognitivocomportementale chez le patient cancéreux. Il avait en fait été développé
spécifiquement pour tenter de répondre aux besoins psychosociaux des
patients cancéreux (29). Si les résultats d’une seule étude ne suffisent pas
pour remettre en cause l’impression clinique d’un bénéfice substantiel des
interventions psychosociales pour la qualité de vie, une revue de la littérature récente (30) confirme la difficulté d’établir de manière significative l’efficacité de ces interventions, fondées essentiellement sur des approches
cognitives. La littérature relative au traitement psychologique du syndrome
de stress post-traumatique se trouve, elle aussi, confrontée à d’importantes
difficultés dans la démonstration de l’efficacité des modèles actuels. Cette
observation ne peut manquer de soulever de multiples questions quant à
l’adéquation des concepts fondateurs à l’origine de ces modèles.
L’expérience traumatique du cancer est caractérisée par deux spécificités
qui lui sont presque uniques, au moins pour la première. En effet, la survenue de l’une des composantes de l’événement traumatique, en l’occurrence
l’annonce du diagnostic de cancer, est prévisible. Cette caractéristique
implique la possibilité de moduler éventuellement l’impact traumatogène
de l’événement par la qualité de la communication lors de l’annonce du
diagnostic de cancer. Par ailleurs, le processus d’adaptation post-traumatique fait l’objet d’obstacles multiples, potentiellement intenses et persistants, qui résultent du stigmate social de la maladie, des conséquences des
traitements et de l’évolution éventuelle de l’affection néoplasique. Une
intervention psychosociale de qualité optimale ne peut donc en aucune
manière faire l’économie d’une prise en compte approfondie de tous les
108
Annoncer un cancer
facteurs susceptibles d’entretenir le processus anxieux ou d’accroître le
risque d’une évolution dépressive. Or, il nous semble que, au cours de ces
dernières années, le souci apporté à l’effort de compréhension des aspects
psychologiques associés au cancer s’est traduit par un relatif détachement
des concepts de base qui faisaient appel à des programmes de « réhabilitation » pluridisciplinaires (31). Un retour aux sources est probablement
indispensable à cet égard. D’autre part, et contrairement à une affirmation
fréquemment avancée dans la littérature (32), nous ne pensons pas que la
réalité d’une menace future – l’éventualité d’une rechute néoplasique –
doive être considérée comme une caractéristique distinctive, spécifique de
l’expérience traumatique du cancer. Il nous semble en effet que, au moins
sur le plan symbolique, la confrontation directe au risque de la mort représente le dénominateur commun de toute expérience traumatique. Dès lors,
la difficulté, voire l’impossibilité, d’intégrer psychiquement cette réalité
nouvelle représente précisément le déterminant principal de tout processus
d’adaptation post-traumatique. Cette hypothèse est d’ailleurs rencontrée
par Ehlers et Clark (4) qui soulignent une intéressante contradiction. L’état
de stress post-traumatique est en effet classé parmi les troubles anxieux. Or,
l’anxiété est, selon les théories cognitives, liée à l’évaluation d’une menace
actuelle et persistante, alors que l’état de stress post-traumatique relève d’un
événement ayant constitué une menace dans le passé ! Les auteurs tentent
de résoudre le dilemme en proposant que le PTSD résulte précisément d’un
traitement de l’information qui maintient l’événement passé au rang de
menace sévère et persistante. La réalité physique ne serait donc pas en cause.
Dans le cas du cancer, il nous faudra néanmoins expliquer pourquoi la sévérité des symptômes post-traumatiques a été corrélée au stade d’avancement
de la maladie et à la réalité d’une rechute (6), deux facteurs qui accroissent
la réalité d’une menace existentielle. Nos hypothèses actuelles sont que la
survenue d’une rechute néoplasique induit la réactivation d’un état de stress
post-traumatique antérieur – l’intensité des symptômes n’étant pas directement et totalement liée à l’augmentation de la menace – et que les stades
avancés de la maladie impliquent des composantes de deuil anticipatoire
dans le cadre d’un travail psychique de séparation. Bien que contestés, des
éléments post-traumatiques ont été associés à certaines théories du deuil
(33). Il faut également se montrer attentif à l’éventualité d’une interférence
de processus anxieux « classiques » – une préoccupation, génératrice de
détresse émotionnelle, face à un avenir menaçant. Des taux significatifs de
comorbidité ont d’ailleurs été rapportés entre syndrome de stress post-traumatique et d’autres troubles anxieux, tels qu’anxiété généralisée, panique,
phobies et trouble obsessionnel compulsif (9).
Aspects psychiatriques de la révélation d’un cancer : est-ce toujours un traumatisme ?
109
Plusieurs études (34, 35) ont mis en évidence le caractère prédictif de la
détresse émotionnelle au stade initial du cancer sur le fonctionnement
psychologique à long terme. Cette observation plaide pour les rôles prépondérants de l’événement « diagnostic de cancer » et de facteurs antérieurs à
la maladie néoplasique dans le processus d’adaptation au long cours. L’épuisement ultérieur des ressources ainsi que des contingences relatives à la
maladie et à ses traitements – hormis les rechutes néoplasiques, dont le
caractère traumatique est également établi (6) – occuperaient, dans cette
hypothèse, une place « secondaire ». Dans cette perspective, les relations
entre la réaction aiguë de stress et le développement d’un PTSD dans la
population générale devront être examinées avec attention.
Enfin, il est également établi aujourd’hui que les individus « ne sont pas
égaux » devant le risque de développer un état de stress post-traumatique,
contrairement aux croyances fondatrices de cette entité pathologique. De la
même façon, les malades atteints de cancer « n’arrivent pas égaux » face à
l’expérience de la maladie néoplasique. À cet égard, deux paramètres mériteraient de recevoir une attention particulière et devront faire l’objet de
pistes de recherches futures : – la qualité du style d’attachement (secure
versus insecure) pourrait constituer un facteur important dans la capacité
qu’aura ou non le patient d’élaborer l’angoisse de séparation et de mort
inéluctablement réactivée de manière majeure par l’annonce du diagnostic ;
– la qualité globale (riche, incertaine ou pauvre) du fonctionnement mental
(mentalisation) et la capacité éventuelle de le réanimer après la phase
initiale de sidération/déni consécutive à l’annonce d’un diagnostic potentiellement létal (elle va déterminer la possibilité d’élaborer les affects d’angoisse et, à un niveau plus général, de déplaisir associés au diagnostic…). À
terme, seul un modèle capable de prendre en considération toutes les singularités – biologiques, développementales, expérientielles et environnementales – qui sous-tendent la vie psychique se donnera l’opportunité réelle de
remplir son objectif : l’amélioration du bien-être de l’individu et de celui de
ses proches dans la vie quotidienne.
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Comment le travail en groupe Balint facilite-t-il
l'annonce par le médecin généraliste ?
F. Auger
Dans notre pratique quotidienne, l’annonce du diagnostic de cancer revient
à annoncer une mauvaise nouvelle.
Il est habituel d’entendre, par les patients, les médias, un certain degré
d’insatisfaction quant à ce moment particulier et rapportées des
maladresses (tel cousin a été informé de façon précipitée dans un couloir,
tel autre a reçu « tout de go » le diagnostic et le pronostic, sans la moindre
précaution, etc.).
De cette insatisfaction rapportée a été élaborée, en avril 2006, une
recommandation, un protocole d’annonce, de l’Institut national du Cancer.
Les services traitant de ces pathologies ont été invités à ouvrir des « consultations d’annonce ». Celles-ci sont souvent conduites par un médecin et une
infirmière formée à cette approche, ils vont plutôt annoncer le protocole de
soins.
Tous autant que nous sommes, médecins généralistes, spécialistes,
chirurgiens, oncologues, sommes confrontés à ce moment particulier de
l’annonce du diagnostic auprès des patients. Selon les circonstances, ce sera
l’un d’entre nous qui sera en première ligne sans qu’il ait obligatoirement
connaissance de ce que sait le patient et/ou de ce qui lui a été dit précédemment.
En consultation, cette situation est difficile pour les deux partenaires, le
patient certes, mais aussi pour le médecin. Si ce dernier y a réfléchi, voire
même a tenté de s’y préparer, la mise en situation laisse souvent la place à
l’improvisation, l’adaptation à chaque patient. Les imprévus sont toujours
possibles (patient déjà informé, présence d’un tiers inconnu, réactions
déroutantes par rapport à ce que l’on connaissait du patient, etc.).
La consultation comporte volontiers 4 facettes qui s’intriquent dans ce
temps particulier :
– l’annonce elle-même ;
114
Annoncer un cancer
– l’écoute et l’attention portées aux réactions du patient :
- ses réactions émotionnelles,
- les silences,
- ses représentations quant aux propos tenus, aux termes utilisés ;
– le soutien immédiat ;
– la mise en perspective.
Je ne m’étendrai pas sur ces différentes étapes et les représentations de la
maladie qui sont détaillées dans d’autres chapitres mais évoquerai plutôt
quelques vignettes cliniques et la place particulière du médecin généraliste
dans ce contexte.
Mme G. a 56 ans, ménopausée. Elle n’a pas de médecin généraliste et n’a
pas consulté son gynéco depuis plus de 5 ans. Je la vois pour la seconde fois.
Nous décidons de faire le point. En parallèle des frottis que je réalise, je lui
prescris une mammographie. Elle revient effondrée, assommée, apeurée,
désespérée, ne pouvant pas croire que ces quelques micro-calcifications
« inquiétantes » pour le radiologue puissent être un éventuel cancer. J’ai eu
les résultats rassurants après biopsie élargie. Elle a laissé un jour un SMS :
« Je vous aime, tout est fini. » Quand je l’ai rappelée, elle a ajouté : « Ce qui
était important a été que vous soyez là, derrière ce téléphone, c’est ce qui
m’a aidée. »
Devant un tel désarroi initial, alors que j’étais relativement « sereine et
optimiste », dans l’instant, j’ai pris un RDV de consultation pour elle auprès
de mon correspondant et, par ailleurs, lui ai dit qu’elle pouvait me joindre
quand elle voulait sur mon téléphone portable.
Si, comme je le rappelle, je n’étais pas très inquiète pour cette patiente,
je l’entendais affirmer : « quand je vous dis qu’il ne faut pas aller voir un
médecin, il vous trouve toujours quelque chose alors que vous allez bien ! »,
et ma pensée perdait, l’espace d’un très bref instant, toute rationalité.
L’effondrement de cette patiente l’empêchait de penser ou plutôt
bloquait sa pensée à « l’arrêt de mort » qu’induisait le mot cancer.
Sa régression m’a amenée à décider pour elle, sans attendre et à prendre
une position directive, immédiate. Par ailleurs, même si elle était entourée
de son mari lors des démarches, je pensais qu’elle avait besoin de percevoir
un soutien médical permanent d’où l’idée du téléphone portable (que je
donne exceptionnellement)… Elle ne s’en est servie qu’une seule fois et son
commentaire était édifiant, je ne m’étais pas trompée ! En effet, ma disponibilité et ma présence psychique « potentielles » au bout du fil étaient plus
importantes que ma présence physique.
Comment le travail en groupe Balint facilite-t-il l'annonce par le médecin généraliste ?
115
Melle B. a 27 ans. Elle me consulte depuis très peu de temps. Nous
sommes en août quand elle se plaint d’une douleur persistante au trapèze
droit. L’examen me conduit à palper ses seins. Je suis alertée par une masse
fixée dans le territoire du quadrant supérieur du sein droit. Je prescris une
mammographie et rapidement le radiologue me contacte. L’image est très
nettement suspecte, il me rapporte les mots utilisés pour informer la
patiente, « ce n’est pas un kyste, il faudra sans doute faire un prélèvement »
et la patiente prend rendez-vous avec moi. Je suis extrêmement inquiète et
me demande comment je vais m’y prendre pour annoncer ce qui l’attend.
Finalement, c’est Melle B. qui me guidera, je n’aurai qu’à suivre son rythme.
« Le radiologue m’a dit que ce n’était pas un kyste.
— Oui, en effet il m’en a informé au téléphone.
