Charité au temps de Saint Augustin: Action de l'Église en Afrique

Telechargé par Elyes Baccouche
T
T
n
i’Égi'se
centre
1
LA
CHARITé
DE
SAINT
VINCENT
DE
PAUL:
UN
DéFI
?
5.
L’ACTION
CARITATIVE
DE
L’ÉGLISE
EN
AFRIQUE
AU
TEMPS
DE
SAINT
AUGUSTIN.
PRATIQUE
Ef
THÉORIE.
n'est
pas
un
corps
marginal,
étranger,
clandestin,
mais
au
même,
si
j’ose
dire,
du
tableau...
Là,
se
greffe
un
troisième
motif,
plus
secret.
On
sait
que,
du
point
de
vue
théologique,
le
XVIIe
siècle
fut,
en
France
surtout,
le
«
siècle
de
Saint
Augustin.
»
Il
est
plus
que
vraisemblable
(je
n’ai
pas
sur
ce
point
effectué
de
recherches,
mais
je
ne
pense
pas
me
tromper)
que,
dans
la
pensée
et
la
spiritualité
de
M.
Vincent,
sinon
dès
Châtillon,
du
moins
plus
tard,
à
Saint-Lazare,
Saint
Augustin
fut
présent.
Paul
Mattéi
Introduction
Voilà
deux,
ou
trois,
motifs
suffisants
pour
esquisser
une
étude
comparative
des
formes
prises
par
l’action
caritative
dans
l’Afrique
chrétienne
de
l’Antiquité
tardive
et
dans
la
France
de
Marie
de
Médias
à
Anne
d’Autriche
-
pour
essayer
aussi
de
montrer,
fÜt-ce
de
façon
hâtive,
mais,
je
l’espère,
suggestive,
sur
quelles
bases
irituelles
et
théologiques
s’édifie
l’action
caritative.
Pourquoi
avoir
proposé
ce
sujet,
qui
nous
éloigne,
chronologiquement,
de
l’époque
de
Monsieur
Vincent
?
Il
y
a
à
cela
deux
motifs
immédiats.
En
premier
lieu,
Saint
Augustin,
plus
que
le
«
docteur
de
la
grâce
»,
est
«
le
docteur
de
la
charité
».
De
fait,
comme
l’on
sait,
il
a
en
particulier
prêché
dix
magnifiques
sermons
(
tractatus
)
sur
la
Prima
Iohannis
:
nous
y
reviendrons.
Bien
entendu,
il
ne
faut
pas
se
méprendre
sur
la
vaste
portée
du
terme
«
charité
»
:
il
s’agit
de
l’amour
surnaturel
de
Dieu
et
du
prochain
en
Dieu.
Mais
cette
vertu
théologale
a
des
retombées
concrètes,
cela
va
sans
dire
aussi.
Ce
lien
entre
considérations
spirituelles
et
action
pratique
devra
retenir.
sp
Dans
cette
démonstration,
je
n’oublierai
pas
que
le
christianisme,
et
par
conséquent
l’action
charitable
des
communautés
chrétiennes,
en
Afrique,
a
une
histoire
antérieure
à
Saint
Augustin,
et
qu’il
convient
d’en
dire
un
mot.
Une
ultime
remarque,
de
méthode
celle-là,
plus
peut-être
que
de
contenu,
pour
éviter
tout
malentendu.
Je
me
suis
proposé
de
parler
de
l’Afrique.
En
fait,
vu
la
nature
de
la
documentation,
augustinienne
pour
le
plus
clair,
c’est
bien
surtout
de
Saint
Augustin,
de
son
action,
à
Hippone
d’abord,
et
de
sa
pensée,
qu’il
sera
question
dans
mon
intervention.
Sur
quoi,
le
plan
que
je
suivrai,
en
trois
points,
précédés
d’un
préambule
:
Préambule
:
l’action
caritative
dans
l’Afrique
chrétienne
préconstantinienne
-
l’exemple
de
Saint
Cyprien.
Le
temps
de
Saint
Augustin
:
besoins
et
moyens
matériels.
Le
temps
de
Saint
Augustin
:
formes
de
la
charité.
