9-061-A-30 Pneumatose kystique intestinale M.-A. Bigard, C. Laclotte-Duhoux Affection rare caractérisée par la présence de kystes gazeux dans la paroi intestinale, la pneumatose kystique intestinale peut atteindre l’ensemble du tube digestif, avec une prédilection pour l’intestin grêle et le côlon. Cette pathologie est plus fréquente chez l’homme et après l’âge de 50 ans. La pneumatose kystique intestinale peut être idiopathique ou le plus souvent secondaire à diverses maladies. Les formes primitives touchent préférentiellement le côlon gauche avec des kystes gazeux essentiellement sousmuqueux, alors que les pneumatoses kystiques intestinales secondaires atteignent plutôt l’intestin grêle avec des kystes gazeux surtout sous-séreux. L’origine de cette pathologie est multifactorielle, mais la cause principale n’est pas définitivement prouvée. La longue liste des associations pathologiques a conduit à l’élaboration de diverses théories étiopathogéniques qui ne sont pas antinomiques puisque certains mécanismes peuvent être associés. Le plus souvent asymptomatique et donc de découverte fortuite, la pneumatose kystique intestinale peut être aussi révélée par des émissions glairosanglantes, des douleurs abdominales, de la diarrhée. Les examens endoscopiques et radiologiques font aisément le diagnostic et évitent des laparotomies inutiles en cas de pneumopéritoine bénin. La physiopathologie de l’affection reste mal connue. Le traitement varie selon l’étiologie. Pour les formes primaires, une antibiothérapie permettant de diminuer la flore colique productrice d’hydrogène est indiquée en première intention. En cas d’échec, une oxygénothérapie au masque ou hyperbare, qui va favoriser le remplacement de l’hydrogène par de l’oxygène, doit être tentée. Pour les formes secondaires, le traitement est celui de l’affection causale. Dans la plupart des cas, la pneumatose kystique intestinale est asymptomatique et aucun traitement n’est nécessaire. La chirurgie, quant à elle, doit rester réservée aux formes particulièrement graves et compliquées. © 2017 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots-clés : Pneumatose kystique intestinale ; Kystes gazeux ; Germes anaérobies ; Pneumopéritoine Plan ■ Introduction 1 digestive, d’évolution habituellement bénigne. Sa connaissance est nécessaire afin d’éviter une inflation d’explorations et de mesures thérapeutiques sans bénéfice pour le patient. ■ Généralités Anatomopathologie Épidémiologie 1 2 2 Généralités ■ Étiopathogénie Associations pathologiques Hypothèses physiopathologiques 2 2 4 ■ Diagnostic Circonstances cliniques Examens paracliniques 4 4 4 ■ Traitement Médical Chirurgie 6 6 7 ■ Conclusion 7 Introduction La pneumatose kystique intestinale est une affection rare et curieuse, définie par la présence de kystes gazeux dans la paroi Le terme de pneumatose kystique intestinale est apparu en 1825 chez le porc et en 1730 chez un cadavre humain. Depuis lors, plusieurs publications ont apporté d’importantes informations épidémiologiques [1, 2] . Les tentatives de délimitation nosologique se heurtent à d’importants problèmes de nomenclature. Ainsi, c’est la traduction littérale pneumatosis cystoides intestinalis que l’on retrouve dans l’Index medicus. Cependant, de nombreux termes semblent être utilisés indifféremment ou peu différemment par les auteurs anglo-saxons : intestinal emphysema, pneumatosis intestinalis, pneumatosis coli, bullous emphysema, gas cysts of the intestine, intramural intestinal gas [3] . Knechtle sépare la pneumatose kystique intestinale, affection primitive, de toutes les maladies secondaires comportant la présence de gaz intrapariétal [4] . De nombreuses publications mêlent les descriptions d’affections dont les physiopathologies et les pronostics sont parfois radicalement différents. Pour les auteurs français, la pneumatose kystique intestinale est une entité pathologique caractérisée par la présence de kystes EMC - Gastro-entérologie Volume 14 > n◦ 1 > janvier 2019 http://dx.doi.org/10.1016/S1155-1968(17)77963-1 © 2019 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 15/06/2019 par UNIVERSITE VICTOR SEGALEN BORDEAUX (14200). Il est interdit et illégal de diffuser ce document. 