La spiritualité de St Augustin Extrait de Théo : l’Encyclopédie catholique pour tous, Droguet et Ardant, Fayard, p.755 Dieu aime le premier Tu nous as fait pour toi, Seigneur, et notre cœur est sans repos tant qu’il ne repose en toi. Cette phrase du premier alinéa des Confessions de saint Augustin est fondamentale : bien avant sa conversion, Augustin a été comme polarisé vers Dieu ; son cœur est resté « inquiet » jusqu’à ce qu’il l’ait trouvé ; depuis lors, il n’a cessé de le chercher encore. Mais il sait aussi que Dieu l’a cherché le premier, en son Fils « par qui tu nous as cherchés sans que nous te cherchions, et tu nous as cherchés pour que nous te cherchions ». ( Conf XI, 2) Le mouvement qui porte vers Dieu est donc un mouvement d’amour, en réponse à un Amour premier, dont le Christ est le signe et le rappel permanents. Dans le Christ, cet Amour enveloppe l’humanité toute entière : « Dieu ne pouvait faire aux hommes un don plus grand que d’envoyer son Fils parmi eux, pour les conjoindre à lui, afin qu’ils soient le corps d’une si grande Tête. » ( Sur le Ps. 85). Dans le Christ encore, tous les hommes deviennent « un seul homme », qui souffre et crie sa prière « en tout temps […] jusqu’à la fin du monde où finiront toutes les souffrances ». En outre, « l’Amour de Dieu est infusé en nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné » : ce verset de Saint Paul ( Rm 5, 5) est cité plus de deux cents fois dans l’œuvre ! Communion éternelle entre le Père et le Fils, l’Esprit nous fait aussi « communier avec eux et entre nous » ( Sermon 72). Agissant en nous, l’Esprit convertit le cœur, et fait aimer ce qui mérite d’être aimé. Une des raisons pour lesquelles Augustin s’oppose à Pélage est que celui-ci semble ignorer l’action de l’Esprit dans la vie chrétienne. Aimer à la manière de Dieu Or, l’amour de Dieu est inséparable de l’amour pour les hommes : amour véritable, qu’Augustin appelle charité. Pour lui, l’épiscopat est déjà une mission et un service d’amour, non un privilège : « Pour vous, nous sommes évêque, avec vous, nous sommes chrétiens ; évêque, c’est le nom d’une charge acceptée, chrétien, c’est le nom d’une grâce » ( Sermon 340). Il a d’admirables formules sur l’amour des ennemis : « Aime tes ennemis, en souhaitant qu’ils deviennent tes frères, en souhaitant qu’ils soient en communion avec toi » ( Sur 1 Jn). Rien ne triomphe de l’ennemi comme de se montrer bienveillant envers lui » ( Sur le Ps. 143). Cela vaut même pour les criminels : « Ne va pas jusqu’à condamner à mort : que le meurtrier vive pour se repentir » ( Sermon 13, à des juges) . L’amour de charité établit une totale communion entre les hommes ; il les pousse à s’aimer mutuellement, comme les membres du corps : « Vois comme l’épine du dos se courbe, pour que la main puisse retirer l’épine enfoncée dans le pied » ( Sur le Ps. 130). Chacun doit mettre ses dons au service des autres, et penser que les dons des autres sont aussi à lui : « Tout ce qu’a mon frère, si je l’aime et ne l’envie pas, c’est mien » ( S. Denys). Un certain partage des biens relève de la justice, et non de l’aumône ; en effet : « garder pour soi le superflu, c’est garder le bien d’autrui » ( Sermon 147). Augustin distribuait largement les dons faits au monastère épiscopal. Lui-même vivait pauvrement. Il refuse le cadeau d’un manteau précieux : « Ce manteau convient peut-être à un évêque ; il ne convient pas à Augustin homme pauvre » ( Sermon 356). « Il est difficile à un riche de ne pas être orgueilleux » ( Sermon 39). L’orgueil rend le véritable amour impossible, car il conduit toujours à l’envie, et à la cupidité ( c’est le nom de l’amour faux). La pauvreté par contre est, avec l’humilité, la racine de la vraie charité. Amour et amitié Augustin qui, avant sa conversion avait aimé la mère d’Adéodat, a écrit de belles pages, très en avance sur son temps, à propos du « bien du mariage » ( Titre d’un petit ouvrage). « Mari et femme sont unis côte à côte ; ils marchent ensemble et regardent ensemble où ils vont… Ils procréent leurs enfants en accord d’amour ; une fois nés, ils les éduquent ensemble, dans la droiture et avec grand soin ; ils se gardent fidèles et ne violent pas le caractère sacramental de leur union. » Homme de cœur, Augustin était sensible et compatissant, fidèle dans ses amitiés. Ses lettres le montrent d’abord attentif aux personnes ( il défend la liberté d’une jeune orpheline qu’un autre évêque voulait marier malgré elle). Dans ses sermons, il est chaleureux, persuasif, souvent avec une pointe d’humour : « Vous êtes peu nombreux, écoutez peu de choses » ( ce qui devient en latin concis : Pauci, audite pauca) . On a parlé de sa théorie excessive de la prédestination, mais il n’en tenait pas compte dans sa pastorale : pour lui, tout homme était appelé à vivre en fils de Dieu, à mettre en œuvre librement et généreusement l’amour infusé en lui par l’Esprit. En définitive, « tout homme vaut ce que vaut son amour » ( Sur 1 Jn). Et la spiritualité d’Augustin se résume bien dans la formule célèbre : « Dilige et quod vis fac ». Mais il faut la traduire exactement, car Augustin n’emploie pas le verbe amare, pour lui ambigu, mais bien diligere, qui s’emploie seulement pour l’amour authentique. Traduisons donc : « Aime bien, et fais ce que tu veux ; il ajoute en effet : « Qu’il y ait au-dedans de toi la racine de la charité ; d’elle ne peut germer que le bien » ( Sur 1 Jn.) .