Le
temps
de
Saint
Augustin
:
enjeux
de
la
charité.
nous
En
second
lieu,
l’Afrique
romaine
(c’est-à-dire,
faut-il
le
préciser
?
le
Maghreb
actuel,
du
moins
dans
sa
partie
bordière
de
la
Méditerranée),
du
temps
de
Saint
Augustin,
ou
plutôt
de
son
épiscopat,
dans
le
premier
tiers
du
Ve
siècle,
à
bien
des
égards,
se
laisse
définir
comme
une
chrétienté.
Ce
point
est
moins
connu
que
le
précédent.
Quelle
que
fût
la
persistance
du
paganisme,
le
christianisme
était
alors
devenu
«
religion
coutumière.
»
La
comparaison
avec
cette
autre
chrétienté
qu’était
la
France
catholique
des
règnes
de
Louis
XIII
et
Louis
XIV
ne
paraît
pas
indue
-
même
si
l’historien
doit
conserver
la
conscience
des
différences,
souvent
abyssales,
de
situation
;
cette
commune
appellation
de
«
chrétienté
»
n’a
d’autre
sens
que
l’attention
sur
cette
réalité
que,
dans
l’Afrique
du
premier
Ve
siècle,
comme
dans
la
France
du
XVIIe,
92
93
r
LA
CHARITé
DE
SAINT
VINCENT
DE
PAUL:
UN
DéFI
?
5
-
L’ACTION
CARITATIVE
AU
TEMPS
DE
SAINT
AUGUSTIN
(je
donnerai
d’autres
titres,
en
note,
chemin
faisant.)
préambule
:
le
précédent
cyprianique131
Annexe.
Orientation
bibliographique
Je
ne
cite
que
quelques
études
que
non
seulement
j’ai
utilìsées
I
pour
écrire
cette
intervention,
mais
qui
aussi
bien
me
permettent
de
rappeler
des
noms
qui,
à
des
degrés
divers,
outre
leur
intérêt
scientifique,
me
touchent
de
près.
Je
nommerai
d’abord
le
travail
d’un
doctorant
tunisien,
de
confession
musulmane,
à
qui
j’ai
beaucoup
emprunté,
pour
ce
quj
est
des
faits
:
Elyès
BACCOUCHE,
L’autorité
de
l’Église
d’Afrique.
L’action
dans
la
cité.
De
ledit
de
tolérance
constantinien
jusqu’à
l’invasion
vandale
(Thèse
en
co-tutelle,
sous
la
direction
de
M.
Samir
AOUNALLAH,!
Institut
National
du
Patrimoine
de
Tunisie,
et
de
moi-même).
Un
article
du
grand
historien
de
l’Afrique
tardive,
C.
LEPELLEY,
m’a
été
d’un
puissant
secours
:
«
La
lutte
en
faveur
des
pauvres.
Observations
sur
l’action
I
sociale
de
Saint
Augustin
dans
la
région
d’Hippone,
»
dans
I
Augustinus
Afer,
actes
du
colloque
Saint
Augustin.
Africanité
et
I
universalité,
Alger-Annaba,
2001,
P.-Y
Fux,
J.-M.
RÛSSLI
et
O.l
WERMELINGER
éd.,
Fribourg
2003,
p.
95-107.
Pour
situer
largement
Augustin
parmi
les
siens
:
A.
MANDOUZE,
«
L’évêque
et
le
corps
presbytéral
au
semce
du
peuple
fidèle
selon
Saint
Augustin,
»
dans
H.
BOUESSÉ
et
A.
J
MANDOUZE
(dir.),
L’Évêque
dans
l’Église
du
Christ.
Travaux
du
I
symposium
de
l’Arbresle
i960,
Paris
1963,
p.
123-151
(discussion,
p.
I
323-331
;
repris
en
grande
partie
dans
Saint
Augustin.
L’aventure
de
I
la
raison
et
de
la
grâce,
Paris
1968,
p.
121-164).
S.LANCEL,
Saint
Augustin,
Paris
1999.
Sur
la
théologie
de
l’amour
chez
Augustin,
et
spécialement
I
dans
les
Tractatus
in
Primam
Ioannis,
parmi
une
littérature
I
immense,
un
seul
travail,
riche
et
suggestif
:
J.
