Infections à virus Epstein-Barr
R. Germi, M. Baccard, J.-M. Seigneurin, P. Morand
Le virus Epstein-Barr (EBV) infecte plus de 95 % de la population mondiale, principalement par voie
salivaire. Le plus souvent asymptomatique pendant l’enfance, la primo-infection EBV aboutit souvent à
une mononucléose infectieuse (MNI) lorsqu’elle survient chez l’adolescent ou l’adulte jeune. La MNI est le
plus souvent bénigne mais peut être responsable d’une fatigue prolongée invalidante. Le diagnostic de
MNI repose sur la sérologie. Il n’existe pas de traitement antiviral spécifique pour cette maladie. Le virus
persiste ensuite toute la vie chez l’hôte infecté, surtout dans les lymphocytes B mémoires. Cette
persistance résulte d’un équilibre entre une infection latente sans production virale et des épisodes de
réactivation virale aboutissant à une excrétion virale salivaire. La persistance virale est en général
asymptomatique chez l’individu infecté. Chez une personne immunodéprimée, le défaut de surveillance
immunitaire peut aboutir à des syndromes lymphoprolifératifs caractérisés par une prolifération
incontrôlée des lymphocytes B infectés par l’EBV. En effet la propriété biologique fondamentale de l’EBV
est sa capacité in vitro et in vivo à faire proliférer les lymphocytes B. La mesure de la charge virale dans le
sang par des techniques moléculaires est indispensable pour la prévention ou le diagnostic précoce des
syndromes lymphoprolifératifs post-transplantation, traités le plus souvent par des anticorps anti-CD20.
Chez l’individu immunocompétent, la persistance virale peut également aboutir à des cancers dits
« associés à l’EBV » avec des cellules tumorales contenant le génome viral et exprimant des protéines
virales favorisant la transformation cellulaire. Les principaux cancers associés à l’EBV sont le lymphome de
Burkitt, certains lymphomes de Hodgkin et le carcinome indifférencié du nasopharynx. Pour certains de
ces cancers, la sérologie EBV et/ou la mesure de la charge virale sont utiles au diagnostic. À côté des
thérapeutiques antitumorales classiques, il existe des essais d’injection de cellules T cytotoxiques anti-
EBV.
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Mots clés : Virus Epstein-Barr ; Mononucléose infectieuse ; Cancers viro-induits ; Immunodépression ;
Lymphoprolifération post-transplantation
Plan
Introduction 1
Propriétés du virus 2
Structure 2
Réplication productive et cycle lytique 2
Infection latente et expression virale 3
Types, sous-types et variants 3
Physiopathologie et persistance in vivo 3
Primo-infection 3
Persistance du virus dans l’organisme 4
Réactivation virale 4
Épidémiologie 4
Le virus dans le monde 4
Excrétion et transmission 4
Pathologies associées au virus Epstein-Barr 5
Mononucléose infectieuse 5
Maladies malignes associées à l’EBV 8
Maladies auto-immunes et virus Epstein-Barr : la controverse 11
Introduction
Le virus Epstein-Barr (EBV ou herpesvirus humain de type 4)
appartient à la famille Herpesviridae (sous famille Herpesvirinae,
genre Lymphocryptovirus). Au laboratoire, c’est un virus capable
d’immortaliser des lymphocytes B, d’induire une transformation
maligne de certaines cellules épithéliales et de provoquer des
cancers chez l’animal. Chez l’homme, il infecte pratiquement
toute la population mondiale et reste le plus souvent parfaite-
ment asymptomatique aussi bien pendant la primo-infection
qu’au décours de la persistance virale dans les lymphocytes B.
La primo-infection peut cependant donner lieu à une maladie
infectieuse aiguë le plus souvent bénigne : la mononucléose
infectieuse (MNI) ; la persistance virale est parfois associée à des
cancers redoutables chez l’individu sain ou immunodéprimé.