1 9-061-A-30 Pneumatose kystique intestinale Figure 1. Kystes sous-séreux aspect opératoire. Figure 3. Figure 2. Kystes sous-muqueux pièce opératoire. gazeux dans la paroi du tube digestif. Un élément important de définition est son évolution très généralement bénigne. Elle est classiquement secondaire à une grande variété d’affections digestives ou extradigestives, mais en pratique souvent idiopathique. Cette affection bénigne est à distinguer de la pneumatose diffuse ou emphysème intestinal, toujours secondaire, où le gaz est produit par la nécrose pariétale ou l’invasion bactérienne, comme dans l’entérocolite nécrosante, l’ischémie intestinale, les formes graves de colite pseudomembraneuse ou de colite cryptogénétique, et dont l’évolution est fulminante. En pratique, le gastroentérologue est amené à rencontrer essentiellement la pneumatose kystique colique avec des kystes sous-séreux découverts le plus souvent de façon fortuite, le principal problème étant d’éviter la confusion avec des polypes adénomateux ou un lymphome. Anatomopathologie Dans les pneumatoses de l’intestin grêle (40 %), les kystes sont le plus souvent sous-séreux, sur le bord mésentérique [5] , ce qui explique qu’ils sont visibles par le chirurgien au cours d’une laparotomie et qu’ils peuvent être responsables d’un rétropneumopéritoine (Fig. 1). Dans les atteintes coliques (35 %), les kystes sont préférentiellement situés dans la sous-muqueuse (Fig. 2) et exceptionnellement dans la musculeuse [6–8] . L’atteinte simultanée du côlon et du grêle est retrouvée dans 20 % des cas [6, 9] . La localisation de la pneumatose kystique intestinale peut être œsophagienne, intestinale, colique ou rectale [6, 7, 10–12] . Au niveau colique, le sigmoïde est concerné dans 70 % des cas, suivi du côlon descendant dans 40 % des cas et des autres segments dans 15 % à 25 % des cas, dont 10 % pour le cæcum. La pneumatose peut aussi toucher d’autres organes intra-abdominaux tels que le mésentère, le péritoine, le grand épiploon, la vessie, le canal inguinal et le vagin. 2 Aspect anatomopathologique. La taille des kystes varie de quelques millimètres à quelques centimètres, allant jusqu’à 30 cm [12] . Histologiquement, les kystes ont une paroi fine qui ne communique pas avec la lumière du tube digestif (Fig. 3). Leur contenu gazeux est très riche en hydrogène et en azote [13] avec une petite quantité d’oxygène et de gaz carbonique ; le méthane n’y est présent qu’en quantité négligeable [14–16] . Les kystes sont délimités par une fine membrane qui contient des histiocytes aplatis dans les formes jeunes et quelques cellules géantes dans les formes vieillies [17] (Fig. 1). Dans certains cas, la muqueuse adjacente est le siège d’une réaction inflammatoire modérée avec des leucocytes et des macrophages. On ne met en évidence aucune structure évocatrice de vaisseau lymphatique. La présence de quelques cellules de type mésothélial en immunohistochimie a été rapportée dans les kystes sous-séreux [18] . Épidémiologie La pneumatose kystique est peu fréquente, mais sa fréquence est probablement sous-estimée. Sur une série autopsique de 6553 sujets, deux cas seulement étaient recensés, soit une prévalence de 30/100 000 [19] . Les publications récentes ne font souvent état que de quelques cas et rapportent essentiellement des associations à des états pathologiques variés. La pneumatose touche de préférence les hommes (sex-ratio : 3,5/1) après 50 ans [20, 21] , bien que certaines séries aient retrouvé plutôt une prédominance féminine [13] . Une revue récente de la littérature centrée sur la pneumatose kystique chez l’adulte a retrouvé 52 cas publiés de 2010 à 2014, avec un âge moyen de 60 ans et 52 % de femmes. Le diagnostic était fait par tomodensitométrie dans 94 % des cas, et 69 % des patients guérissaient [22] . Étiopathogénie Associations pathologiques La pneumatose kystique intestinale est primitive dans 15 % des cas et siège sur le côlon gauche ; elle est secondaire dans 85 % des cas et atteint plus volontiers le côlon droit et l’intestin grêle. De nombreuses associations pathologiques ont été décrites avec la pneumatose kystique intestinale, de la plus bénigne à la plus grave [23] . Ainsi, devant une pneumatose intestinale découverte à l’occasion d’un examen tomodensitométrique (TDM) de l’abdomen, il est nécessaire de réaliser aussi une évaluation clinicobiologique du patient ; ceci permet de différencier la pneumatose chronique « maladie » de la pneumatose intestinale « symptôme » au cours d’une atteinte aiguë, souvent