GALLAY,
«
La
conscience
de
la
charité
fraternelle,
d’après
les!
Tractatus
in
Primam
Joannis
de
Saint
Augustin
»,
Aug
1,
1955,
P-l
1-20.
prélude
au
préambule
Tertullien,
dès
la
fin
du
IIe
siècle,
signale
l’existence
d’une
communautaire
(arca,
Apol.
39,
5)
alimentée
par
les
dons
des
et
destinée
entre
autres
à
la
bienfaisance.
Les
premières
caisse
fidèles,
communautés,
et
c’est
sans
doute
ce
qui
fit
une
partie
de
leur
succès,
se
comportaient,
ainsi
que
d’autres
«
associations
»,
comme
(jgs
sociétés
de
secours
et
d’entraide.
Le
phénomène
prit
une
ampleur
nouvelle
au
temps
de
Cyprien,
qui
en
dégagea
les
ubassements
doctrinaux.
so
Formes
de
l’aide
caritative
au
temps
de
Cyprien
Elles
sont
multiples,
mais
sans
surprise
:
outre
les
secours
ordinaires
aux
membres
indigents
et
fragiles
de
la
communauté
(veuves,
orphelins),
des
interventions
plus
particulières
:
aide
aux
confesseurs
emprisonnés,
durant
la
persécution
de
Dèce
(Ep.
7),
ou
condamnés
aux
mines,
durant
la
première
phase
de
celle
de
Valérien
(Ep.
76-78)
;
aide
pendant
la
peste
qui
sévit
en
Afrique
en
252-54
(traité
De
mortalitate)
;
aide
pour
le
rachat
des
victimes
d’un
rezzou
barbare
(Ep.
62).
Moyens
et
enjeux
Quant
aux
moyens,
Cyprien,
comme
il
appert
d’un
de
ses
sermons,
De
opere
et
eleemosynis,
cherche
à
jouer
un
rôle
de
direction
dans
l’organisation
de
la
charité
(centralisation
des
collectes,
par
le
canal
entre
autres
de
ce
qu’il
appelle,
d’un
mot
biblique,
corban
;
contrôle
de
la
distribution)
-
sans
pour
autant,
cela
va
de
soi,
pouvoir
ni
vouloir
interdire
toute
charité
d’initiative
l31Sur
ce
«
précédent
»,
voir
e.g.
P.
MATTEI,
«
L’action
caritative
selon
Cyprien
de
Carthage
:
soubassements
théologiques
et
enjeux
ecclésiaux
»,dans
Povertà
e
ricchezza
nel
cristianesimo
antico(I-V
sec.)
XLI1
Incontro
di
studiosi
dell’antichità
cristiana,
Institutum
Patristicum
Augustinianum
(Roma)
2016,
p.
95
94
«
privée
»
(entendons
:
autre
que
communautaire),
et
sans
non
plqsH
instaurer,
pour
assurer
des
revenus
réguliers,
un
impôt
sur
I
gpie,
un
modèle
des
dîmes
vétérotestamentaires,
dont
il
rappel}e
I
civiles,
au
début
de
la
persécution
dite
de
Dioclétien,
en
cependant,
l’existence.
Au
fond,
l’évêque
a
pour
objectif
d’être
à
la
H
*
0-i,
pour
recenser
les
biens,
à
confisquei,
de
1
Eglise
de
Cirta
tête
d’une
sorte
d’économie
parallèle
de
redistribution.
Il
/MUmidie
-
auj.
Constantine,
Algérie),
dresse
des
objets
possé
és
,
rette
Église
un
inventaire
suggestif:
outre
les
objets
sacres
Quant
aux
en,eux,
il
serait
réducteur
de
ramener,
d'u„e|
f*
c
autres
vases
|uminaires,
en
métai
précieux)
et
les
Livres
manière
que
je
dirais
«horizontalité»,
l'action
caritative
de
II
(callC
.
sommes
d'argent
ct
des
biens
de
consommation,
sans
Cyprien
à
celle
d'un
simple
évergète
ou
patronus,
cherchant
à
s“nts’
,e
servjce
des
pauvres
(denrées
alimentaires
et
capter
l'assistance
à
son
profit
pour
conforter,
au
sein
de
l'Eglise
,
d°ute
'
.
g2
tuniques
de
femme,
16
pour
homme,
47
pahes
de
son
propre
pouvoir,
il
est
vrai
contesté
à
plusieurs
reprises,
dans
ses
I
v«e"
féminines,
13
paires
de
chaussures
masculines
;
noter
la
u
,
,
''T'’
Pr0Preme“
""H
I
dissymétrie
homme-femme
:
est-elle
révélatrice
de
la
qualité
des
voire
eschatologique
-
spirituel
et
theologique.