— Alors, qu’est-ce que c’est ?
— Allons regarder les clichés ; ça peut être un nodule à analyser.
— Cela peut être un cancer ?
— En faisant un prélèvement, on pourra faire la part entre 2 solutions : ou
il s’agit d’une lésion banale, ou il s’agit de tissus cancéreux.
— Est-ce que ça se soigne ?
— Oui, bien sûr.
— Comment on soigne ?
— Le traitement est personnalisé, différent pour chaque personne en fonction de multiples facteurs. On peut être amené à faire un traitement large
pour être certain de bien soigner.
— Alors je peux recevoir une chimiothérapie ?
— Oui, peut-être bien.
— Donc je vais perdre mes cheveux.
— Cela dépend des produits utilisés. Je pense à une patiente qui a une
perruque, je ne m’en suis pas aperçu lorsqu’elle me l’a annoncé.
— Et mon travail, est-ce que je vais pouvoir continuer à travailler ? Je dois
être titularisée dans 2 mois.
— Parfois oui, parfois non, parfois en mi-temps thérapeutique. On doit
pouvoir trouver des solutions.
Dans le délai très bref entre les premiers mots prononcés par le radiologue et notre rencontre, cette patiente s’était déjà posé toutes les questions
et dans le bon ordre ; c’est elle qui m’a guidée. Elle m’a littéralement
étonnée, la consultation s’est déroulée tranquillement, je me suis détendue
avec elle, qui n’a eu qu’un instant les yeux humides ; elle voulait tout savoir,
elle prenait la situation à bras-le-corps dans toutes ses facettes comme si elle
souhaitait maîtriser la maladie.
116
Annoncer un cancer
Les questions étaient entrecoupées de silences. Ces silences nous permettaient de reprendre notre souffle et de façon évidente, en tout cas pour moi,
de contenir mes émotions. Nous étions dans le concret de la situation. Je l’ai
suivie pas à pas ; tout s’est dit en une seule rencontre. Elle a été ensuite informée de l’ensemble du protocole de soin par : la gynécologue qui l’a opérée,
l’infirmière de la consultation d’annonce et l’oncologue.
Moi-même, à distance de ses soins pendant 1 an, restais envahie par une
profonde inquiétude devant ce pronostic grave dont la patiente ne prend
pas trop la mesure (tant mieux, sans doute). La gynéco me dit qu’elle peut
avoir 10 ans de rémission. Après cette information, j’ai pu me resituer dans
le présent et ne me projeter qu’à court et très moyen terme, pour vivre.
À travers ces vignettes, je voulais évoquer le fait que même si l’on se
prépare, même si l’on connaît les « pièges », les difficultés de cette consultation, les éléments émotionnels y prennent une place bien particulière. Ils
concernent alternativement ou simultanément l’un, le patient et l’autre, le
médecin.
Le patient va porter un nouveau statut, celui de « malade » et cette
maladie qui l’habite, « le cancer », véhicule des signifiants particuliers :
– de gravité ;
– de rupture dans le déroulement de la vie, temporaire, voire fatale ;
– d’agressivité des traitements dont la chimiothérapie ;
– d’avenir professionnel et familial compromis ;
– bien évidemment de mort.
Il en ressortira une mobilisation de l’ensemble de la personnalité
psychique du patient et de son entourage, en lien avec chacun son histoire.
Le médecin, en fonction de sa personnalité et de ses propres représentations de la maladie et de son propre rapport à la mort, laissera transparaître,
insidieusement, à travers son comportement, le ton, le choix des mots, les
gestes, des éléments porteurs de vie ou de mort.
Le patient et le médecin vont supporter le diagnostic et le pronostic
chacun d’une place différente.
Autant le patient, devant cette maladie mortelle, peut :
– mobiliser ses forces pour combattre la mort ;
– s’allier aux forces de la mort ;
– voire les valider par le suicide.
Comment le travail en groupe Balint facilite-t-il l'annonce par le médecin généraliste ?
117
La difficulté du médecin est de tenir les deux positions :
– se battre pour que vive le patient ;
– se battre pour lui permettre le « bien » mourir ;
– en évitant la mort psychique du patient.
La spécificité du médecin généraliste est cette proximité, cette relation
plus ou moins ancienne avec le patient et le caractère violent lié à ce
moment intrusif et ce qu’il véhicule à travers cette annonce.
Le médecin généraliste se distingue des autres médecins qui gravitent
autour du patient parce qu’il occupe une place très particulière. Il s’occupe
et/ou prend en charge le patient dans sa globalité, volontiers depuis longtemps, dans la durée, au fil des années, parfois dès l’enfance. Il a eu le temps
de tisser une relation plus ou moins solide à travers une multitude d’événements agréables, douloureux, sans importance majeure ou au contraire
sérieux en développant une complicité. Il est témoin d’un contexte socioprofessionnel, familial et affectif. Il est bien un médecin de famille, au sein
de l’intimité de celle-ci.
Ainsi cette proximité relationnelle est brusquement ébranlée par l’intrusion horrible de l’annonce de cette mauvaise nouvelle. Elle peut induire
différentes réactions de l’un ou/et de l’autre.
Certains patients peuvent rejeter celui qui a porté cette annonce terrible.
Il peut apparaître comme incompétent, insuffisant face aux « grands »
spécialistes, professeurs, hospitaliers dotés d’une toute-puissance, d’une
magie renforcée par le silence, la froideur, la distance relationnelle, parfois,
en connaissant si peu l’histoire du patient.
La place de ces médecins hospitaliers est majeure à la phase aiguë du
diagnostic et du traitement car les spécialistes vont :
– affiner le diagnostic par diverses approches (biopsies, interventions) ;
– établir un bilan d’extension de la maladie par certains examens ;
– puis traiter par chimiothérapie, voire radiothérapie, etc.
Tous ces spécialistes apparaissent hyper-compétents dans leur domaine,
impressionnent et sont surtout porteurs de vie malgré leurs gestes volontiers agressifs. Parfois austère, plus ou moins silencieux et vu de façon très
fugace, « ledit professeur » est presque un magicien et suscite le respect.
À l’opposé, l’annonceur du diagnostic et le médecin généraliste si proche
peut être porteur de mort ; à cette phase de la maladie, il n’est pas acteur de
soins concrets, n’est pas toujours au fait de tous les traitements en cours
et/ou possibles et peut être disqualifié par le patient et entraîner son éloignement.
118
Annoncer un cancer
Il ne faut pas oublier qu’à cette phase aiguë, le patient est pris dans une
accélération et une succession de rendez-vous médicaux, de déplacements,
d’hospitalisations de jour ou de courte durée, affaibli à un certain moment
par les traitements. Ce contexte ne lui permet pas de souhaiter ajouter de
nouvelles rencontres avec celui qu’il connaît et qui ne fera « rien » de plus.
Si des progrès relationnels entre spécialistes et médecin traitant sont
incontestables, il n’en reste pas moins vrai que le médecin généraliste a
souvent le sentiment d’être exclu des décisions, des concertations… lui qui
pourtant connaît si bien « son » patient ! Il n’est pas toujours informé des
dates des réunions de concertation pluridisciplinaires qui statueront sur les
choix thérapeutiques. Il peut nous arriver d’avoir envie de dire « attention
fragile » ou de souhaiter mettre en garde vis-à-vis de telle ou telle particularité mais nous arrivons « trop » tard. Il est volontiers nécessaire de
« courir » après les comptes rendus alors que nous n’avons pas plus de
temps « à perdre » à ce type de démarche fastidieuse et, malgré tout, parfois
sans informations particulières, le médecin généraliste sera requis pour
remplir la demande de 100 % en ALD1 (bien sûr utile au patient), ce qui est
volontiers irritant et dévalorisant d’être le « secrétaire » des services spécialisés. Mais face à cette adversité et cette toute-puissance médicale « professorale » ressentie par le patient, celui-ci peut développer un comportement
admiratif qui nous surprend.
À l’inverse, par la solidité des liens relationnels tissés antérieurement, le
médecin généraliste peut apparaître comme un confident, celui auprès de
qui le patient pourra exprimer ses difficultés, ses espoirs et ses doutes. Le
professionnalisme et la qualité des liens relationnels entre le patient et le
médecin généraliste se trouvent confortés par la complémentarité entre les
connaissances médicales régulièrement entretenues et l’appropriation d’un
travail personnel portant sur la relation médecin-malade tel que, par
exemple, le travail en groupe Balint.
Melle D. a 52 ans. Je la connais depuis plus de 20 ans, son père s’est
suicidé quand elle était enfant, elle a vécu auprès de sa mère, laquelle est
décédée il y a 2 ans. Notre patiente, installée dans sa ménopause, prend
20 kg et vit mal ce deuil et son surpoids. Alors qu’elle commence à renaître
à la vie, lors d’un contrôle systématique, une mammographie révèle des
micro-calcifications. Leur histologie amène à pratiquer une mammectomie
totale (elle a une poitrine opulente). Les ganglions sont tous normaux et,
après cette intervention, le pronostic est favorable. Lors d’une de nos
consultations suivantes, je me suis entendue dire : « Nous avons eu la chance
1. ALD : Affection longue durée.
Comment le travail en groupe Balint facilite-t-il l'annonce par le médecin généraliste ?
119
d’avoir pu faire un diagnostic précoce. » Au fil des étapes, je me suis régulièrement rendue disponible, accessible. Puis, quelques mois après la phase
aiguë de l’histoire, Melle D. m’a dit : « Je n’ai pas compris et étais horrifiée
que vous m’ayez dit que j’avais de la chance, maintenant je le comprends
parfaitement, vous aviez raison. »
C’est la gynécologue, qui, après la biopsie, avait annoncé le diagnostic.
Dans l’instant, la patiente avait souhaité venir m’en parler. Je n’avais pas de
créneau horaire pour la recevoir, cependant, j’ai trouvé du temps, cela me
paraissait incontournable. Elle ressentait, nous ressentions, le contraste
entre ce début de « re-naissance » et le coup d’arrêt porté par ce diagnostic
et l’épée de Damoclès qu’il représentait à ses yeux.
Puis, quand j’ai utilisé le mot « chance », il avait pour elle et moi une
représentation différente. Si je lui ai expliqué le sens qu’il avait pour moi :
diagnostic précoce et pronostic favorable, elle associait différemment :
chance d’avoir un cancer, et ne pouvait plus m’entendre.
Après avoir, ensemble, passé puis dépassé des moments difficiles pour
elle, j’ai compris, dans l’après-coup, le formidable espoir que je portais face
à sa pathologie mais j’étais trop en avance sur elle pour le partager à ce
moment-là.
Le poids des mots et leur représentation sont volontiers différents pour
le patient et le médecin, et source de malentendus.
La solidité de la relation de confiance existant entre nous a permis de
maintenir une relation de qualité.
L’importance de la participation à une formation portant sur la relation
médecin-malade, à travers des éléments psychiques et inconscients qu’ils
induisent, trouve toute sa place au sein de l’outil « groupe Balint ».
Ce travail, dont le bénéfice apparaît dans la durée comme un « changement limité bien que considérable du médecin » (1), aide particulièrement
par :
Le fait d’avoir un espace de parole (si l’on appartient à un groupe
Balint), sans jugement :
– pour partager nos erreurs et les comprendre ;
– apporter grâce aux membres du groupe un éclairage sur les situations
vécues, aveuglé que l’on peut être quand la bonne distance relationnelle
n’est pas trouvée ;
– sortir de l’isolement ;
120
Annoncer un cancer
– oser travailler avec les émotions, celles observées chez le patient, celles
ressenties par le médecin telles que les sentiments de « laissé pour
compte », de mépris ou d’ignorance du médecin généraliste par les
équipes spécialisées, de trouble affectif chez ce patient si proche, voire cet
enfant que l’on a vu grandir, tout en restant professionnels.