ischémique, dont le pronostic et la prise en charge sont très différents. EMC - Gastro-entérologie © 2019 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 15/06/2019 par UNIVERSITE VICTOR SEGALEN BORDEAUX (14200). Il est interdit et illégal de diffuser ce document. Pneumatose kystique intestinale 9-061-A-30 Tableau 1. Affections associées à la pneumatose kystique intestinale. Affections digestives Sténose œsophagienne Ulcère gastroduodénal, sténose pylorique, cancer gastrique Diverticulose jéjunale Entérocolite nécrosante Maladies inflammatoires cryptogénétiques de l’intestin Pseudo-obstruction intestinale chronique, iléus intestinal (quadriplégie) Anastomoses intestinales, court-circuit jéjuno-iléal (pour obésité), grêle court Occlusion intestinale, volvulus, strangulation Diverticulite colique, abcès péricolique, appendicite Dolichocôlon Maladie de Hirschsprung, mégacôlon idiopathique, fécalome, périnée descendant Tuberculose intestinale, mégacôlon toxique, colite pseudomembraneuse, sprue réfractaire Maladie cœliaque Cancer du côlon, métastase du mésentère, cholangiocarcinome Traumatisme abdominal Lithiase biliaire Hépatopathies Bronchopneumopathie chronique obstructive et cardiopathie Mucoviscidose Asthme Sarcoïdose Transplantation d’organes Moelle osseuse, rein, foie, cœur, poumon Médicaments Corticothérapie Anti-inflammatoires non stéroïdiens Chimiothérapies : méthotrexate, daunorubicine, cytosine-arabinoside, 5-fluorouracile, cyclophosphamide, mercaptopurine Ciclosporine Lactulose, sorbitol, inhibiteurs de l’␣-glucosidase, monoxyde d’azote, practolol Maladies de système Polyartérite noueuse Sclérodermie Dermatomyosite Lupus érythémateux disséminé Connectivites mixtes Syndrome néphrotique Infections Clostridium perfringens Cytomégalovirus, sida Cryptosporidiose, Mycobacterium avium Autres : Candida albicans, staphylocoques à coagulase négative, Lactobacillus, Klebsiella, virus varicelle-zona, rotavirus Gestes invasifs Endoscopie Clip mitral par voie percutanée Cathéters jéjunaux Toxiques Trichloroéthylène Sida : syndrome de l’immunodéficience acquise. On note une évolution au cours du temps des différentes étiologies ; celles-ci étaient autrefois surtout digestives (ulcères), alors qu’actuellement la chimiothérapie et l’immunosuppression sont les causes le plus fréquemment retrouvées. Le Tableau 1 énumère les causes les plus fréquemment associées à une pneumatose digestive. Dans la majorité des cas, la résolution spontanée est la règle. Affections digestives La sténose pylorique serait responsable d’un tiers des cas de toutes les pneumatoses kystiques intestinales et de 50 % à 58 % des formes du grêle [16] , le côlon serait peu atteint et un pneumopéritoine asymptomatique serait assez fréquent. La maladie cœliaque, la pseudo-obstruction chronique sont des causes bien connues de pneumatose digestive bénigne [24–27] . L’association de ces affections digestives avec la pneumatose kystique intestinale repose sur la théorie mécanique décrite plus loin, qui suggère la pénétration d’air à travers la muqueuse digestive par traumatisme de celle-ci et/ou par augmentation de la pression endoluminale. Le rôle de la rupture de la barrière muqueuse est évoqué par l’association de la pneumatose kystique intestinale avec l’ulcère, la maladie de Crohn [27] et les lésions traumatiques chirurgicales et endoscopiques [28] . L’association pneumatose kystique intestinale et cancer est rarement rapportée [29, 30] . Affections pulmonaires Les causes pulmonaires de pneumatose digestive sont congénitales, comme la mucoviscidose, ou acquises, comme l’asthme, la sarcoïdose ou la bronchopneumopathie chronique obstructive [31–33] . Leur association à la pneumatose kystique intestinale repose sur la théorie pulmonaire. Dans le cas de la mucoviscidose, la pneumatose kystique intestinale est presque toujours associée à un pneumothorax, un pneumomédiastin ou un emphysème pulmonaire, qui ne sont présents que dans deux cas sur trois en l’absence de pneumatose kystique intestinale ; ces constatations sont probablement liées au caractère évolué de la maladie. Transplantation d’organes et immunosuppression Dans un contexte de transplantation d’organes, la pneumatose digestive est le plus souvent bénigne, mais elle peut également être grave, en particulier après transplantation de moelle [34, 35] . Une pneumatose pariétale peut