Dans
cette
optique,
des
aum6nes
communautaires
?).
je
soulignerai,
sans
m’attarder,
deux
traits
majeurs
:
*1
®en
l’aumône
comme
acte
de
salut
-
acte
pénitentiel,
qui,
au
même
titre
que
le
jeûne
et
la
prière,
rachète
les
péchés,
sotériologique
qui
fait
entrer
dans
le
grand
mouvement
du
don
de
Dieu
qui
sauve
en
Jésus-Christ
(sous
ce
rapport,
il
y
a
un
lien
entre
l’aumône
et
l’eucharistie'32)
;
l’aumône
comme
acte
de
construction
ecclésiale,
autour
de
l’évêque,
qui
figure
ici
en
tant
qu’administrateur
comme
aussi
bien
en
tant
que
liturge.
Annexes
Inutile
de
souligner
que
d’autres
témoignages
existent,
hors
d’Afrique,
sur
l’activité
caritative
des
Églises
:
l’évêque
de
Rome
Corneille,
écrivant
en
251
à
son
collègue
Fabius
d’Antioche
pour
le
mettre
en
garde
contre
le
schismatique
Novatien,
signale,
dans
le
dessein
de
montrer
la
force
de
l’Église
de
la
Ville,
que
celle-ci,
entre
autres,
nourrit
«
plus
de
1500
veuves
et
indigents
»
(Eusèbe,
HE
6,
44,
n)-
5
-
L’ACTION
CARITATIVE
AU
TEMPS
DE
SAINT
AUGUSTIN'
IA
CHARITÉ
DE
SAINT
VINCENT
DE
PAUL:
UN
DÉFI
?
Quelque
quarante
ou
cinquante
ans
après
Cyprien,
en
Afrique
document
(les
Acta
Munati
Felicis)
établi
par
les
débuts.
Il
vaut
mieux
en
mesurer
Cette
tradition,
enracinée,
de
charité
ecclésiale,
devait,
avec
l’Empire
chrétien,
prendre
des
dimensions
évidemment
élargies
-
et
conformes
à
la
condition
nouvelle
qui
fut
faite,
par
la
loi,
à
l’Église.
Elle
ne
devait
pas
non
plus
cesser
de
s’appuyer
sur
des
considérants
doctrinaux,
eux-mêmes
renouvelés.
Double
aspect
que
nous
allons
vérifier
chez
Augustin.
Le
temps
de
Saint
Augustin
:
besoins
et
moyens
matériels
133
acte
Besoins
Le
fait
n’est
pas
douteux
:
l’Antiquité
tardive,
et
notamment
le
Ve
siècle
en
son
ensemble,
nonobstant
la
coupure
que
marqua
la
conquête
vandale,
fut
en
Afrique,
une
époque
de
prospérité
pour
les
villes
et
les
campagnes.
Cette
prospérité
globale
n’empêchait
pas,
cependant,
qu’il
subsistât,
simultanément,
une
forte
pauvreté
économique
et
sociale.
C’est
que
l’Afrique
connaissait,
comme
le
133
Dans
cette
section
de
mon
exposé,
comme
dans
la
suivante,
pour
replacer
les
faits
africains
et
augustiniens
dans
un
contexte
plus
large,
je
renvoie
au
manuel,
un
peu
ancien
maintenant,
mais
toujours
utile,
de
J.
GAUDEMET,
L’Église
dans
l’Empire
romain
(IVe
-Ve
s.),
Paris
1958
(tome
3
de
l’Histoire
du
Droit
et
des
Institutions
de
l'Église
en
Occident,
publiée
sous
la
direction
de
G.