Ubiquitaire et asymptomatique, mais également responsable
d’une maladie infectieuse aiguë ou associé à des cancers, ce
virus, mis en évidence en 1964 par Epstein, Achong et Barr,
reste un modèle physiopathologique très intéressant et pose des
problèmes médicaux originaux au sein des herpesvirus
humains
[1-10]
.
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Cet article résume d’abord les connaissances actuelles sur la
structure et la biologie de l’EBV et insiste ensuite plus particu-
lièrement sur la physiopathologie et les prises en charge
diagnostiques et thérapeutiques des maladies associées à l’EBV,
en particulier la MNI et les syndromes lymphoprolifératifs chez
le transplanté.
Propriétés du virus
Structure
Le virion, d’un diamètre d’environ 150 nm, comprend de
l’extérieur vers l’intérieur, une enveloppe portant plusieurs
spicules glycoprotéiques, un tégument dont les protéines virales
sont en contact direct avec les unités structurales de la capside,
et la nucléocapside elle-même, icosaédrique, très antigénique
(Fig. 1). Cette dernière contient une molécule de génome viral :
de l’acide désoxyribonucléique (ADN) bicaténaire (172 000 à
184 000 paires de bases selon les souches), organisé en séquen-
ces répétées aux deux extrémités et à l’intérieur du génome
délimitant deux domaines long et court de séquence unique. Ce
génome code 80 à 100 protéines virales. La séquence « réfé-
rence » de l’EBV a été déterminée par Baer et al. en 1984
[10]
à
partir de la souche B95-8 puis mise à jour par de Jesus et al. en
2003
[11]
.
Réplication productive et cycle lytique
Le cycle de multiplication de l’EBV dans la cellule (encore
appelé cycle lytique ou infection productive) suit le schéma
classique des Herpesviridae qui comporte les étapes d’attache-
ment, de pénétration et de décapsidation puis les synthèses des
macromolécules (acides nucléiques et protéines) selon trois
phases : précoce-immédiate, immédiate et tardive
[12]
. Ces
synthèses vont permettre l’assemblage des nucléocapsides puis
l’enveloppement et la libération des virions infectieux en même
temps qu’une lyse de la cellule infectée. Ce cycle lytique existe
in vivo dans les plasmocytes infectés par l’EBV qui recirculent
au niveau des tissus lymphoïdes et des cellules épithéliales de
l’oropharynx (Fig. 2). Cependant, toutes ces étapes n’ont été
étudiées précisément in vitro que dans le système cellulaire des
lymphocytes B car l’infection permissive in vitro des cellules
épithéliales est très difficile à établir
[13, 14]
.
La particule virale s’attache spécifiquement à la surface de la
cellule grâce à une interaction de haute affinité entre la gp350/
220 de l’enveloppe virale et la molécule CD21, récepteur pour
la composante C3d du complément, présente sur la membrane
plasmique cellulaire des lymphocytes B. La fixation du virus sur
CD21 induit les signaux initiaux d’activation des cellules et
l’endocytose. L’enveloppe virale fusionne avec la membrane
cellulaire et cette pénétration requiert l’interaction du complexe
gp85-gp42. L’EBV peut utiliser comme corécepteurs les molécu-
les human leukocyte antigen (HLA) de classe II. La nucléocapside
migre à travers le cytoplasme en direction des pores nucléaires
et se désintègre progressivement pour laisser la molécule d’ADN
viral entrer seule dans le noyau.
Les synthèses aboutissant ensuite à la fabrication de nou-
veaux virions ne se produisent que dans un petit nombre de
lymphocytes B. Les gènes « immédiats-précoces » sont transcrits,
notamment les facteurs de transcription (la protéine Zta ou
ZEBRA ou Z ou EB1 codée par le gène BZLF1, et la protéine Rta
ou R codée par le gène BRLF1), ce qui conduit à l’activation de
l’expression des gènes précoces. Les produits de ces derniers,
comme l’ADN polymérase virale et les autres enzymes respon-
sables de la synthèse de l’ADN, répliquent l’ADN par l’inter-
médiaire d’une origine de réplication lytique (ou Ori-Lyt)
[12]
.