Il s’ensuit :
– un repérage plus rapide des affects toujours différents face aux patients et
aux situations et comprendre les interactions entre une situation et la
suivante, voire notre histoire personnelle ;
– par l’expérience de l’écoute dans le groupe une meilleure écoute du
patient à travers ses mots et ses silences, et mieux entendre l’expression de
ses propres représentations face à la maladie ;
– la relation de confiance établie antérieurement sans familiarité ni copinage, ni froideur, permettra de « jouer » avec la distance relationnelle,
émotionnelle, laquelle serait profondément troublée s’il existait un autre
lien avec le patient. La qualité de la relation antérieure et la connaissance
approfondie du patient rendront possibles le fait de pouvoir oser prononcer certains propos. M. Balint (2) parlait de la « compagnie d’investissement mutuel » profondément perçue par le patient. Le parallèle entre le
travail en groupe (dans la durée) face à un cas présenté et la rencontre
entre le patient et le médecin va permettre à celui-ci de respecter plus facilement le cheminement du patient pour avancer à son rythme ; de mettre
en place un dispositif d’accompagnement personnalisé propre à chaque
médecin permettant, selon les patients,; de « régresser » pour certains
d’entre eux et assurer un certain effet protecteur ; de développer ou amplifier une complicité avec eux ; de faire face au déni ou à la culpabilité,
lesquels peuvent se situer de l’un ou l’autre des deux cotés de la relation,
enfin de permettre au médecin de mieux comprendre ce qui se joue entre
son patient et lui- même, chez son patient et en lui, professionnel et sujet.
Autant d’éléments qui lui permettront de ne pas s’épuiser et de rester
vivant avec le patient.
Je terminerai par une touche positive en citant Winnicott2 : « Ô Dieu,
puissé-je être vivant quand je mourrai… »
Références
1. Balint M (1960) Le médecin, son malade et la maladie, Paris, Éditions Payot
2. Moreau Ricaud M, Balint M (2000) Le renouveau de l’École de Budapest, Paris,
Éditions Eres
2. Prière de Winnicott que sa femme a fait connaître après sa mort.
Les blogs : où parler (écrire) de l'angoisse
de l'annonce ?
G. Gsell-Herold
Depuis 1998 et les premiers États généraux des malades du cancer, la question de l’annonce a été l’objet de nombreux travaux de recherche, d’articles
et d’ouvrages. L’annonce a été prise en compte dans le Plan Cancer 20032007 et cela a permis la mise en place de dispositifs d’annonce dans la
plupart des établissements hospitaliers. Dans ce chapitre, nous souhaitons
traiter de la manière dont l’annonce est vécue par des femmes atteintes d’un
cancer du sein et qui témoignent de leur expérience à travers l’écriture par
la tenue de blogs sur Internet. Une lecture approfondie des blogs permet de
mettre en exergue le fait que ces patientes ne parlent pas uniquement de
l’annonce de la maladie mais aussi de l’annonce des traitements et de ses
conséquences, ainsi que de la permutation des rôles quand il faut annoncer
la maladie aux proches. À partir des « mots pour le dire » que ces femmes
utilisent, nous en apprenons beaucoup sur les différentes annonces ; sur
« qui » annonce et « comment », ainsi que sur l’état psychique de ces
femmes meurtries dans leur corps et leur âme par l’intrusion de celle
maladie que l’on nomme cancer.
Avant d’aborder le cœur du sujet, tentons de définir ce qu’est un blog sur
Internet.
Les blogs sont apparus à partir de 1990 et se sont fortement développés
aux débuts des années 2000. Aujourd’hui, c’est devenu un moyen d’expression très répandu sur Internet et on dénombre plusieurs dizaines de
millions de blogs de par le monde.
Quand on parle de blog, d’emblée se pose la question de savoir si nous
pouvons le qualifier de journal intime. À l’évidence, la réponse est négative
car son contenu peut être consulté par un grand nombre de lecteurs.
Certains auteurs ont proposé de comparer les blogs au carnet de bord des
navigateurs ou à une bouteille à la mer dans la mesure où on ne sait ni
122
Annoncer un cancer
quand ni par qui, le blog sera lu au moment de son lancement (par la suite,
il sera techniquement possible de suivre la fréquence de consultation du
blog).
Deux sociologues, Cardon et Delaunay-Teterel (1), nous proposent une
typologie des blogs qui tient compte de la dimension relationnelle plus ou
moins présente en fonction des blogs. Ainsi il y a un monde entre le blog
solitaire qui est peu lu et commenté par un public confidentiel et le blog
d’une personnalité connue, largement mis en avant par les moteurs de
recherche et les médias. Le blog solitaire traite essentiellement de la
personne de l’auteur qui montre aux autres des aspects de son identité
profonde.
Les blogs sur lesquels nous travaillons (une trentaine) se situent essentiellement dans cette configuration. En référence au roman-feuilleton du
XVIIIe siècle, nous proposerons, pour notre part, le terme de chroniques
quotidiennes pour qualifier le contenu des blogs que nous suivons.
L’annonce
L’histoire du cancer de ces femmes débute toujours par la découverte d’une
grosseur, d’une boule au niveau d’un sein. À partir de là, nous disent-elles,
« tout va très vite ». Les rendez-vous s’enchaînent, du médecin généraliste
au gynécologue, en passant par le radiologue. Les résultats des examens sont
toujours attendus avec une certaine appréhension, de l’inquiétude, voire de
l’angoisse, en fonction du vécu de chacune. Le jour où les résultats tombent
est un jour qui s’inscrit de manière indélébile dans le psychisme des
patientes. C’est un jour qui fait rupture entre la vie d’avant, celle d’une
femme bien portante, et un présent de femme malade. L’annonce ouvre
pour ces femmes un temps nouveau, celui de la maladie.
L’annonce est un jour qui marque.
M., par exemple, écrit : « J’ai appris mon cancer à 3 mois après 30 ans. »
Pour L., c’est « le jour où tout bascule ». D. nous dit : « 14 août… une date
que je n’oublierai pas. » Pour P., c’est « 16 avril, une date mémorable ». M.O.,
quant à elle, le formule ainsi : « Le jour de l’annonce faite à M.O…. » I. écrit :
« Je pleure. Je suis arrivée sur une nouvelle planète. En deux jours, rien n’est
plus comme avant. Mes priorités sont complètement chamboulées. »
Pour toutes ces femmes, c’est le ciel qui leur tombe sur la tête, c’est un
véritable traumatisme. Cette annonce de la maladie est un événement
violent et soudain, une réalité insupportable qui produit le plus souvent un
état de sidération. Ce traumatisme est bien décrit dans la majorité des blogs.
M., par exemple, écrit : « je n’entends plus rien de ce qu’on me dit » ; P.R.
Les blogs : où parler (écrire) de l'angoisse de l'annonce ?
123
écrit qu’au moment de l’annonce, elle ne reconnaît plus sa voix, « comme
si elle sortait d’un vieux magnétophone à ruban, au ralenti…. ». Elle dira
également : « je ne suis pas Jack Bauer », en référence à la fiction de télé
24 heures chrono où l’action se situe sur 24 heures. Manière de dire par P.R.
que le jour de l’annonce aura été le jour le plus long de sa vie.
Quand on annonce la maladie, on réalise également une nomination, on
donne le nom de la maladie, le cancer en l’occurrence. Isabelle MoleyMassol (2) nous dit que nommer, annoncer, revient à quelque chose d’aussi
important que baptiser. Cela renvoie à un acte sacré, fondamental. Cet
aspect du sacré est présent en cancérologie, de « l’annonce » à la « rémission ». L’annonce renvoie à la vie, à la mort, à la solennité, à l’irrévocable
aussi. Dans l’imaginaire de ces femmes et des patients que l’on rencontre
lors d’entretiens, le mot cancer est très souvent associé à la mort. S., par
exemple, nous le montre bien. Pour elle, cette annonce est vécue comme
« une peine de mort », une « bombe à retardement ». C’est un acte d’une
grande violence, la castration d’une vie envisageable. D’autres, comme I.,
disent « apprendre le verdict ». Verdict, condamnation sont les termes qui
reviennent le plus fréquemment.
Verdict, condamnation, peine de mort. Ce sont des mots très forts qui
illustrent la violence de l’annonce et la manière parfois violente dont l’annonce est faite. N., par exemple, questionne son médecin le jour de l’annonce du diagnostic, lui demandant si elle va guérir. Ce dernier lui répond
« qu’il n’est pas devin ». Elle s’effondre. « Les trois jours qui ont suivi ont
été les pires de ma vie. J’étais psychologiquement détruite, persuadée de
n’avoir plus que quelques jours à vivre, physiquement mon corps me
lâchait, mon ventre n’était plus que douleur. » Trois journées presque
irréelles pour elle. Avec la certitude de la mort qui s’installe, plus rien n’a
d’importance, ni les projets ni les gens, rien. Un véritable ravage. Derrière
sa question « vais-je guérir » résidait une deuxième : « est-ce que je vais
vivre » et dans la réponse du médecin elle n’a pas entendu le « je n’en sais
rien » mais bien « je vais mourir ». Dans son article « Annoncer un diagnostic mortel », M.-F. Bacqué (3) nous dit que le médecin est « au premier plan
lorsqu’il s’agit de la mort d’un sujet ». Il est nécessaire dans ce moment
particulier de l’annonce de laisser une perspective ouverte, un présent et un
futur possible avec la maladie et de ne pas fermer cette perspective avec une
mort annoncée ou en suspension.
J., elle, nous dit que l’annonce lui a été faite entre deux portes par « une
Dolto en jupons ». « On ne va pas tourner autour du pot. C’est un cancer
du sein, mademoiselle. » Ici aussi l’annonce est faite brutalement, sans fioriture, sans tenir compte de la personne en face, de son psychisme. Le
médecin se libère brutalement, laissant sa patiente seule face à son désarroi.
124
Annoncer un cancer
Pour I., c’est encore différent. Elle a rendez-vous chez son radiologue. À
la fin des examens, ce dernier se montre « agité, angoissé ». Il communique
son état d’agitation à I. durant les résultats. I. « pressent que c’est mauvais »
mais le mot cancer n’est pas prononcé. Le radiologue téléphone au médecin
généraliste qui l’attend dans son cabinet et reçoit immédiatement I. C’est
inhabituel et les craintes de I. se confirment. Le médecin lui annonce la
maladie mais sans prononcer le mot cancer. Elle rentre en pleurs et fait des
recherches sur Internet. ARR5 = cancer du sein. Elle écrira : « J’ai appris le
verdict par mon ordinateur. » C’est une stratégie d’évitement de la part des
médecins qui ne pouvaient ou ne voulaient pas prononcer le mot de cancer.
Peut-être également qu’à ce stade, le diagnostic n’était pas certain. En tous
les cas, après une biopsie faite aux urgences, I. a pu rencontrer une gynécologue qui a su lui parler de ce qui lui arrive avec « les bons mots ».
Au moment de l’annonce, certains mécanismes de défense se mettent en
place. Mécanisme de défense (4) : processus psychiques qui ont pour fonction l’organisation et le maintien des conditions psychiques optimales,
pouvant aider le Moi du Sujet à affronter et à éviter l’angoisse et le malaise
psychique. Ces mécanismes participent ainsi aux tentatives d’élaboration du
conflit psychique. Chaque patient (e) va réagir d’une manière qui lui est
propre.
Pour K., « le verdict est tombé ce soir. Pour ceux qui me connaissent, ils
savent qu’il n’y a pas de problème, un combat de plus que je gagnerai. » Ici,
la patiente choisit d’emblée de se positionner dans un combat contre la
maladie qu’elle va gagner. C’est une forme de défense positive, tournée vers
la vie, vers l’avenir. Je vais gagner le combat contre la maladie, je vais vaincre
le cancer.
C.E. est une jeune femme de 22 ans. Elle découvre une grosse tumeur
dissimulée dans sa poitrine. Sa vie bascule du jour au lendemain. Elle
découvre le monde du cancer. À son premier rendez-vous avec l’oncologue,
elle se demandait avant tout si elle allait perdre ses cheveux. Elle décide alors
de se battre pour conserver ses cheveux, tenir par ce moyen le cancer au
loin. C’est une dénégation intrapsychique, il y a un refus du malade d’accepter la maladie avérée par le diagnostic du médecin. C.E. sait mais ne veut
pas voir. Elle rejette l’intolérable de la maladie. Plus tard, le jour où elle perd
ses cheveux, elle prend brutalement conscience de la réalité de la maladie,
de la présence de ce cancer. Pour elle, c’est le moment où tout bascule vraiment parce que le cancer devient visible. Elle se dit qu’elle vient de perdre
son premier combat mais en appelant la clinique du cheveu, elle choisit de
se battre et de ne pas laisser le cancer gagner à sa place. Elle vient ainsi de
Les blogs : où parler (écrire) de l'angoisse de l'annonce ?