traduire une réaction sévère du greffon contre l’hôte [36] . Après transplantation pulmonaire, la pneumatose digestive peut être secondaire aux traitements immunosuppresseurs mais aussi à une infection opportuniste par le cytomégalovirus [37, 38] . Des cas de pneumatose colique après transplantation rénale, cardiaque et hépatique ont également été rapportés [39, 40] . Dans les greffes de rein, elle est constatée 10 à 25 jours après la transplantation. Elle est alors due à la prise au long cours de corticoïdes qui EMC - Gastro-entérologie © 2019 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 15/06/2019 par UNIVERSITE VICTOR SEGALEN BORDEAUX (14200). Il est interdit et illégal de diffuser ce document. 3 9-061-A-30 Pneumatose kystique intestinale entraînent une altération de la muqueuse et de la sous-muqueuse digestive, surtout lorsque ceux-ci sont associés à la ciclosporine à forte dose. La pneumatose kystique intestinale peut aussi être secondaire à des traitements de chimiothérapie, notamment après utilisation d’inhibiteurs de la tyrosine kinase [41–43] . Maladies de système La pneumatose kystique intestinale peut se rencontrer dans des formes très évoluées de sclérodermie [24, 44, 45] . Elle atteindrait exclusivement le grêle. Des cas de pneumatose kystique intestinale associée à une dermatomyosite ou à un lupus érythémateux disséminé ont été décrits chez l’enfant et chez l’adulte, et comportaient toujours une vascularite intestinale [46–51] . Infections La survenue d’une pneumatose pariétale au cours du syndrome de l’immunodéficience acquise (sida) a été rapportée, secondaire à des atteintes infectieuses variées telles que cryptosporidiose, cytomégalovirose, mycobactériose (Mycobacterium avium intracellulaire) [52–55] . Elle est majoritairement cæcale mais peut également s’étendre au côlon droit. Dans certains cas, il est possible d’observer une pneumatose digestive traduisant une nécrose ischémique. Dans ce contexte, la diarrhée infectieuse serait non seulement à l’origine de lésions de la muqueuse colique, mais produirait aussi une hyperpression intraluminale. Causes iatrogènes L’exposition prolongée au trichloréthylène favorise la survenue de pneumatose kystique intestinale, d’après des observations japonaises, essentiellement au niveau du côlon gauche [56–59] . Ce solvant organique aurait un effet potentiellement anesthésique sur le système nerveux autonome, entraînant des perturbations du péristaltisme intestinal participant au développement de l’emphysème. Le trichloréthylène ou ses métabolites (trichloroéthanol et acide trichloracétique) pourraient également agir sur la flore bactérienne intestinale et favoriser la prolifération de bactéries produisant des gaz contenus dans les kystes. Il serait également un puissant inhibiteur de la consommation d’hydrogène par les bactéries coliques. Des cas de pneumatose kystique intestinale ont été décrits après introduction d’inhibiteurs de l’␣-glucosidase, régressive à l’arrêt du traitement [60–62] . L’inhibition de l’␣-glucosidase ralentit la digestion des glucides et diminue leur absorption, aboutissant à une baisse des glycémies postprandiales. La fermentation bactérienne des hydrates de carbone non absorbés produit de l’hydrogène, du dioxyde d’oxygène et du méthane. Cette augmentation de volume gazeux entraîne une hyperpression intraluminale à l’origine de la pneumatose. Les mêmes observations ont été faites pour la prise au long cours de sorbitol ou de lactose [63] . Noter un cas de pneumatosis intestinalis après pose d’une valve mitrale par voie percutanée [64] . Hypothèses physiopathologiques Il est clairement établi que l’origine de la pneumatose digestive est multifactorielle, mais la cause principale n’est pas définitivement prouvée. Trois théories principales ont été proposées [7, 22, 65–67] . Une première théorie, dite « mécanique », émet l’hypothèse que le gaz réalise une dissection sous-muqueuse à partir de la lumière digestive en raison d’une hyperpression intraluminale locale secondaire à une obstruction digestive. Cette théorie se fonde sur des observations de pneumatose après endoscopie digestive ou au cours de maladie modifiant la motilité intestinale comme la pseudo-obstruction chronique. Les traitements immunosuppresseurs et corticoïdes pourraient entraîner une déplétion lymphocytaire au niveau des plaques de Peyer et ainsi