C’est à partir de ces nouvelles molécules linéaires de génome
EBV que les gènes tardifs sont transcrits : les protéines de
structure synthétisées sont celles de la capside et des glycopro-
téines de l’enveloppe. La molécule de génome est incorporée
dans une capside presque terminée pour constituer la nucléo-
capside. Cet assemblage a lieu dans le noyau cellulaire et
nécessite une protéase virale. Les nucléocapsides rencontrent, au
cours de leur migration en direction de la surface de la cellule,
les membranes cellulaires dans lesquelles elles bourgeonnent.
L’acquisition définitive de l’enveloppe avec ses glycoprotéines
virales précède la libération du virion dans le milieu extracellu-
laire et la lyse de la cellule.
À retenir
Objectifs du diagnostic virologique de l’infection
àEBV
Diagnostiquer une MNI ou une primo-infection à EBV
dans un contexte d’infection aiguë
Prédire l’émergence d’une lymphoprolifération
/lymphome à EBV chez un immunodéprimé, et suivre
l’efficacité de la stratégie thérapeutique choisie
Dépister l’infection à EBV lors des dons d’organes ou de
cellules, dans un contexte de transmission d’une souche
virale d’un donneur à un receveur (évaluation du statut
immunitaire EBV)
Apporter des arguments étiologiques dans d’autres
pathologies tumorales ou dysimmunitaires pouvant être
associées à l’EBV
gp42
gp350
gp
150
gp
78
1
3
4
5
2
A
1
2
B
3
54
Figure 1. Structure du virus Epstein-Barr. 1. Capside ; 2. core, acide
désoxyribonucléique ; 3. tégument ; 4. enveloppe ; 5. glycoprotéines.
A. Schéma
B. Microscopie électronique : coupe d’un virion dans le cytoplasme
(cliché J.-M. Seigneurin).
.
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Infection latente et expression virale
Si le cycle productif est comparable à celui d’autres herpesvi-
rus, l’infection latente, elle, est associée à une propriété
remarquable et unique de l’EBV, l’immortalisation ou transfor-
mation des lymphocytes B
[6]
. L’immortalisation des lymphocy-
tes B in vitro aboutit à la production de lignées continues dites
« lymphoblastoïdes » à partir desquelles les mécanismes de
latence ont été décryptés ; l’établissement in vitro de lignées
tumorales à partir des lymphomes de Burkitt a également
permis d’étudier les différents mécanismes de latence
[15]
.
Lors de l’infection latente, différents profils de transcription
de gènes viraux sont exprimés dans les lymphocytes B
[16]
.
Les protéines de latence comprennent six protéines nucléaires
(Epstein-Barr nuclear antigen [EBNA]) et trois protéines membra-
naires (latent membrane protein [LMP]). À côté des protéines, des
acides ribonucléiques (ARN) non codants sont transcrits pen-
dant cette phase de latence, les Epstein-Barr encoded small RNA
(EBER) et récemment un grand nombre de micro-ARN viraux
ont été décrits
[17]
. L’analyse des gènes mutés ou délétés a
montré que certaines de ces protéines sont indispensables à la
transformation cellulaire (ou immortalisation), en particulier
EBNA2, 3A, 3C et LMP1. Une douzaine d’heures après la
pénétration du virus dans le lymphocyte B, la protéine
EBNA2 est exprimée : elle active les gènes codant les LMP et
induit la synthèse des marqueurs d’activation lymphocytaire
CD21 et CD23. En 48 heures, l’expression de l’ensemble des
gènes latents est achevée. La cellule progresse dans les phases
G1, S et G2, et après 72 heures entre en mitose. Pour que l’ADN
viral soit constamment présent dans chaque cellule fille, il doit
se répliquer de façon synchrone au dédoublement du génome
cellulaire. C’est le rôle de la protéine EBNA1 qui se lie à l’origine
de réplication plasmidique (ou Ori-P) du génome EBV et
l’active ; la stabilité du nombre de copies au cours des divisions
cellulaires successives est donc assurée. Le génome viral se
maintient en général sous forme extrachromosomique circulaire
(épisome) en plusieurs copies ; il s’intègre rarement dans un
chromosome cellulaire.