125
faire un pas. Elle a modifié son mécanisme de défense en faisant le choix de
se battre contre ce crabe qui la mine de l’intérieur. Elle a choisi un mécanisme de défense tourné vers la vie, pour mieux affronter la maladie.
Quel que soit le mécanisme de défense adopté par une patiente, il faut le
respecter. Il n’est pas figé. Il évolue avec le temps et avec le cours de la
maladie. Il permet la mobilisation de l’énergie psychique pour faire face à la
maladie.
Tous les blogs nous montrent que l’énergie psychique se mobilise vers
l’action. Ce qui est certainement, et a minima, l’un des effets positifs de
l’écriture.
Les mécanismes de défense existent aussi du côté des soignants. C’est ce
qui arrive à M. lorsqu’elle rencontre un médecin qui minimise la maladie :
« C’est un tout petit cancer » C’est une forme de mise à distance des
émotions de la patiente, une infantilisation aussi. Ce genre de réaction peut
mener à l’échec car une relation de confiance avec la patiente ne peut s’installer.
Un autre aspect de l’annonce est que ces femmes apprennent l’irruption
d’un intrus dans leurs corps. Un cancer, un crabe. L’étymologie du mot
cancer est très ancienne. Rappelons pour mémoire que le terme carcinoma
(en grec) qui signifie justement cancer, crabe, écrevisse ou encore tumeur, a
déjà été utilisé par Hippocrate. Le questionnement autour de l’intrus est un
questionnement sur le sens de la maladie. Pourquoi un cancer ? Pourquoi
moi ?
M. écrit : « Un cancer s’est installé en moi sans que je sache pourquoi.
Pourquoi moi ? Pas un jour ne se passe sans que je ne pense à cette maladie.
Me voila avec un crabe en moi. » Questions qui resteront sans réponse pour
M.
Pour A., lors de son premier cancer, la réponse est évidente. C’est un
cancer génétique, « héritage de ma grand-mère ». Elle s’interroge bien pourquoi elle et pas sa mère, ses sœurs ou ses cousines, mais l’explication est
néanmoins suffisante et satisfaisante pour elle. Six ans plus tard, elle a à
nouveau un cancer. Ce second cancer suscite un questionnement beaucoup
plus fort : « Comment cela s’est il produit ? Pourquoi ? Alors que j’avais une
vie saine. Que du bon vin, du sport, peu de cigarettes. Il y avait quelque
chose à me faire dire, la première fois, que je n’avais pas trouvé. Mais
quoi ? »
D.O. se demande, quant à elle, si elle ne devrait pas chercher dans son
passé, son enfance, pour déterrer un trauma ancien de son enfance peutêtre, qui viendrait donner du sens à ce qui se passe aujourd’hui.
Pour P., la réaction est encore beaucoup plus forte. Cela lui est égal qu’on
lui enlève ses deux seins, pourvu qu’on la débarrasse de cette chose sale qui
a pris possession de son corps, qui « la dévorait, prenait sa vie ».
126
Annoncer un cancer
L’annonce de la maladie pousse ainsi ces femmes à la révolte contre ce
qui leur arrive, les amène à se questionner d’une manière toujours douloureuse, les poussant à une quête de sens, à essayer de mettre du sens à ce qui
leur arrive, à trouver une explication à un non-sens. On retrouve également
ces questionnements chez les patients que l’on peut rencontrer en entretien
clinique. C’est un temps où ces femmes sont amenées à revisiter leur
histoire, Dans les mots utilisés lors de l’annonce, tels que « verdict »,
« condamnation », « peine », il y a l’idée d’une condamnation pour une
faute. Mais pour quelle faute ? Cela renvoie toujours au sacré, au religieux.
Ce travail introspectif est nécessaire à chaque patient pour qu’il puisse
trouver un sens qui lui est propre, une réponse unique et qui n’appartient
qu’à lui. C’est un passage nécessaire pour se reconstruire psychiquement.
Le philosophe Jean-Luc Nancy (5) écrit que « le cancer est comme la
figure mâchée, crochue et ravageuse de l’intrusion ». Et plus loin : « le traitement exige une intrusion violente. Il incorpore une quantité d’étrangeté
chimiothérapique et radiothérapique ».
Jean-Luc Nancy nous rend ici attentif au fait qu’il y a deux sortes d’intrusions. Celle de la maladie, le cancer, le crabe, et celle des traitements,
invasifs et lourds. Chaque patient doit accepter une « souffrance qui est le
rapport d’une intrusion et de son refus ».
L’annonce des traitements
L’annonce des traitements, opération, chimiothérapie, radiothérapie, avec
son cortège de conséquences parfois très lourdes comme l’ablation d’un
sein, voire des deux, ou encore la perte des cheveux, est souvent vécue de
manière encore plus traumatisante que l’annonce de la maladie elle-même.
M. écrit, parlant de son rendez-vous avec son cancérologue : « Je me suis
assise en face de lui, j’étais terrifiée par ce qu’il allait m’annoncer, en fait
inconsciemment ou consciemment, je ne pensais qu’à une seule et unique
chose : mes cheveux. Est-ce que j’allais perdre mes cheveux ? Comment
vivre un an sans mes cheveux ? »
Le mot verdict revient également très souvent : « verdict : 25 séances de
chimiothérapie, ablation totale du sein ». Et encore, pour montrer la tonalité traumatisante de la perte des cheveux : « Et le drame arriva. Mes cheveux
m’abandonnèrent. » Et elle ajoute : « Mes enfants ne m’auront jamais vue
sans cheveux. Toujours avec un foulard. Ma fille avait peur. » L’enfant de M.,
une petite fille, avait effectivement peur de ne pas reconnaître sa maman.
Les blogs : où parler (écrire) de l'angoisse de l'annonce ?
127
M.C. écrit : « Dernier rendez-vous avec le chirurgien. Et là, encore un
coup sur la tête. Ablation totale du sein. Ils vont prendre la peau du dos
pour la reconstruction. Moi qui ne voulais pas qu’on touche à mon dos. Ce
n’est pas la perte du sein qui me fait le plus peur, c’est le dos et l’anesthésie. »
Z.A. nous raconte bien ce qui lui arrive lors de l’annonce du traitement :
« Il a prononcé le mot chimiothérapie. À l’énoncé de ce terme, une violente
réaction traverse mon corps en remontant des pieds à la racine des cheveux.
Il me semble évoluer dans un autre monde… La lumière de la pièce est
devenue trop éblouissante, j’ai comme une sensation de nausée (serais-je en
train de frôler le malaise ?) Non, on ne peut pas associer ce « mot » à mon
cas. Pour moi, chimiothérapie est égal à dernière chance, cas désespéré,
mort… »
Quel que soit le type d’annonce, ce qui revient chaque fois, c’est la question de la perte des cheveux, la peur de l’alopécie. Les cheveux touchent à
l’essence même de la féminité au même titre que le sein, à l’identité
profonde de la femme.
La perte des cheveux est vécue de manière plus traumatisante que celle
des seins dans la plupart des cas et a des effets importants sur la qualité de
vie. Ce point est développé dans une étude de 2008 (6). Ce traumatisme
touche aussi bien les hommes que les femmes. Sur ce dernier point, une
étude anglaise nous montre cependant qu’il y a une différence. Chez les
femmes, l’effet traumatisant porte sur la chevelure, sur la partie visible sur
laquelle porte le regard de l’autre. Chez l’homme, ce sont davantage les poils
du corps qui sont concernés, déclenchant un questionnement en rapport
avec la virilité (7). D’après les contenus des blogs, les solutions proposées en
matière de prothèse capillaire ne sont pas toujours adaptées, mal prises en
compte également au niveau de la protection sociale. Ces femmes sont
cependant ingénieuses et trouvent des solutions de substitution, comme le
port de foulard de différentes couleurs, etc. En tous les cas, c’est toujours
une déchirure, un renoncement générateur d’une grande détresse.
Comme pour les cheveux, l’atteinte du sein est pour ces femmes un traumatisme réel. Il y a pour ces femmes une altération de l’image de soi dans
le miroir et par rapport à l’image projetée par le regard de l’autre. La mère
ci-dessus qui nous dit que son enfant a peur de la voir sans cheveux est, à
cet égard, très parlante et touchante.
L’angoisse de mort est très présente et les mots utilisés pour le dire sont
très forts. Entre cette jeune femme qui se voit déjà entre « quatre planches »
quand on lui annonce qu’elle a quatre métastases au foie et cette autre qui
se voit déjà morte quand on lui parle de chimiothérapie, la palette est large.
128
Annoncer un cancer
La relation cancer = mort annoncée est toujours très présente et ce, malgré
les progrès qui ont été réalisés en médecine et une forte augmentation du
taux de guérison.
L’annonce faite aux proches
Un aspect de l’annonce auquel on songe peu, mais qui est également délicat,
se situe lors de l’annonce de la maladie à la famille et aux proches.
M. écrit : « Ensuite, il faudra l’annoncer à la famille, aux amis, aux
collègues, etc. ; c’est une dure étape : il faut toujours rabâcher la même
chose… Le plus dur a été de l’annoncer à ma grand-mère, je ne voulais pas
lui dire au début… Mais je lui rends une petite visite (elle habite à 150 km
de chez moi) pour lui dire et rester un peu avec elle. En fait, j’essaie de rassurer les autres. » « Les réactions sont diverses : les pleurs, les sans-voix, les
ignorants qui vous disent : “Pas grave, c’est la maladie du siècle et ça se
guérit” et que l’on a envie de fusiller, ceux qui s’échappent et qui ne donnent
plus de nouvelles et ceux pour qui on ne savait pas à quel point on compte
pour eux. »
M. nous dit bien les choses. En annonçant la nouvelle de son cancer aux
proches, elle doit se mettre en position de les rassurer alors qu’elle vient ellemême de subir le choc de l’annonce. Elle prend de nouveaux coups de la
part de ceux qui, pour se défendre inconsciemment, vont minimiser la
maladie et il y a ceux dont le regard se détourne.
PR. adopte une stratégie un peu différente. Elle fait une distinction entre
les proches, les amis et les collègues : « L’annonce aux amis et aux collègues,
contrairement à celle aux proches, s’avère très facile. » « Le 17 avril XXXX,
je fais part de la nouvelle à tous mes proches. Aucun d’eux ne saisit qu’on
vient de me diagnostiquer un cancer… Je leur baragouine une savante
mosaïque de mots tournant autour du diagnostic, passant de paraboles en
euphémismes, évoquant subtilement le mot tabou, sans l’atteindre ni le
nommer… Je ne parviens pas à annoncer cette nouvelle à mes proches en
une seule et unique fois. Attristée de l’inquiétude que je vais susciter, culpabilisée à l’idée de jeter de l’ombre sur leur journée, leur semaine, leur été, je
retarde la vérité dont j’appréhende l’effet perturbant pour eux. Chaque fois
que je décroche le combiné, la mère, la sœur aînée et la fille en moi bâillonnent la patiente terrifiée et servent la version édulcorée. Entre-temps, elle
fait des ronds dans l’eau autour de « ma fausse vérité » et sème une inquiétude sourde parce que sans visage. Aurais-je dû faire autrement avec les
principaux occupants de mon cœur ? Peu importe, ne compte désormais
que la suite des choses. »
Les blogs : où parler (écrire) de l'angoisse de l'annonce ?
129
K. nous parle de l’annonce à faire à ses enfants. « Dans un premier
temps, je pense qu’on va leur dire que je suis malade et que je dois subir une
opération. À leur retour de vacances, une discussion sérieuse sera nécessaire
puisque j’aurai sûrement perdu un peu de cheveux. J’espère qu’ils ne seront
pas trop mal à la vue de ma nouvelle tête. »
M. se pose la même question concernant les enfants. Comment annoncer aux enfants que leur maman a un cancer ? Faut-il tout leur dire ?