LE
BRAS
et
J.
GAUDEMET),
passim
(p.
288-315
:
richesse
de
l’Église
;
350-356
:
l’évêque
et
la
vie
sociale
;
563-581
:
économie
et
société).
.
132
Et
il
n’est
pas
étonnant
que
l’opuscule
De
opere
s’ouvre
(chap.
1)
par
un
rappef
qui
est
comme
le
démarquage
d’une
prière
eucharistique,
de
la
geste
salvatrice
du
Père
en
son
Fils
incarné,
mort
et
ressuscité.
I
96
97
5
-
L’ACTION
CARITATIVE
AU
TEMPS
DE
SAINT
AUGUSTIN
LA
CHARITé
DE
SAINT
VINCENT
DE
PAUL:
UN
DéFI
?
reste
de
l’Empire,
les
deux
plaies
de
la
société
romaine
tardive,
massivement
inégalitaire
:
l’oppression
toujours
plus
lourde,
des
faibles
(
pauperes
)
par
les
puissants
(
potentes
),
renforcée
par
la
corruption,
car
leurs
richesses,
ou
leur
pouvoir
dans
l’état
donnaient
aux
puissants
la
possibilité
de
tourner
la
loi
à
leur
profit,
en
s’assurant
les
services
des
fonctionnaires.
D’où,
dans
les
campagnes,
la
misère
des
colons
(petits
paysans
dépendant
de
riches
propriétaires),
et
celle
aussi
des
petits
paysans
libres,
menacés
dans
leurs
titres
de
propriété
par
les
usurpations.
D’où
aussi
la
misère
urbaine
;
Augustin,
à
l’occasion,
fait
voir
les
mendiants
s’agglutinant,
l’hiver
venu,
sous
le
portique,
dans
l’atrium
de
l’église
:
Iam
ecce,
Deo
propitio,
hiems
est.
De
pauperibus
cogitate,
quomodo
Christus
uestiatur
nudus...
Attendite
ilium
iacentem
sub
porticu,
attendite
esurientem,
attendite
frigus
patientem,
attendite
egenum,
attendite
peregrinum...
Voici
déjà
l’hiver,
par
la
grâce
de
Dieu.
Songez
aux
pauvres,
cherchez
à
revêtir
la
nudité
du
Christ...
Voyez-le
gisant
sous
le
portique,
affamé,
souffrant
du
froid,
indigent,
étranger...
(Sermon
25,
8
-
trad.
PM).
Pour
ne
rien
dire
de
la
misère
de
groupes
spécifiques,
fragiles
:
prisonniers,
prostituées134...
Face
à
cette
pauvreté,
dont
je
ne
peux
que
faire
pressentir
ici
l’obsédante
présence,
les
moyens
dont
disposait
l’Église,
et
en
particulier,
l’Église
d’Hippone,
dont
Augustin
fut
l’évêque,
de
394
à
sa
mort,
en
430...
Les
moyens
matériels
et
leurs
limites
S’agissant
des
ressources,
un
recensement
grossier
donne
à
discerner
deux
grandes
catégories,
dont
la
seconde
n’existait
pas
durant
la
période
préconstantinienne,
et
que
la
loi,
désormais,
autorise,
avec
des
précautions
qu’il
n’est
pas
expédient
de
détailler
ici
(s’agissant
par
exemple
des
biens
des
curiales
-
membres
des
bourgeoisies
municipales
-entrant
dans
le
clergé).
À
côté
en
effet,
des
dons
en
argent
ou
en
produits
divers
(biens
meubles)
faits
à
l’Égl*se»
tl
faut
compter,
grâce
notamment
à
des
legs
et
donations
en
bien-fonds,
la
constitution
d’un
patrimoine
foncier
:
possession
seulement
des
édifices
de
culte
et
autres
immeubles
fonctionnels,
niais
encore
de
domaines
agricoles,
avec
esclaves
et
colons.
L’Église,
et
cela
vaut
en
Afrique
comme
ailleurs,
devient
un
propriétaire
terrien.
non
Les
ressources
ainsi
définies
tombent
sous
le
coup
de
deux
défauts
majeurs.