Ces lymphocytes B infectés, pour une partie d’entre eux,
prolifèrent indéfiniment et donnent naissance à une population
« immortalisée » de cellules qu’on appelle lignée lympho-
blastoïde. Le phénotype de ces cellules qui se divisent est
semblable à celui de lymphoblastes stimulés par un antigène ;
la plupart des caractères des lymphocytes B initiaux sont
conservés.
Les lignées immortalisées ont beaucoup servi pour l’étude des
caractères phénotypiques ou génotypiques particuliers que
posséderaient les lymphocytes B lors de certaines maladies.
Dans ce cas, les lymphocytes du sang circulant du patient sont
inoculés in vitro avec l’EBV produit par la lignée lymphoïde
B95-8 : les cellules lymphoblastoïdes prolifèrent à l’infini et
permettent de disposer de quantités très importantes de matériel
cellulaire contenant l’anomalie à étudier. On peut faire produire
également dans le milieu de culture des immunoglobulines (Ig)
humaines à spécificité anticorps définie
[18]
.
Types, sous-types et variants
Bien que globalement très stable, le génome de l’EBV montre
une certaine hétérogénéité, particulièrement au niveau des
gènes de latence, ce qui permet de caractériser des sous-types
(EBV-1 et EBV-2) et des variants
[19]
.
Physiopathologie et persistance
in vivo
L’infection primaire aiguë et la persistance virale impliquent
les lymphocytes B et les cellules épithéliales de l’oropharynx.
L’EBV utilise la « physiologie normale » de l’activation et de la
différenciation des lymphocytes B pour la colonisation initiale
et la persistance du virus dans le tissu lymphoïde. L’épithélium
oropharyngé apparaît quant à lui indispensable pour la produc-
tion de nombreux virions qui seront excrétés dans la salive lors
de la primo-infection et pendant la persistance (Fig. 2)
[20]
.
Primo-infection
Le site primaire de l’infection à EBV se trouve dans la
muqueuse de l’oropharynx, où les cellules épithéliales et les
Primo-infection
Salive
EBV
Épithélium
oropharyngé
différencié
Tissu
lymphoïde
(amygdale)
Sang
circulant
LB mémoire circulant
Programme de latence
(latence I/0)
LB activés
Programme de croissance
(latence III)
LB
Programme par défaut
(latence II)
Plasmocyte
Programme lytique
LB naïf
et/ou LB mémoire
Monocyte/
macrophage ?
Réactivation
Figure 2. Primo-infection par le virus Epstein-Barr (EBV), établissement de la persistance et réactivation. LB : lymphocyte B.
.
.
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lymphocytes B du tissu lymphoïde local sont infectés. La
réplication dans ces cellules est à l’origine de l’excrétion des
virions infectieux. Ce site initial de réplication explique la
richesse de la salive en particules virales infectantes lors de la
primo-infection. Cette infection productive aiguë nécessite
l’expression de la plupart des gènes de l’EBV. L’infection des
lymphocytes B aboutit à la persistance virale : le génome viral,
sous la forme d’un épisome autoréplicatif présent dans le noyau
cellulaire, met en route différents programmes de transcription.
Ces cellules, qui commencent à proliférer, suivent le pro-
gramme de croissance (ou latence de type 3), c’est-à-dire qu’elles
expriment toutes les protéines de latence. Récemment, certaines
protéines du cycle lytique sont apparues comme importantes
pour l’établissement de la persistance virale
[21]
.