Comment vont-ils vivre la chose ? « J’ai donc pris la décision de leur annoncer que maman était malade. » Pour M., le problème majeur était la perte
des cheveux. Elle a annoncé la nouvelle aux enfants sur un mode dédramatisant en parlant de la coupe à Papé (le grand-père), qui est chauve. Cela a
eu pour effet d’amuser les enfants en donnant à la situation un côté
« comique ».
Z.A. en parle également : « Le lendemain, je retourne travailler et
commence à parler de mes soucis à mes proches collègues. Je n’ai rien à
cacher, ma maladie n’est pas taboue, je n’ai rien demandé, j’ai besoin d’en
parler. Elles essaient de me rassurer, mais je ressens leur inquiétude pour
moi. J’ai très souvent discuté avec Nelly. Après deux cancers successifs des
seins et deux ablations, elle sait de quoi elle parle et je bois ses paroles. Dès
qu’un sujet nous concerne, l’écoute est bien plus attentive et je m’en veux
de ne pas avoir imaginé à quel point son parcours à dû être difficile. Elle a
toujours eu des paroles et un comportement très optimistes en parlant de
sa maladie. Peut-être cache-t-elle ses angoisses sous cette carapace. »
Les proches, la famille, les enfants, les amis, les collègues de travail.
Autant de monde à qui il faut annoncer la maladie. Le malade se voit ainsi
dans une permutation des rôles. Il lui revient d’annoncer sa maladie aux
autres. Temps difficile car il faut faire face aux regards des autres, découvrir
des faces cachées, faire de la peine aux uns, en faire fuir certains. Comment
le dire ? C’est la question que se posent ces femmes et c’est un aspect de l’annonce auquel on ne songe pas suffisamment. Pourtant, chaque malade a
besoin des autres. Besoin du soutien des autres, besoin du regard de l’autre,
regard au travers duquel il se sent vivre, reconnu comme un être humain à
part entière.
130
Annoncer un cancer
Pourquoi écrire
Pourquoi écrire ? Et pourquoi un blog ?
N. nous dit qu’elle avait envie d’écrire « sur la vie, sur SA vie », mais
également parce que, dans les premiers temps de la maladie, l’entourage est
très présent mais ensuite « on se retrouve seul avec son cafard et son
angoisse ».
Une autre motivation mise en avant par la plupart des femmes qui écrivent est celle de protéger la famille, enfants et mari. L’étude de Cardon et
Delaunay-Teterel (1) confirme d’ailleurs ce point. Les blogueurs ne veulent
pas être lus par leurs proches. Cela permet clairement une plus grande
liberté de ton, renforcée par l’anonymat et l’utilisation de pseudonymes.
Pour M. : « J’écris parce qu’il y a des choses que je ne peux pas dire à
haute voix. »
Pour B.E. : « J’attends de ce blog de pouvoir retranscrire tout ce que j’ai
sur le cœur, c’est certainement une façon de m’auto-thérapeutiser. »
Pour A.L. « Écrire pour moi c’est me confier, c’est essayer de m’analyser,
c’est extirper, tout du moins essayer d’enlever tout ce négatif, toutes ces
angoisses et voir plus clair en moi… Ce journal de bord a été une véritable
thérapie pour moi. »
Ces femmes écrivent ainsi par nécessité, c’est une forme d’écriture réactionnelle à un traumatisme, celui de l’annonce d’une maladie grave, le
cancer en l’occurrence. A. Tellier (8) nous dit que « la dimension curative
de l’écriture trouve ses limites et sa contradiction dans sa qualité de pharmakon » (En Grèce ancienne, ce mot désigne à la fois un remède et un
poison). Écrire le trauma revient ainsi à « taper » par clavier interposé là où
ça fait mal. Ainsi, le passage du trauma de la sphère psychique à l’écran
numérique réactive le point douloureux. Le choix de l’écriture reviendrait
ainsi, d’une certaine manière, à chercher le remède dans le mal.
Une autre caractéristique de cette écriture est la spontanéité, une forme
de clinique en dehors de la clinique. C’est une écriture au fil de l’eau, au jour
le jour, qui fonctionne un peu sur le modèle d’un baromètre nous donnant
des indications sur les oscillations du psychisme de ces patientes.
C’est une écriture qui a des effets cathartiques (permettant la purgation
des effets pathogènes). Par exemple, S. nous dit au bout de quelques
semaines d’écriture qu’elle parvient de nouveau à se souvenir de ses rêves.
L’écriture sur un blog Internet suit également une temporalité particulière. Dans la majorité des cas, le blog est écrit pendant la maladie. C’est
l’annonce de la maladie qui amène à l’écriture. Avant la maladie, on faisait
partie du monde des bien-portants, on n’avait pas besoin d’écrire. Après la
maladie, on ferme le blog et on passe à autre chose ou alors on ouvre un
Les blogs : où parler (écrire) de l'angoisse de l'annonce ?
131
nouveau blog avec une thématique différente. Dans les deux cas, on tourne
la page. Le fait de pouvoir tourner la page me fait poser l’hypothèse que ces
femmes ont pu, grâce à cette forme d’écriture, surmonter leurs traumatismes. Cette écriture se démarque ainsi de celles de certains journaux
intimes qui durent toute une vie, qui n’en finissent pas, où l’écriture est
circulaire avec un trauma qui revient sans cesse au-devant de la scène.
L’écriture offre ainsi une mentalisation de l’événement-cancer de
meilleure qualité. Mentalisation (9) : notion introduite par Pierre Marty en
1970. Notion qui opère au niveau théorico-clinique dans le registre du
système représentatif, englobant la représentation affective. Elle est décrite
comme la quantité et qualité des représentations psychiques des individus,
qualité de leurs articulations, mise en tension et en réseaux. Elle étaie les
fantasmes et les éléments des rêves, elle permet les associations et la mise en
pensée de l’excitation interne.
C’est un processus d’élaboration qui permet de stopper le schéma de
répétition par l’élaboration des conflits psychiques.
L’écriture permet également de laisser une trace de l’histoire de la
maladie, dans une certaine mesure de communiquer avec les autres (ayant
une histoire proche) le plus souvent. Elle permet également un renforcement narcissique et aide à la reconstruction d’un psychisme abîmé.
Comme nous avons pu le voir, l’intrusion du cancer dans la vie d’une
personne confronte cette dernière à de multiples annonces qui sont autant
de chocs violents. Annonce du diagnostic, annonce des traitements et de
leurs conséquences. Le malade doit également se faire porteur de la
mauvaise nouvelle en annonçant sa maladie à ses proches, famille et amis,
collègues de travail.
Face à cette épreuve de vie, l’écriture, et plus particulièrement l’écriture
via des blogs sur Internet, aide à surmonter les traumatismes inhérents à la
maladie. L’écriture aide à développer les capacités de mentalisation du
patient et participe à l’élaboration du conflit psychique. Elle favorise également la mise en place de mécanismes de défense positifs permettant de
dégager des ressources psychiques pour faire face à la maladie.
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Annoncer un cancer
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Annoncer la « fin des traitements » ?
M. Derzelle
Introduction
Que le temps du sujet ne soit pas superposable au temps médical, le temps
de la rémission le dit sans doute suffisamment (1). Si l’annonce de celle-ci
est manifestement une « bonne nouvelle » au plan médical, annonce de la
suspension thérapeutique et d’un défi relevé et temporairement gagné
contre la maladie, la fin des traitements qui s’y associe constitue, régulièrement pour les patients, un stress tout à fait particulier. C’est le temps où ils
se disent et se sentent déboussolés, abandonnés, perdant le sentiment de
contrôle que procurait l’administration des traitements. Ils sont habités par
un sentiment de grande vulnérabilité, de vide, quand bien même diminue
la détresse émotionnelle et que s’installe une sorte de démobilisation
psychique. Tout se passe comme si, perdant une figure maternelle toutepuissante, qui n’est jamais que l’autre nom de « l’effet cadre » des soins, ils
étaient progressivement gagnés par un abandonnisme intolérable, une insécurité de base, liés à la perte d’un lien médical soutenu et qui fonctionnait
comme un véritable « surmoi corporel » (2) organisant l’espace, le temps et
les fonctions corporelles du sujet. Comme si le savoir généré par la maladie,
qui est savoir qu’on est mortel, devenait envahissant et angoissant dès lors
que l’alliance thérapeutique avec le corps médical et la structure se distendait. Comme si la perte du grand corps premier s’y trouvait ravivée à l’extrême, obligeant à perdre pied, à perdre tout point de repère, obligeant
l’arrachement à l’autre devenu l’arrachement de soi à soi (3).
Si cette problématique ne fait qu’extrêmement rarement l’objet d’une
véritable demande explicite auprès de l’oncologue et/ou du spécialiste d’organe, elle est par contre fréquemment l’entrée en matière de demandes de
travail psychothérapeutique (3, 4) où, l’absence de ressenti positif étant
principalement au rendez-vous, celle-ci vient questionner le sujet sur sa
136
Annoncer un cancer
« normalité » : « Est-il bien normal de ne pas sauter de joie à l’idée d’être en
rémission ? Pourquoi ce manque de résistance désormais et cette grande
fatigue ? Pourquoi cette installation, en décalé, dans ce qui ressemble fort à
une grande dépression ? » Fond quasi permanent, aux allures de non-dit,
des préoccupations d’allure somatique que le généraliste reçoit en abondance (5), cette problématique donne également à voir une sorte de symptôme dont les séquelles diverses sont comme autant de formes :
complications à long terme de la maladie et des traitements, inquiétude
hypocondriaque s’agissant d’une période pourtant cliniquement muette,
persistance de la fatigue, dysfonctionnement hormonal sont en effet autant
d’autorisations à maintenir un lien soutenu avec le corps médical et
soignant, au temps même où le positif retour à la vie quotidienne vient
malencontreusement à se confondre avec la perte de la sécurité de l’hôpital.
S’il est désormais banal de dire que le diagnostic de cancer tombe toujours
de manière abrupte et surprend le sujet, force est donc de constater que l’annonce de la rémission, même si elle est ardemment souhaitée, n’est pas une
évidence pour le patient : un temps semble nécessaire pour cheminer vers
un statut qui ne semble pas encore bien défini et qui est surtout propre à
chacun en fonction de son histoire et de l’histoire de sa maladie (6).
Le constat d’un besoin au plan de la clinique joint au grand étonnement
que les pouvoirs publics mettent les projecteurs surtout sur les traitements
et maintiennent dans l’ombre le temps qui leur succède, ont présidé, à
Reims, à l’idée d’un projet visant à l’ouverture d’une consultation entièrement dédiée au temps de la rémission. Si le plateau actuel dénommé Centre
Sein, fusion privé-public d’un cabinet de radio-sénologie ayant rejoint le
Centre de Lutte contre le Cancer, est aujourd’hui le lieu d’accueil de cette
structure, sans doute faut-il y voir une sorte de rodage d’un travail redoublé d’une interrogation qui devrait, à l’avenir, se faire transversalement :
tous les établissements, voire tous les praticiens, devraient effectivement en
voir l’intérêt, et, au-delà du sein, c’est bien évidemment les localisations de
tout cancer, qui devraient rapidement être toutes convoquées. Témoin que
le changement de statut de la maladie cancéreuse – hier affection bien
souvent fatale devenue aujourd’hui affection chronique de longue durée
associée aux peurs de la récidive – étend sans nul doute le champ d’intervention des professionnels de santé, cette consultation se voudrait aborder
la question de la « rémission » dans sa globalité : organisée sur la base d’un
binôme médecin généraliste travaillant en cancérologie/psychologuepsychanalyste, elle se différencie ainsi de la première du genre (7) initiée au
CLCC de Nantes en 2006 par le Dr François Pein (consultation SALTO-H :
Suivi à Long Terme des patients guéris en Oncologie-Hématologie), en se
saisissant de l’objectif manifeste de celle-ci, essentiellement axée sur les
séquelles, comme outil mis au service de l’élaboration de la « perte de
Annoncer la « fin des traitements » ?