D’abord
-
Augustin
en
fait
le
poignant
aveu
-,
les
moyens
dont
disposait
l’Église
(en
l’occurrence
l’Église
d’Hippone)
révélaient
insuffisants
:
Quotidie
tam
multi
petunt,
tam
multi
gemunt,
tam
multi
inopes
interpellant,
ut
plures
tristes
relinquamus,
quia
quod
possimus
dare
omnibus
non
habemus...
Chaque
jour,
il
en
est
tant
qui
viennent
solliciter,
tant
qui
viennent
gémir,
tant
d’indigents
qui
nous
implorent,
que
nous
sommes
contraint
d’en
renvoyer
un
grand
nombre,
la
mort
dans
l’âme,
parce
que
nous
n’avons
pas
de
quoi
donner
à
tout
le
monde.
se
(Sermon
355,
§
5,
trad.
MANDOUZE,
retouchée).
Insuffisance
qui
explique
en
partie
que,
par-delà
la
charité
communautaire,
l’évêque,
dans
sa
prédication,
ne
se
lasse
pas
d’exhorter
et
d’encourager
à
la
charité
privée
(voir
e.g.
le
texte
du
S.
25,
8
cité
plus
haut).
Mais
il
y
a
plus
grave.
En
acceptant
les
héritages,
en
devenant
propriétaire,
et
propriétaire
foncier,
l’Église,
c’est-à-dire
le
clergé,
et
l’évêque
au
premier
chef,
risquait
de
céder
au
jeu
de
l’exploitation
134
Sur
la
combinaison
richesse
économique-pauvreté
persistante
(et
peut-être
grandissante),
voir,
dans
J.-M.
LASSèRE,
Africa,
quasi
Roma
(256
av.
J.-C.
-
711
apr.
J.-O,
Paris
2015,
p.
583-617,
le
chap.
XXII,
au
titre
précisément
très
balancé
:
«
L’Afrique
chrétienne
-
II.
Les
félicités
du
siècle
et
leurs
limites.
»
98
99
5
-
L’ACTION
CARITATIVE
AU
TEMPS
DE
SAINT
AUGUSTIN
LA
CHARITé
DE
SAINT
VINCENT
DE
PAUL:
UN
DéFI
?
économique
;
l’Église
entrait
en
connivence
avec
les
latifondiaires,
devenait
leur
allié
au
moins
objectif,
et
à
son
tour
se
trouvait
en
péril
d’être
exploiteur
des
pauvres.
Le
lucide
et
sincère
Augustin
avait
de
ce
danger
une
conscience
aigüe.
Ainsi,
dans
le
Sermon
35ÿ
dont
je
viens
de
citer
une
phrase
:
il
y
explique
avoir
été
amené
malgré
les
besoins,
à
refuser
un
héritage
;
il
s’agissait,
là,
d’un
bateau
de
commerce
;
mais
le
cas
n’en
est
pas
moins
symptomatique
:
Augustin
ne
se
lave
pas
les
mains
du
monde
réel,
pour
les
garder
pures
de
toute
compromission,
il
refuse
simplement
d’engager
l’Église
dans
une
aventure
où,
dénuée
d
’expertise,
comme
l’on
dit
aujourd’hui,
sans
profit
elle
gaspillerait
ses
forces
et
dévierait
de
sa
mission135.
Et,
pour
revenir
à
la
campagne,
ce
ne
sont
pas
les
tristes
agissements
de
l’évêque
Antoninus
de
Fussala
qui
pouvaient
le
détromper
sur
les
pièges
du
pouvoir
:
ce
personnage,
sur
les
marges
du
diocèse
d’Hippone,
misérable
dans
son
enfance
(nous
en
reparlerons),
d’opprimé
s’était
mué
en
oppresseur,
prédateur
des
paysans
misérables
dont
il
avait
reçu
la
charge
pastorale...