La réponse immunitaire de type cellulaire apparaît pour
contrer l’infection. Les cellules natural killer (NK) synthétisent,
entre autres, des médiateurs à activité antivirale comme l’inter-
féron gamma. Les lymphocytes T cytotoxiques sont stimulés en
réponse à certains antigènes de latence, notamment LMP1, et
détruisent les lymphocytes B infectés. Les anticorps contre les
antigènes du cycle productif apparaissent également très tôt lors
de cette primo-infection aiguë mais ne servent sans doute pas à
contrôler l’infection dès ce stade
[22]
.
Le virus a cependant développé des stratégies pour échapper
à ces destructions
[23]
. Il contrecarre les nombreuses cellules T
cytotoxiques anti-EBV en détournant à son profit certaines voies
cellulaires nécessaires à la prolifération et en « piratant » des
gènes cellulaires qu’il insère dans son génome afin de moduler
le système immunitaire. Par exemple, une tactique du virus
consiste à posséder un gène homologue de l’interleukine 10
(IL10) cellulaire qui inhibe l’interféron gamma. Il a été trouvé
un second phénotype de latence, ou latence de type 1, dans
lequel la protéine EBNA1 est exprimée, en l’absence des autres
protéines de latence. La séquence peptidique de l’EBNA1 n’étant
pas reconnue par les défenses immunitaires, les lymphocytes B
contenant le génome EBV ne peuvent pas être détruits par les
cellules T cytotoxiques.
Persistance du virus dans l’organisme
Après la primo-infection, il s’établit un équilibre remarquable
entre la réplication du virus dans l’organisme et l’élimination
des cellules infectées par les défenses immunitaires. Les lym-
phocytes B IgA-positifs seraient les plus riches en génome EBV.
Malgré la présence constante de cellules T cytotoxiques dirigées
contre plusieurs protéines de latence, certaines cellules B
infectées échappent à l’immunité cellulaire et sont protégées
contre l’apoptose par des mécanismes viraux. Certains lympho-
cytes B contenant le génome EBV restreignent considérablement
l’expression des gènes viraux. Les cellules B-mémoires sont
considérées comme le principal site de persistance de l’EBV
[24]
.
Le sujet immunocompétent maintient une délicate balance
entre la prolifération des lymphocytes B infectés de façon
latente et la réponse immunitaire. L’équilibre se rompt en cas
d’altération de cette réponse immunitaire cellulaire. Au cours de
l’immunodépression, les modifications des réponses T cyto-
toxiques laissent libre l’expansion des cellules exprimant le
programme de croissance. Ces dernières, immortalisées, consti-
tuent une cible importante pour des altérations génétiques
secondaires : la cellule ainsi transformée, à croissance non
contrôlée, peut se développer et donner naissance à une
lymphoprolifération et à un lymphome
[15, 22]
.
Réactivation virale
L’infection virale latente des cellules B est remarquablement
stable in vivo. Chez le sujet EBV-positif immunocompétent,
l’EBV est réactivé périodiquement au niveau de l’oropharynx, et
de petites quantités de virus infectieux doivent être produites
régulièrement par des cellules épithéliales ou des lymphocytes B
(tissus lymphoïdes profonds ? sang circulant ?). Cependant, cette
réplication virale n’entraîne pas d’altérations tissulaires suffisan-
tes pour provoquer des signes cliniques. La réponse anticorps,
chez l’immunocompétent, demeure stable au cours de la vie et
n’empêche pas les épisodes de réactivation virale.
Chez le malade immunodéprimé, après transplantation ou au
cours du syndrome de l’immunodéficience acquise (sida), cette
réactivation, plus abondante en quantité de virions, survient
plus fréquemment. On voit ainsi que l’immunodéprimé subit à
la fois une réactivation virale (production augmentée de virions)
et une prolifération lymphocytaire B (cellules infectées non
contrôlées par la réponse immunitaire). Ces deux phénomènes
peuvent évoluer en synergie.