137
l’étayage », problématique centrale du temps de la rémission. Car, nous
savons à peu près ce que c’est qu’être malade ou non, mais que savons-nous
de celui qui « a eu un cancer » ?
D’une bascule identitaire à l’autre
Comment mieux dire sans doute la nécessité d’en repasser par la problématique identitaire ouverte par le choc du diagnostic chez la plupart des
patients pour que, saisissant au plus juste la fonction de ce qu’il est convenu
d’appeler « l’effet cadre » des traitements, la cessation de celui-ci nous apparaisse clairement comme obligeant d’abord le patient à se retrouver « à
découvert » (3) ? Comment les choses se passent-elles en effet en général ?
Quand le corps ne va plus de soi, s’ouvrant à l’anarchie, au désordre et à la
démesure, à l’étrangeté surtout – car le diagnostic de cancer confronte à
l’imprévisibilité, à la faillibilité, à la non-prédictibilité, à la possibilité de
faire défaut, soit à tout ce dont tout sujet a le plus horreur (8) – s’ouvre alors
une véritable rupture d’identité ou rupture de l’illusion d’identité qui est
rupture du lien avec soi-même et avec son propre corps. Outre que les identifications imaginaires et symboliques du sujet vacillent, la perte de la
conviction possible d’un ancrage de l’identité corporelle dans un socle fiable
et persistant s’ouvre sur une impasse de figurabilité où le corps propre en
tant que schéma de représentation rend problématique toute projection,
toute pensée de l’imaginaire, toute représentation du temps (à venir, en
particulier). La confiance n’est plus possible dans un « corps-trahison ». Car
c’est bien sur l’impossibilité peut-être de se prêter le même temps que jadis,
lorsque le sujet était réputé bien portant, que débouche le diagnostic de
maladie grave. S’ensuit la rupture du lien habituel avec le corps sous la
forme d’une désorganisation de l’espace et du temps (corporels). S’ensuit
également la rupture avec le rêve : le corps désapproprié paraît inscrire la
relation au corps dans une spécularité avec ce double narcissique impensable qu’est le cadavre, hors temps, dans une effarante et infinie re-duplication d’un même tout à fait inquiétant.
Tout se passe donc comme si le temps des traitements, qui est avant tout
le temps post-diagnostic – où, entre déni et début timide de métabolisation,
une véritable mise à feu de l’histoire du patient a lieu – parce qu’il est en
même temps celui de la plus grande proximité avec les soignants et avec
l’institution hospitalière, fonctionnait à la façon d’une construction adjuvante et contenante. Ce temps permettait une identité substitutive de
placage colmatant la fracture d’un rêve possible d’intégrité, ouverte par le
choc du diagnostic (3). Objet extérieur grâce auquel le sujet tient, sorte de
138
Annoncer un cancer
grand corps prothétique prêtant et promettant du temps objectif là où le
temps subjectif est défaillant – sous la forme de la définition d’un rythme,
d’un calendrier : cures toutes les trois semaines, consultations, hospitalisations, examens, etc. –, cette néo-identité évoque étrangement un équivalent
de la circulation extracorporelle dans certaines lourdes interventions
cardiaques. Comme si, quand le corps ne va plus de soi, conséquence des
désorganisations du temps et de l’espace corporel, la proposition et le prêt
d’un temps « venu de l’extérieur », soit de la pratique médicale, était la paradoxale condition de possibilité d’un éventuel réinvestissement subjectif « à
venir » en même temps qu’une instance de désinvestissement de la réalité
subjective. Situation assimilable à l’impasse, la médecine, par ses exigences
d’adaptation à la réalité externe et ses attentes de compliance aux traitements, semble ainsi, paradoxalement et pour un temps, rendre un rythme
et un cadre tout en les désubjectivant, puisque leur spécificité tient à la fois
au retour de sensations de déplaisir (effets secondaires des traitements,
inconforts des examens) en même temps qu’à la demande faite au patient
de s’exposer au « sadisme » de l’autre pour exister (9)…
Parce qu’il est tout entier occupé par des protocoles de soins où le patient
est convié à prévoir un avenir qui n’est plus vraiment le sien mais un avenir
daté par les soins donnés, répétitifs et qui semblent ne devoir jamais cesser,
le temps des traitements colmate donc du coup, à l’aide d’une sorte de figure
emblématique de surface, toute émergence d’angoisse de dépersonnalisation. Le patient atteint de cancer apparaît ainsi, au cours du traitement
médical, comme régulièrement pris dans une double dynamique contradictoire : d’une part, il est soumis à l’émergence massive d’un imaginaire envahissant, véritable raz-de-marée d’angoisse, de rêves, fantasmes, affects,
réaménagements de croyances au sujet de lui-même, de ses relations significatives, de la vie et du monde ; de l’autre, il est soumis à une énorme
exigence d’adaptation au monde extérieur, celui de l’espace, du temps et des
actes du traitement mais aussi celui provenant d’autres facteurs existentiels
annexes : aménagement du temps de travail, modification ou changement
du domicile, etc. (4) « Ou la maladie, ou le sujet », en quelque sorte. Soumis
à ce double fonctionnement où il fera souvent la navette comme il peut
entre les deux pour se figer parfois dans le recours à l’un d’entre eux, le
patient ne manquera évidemment pas, on le comprend, à l’occasion de l’insupportable « À dans trois mois ! », en forme de « vide imposé », lors de
l’annonce de la rémission, de connaître fréquemment une seconde bascule
identitaire : celle-ci est très exactement la chute de l’identité substitutive de
surface par laquelle le sujet tenait transitoirement pendant les traitements.
Façon de dire que la perte de l’étayage représentée par le programme thérapeutique et la rencontre familière, parfois quotidienne, de l’équipe médicale
et soignante, fera partie intégrante de la nécessité pour le patient de se
Annoncer la « fin des traitements » ?
139
restructurer comme sujet, sujet devant se défaire des liens des différentes
dépendances créées par la maladie, séparations qui rappellent les expériences premières et douloureuses de l’enfance, puis de l’adolescence et de
l’âge adulte (10).
Clinique de la rémission
Si ces angoisses de séparation s’accompagnent très exactement des mêmes
expériences qui ont traversé la petite enfance – réapprendre à marcher, à
manger seul et des nourritures variées, se prendre en charge seul, se déplacer seul, agir seul –, les mêmes culpabilités d’autrefois ne manquent pas de
revenir au grand galop : la peur de désobéir aux médecins, aux soignants
sous peine de danger ; d’être loin d’eux rappelle l’éloignement de la mère et
des dangers auxquels elle nous a initiés (10). Que se passera-t-il si on transgresse les interdits protecteurs ? Sortir d’une chambre stérile pour entrer
dans un univers où l’on sait que grouillent des myriades de dangers, accepter de mener une vie sociale quand on est porteur d’une poche de colostomie, évoque des transgressions premières car elles constituent des aventures
au-delà de ce qui semblait impossible et non permis il y a peu de temps
seulement. Il faut sortir à nouveau d’un monde parental et, cette fois – parce
que la seconde bascule identitaire est la chute de l’identité substitutive qui,
pendant les traitements, colmatait l’émergence de l’angoisse de dépersonnalisation ouverte par le choc du diagnostic – au risque d’angoisses souvent
effroyables assimilables aux « agonies primitives » du nourrisson (11), faire
avec le nécessaire « échec du sanctuaire », selon la remarquable formule
d’Yves Pélicier (12). Le sanctuaire est un endroit qui jouit d’une sorte d’exterritorialité et en même temps d’un statut de respect. Notre-Dame-deParis, dans le roman de Victor Hugo, est invoquée ainsi par Quasimodo
comme le lieu d’une protection totale par rapport aux attaques de la police
royale. D’une certaine façon, fonctionnant comme une institution, les traitements de longue durée sont porteurs d’un « effet cadre » vécu par les
patients comme un véritable sanctuaire. Or, l’anxiété et les symptômes
dysthymiques caractéristiques de la psychopathologie de la rémission le
disent : désormais, la certitude est absolue d’une impossibilité de trouver où
que ce soit sur terre un refuge, l’illusion d’un refuge, autre nom probable du
maternel (13).
Dévoilement et anticipation, de la solitude absolue qui est le régime
universel de la mort humaine, l’annonce du diagnostic, qui est en même
temps confrontation à la question de la « démaîtrise » de toute technique,
tant médicale que psychologique, se voit donc inévitablement revisitée et
140
Annoncer un cancer
réactivée lors de l’annonce de la rémission. Celle-ci ne préjuge en rien
d’ailleurs que la maladie grave se soit jamais faite une place psychique, tant
la force du mécanisme de défense qu’est le déni est parfois grande. Celle-ci
re-confronte néanmoins, dans la plupart des cas, le patient à l’angoisse
envahissante de la dimension traumatique profonde que comportent toute
annonce et ses suites, un temps occulté par le colmatage opératoire des traitements et qui laisse aujourd’hui la place à la pensée de soi devant soi. Rien
d’étonnant en conséquence à ce que la psychopathologie de la rémission
dise essentiellement une angoisse dont la qualité de vie de ces patients est
très fortement entachée (5). Syndrome de Damoclès et son impression
d’être en sursis, anxiété obsédante des séquelles de traitements en lieu et
place de la crainte d’une récidive, préoccupations somatiques en tout genre
et leur exacerbation par le moindre symptôme physique, symptômes
dysthymiques et sensation de fatigue persistante où il est difficile de faire la
part entre une origine somatique et une situation de tension de longue
durée (14) : la clinique psychologique de la rémission manifeste, à l’évidence, que la durée du processus d’intégration est très mal connue et pourrait, par comparaison avec les conséquences des catastrophes et des guerres,
être de l’ordre de plusieurs années. Chez certains patients en rémission
prolongée, des irruptions incontrôlées et quelquefois soudaines de pensées
et d’affects liés au traumatisme provoqué par la maladie cancéreuse peuvent
ainsi apparaître des années après le diagnostic. Preuve, si besoin était, que la
fin des traitements et l’entrée dans la phase de rémission au plan médical ne
sauraient être que fort rarement concomitantes avec la résolution de la crise
ouverte par et liée à la maladie et à ses traitements…
C’est précisément sur ce point que, dès la fin de ceux-ci ou à très long
terme, paraissent très régulièrement intriquées les deux dimensions somatique et psychique : le rôle iatrogène des traitements, souvent multifactoriel
et complexe (7), participe en effet d’une véritable clinique croisée où la
psychopathologie de la rémission, faite d’anxiété et de dépression, le dispute
aux complications et aux séquelles, dont elle se nourrit et s’étaie. Il s’impose
donc de ne jamais faire abstraction de la maladie et du sens que le patient
lui attribue afin de comprendre le sens de potentielles séquelles qui restent
après la maladie. L’organicité peut induire, voire aggraver, une décompensation de la psychopathologie. La psychopathologie, à son tour, peut renforcer la problématique douloureuse par une potentialisation réciproque.
Séquelles post-chirurgicales, séquelles radiques, syndromes douloureux
post-chimiothérapiques, fatigue, défaillances de certains organes (cœur,
reins, etc.) (5, 7) : les complications à long terme ne manquent pas, qui
peuvent rester préoccupantes pour le patient entre rappel de la maladie
donc de la vulnérabilité, recrudescence de l’anxiété et peur de la récidive. De
ce point de vue, sans doute la douleur a-t-elle une valeur paradigmatique
Annoncer la « fin des traitements » ?
141
puisque, pendant la rémission, elle peut tout aussi bien avoir une fonction
d’alarme et de surveillance (« Si j’ai à nouveau mal, je saurai que c’est peutêtre la maladie qui revient ! »), de lien avec le corps médical et soignant
(« De toute façon, si j’ai la moindre douleur, je retourne voir mon cancérologue ! »), de signifier la différence d’avoir été malade (« Il ne faut pas croire
que la rémission, c’est que du bonheur ! J’ai encore des douleurs ! »), de
rappel (« Je ne peux pas oublier par où je suis passée. Il me restera toujours
quelque chose de cette période de ma vie… ») (6) Par où l’on voit la possible
fonction des douleurs séquellaires, parfois, en ce qu’elles sont protectrices
par rapport à une plus grande souffrance encore : celle d’une rupture de
continuité dans la vie somatique et psychique, rappel de la coupure, de l’entame, de la faille introduite par le choc du diagnostic.