favoriser la diffusion des gaz par les defects muqueux. Une deuxième théorie, dite « pulmonaire » et proche de la première, émet l’hypothèse que l’hyperpression thoracique présente 4 chez les sujets atteints de bronchopneumopathie chronique obstructive ou d’asthme serait responsable d’une diffusion de gaz vers les séreuses digestives en suivant un trajet périvasculaire ou périlymphatique par un relais médiastinal. Cependant, cette théorie ne permet pas d’expliquer la prédominance colique gauche des kystes, ni leur richesse en hydrogène, bien supérieure à celle de l’air alvéolaire (traces). Une troisième théorie, bactérienne, suggère qu’une pullulation de germes anaérobies est à l’origine de la formation de gaz qui pénètrent dans la paroi digestive par des plaies muqueuses ou en raison d’une hyperperméabilité muqueuse. Cette théorie se fonde sur l’analyse des bulles gazeuses de pneumatose dont la teneur élevée en hydrogène et en azote, résultant tous deux de la fermentation bactérienne, suggère une pullulation microbienne anaérobie. La troisième théorie est la plus communément admise, d’autant plus que la teneur en hydrogène mesurée lors d’un test respiratoire chez des patients ayant une pneumatose digestive est significativement plus élevée que la normale [14, 15, 68] , ce qui traduit une augmentation de l’activité anaérobie par insuffisance de la flore bactérienne transformant l’hydrogène en méthane (Methanobrevibacter smithii). De plus, l’injection expérimentale de germes anaérobies dans la sous-muqueuse d’un animal est responsable d’une pneumatose digestive [67] . Enfin, plusieurs publications rapportent la disparition de pneumatoses intestinales après traitement par oxygène hyperbare [69–71] et également par métronidazole [66] . Mais, à l’encontre de cette théorie, on retient la stérilité des cultures, l’absence de péritonite à la rupture des kystes, la négativité de la recherche de micro-organismes en microscopie électronique, l’absence de réaction inflammatoire majeure à l’examen histologique. Enfin, une association de deux mécanismes est possible dans certains cas, comme au cours des bronchopneumopathies chroniques obstructives, où l’hypoxie chronique favorise la pullulation de germes anaérobies et l’hyperpression prédispose à la diffusion du gaz dans la paroi digestive. Diagnostic Circonstances cliniques La pneumatose kystique intestinale est souvent asymptomatique, découverte fortuitement en peropératoire ou sur des examens macroscopiques et microscopiques réalisés pour un autre motif. Elle était autrefois une surprise non exceptionnelle de laparotomie. Lorsqu’elle existe, la symptomatologie est en rapport avec l’occlusion luminale, une compression extrinsèque, ou une souffrance muqueuse favorisée par les kystes. Il est important d’un point de vue clinique de séparer les atteintes de l’intestin grêle et du côlon. La pneumatose de l’intestin grêle se manifeste par des symptômes digestifs hauts (vomissements, douleurs abdominales) ou par un tableau peu différent de celui des entérocolites nécrosantes. La pneumatose colique est plus volontiers révélée par une symptomatologie digestive basse (diarrhée, rectorragies, glaires dans les selles) ou par un tableau de constipation [72] , d’occlusion, d’intussusception [73] ou de volvulus colique. Habituellement d’évolution bénigne, il existe des formes fulminantes responsables d’une évolution clinique gravissime, voire létale. En effet, la pneumatose kystique intestinale peut être associée à un sepsis à anaérobie, notamment chez des patients immunodéprimés [74] . Elle peut également être responsable de douleurs thoraciques et de toux par atélectasie pulmonaire et refoulement intrathoracique des viscères abdominaux provoqué par les volumineux kystes. Examens paracliniques L’absence de spécificité des signes cliniques de la pneumatose kystique intestinale rend l’imagerie d’un intérêt majeur pour le diagnostic positif, de nature (primitive ou secondaire) et pour l’apport d’éléments pronostiques. EMC - Gastro-entérologie © 2019 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 15/06/2019 par UNIVERSITE VICTOR SEGALEN BORDEAUX (14200). Il est interdit et illégal de diffuser ce document. Pneumatose kystique intestinale 9-061-A-30 Figure 6. Figure 4. raisin ». Tomodensitométrie abdominale : bulles sous-séreuses. Abdomen sans préparation : bulles gazeuses