Épidémiologie
Le virus dans le monde
Les études de séroprévalence (détection des anticorps anti-
viral capsid antigen [VCA]) montrent que le virus infecte au
moins 95 % de la population mondiale. Si aucune région ni
aucun pays ne sont épargnés, l’âge moyen auquel survient la
primo-infection varie selon les conditions socioéconomiques. En
effet, dans les pays en voie de développement, presque tous les
enfants ont rencontré le virus très précocement, entre 1 et
4 ans. Au contraire, dans les classes privilégiées à bon niveau
d’hygiène des pays industrialisés, moins de la moitié des enfants
entre 5 et 10 ans ont des anticorps : l’infection primaire ne
survient souvent qu’au moment de l’adolescence ou chez le
jeune adulte. La primo-infection au cours de la petite enfance
est le plus souvent asymptomatique. Mais plus l’enfant rencon-
tre tardivement le virus, plus il risque de développer les signes
cliniques caractérisant la mononucléose infectieuse (MNI).
L’infection d’un individu sain en Amérique du Nord et en
Europe relève en général du seul sous-type 1 mais lors de la
primo-infection, probablement plusieurs variants peuvent être
transmis en même temps ou successivement. Toute la vie
durant, ces différents variants persistent de manière plus ou
moins dominante les uns par rapport aux autres dans le sang et
la salive. La surinfection par un autre variant est possible mais
semble le plus souvent asymptomatique. L’analyse par polyme-
rase chain reaction (PCR) du sang circulant ou de la salive a
montré que seuls5%à8%despersonnes étaient infectés par
le virus Epstein-Barr-2 (EBV-2) dans les pays occidentaux. En
Afrique, et surtout dans les zones de lymphome de Burkitt
endémique, plus de 20 % de la population saine sont porteurs
d’EBV-2. Les situations d’immunodépression et notamment
l’infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) se
caractérisent souvent par une augmentation de la prévalence de
l’EBV-2 et par la fréquence des co-infections EBV-1/EBV-2
[25]
.
Actuellement, il n’est pas définitivement établi que des
variants au niveau des gènes de latence ou des gènes du cycle
lytique soient associés à une pathogénicité particulière. Le plus
souvent, la mise en évidence d’un variant particulier dans une
tumeur associée à l’EBV semble en fait correspondre au variant
qui prédomine dans la population saine d’une même région
géographique
[26]
.
Excrétion et transmission
Le mode de transmission du virus est essentiellement sali-
vaire, ce qui explique la fréquence et la précocité de l’infection
à EBV. Chez le petit enfant, la transmission se fait à partir de la
mère ou d’autres enfants, par les gouttelettes de salive ou par les
objets contaminés ; plus tard, la transmission se fait par
l’échange direct de salive lors du baiser. Au cours de la primo-
infection, aussi bien silencieuse que symptomatique, de nom-
breux virions sont produits au niveau de la cavité oropharyngée
et excrétés dans la salive. Cette excrétion se poursuit épisodi-
quement toute la vie chez 15 % à 20 % des porteurs sains.
Beaucoup moins souvent, le virus peut être transmis par les
transfusions sanguines, en particulier par les culots cellulaires,
mais aussi lors de greffes de moelle osseuse ou d’organe. Il ne
paraît pas exister de transmission préférentielle chez le personnel
.
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de santé. La transmission maternofœtale est rare et sans risque
pour le fœtus. La transmission sexuelle est difficile à individua-
liser de la transmission salivaire, mais les études épidémiologi-
ques écossaises montrent que le pourcentage de séroconversions
EBV est significativement plus élevé chez des étudiants ayant des
relations sexuelles que chez des étudiants sans relation sexuelle
ou avec des relations sexuelles sans pénétration
[27]
.