Les « effets secondaires de la vie »…
Réaction tardive et en décalé à une autre crise jusqu’alors déniée – tantôt
partiellement, tantôt totalement –, précipitation et renforcement de
problèmes datant d’avant le cancer, poursuite d’un travail de deuil obligé
pour l’acquisition d’un autre équilibre : la fin des traitements et son au-delà
peuvent donc être autant une promesse de vie qu’être à l’origine d’une
pathologie. Intégrer la perte d’un de ses organes ou bien d’une fonction, se
faire à l’image d’un soi remanié qui implique le deuil du premier, tenter
d’élaborer, autant que faire se peut, l’énorme hémorragie du narcissisme
nécessitent un long temps, un long cheminement dans lequel les critères
esthétiques et pratiques sont loin d’être les seuls en cause et en question.
D’autant que, pour beaucoup des patients concernés, le mode d’emploi
d’un corps devenu « neuf » manque, marqué et transformé, dans un
contexte d’ensemble nullement préparé à les réintégrer comme ils sont
devenus. Ainsi, on a bien pu montrer aux stomisés comment gérer leurs
poches, leur régime, leur hygiène, mais eux seuls peuvent trouver, dans la
situation, comment nouer ou renouer de possibles relations. C’est que tous
– les amis, les collègues et même la famille – veulent chercher en ce corps ce
qui demeure encore de la personne proche qu’ils ont connue naguère, mais,
dans le même temps, déchiffrent sans complaisance et avec une angoisse à
peine dissimulée les signes et les stigmates de « ce qui s’est passé » : épaississement ou amaigrissement de la silhouette, décoloration ou dessèchement des cheveux, teint parcheminé, gaucherie des gestes, modification de
la voix ou du regard. Il faut au patient se reconnaître, se faire reconnaître,
habiter la vie et oser l’affronter avec un « nouveau » corps qui lui semble
donné à la place de l’ancien mais sans continuité. C’est là qu’il lui faudra
142
Annoncer un cancer
vraiment réaliser que si, auparavant, médecins et traitements étaient vécus
par lui comme montant la garde, ceux-ci ne lui seront désormais d’aucun
secours s’il ne s’approprie pas la conduite de sa vie. Le bien-être, le plaisir
désertaient les traitements, c’est même le déplaisir qui y régnait en maître…
Au patient maintenant d’oser s’approprier ces dynamismes vitaux et cela
quand bien même il a un corps blessé, des douleurs résiduelles, des traces et
cicatrices qui l’abîment et le gênent…
Mais, sortir à nouveau d’un monde parental, alors qu’il est adulte et se
sent menacé par la perte d’un lien, vécue comme un « lâchage » – car
souvent décidé unilatéralement par le seul oncologue à la fin des traitements – est sans doute le problème majeur pour le patient. Encore plus
important que les séquelles multiples, organiques, psychiques, sociales,
professionnelles, qui peuvent survenir à court ou à long terme, mais qui
semblent dicibles lors des surveillances ou des consultations chez le généraliste (5, 7), ce non-dit est le fond constant et parasite des demandes formulées de façon explicite. Comment désormais vivre « à découvert » ?
Comment renoncer à vivre « sous couvert » ? Interrogations quasi existentielles qui ravivent toujours le deuil du maternel (13), toujours en chemin,
jamais vraiment fait, toujours à reprendre, jamais achevé. Rien d’étonnant
vraiment, à ce qu’en conséquence, cette problématique de la séparation
inspire au premier chef la pensée d’un projet visant à l’ouverture d’une
consultation entièrement dédiée au temps de la rémission. S’inspirant du
corpus théorico-clinique qui éclaire la façon dont chez le nourrisson s’élabore le sevrage comme séparation (15), elle se veut un espace-objet transitionnel (16) permettant au patient d’élaborer la perte. Proposée comme
possible dès la fin des traitements ou des années après la fin de ces derniers,
ne se substituant pas au suivi régulier proposé aux patients au titre d’une
surveillance (5) et qui a pour objet la détection précoce de toute évolution
en forme de récidive, elle est une occasion aux allures de prétexte. À l’occasion de symptômes séquellaires, quelles qu’en soient l’étendue et le
domaine, la consultation rémission est le prétexte d’une vérification que la
structure de soins témoigne d’une existence toujours bien effective, puisque
c’est à la discrétion du patient qu’est laissée la demande d’une rencontre
selon ses besoins propres. Le prétexte peut également entraîner un changement de camp de la maîtrise du lien puisqu’en s’appropriant l’initiative du
lien, le patient devient maître du « donner congé ». Enfin, à l’occasion de
symptômes séquellaires, cette consultation peut aider à se refaire comme
sujet vivant par une prise en compte somatique et psychique en lieu du seul
primat de l’organicité.
Ces trois enjeux majeurs indissociables – car la proposition de la consultation n’a rien d’une injonction ni d’une obligation – laissent venir la
demande de qui se l’approprie, permettent de renouer un lien à la structure
Annoncer la « fin des traitements » ?
143
et concourent à travailler la « perte de l’étayage ». Extension des traitements
et de leur « effet cadre », la consultation poursuit une continuité réelle et
symbolique avec l’institution qui, vécue comme « lâchante », peut devenir
« lâchée » lorsque le patient fait l’expérience étonnante de la sollicitude, de
la fiabilité d’une figure maternelle qui l’invite à revivre, en reconnaissant
même ses aspects iatrogènes. On aura reconnu évidemment ici le recours,
pour faire face à la séparation, de son retournement possible en son
contraire, par une identification à l’agresseur (16), une fois renoués tous les
fils du désordre dans lequel le patient a plongé très longtemps avec son
entourage, son histoire, son corps (10). La faisabilité de ce retournement
sera rendue possible, dans la consultation, par l’abandon total de toutes les
fonctions transformant le médecin en « surmoi corporel » (2) : prescription
de soins, définition d’un rythme et d’un calendrier viendront à disparaître
au profit de conseils, de recommandations, voire d’orientations, qui seront
mis en œuvre par le généraliste, un spécialiste d’organe ou une personneressource. Toute l’organisation de la consultation visera à dénouer une
figure parentale vécue comme toute-puissante :
– le premier temps clinique, en forme de rencontre, laissera tout l’espace à
un temps narratif. L’expertise du binôme devra s’y effacer, oublier son
savoir pour entrer dans l’espace où l’éprouvé de l’autre se révèle pleinement, sans interprétation, sans classification ;
– l’examen somatique aura ensuite sa place, prise en compte des plaintes
portées par le patient en même temps qu’attention à une globalité intégrant les constantes d’une « santé ordinaire » (poids, taille, tension) ;
– l’écriture d’une synthèse aux médecins habituels, faisant la part belle au
bilan des séquelles en même temps qu’aux relais dans tous les domaines
d’aide, validera que la rémission prend tout un temps, n’est pas superposable au temps de son annonce. Elle est un processus, une maturation.
En guise de conclusion
Si l’annonce d’un cancer produit indissociablement un double traumatisme, sidération inaugurale relative à l’effet engendré par la réception de
l’information autant que mise en branle dans la durée d’une véritable mise
à feu de l’histoire du patient, l’installation dans la rémission, sujet quasiment non abordé dans sa globalité en France (7), la réactive inévitablement.
On peut donc comprendre pourquoi la phase de rémission n’est pas
toujours vécue positivement par le malade. En effet, quitter le statut de
malade pour accéder à un statut peu clairement défini n’est pas chose facile,
d’autant que la perte de « l’effet cadre » des traitements de longue durée est
144
Annoncer un cancer
bien à même de générer une formidable détresse émotionnelle, autre nom
d’une véritable insécurité de base aux manifestations multiformes. Réaction
tardive et en décalé à une autre crise jusque-là déniée, la fin des traitements
au plan médical ne saurait donc être que fort rarement synchrone avec la
sortie de la crise.
Parce qu’elle re-confronte au deuil d’une instance qui prenait en charge
l’espace et le temps, les fonctions du corps et ses modes d’emploi, elle dit le
besoin de soins de support au-delà de la maladie et de ses traitements. Plus
que le généraliste ou le spécialiste d’organe, relativement démunis par
rapport aux « clés du problème » (7), plus que l’oncologue, débordé en des
consultations surchargées de surveillance et/ou de suivi, une instance tierce
paraît s’imposer, qui allie savoir et globalité à une totale disponibilité et qui
soit mémoire de la structure. Le deuil du maternel en est l’enjeu central, si
tant est qu’appliquant à la santé ce que Warren Buffet dit de l’économie,
nous puissions soutenir que : « C’est quand la mer se retire que l’on voit les
gens qui nageaient tout nus. »
Références
1. Brun D (1989) L’enfant donné pour mort. Paris, Dunod
2. Sami-Ali M (1990) Le corps, l’espace et le temps. Paris, Dunod
3. Derzelle M (2003) Temps, identité, cancer. Cliniques Méditerranéennes 68: 23343
4. Gauthier JM (2000) Problèmes techniques et éthiques de l’intervention psychothérapique chez les patients atteints de maladie cancéreuse. Paris, E.D.K.
5. Razavi D, Delvaux N (1994) Psycho-Oncologie. Paris, Masson
6. Bonnaud A (2007) Psychopathologie de la rémission : « La douleur : ce qu’il
reste de mon cancer ». Revue Francophone de Psycho-Oncologie 1 n°3: 155-61
7. Pein F (2007) Cancer en rémission ou guérison : mode d’emploi. Paris, John
Libbey; Actes d’Eurocancer
8. Aulagnier P (1979) Les Destins du plaisir. Paris, P.U.F.
9. Clavreul J (1978) L’Ordre médical. Paris, Le Seuil
10. Chicaud MB (1998) La crise de la maladie grave. Paris, Dunod
11. Winnicott DW (1975) La crainte de l’effondrement. Nouvelle Revue de
Psychanalyse 11: 35-44
12. Pélicier Y (1994) Psychologie et cancers. Psychologie Médicale 26 n° spécial 7:
657-60
13. Derzelle M (2005) Croyances pour aujourd’hui dans le champ des soins. De
Boeck. Cahiers de Psychologie clinique 25, 2005/2
Annoncer la « fin des traitements » ?
145
14. Derzelle M (2007) Fatigues et métamorphoses de l’image du corps chez les
patients atteints de cancer : entre replis du corps et nécessaire travail de la
dépression. Revue Francophone de Psycho-Oncologie; 1(1): 13-8
15. Winnicott DW (1969) De la pédiatrie à la psychanalyse. Paris, Payot
16. Winnicott DW (1971) Jeu et réalité. Paris, Gallimard
Conclusion : l’annonce du cancer comme modèle
de la mort dans la vie
M.-F. Bacqué
Il aura fallu dix ans, après les premiers États généraux du cancer, pour que
les principes tirés des évaluations des consultations d’annonce en France
soient suivis d’effets.
Bien sûr, les Plans Cancer, l’Institut national du Cancer ont largement
abordé le sujet en proposant des consignes et des recommandations.
Plusieurs études ont été publiées, des pratiques ont été établies, mais il était
encore difficile d’en tirer un enseignement opérant et utilisable dans les
institutions hospitalières.
Nous avons tenté de présenter ici les résultats les plus récents et d’en
rechercher les applications pour les malades que nous côtoyons tous les
jours.
En effet, le cancer ne pose pas la question de l’annonce une fois, mais de
plus en plus fréquemment, la maladie se solde par plusieurs annonces. Qu’il
s’agisse de la révélation du cancer, des conséquences irréversibles des traitements, de la guérison ou de l’abstention thérapeutique en fin de vie, tout
malade du cancer risque de retrouver les affres de l’angoisse de mort ou
d’abandon, à plusieurs moments de sa vie. Cela signifie aussi que la durée
de vie est plus longue en moyenne et que les traitements sont plus efficaces.