en « grappe de Figure 7. Tomodensitométrie abdominale : bulles sous-muqueuses coliques en « grappe de raisin ». Figure 5. Aspect de double contour gazeux au lavement baryté en double contraste. Radiologie Cliché d’abdomen sans préparation Il montre souvent un pneumopéritoine. La pneumatose kystique est la première cause de pneumopéritoine sans perforation digestive. Celui-ci est présent dans 15 % des atteintes de l’intestin grêle et dans 2 % des atteintes coliques. Les kystes se traduisent classiquement par des images arrondies hyperclaires adjacentes à la lumière digestive regroupées en « grappes de raisin » (Fig. 4) ou mieux en « chaînette », réalisant un aspect de double contour gazeux. Un rétropneumopéritoine est possible [75] . Lavement baryté Examen en voie de disparition, il montrait des images lacunaires, circulaires, parfois confluentes avec des bords festonnés (Fig. 5). Échographie abdominale transpariétale Elle suspecte habituellement le diagnostic en montrant un épaississement de la paroi intestinale contenant de petites images hyperéchogènes très réfléchissantes avec cône d’ombre acoustique traduisant la présence de bulles de gaz de taille réduite dans la paroi digestive. En effet, la visualisation de bulles échogènes autour de la circonférence de la lumière digestive, elle-même échogène, réalise le signe du « cercle » [76] . Un autre signe évocateur est le signe de « l’aurore » qui correspond à des images échogènes linéaires longues ou courtes dans la paroi antérieure du côlon [77] . Tomodensitométrie abdominale Le scanner qui révèle des images aériques intrapariétales (Fig. 6 à 8) est l’examen essentiel qui possède la plus grande sensibilité pour établir le diagnostic [37, 78, 79] . Il permet de préciser l’étendue de la maladie ainsi que son caractère primitif ou secondaire à d’autres pathologies sous-jacentes. La pneumatose intestinale peut être constituée de multiples bulles (forme kystique) ou avoir un aspect curviligne (forme linéaire). Elle peut aussi revêtir, dans certains cas, les deux aspects de manière concomitante. De plus, la TDM est la technique d’imagerie la plus sensible pour détecter d’éventuels signes associés tels que la présence de gaz dans le système porte, appelée aéroportie ou pneumatose portale. Celle-ci pourrait être due à une atteinte ischémique associée, avec dans ce cas un moins bon pronostic [79] . Enfin, elle permet aussi de détecter d’éventuelles complications EMC - Gastro-entérologie © 2019 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 15/06/2019 par UNIVERSITE VICTOR SEGALEN BORDEAUX (14200). Il est interdit et illégal de diffuser ce document. 5 9-061-A-30 Pneumatose kystique intestinale A Figure 8. B Tomodensitométrie abdominale : aspects typiques de bulles sous-muqueuses coliques (A, B). “ Point fort • Les symptômes de la pneumatose kystique intestinale sont aspécifiques. • Très souvent, le diagnostic de la pneumatose kystique intestinale est fortuit, à l’occasion d’une symptomatologie d’emprunt par un examen radiologique ou endoscopique. Traitement Médical Figure 9. coliques. Endoscopie. Aspects typiques de bulles sous-muqueuses de la pneumatose kystique intestinale ou de la pathologie associée telles qu’une thrombose vasculaire, une nécrose pariétale intestinale ou une collection intrapéritonéale. L’association à un pneumopéritoine ou à un rétropneumopéritoine est possible, que la cause soit bénigne ou grave. La présence de gaz dans le péritoine, le grand épiploon ou le rétropéritoine est le plus souvent attribuée à une rupture de kystes aériques de la paroi digestive situés dans la séreuse ou la sous-séreuse. La présence de bulles d’air piégées entre les plis de la muqueuse digestive peut mimer des bulles de gaz intrapariétales. La présence de telles bulles ne pose pas de problème en cas de découverte fortuite, mais leur interprétation peut devenir délicate lorsqu’elles sont découvertes à l’occasion d’une douleur abdominale ou lorsque la paroi digestive est fine. La topographie des bulles est un indice utile puisque le gaz piégé entre les plis est le plus souvent exclusivement antérieur, alors que le gaz intrapariétal a une distribution moins exclusive. La coloscopie virtuelle par scanner est bien corrélée aux aspects endoscopiques [80, 81] . L’échoendoscopie permet également le diagnostic [82] . S’agissant d’une pathologie rare et généralement