jo),
§
4-
Le
jeune
Antoninus
(plus
tard
évêque
de
Fussala,
comme
on
l’a
vu,
et
voyou
épiscopal)
avait
été
recueilli
avec
sa
et
le
mari
de
celle-ci
par
l’Église
d’Hippone
:
(P)aruulus
cum
matre
et
uitrico
uenit
Hipponem
;
ita
pauperes
erant,
ut
quotidiano
uictu
indigerent
;
denique
cum
ad
opem
Ecclesiae
confugissent
et
comperissem
quod
adhuc
pater
uiueret
Antonini
atque
ilia
se
alteri
a
uiro
suo
separata
iunxisset,
ambobus
continentiam
persuasi
;
atque
ita
ille
cum
puero
in
monasterio,
illa
in
matricula
pauperum
quos
sustentât
Ecclesia,
ac
per
hoc
omnes
in
Dei
misericordia
sub
cura
nostra
coeperunt.
Deinde
tempore
procedente
(ne
multis
esse
immorer)
ille
obiit,
illa
senuit,
puer
creuit...
...
(Il)
est
venu
tout
enfant
à
Hippone
avec
sa
mère
et
son
beau-père
;
ils
étaient
si
pauvres
qu’ils
manquaient
du
nécessaire
pour
leur
subsistance
quotidienne
;
enfin,
comme
ils
avaient
eu
recours
à
l’aide
de
l’Église
et
que
j’avais
appris
que
le
père
d’Antoninus
vivait
encore
alors
que
sa
mère
s’était
unie
à
un
autre
homme
en
se
séparant
de
son
mari,
je
les
décidai
l’un
et
l’autre
à
observer
la
continence.
Et
ainsi
lui
de
son
côté
avec
l’enfant
dans
le
monastère,
elle
du
sien
à
l’hospice
des
pauvres
que
secourt
l’Église,
commencèrent
à
être
à
notre
charge.
Puis,
le
temps
passant
-
pour
ne
pas
m’étendre
longuement
-
il
mourut,
elle
vieillit,
l’enfant
grandit...
De
ces
moyens
insuffisants
et
dangereux,
quel
était
l’emploi
?
Le
temps
de
Saint
Augustin
:
formes
de
la
charité
La
charité
se
matérialise
d’abord
par
des
lieux...
Lieux
de
la
charité
:
monastère
et
xénodochium
L’accueil
dans
les
monastères.
Il
faut
partir
de
la
lettre
20*
Divjak
(une
des
nouvelles
lettres
augustiniennes
retrouvées
vers
(trad.
LANCEL,
BA
46s).
Le
garçon
et
son
beau-père
sont
recueillis
dans
le
monastère
épiscopal.
La
mère
est
admise
à
bénéficier
de
la
matricula
pauperum
-
institution
sur
laquelle
nous
reviendrons
(relever
au
passage
que
les
deux
conjoints,
qui
vivent
dans
une
relation
apparemment
adultère,
sont
séparés...).
Voir
un
cas
semblable
dans
YEp.
26*.
Le
xénodochium
d’Hippone.
En
426,
à
la
demande
de
Saint
Augustin,
qui
s’en
explique
dans
le
Sermon
356
10),
le
prêtre
Léporius
fonde
un
établissement
pour
héberger
les
étrangers
pauvres,
les
malades,
et
les
pèlerins
:
un
«
centre
d’accueil
pour
135
Augustin
refusait
aussi
les
héritages
pour
un
autre
motif,
que
développe
Possidius
(
Vita
Augustini
24,
3s.)
:
il
ne
voulait
pas
frustrer
les
héritiers
légitimes.-
Je
ne
traiterai
que
par
mode
de
brève
prétérition
un
phénomène
pourtant
majeur
sous
l’Empire
chrétien
:
le
cas
des
richissimes
aristocrates
se
dépouillant
de
tous
leurs
biens
en
faveur
des
pauvres
et
des
Églises
pour
se
consacrer
à
la
vie
religieuse.
On
sait
que
ces
abandons
pouvaient
créer,
entre
les
communautés
potentiellement
récipiendaires,
de
graves
dissensions
:
voir
«
l’affaire
Pinianus
»
telle
que,
sur
la
base
de
l’information
donnée
par
Augustin,
la
résume
S.
LANCEL,
Saint
Augustin,
p.
440-442
(cf.
A.
MANDOUZE,
L’aventure,
p.
629s.).
100
loi
qui caractérise
une situation
en particulier
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