L’annonce du cancer est une question qui intéresse chaque sujet, chaque
médecin, chaque malade qui sommeille en nous. Elle dépasse largement le
cancer puisqu’elle est posée par toutes les affections graves ou chroniques,
du diabète à la schizophrénie ; ou par toutes les situations médicales difficiles comme la stérilité, la dégénérescence cérébrale ou la transmission
d’une prédisposition génétique à une maladie. C’est un véritable problème
de société et a fortiori de culture.
148
Annoncer un cancer
Idéalisation de la médecine mais affaiblissement du
lien social
L’angoisse du cancer est liée aux représentations de la maladie et de la mort,
qu’elle met en correspondance avec celles de la médecine. Notre idéalisation
de la médecine occidentale nous a conduits à lui confier nos vies au prix
d’un abandon du lien social qui, malgré tout, existait dans la relation
médecin-malade depuis Hippocrate. La montée des techniques a continué
à amenuiser ce lien, au point que la médecine hospitalière, chargée aussi de
l’enseignement et de la recherche, a failli renoncer à la relation au profit de
la « prestation de services ». Le néo-libéralisme étant passé par là, le service
public devait aussi pouvoir s’adapter à l’économie de marché.
Fort heureusement, loin de s’auto-exclure, les médecins, et particulièrement les oncologues, ont réagi à temps et convié leurs collaborateurs à
participer à ce moment délicat réclamé par des patients militants qui désiraient « plus de psychologie chez les médecins ». Le Plan Cancer suggérait
de conjuguer un temps médical à un temps d’accompagnement soignant,
puis à un temps de soutien et d’articulation avec la médecine de ville. L’architecture de la prise en charge de la maladie était déjà bâtie, il ne restait
plus qu’à déployer les idées et à donner chair à ce modèle.
Réaménager la relation à l’hôpital : la quadrature du
cercle ?
Les médecins étaient pour la plupart bien conscients des difficultés
psychiques des patients atteints de cancer, mais différents obstacles gênaient
toute évolution.
Des obstacles concrets comme le manque de temps, de personnel, de
formation. Nous avons vu que ces aménagements, nécessaires certes, ne
constituent que la part émergée de l’iceberg. L’américanisation des
pratiques a également permis de tirer le signal d’alarme.
Allait-on agir comme aux Etats-Unis, où, par crainte d’un procès, le
médecin annonce la maladie sans véritable préparation, en toute transparence, « protégé » par la signature d’une liasse de documents donnant une
valeur contractuelle à la relation ? Tout dire, sans négliger aucun effet secondaire, aucune complication potentielle, « tue », à notre avis, la relation, en
la transformant avant tout en un challenge pour le médecin, une préparation de bataille d’experts et d’avocats pour le malade.
Conclusion : l’annonce du cancer comme modèle de la mort dans la vie
149
La médicalisation de la vie en réponse à la perte des
rites de transition
Bien plus en profondeur, le peu d’avancées sur le plan psychologique en
France témoignait peut-être d’un changement récent de notre société.
D’une part, la perte de religiosité, malgré la perpétuation de l’imprégnation judéo-chrétienne de la population française, conduisait à une forme de
report de la croyance, du divin vers la science.
D’autre part, la mort n’étant plus accompagnée par ces croyances et
pratiques religieuses, l’angoisse de mort, la perte d’un espoir dans l’au-delà
conduisaient à une recrudescence d’attentes envers les derniers passeurs : les
médecins et les soignants.
La médicalisation de la vie est un phénomène qui découle de la prévention organisée des pathologies. En conséquence, la perte des rites de transition, accompagnements sociaux des différentes étapes (naissance, puberté,
mariage, arrêt du travail, mort) a été compensée par une sorte d’investissement médical de ces moments symboliques (suivi de la grossesse, examen
prénuptial, soins palliatifs). La facture de la médicalisation de la vie s’est
soldée par le fait que de nombreuses épreuves des patients sont partagées
avec le médecin traitant, seule référence sociale, dans un monde déserté par
les figures d’antan. L’exemple le plus spectaculaire de ce déplacement
aujourd’hui est la souffrance au travail qui, comme cette expression l’indique, a transféré les problèmes politiques et économiques du travail
humain sur le plan de la médecine et de la psychopathologie.
Le peu de temps désormais consacré à la vie collective, du fait de la
montée de l’individualisme et du goût pour le divertissement, plus que pour
la culture, conduit la plupart d’entre nous à chasser les problèmes métaphysiques, hors du champ de la pensée. La confrontation à sa propre mort
lors de l’annonce d’un cancer se solde donc par un choc proche du traumatisme puisque notre mode de vie a littéralement repoussé hors de soi les
pensées au malheur et à la mort. La mort dans la vie fait littéralement
horreur à chacun. Cependant, elle est la caractéristique du genre humain.
La seule espèce consciente de sa fin a développé son extraordinaire aptitude
à la symbolisation pour tenter d’échapper à la mort en la transcendant.
150
Annoncer un cancer
Préparer l’annonce : impliquer le malade
Nous avons donc choisi, pour construire les grands principes de l’annonce
d’un diagnostic de cancer, de ne pas nous concentrer uniquement du côté
des soignants.
Nous pensons que les malades ou « futurs malades » doivent avant tout
choisir le principe de réalité. Les risques du cancer sont bien connus,
prenons au hasard deux pourcentages pour nous en convaincre :
– 30 % des cancers sont liés à l’intoxication alcoolo-tabagique ;
– 40 % des morts par cancer sont dus à l’alcoolo-tabagisme
S’il n’y a pas de psychogenèse directe du cancer, en revanche, les causes
psychologiques de toutes les addictions sont bien connues. Tout le monde
n’est pas égal face aux relations précoces tissées avec ses parents, face au
stress ou à l’anxiété. Les propositions d’aide au moyen d’une psychothérapie des profondeurs ou comportementale pour se désintoxiquer sont bien
connues, leur application pourrait largement diminuer le nombre potentiel
de malades du cancer.
Mais, quelle que soit la part prise consciemment et inconsciemment
dans le développement indirect d’un cancer, lorsque la maladie est là, le
patient peut toutefois ne pas se sentir confiné à un rôle passif. C’est pourquoi nous avons insisté sur la préparation de la relation médecin-malade,
du côté du malade justement. Se présenter, préparer ses questions, demander un second avis, se faire accompagner par son équipe, respecter et aussi
savoir remercier… Autant de points qui permettent au patient de reprendre
le dessus et de participer à l’alliance thérapeutique.
Des principes éthiques et psychologiques du côté du
médecin
Du côté du médecin, les principes fondateurs relèvent autant de l’éthique
personnelle que de l’éthique professionnelle. « Écouter, questionner puis
parler » nous a semblé une traduction du fameux Ask then tell de Robert
Buckman, plus adaptée à la France. Nous avons donné de nombreux
exemples de questions ouvertes. Elles seules permettent au patient de
cheminer vers le diagnostic. Le cadre doit être posé par le médecin, puis
celui-ci pourra avancer pas à pas, dans une langue familière et simple, sans
mot hermétique. Le médecin acceptera les pauses dans le discours. Les
silences ne sont pas des « trous » mortifères, mais des moments de ressour-
Conclusion : l’annonce du cancer comme modèle de la mort dans la vie
151
cement du patient. Il peut alors réfléchir, attendre, comprendre, avant
l’étape suivante. Le médecin devrait apprendre à alterner information
objective et questionnement sur le vécu affectif du patient. Après chaque
progression, il doit pouvoir s’arrêter, demander au patient ce qu’il a compris
puis résumer les données.
Le médecin pourrait adopter un style narratif proche de celui qui a été
employé par le patient pour raconter la façon dont il s’était forgé une interprétation de ses symptômes. Ces interprétations paraissent parfois au
médecin des conjectures inutiles ou aberrantes de l’étiologie du cancer. Sans
pour autant les approuver ou les réprouver, le médecin peut les entendre,
les comprendre et faire son hypothèse. Cependant, un cancer qui « fait
sens » pour un patient risque de le laisser démuni, si ses idées sont combattues par le médecin. Ce dernier doit accepter que ces changements soient
très progressifs chez le malade.
Les réactions affectives ont droit de cité dans la consultation. Le patient
peut essuyer une larme, exprimer sa colère ou être effondré. Le médecin doit
pouvoir accueillir ces réactions et différer l’annonce du programme de traitement. Plusieurs consultations sont parfois nécessaires avant de donner un
diagnostic. Aller à l’encontre des défenses du patient n’a pas d’intérêt et peut
même s’avérer contre-productif.
Une collaboration pluridisciplinaire à l’annonce
Enfin le médecin hospitalier, et c’est la grande nouveauté du « dispositif
d’annonce », peut compter aujourd’hui sur ses collaborateurs soignants
pour accompagner l’annonce pas à pas. Infirmières systématiquement,
psychologues et psychiatres en cas de nécessité forment la garantie d’une
approche différente, complémentaire de l’annonce, tandis qu’ils allègent
aussi la charge psychique du médecin.
Les infirmières, dans un premier temps, ont créé un véritable poste
d’« infirmières d’annonce » intervenant, selon les services, de façon systématique. Au regard de l’analyse des questionnaires remplis par des patientes
atteintes de cancer du sein, la demande est claire du côté du réconfort et du
lien. Les patientes souhaitent, à la fois, rencontrer un interlocuteur plus
« maternant », mais aussi qui aide concrètement au moyen d’adresses, de
conseils pratiques, bref qui « fasse du lien » avec le monde du cancer. L’infirmière a aussi cette fonction de confidente qui peut recueillir les premiers
mots, les questions médicales et plus domestiques (au sens de domus, la
maison). Elle a ses techniques de soins, d’aménagement des effets secondaires des traitements. Cette spécificité de l’infirmière semble un acquis
152
Annoncer un cancer
fondamental de la consultation d’annonce, elle nous semble donner le
pendant de la consultation médicale, tout en offrant une personnalité, un
rôle social parfaitement différent. Nous espérons simplement qu’une coordination médecin-infirmière se mettra en place afin de ne pas rendre
factices ces rôles, mais bien au contraire de permettre à chaque profession
d’allier vocation soignante et empathie pour autrui.
Les psychologues et les psychiatres présents dans les services d’oncologie
ont contribué largement à la réflexion sur l’annonce du cancer. Depuis les
années 1970, des psychologues précurseurs avaient alerté sur les conséquences néfastes d’un diagnostic mortel délivré sans précaution. Ils
comprenaient bien les réticences des médecins qui ne supportaient pas
d’abandonner un patient à une absence de traitement. Les psychologues ont
accueilli les souffrances des médecins qui n’en pouvaient plus du sentiment
d’échec et qui finissaient par renoncer même à pousser la porte de la
chambre du malade en fin de vie.
La confiance redonnée, grâce aux antalgiques et aux traitements de
dernière génération, a permis plus de confort psychique du côté de l’annonceur. La dédramatisation de la cancérologie a aussi été induite par le
travail en groupe des soignants et des médecins. Soit en groupes Balint de
médecins ou d’infirmières, soit en groupes multi-professionnels (groupes
de parole). Ces analyses des pratiques, cette reconnaissance des aspects
inconscients, bien présents dans les rapports médecin-malades-soignants
ont installé plus de vie, plus d’espoir autour d’un diagnostic qui, non dit, ne
pouvait pas permettre jusqu’alors d’intégration.
Pour les malades, l’approche psychologique de l’annonce diagnostique a
remis en cause la rupture de temporalité, la fuite existentielle vers la mort.
Les consultations d’annonce vont sans aucun doute encore se modifier
car elles sont inscrites dans les changements sociaux de nos pays. Le multiculturalisme y aura son effet, il ne doit pas induire de ségrégation ethnique
à l’américaine. La France peut au contraire trouver un modèle qui lui soit
propre, issu de sa tradition d’accueil. La consultation d’annonce est
marquée par l’histoire de la médecine, elle-même révélatrice des évolutions
de la société française, ni bonnes ni mauvaises. La prise de conscience de ces
changements doit nous permettre de rester attentifs à cette relation indispensable lors de l’annonce qui, loin alors de devenir un traumatisme,
constituera un passage vers une nouvelle étape de la vie, jusqu’à la mort.
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