asymptomatique, l’organisation d’essais contrôlés est impossible. Ceux-ci seraient cependant d’autant plus utiles que l’évolution spontanée de la pneumatose kystique intestinale est favorable dans un grand nombre de cas, et que le seul traitement symptomatique paraît efficace plus d’une fois sur deux [37] . C’est donc avec réserve qu’il faut interpréter les données issues d’expériences isolées et d’essais non contrôlés publiés jusqu’à présent. Les tentatives thérapeutiques sont étroitement liées aux théories physiopathologiques de leurs auteurs, et la plupart des cas rapportés concernent des localisations coliques gauches, peu symptomatiques et d’apparence primitive. Le traitement des pneumatoses intestinales secondaires est celui de leur pathologie causale, sauf en cas de complication chirurgicale (perforation, ischémie, occlusion). Antibiotiques L’antibiothérapie anti-anaérobie par le métronidazole permet souvent l’amendement de la symptomatologie [84] , tout comme l’ampicilline ou les fluoroquinolones, avec cependant un effet transitoire. Ni la molécule, ni la posologie, ni la durée optimale du traitement n’ont été établies. Certains ont proposé des traitements prolongés ou intermittents. Les antibiotiques agiraient en diminuant la production bactérienne d’hydrogène. Leur efficacité inconstante pourrait s’expliquer par leur absence de sélectivité sur la flore productrice d’hydrogène. Endoscopie Diététique La coloscopie découvre un aspect de multiples formations polypoïdes translucides dont la paroi est fine et recouverte par une muqueuse normale (Fig. 9). La biopsie de ces formations les affaisse [37, 83] et provoque un son particulier dit popping sound. Ces aspects doivent être bien connus des endoscopistes vu la possibilité de les rencontrer par exemple lors des coloscopies de dépistage du cancer colorectal. L’objectif est ici de priver la flore colique de résidus fermentescibles. Chez des patients ayant résisté à une antibiothérapie à large spectre préalable, un régime élémentaire de deux semaines, s’accompagnant d’une diminution de la concentration en hydrogène de l’air expiré, a été initialement proposé par van der Linden et Marsell, avec une disparition rapide de la pneumatose (entre 6 EMC - Gastro-entérologie © 2019 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 15/06/2019 par UNIVERSITE VICTOR SEGALEN BORDEAUX (14200). Il est interdit et illégal de diffuser ce document. Pneumatose kystique intestinale 9-061-A-30 3 jours et 2 semaines) mais une récidive constante quatre mois après l’arrêt [85, 86] . Johnston et McFarland ont proposé de maintenir ensuite un régime sans résidu, stratégie efficace avec un recul de 9 et 18 mois chez deux patients [86] . Les risques nutritionnels et psychologiques d’une telle attitude, au cours d’une affection réputée bénigne, font plutôt réserver ce traitement à la phase d’attaque. “ Point fort • La pneumatose kystique intestinale ne se traite qu’en cas de symptômes gênants. • Le traitement repose sur l’antibiothérapie (métronidazole, ampicilline) et sur l’oxygénothérapie. Oxygénothérapie L’oxygénothérapie hyperbare est utilisée pour son pouvoir antianaérobie et pour sa capacité à effondrer les kystes en favorisant les échanges avec le sang [7–12] . Forgacs en a publié les premiers résultats, en 1973, chez un patient porteur d’une pneumatose kystique idiopathique du côlon gauche : il utilisait une concentration de l’oxygène dans l’air inspiré de 70–75 % avec un mélange oxygène-azote, soit une pression partielle en oxygène variant de 210 à 380 mmHg, dans une tente à oxygène, pendant six jours ; l’amendement de la symptomatologie avait été rapide, en quelques jours, et durable, pendant plus de six mois, malgré la persistance probable de pneumokystes sous-séreux au lavement baryté [13] . L’effet bactéricide sur les bactéries anaérobies ne paraît pas prédominant, et le mode d’action consisterait plutôt à faire baisser la pression partielle de l’azote dans le sang veineux, permettant ensuite l’élimination des gaz intrakystiques par voies sanguine et pulmonaire [14–19] . L’oxygénothérapie hyperbare a été proposée initialement par Masterson [87] en 1977. Différents schémas thérapeutiques ont été proposés [87–90] . La durée du traitement reste discutée. Certains auteurs, se basant sur des cas personnels, ont défendu l’idée assez logique que la résolution complète des kystes (endoscopique et/ou radiologique) prévient la rechute symptomatique [89] . Un traitement simple consiste en une oxygénothérapie au masque avec une concentration de 55 % à 75 % d’O2 aboutissant à une PO2 entre 200 et 350 mmHg. Le patient ne doit pas être insuffisant respiratoire chronique. On peut proposer aussi une oxygénothérapie hyperbare à 2,5 atmosphères pendant deux à trois heures, 2 à 3 jours consécutifs. Dans ce cas, le patient doit bénéficier auparavant d’un bilan otorhinolaryngologique pour s’assurer de l’absence de contre-indications. Chirurgie La connaissance de l’affection et le développement de la TDM ont permis une importante réduction des laparotomies pour pneumopéritoine. Un patient asymptomatique sans facteur de risque avait une association pneumatosis intestinalis, aéroportie et pneumopéritoine découverte à l’occasion d’une radiographie thoracique et a guéri sans traitement [91] . Un pneumopéritoine massif ne constitue pas à lui seul une indication opératoire [92] . Khalil et al. ont proposé un algorithme de prise en charge de la pneumatose intestinale fondé sur les constatations du scanner, les données cliniques et biologiques [7] . Le traitement chirurgical est indiqué en cas de complications à type de volvulus, de perforation intestinale [93] ou d’hémorragie. Il consiste à réséquer le segment intestinal atteint. L’abord cœlioassisté semble une bonne méthode du fait de la bénignité de la pathologie et des conditions locales favorables (absence d’inflammation, absence d’adhérence imputable à cette pathologie). En somme, il est difficile, en l’absence de preuve scientifique d’efficacité des différents traitements, d’établir une véritable démarche thérapeutique. Cependant, on peut suggérer qu’en cas de découverte fortuite d’une pneumatose kystique intestinale, le patient étant asymptomatique, aucun traitement n’est nécessaire. En cas de patient symptomatique, on peut débuter par une antibiothérapie et réserver l’oxygénothérapie aux échecs de celle-ci. Conclusion physiopathologie reste encore très discutée. Son diagnostic est fondé sur les données de l’imagerie. Elle se caractérise par un pronostic très généralement bénin. En cas de symptômes invalidants, les modalités optimales du traitement restent à mettre au point, mais la thérapeutique fait généralement appel à l’antibiothérapie en première ligne et à l’oxygénothérapie en cas d’échec. Remerciements : les auteurs remercient le Professeur Denis Régent (radiologie, CHU de Nancy) pour son iconographie. Déclaration de liens d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts en relation avec cet article. Références [1] [2] [3] [4] [5] [6] [7] [8] [9] [10] [11] [12] [13] [14] [15] [16] [17] [18] La pneumatose kystique intestinale est une affection rare, généralement bénigne, sans symptomatologie spécifique, et dont la Heng Y, Schuffler MD, Haggitt RC, Rohrmann CA. Pneumatosis intestinalis: a review. Am J Gastroenterol 1995;90:1747–58. Jamart J. Pneumatosis cystoides intestinalis. A statistical study of 919 cases. Acta Hepatogastroenterol 1979;26:419–22. Keene JG. Pneumatosis cystoides intestinalis and intramural intestinal gas. J Emerg Med 1989;7:645–50. Knechtle SJ, Davidoff AM, Rice RP. Pneumatosis intestinalis. Surgical management and clinical outcome. Ann Surg 1990;212:160–5. Smith BH, Welter LH. Pneumatosis intestinalis. Am J Clin Pathol 1967;48:455–65. Kaassis M, Ben Bouali A, Arnaud JP. Occlusive pneumatosis cystoides intestinalis of the left colon. 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Pneumatose kystique intestinale. EMC - Gastro-entérologie 2019;14(1):1-9 [Article 9-061-A-30]. Disponibles sur www.em-consulte.com Arbres décisionnels Iconographies supplémentaires Vidéos/ Animations Documents légaux Information au patient EMC - Gastro-entérologie © 2019 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 15/06/2019 par UNIVERSITE VICTOR SEGALEN BORDEAUX (14200). Il est interdit et illégal de diffuser ce document. Informations supplémentaires Autoévaluations Cas clinique 9 Cet article comporte également le contenu multimédia suivant, accessible en ligne sur em-consulte.com et em-premium.com : 1 autoévaluation Cliquez ici © 2019 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 15/06/2019 par UNIVERSITE VICTOR SEGALEN BORDEAUX (14200). Il est interdit et illégal de diffuser ce document.