Pathologies associées au virus
Epstein-Barr (Tableau 1)
Mononucléose infectieuse
C’est en 1920 que le terme de « mononucléose infectieuse »
a été utilisé pour la première fois à propos de patients hospita-
lisés pour fièvre, angine et adénopathies avec une évolution
bénigne malgré la présence d’une leucocytose et de cellules
mononucléées sanguines atypiques faisant initialement redouter
une leucémie
[28]
. Les symptômes cliniques de cette maladie
avaient déjà été décrits à la fin du XIX
e
siècle sous le terme de
« fièvre glandulaire ». Le terme de kissing disease fut employé en
1955 par Hoagland et al.
[29]
qui observèrent un « pic » de MNI
chez les jeunes militaires américains, environ 6 semaines après
les retours de vacances agrémentées d’échanges salivaires
répétés. En 1968, les travaux des équipes de Henle et de
Evans
[3, 4]
démontrèrent que la primo-infection à EBV était la
principale cause des MNI. Aujourd’hui, on sait que la primo-
infection, souvent asymptomatique ou paucisymptomatique
lorsqu’elle survient dans l’enfance, entraîne des symptômes de
MNI dans au moins 25 % des cas lorsqu’elle survient chez les
adolescents ou les jeunes adultes
[27]
.
Épidémiologie
La MNI existe principalement dans les pays à niveau socio-
économique élevé puisqu’elle survient surtout chez des adoles-
cents encore EBV-séronégatifs. La plupart de ces malades ont été
contaminés à partir d’individus porteurs sains (EBV-séropositifs)
excrétant des virions dans leur salive. Néanmoins, en suivant
pendant plus de 6 mois 23 étudiants ayant une MNI, nous
avons montré que tous ces patients contenaient dans leur salive
une grande quantité de virions infectieux pendant au moins
6 mois après le début des signes cliniques
[30]
. Ces résultats
suggèrent que les individus « postconvalescents » de MNI
pourraient être les principales sources de contamination entre
adolescents ou adultes jeunes plutôt que les personnes ancien-
nement infectées excrétant seulement de petites quantités de
virus dans la salive.
Comme il ne s’agit pas d’une maladie à déclaration obliga-
toire, il est difficile de connaître les chiffres précis d’incidence
dans un pays donné. Les études effectuées dès les années
1970 et dans les années 2000 au Royaume-Uni ont montré que
la MNI affectait annuellement entre1%et5%delapopula-
tion étudiante dans les pays développés
[27, 31, 32]
. Aux États-
Unis, l’incidence annuelle de la MNI a été estimée à environ
500 cas/100 000 habitants avec un pic chez les 15-24 ans
[33]
.En
France, en 1990, l’incidence des MNI vues par les généralistes
français a été estimée entre 29 000 et 114 000 cas
[34]
.Ilne
semble pas exister de cycle saisonnier ni annuel, ni de cas
groupés de cette maladie. Certains travaux récents rapportent au
Japon une modification de l’épidémiologie de l’infection à EBV
avec une acquisition plus tardive de l’infection
[35]
. Cette
modification pourrait aboutir à une fréquence plus importante
de MNI et, par voie de conséquence, du nombre de formes
graves de la maladie. Cette augmentation des formes graves
Tableau 1.
Maladies associées à l’infection par le virus Epstein-Barr (EBV).
Maladie Tropisme cellulaire principal Association à l’EBV Rôle du virus
Lymphoïde Épithélial
Maladies fortement associées et/ou fréquentes
Mononucléose infectieuse + + Constante Causal
Lymphoprolifération/lymphome B chez
l’immunodéprimé (transplanté, VIH)
+ - Forte Causal
Carcinome indifférencié du cavum (nasopharyngeal
carcinoma)
- + Constante Probable
(+ cofacteurs génétiques et
environnementaux)
Lymphome de Hodgkin + - ~ 50 % Indéterminé
Lymphome de Burkitt + - 20%à96%selon
les régions
Probale (+ cofacteurs
environnementaux, ex. paludisme)
Maladies ou syndromes plus rares
Lymphoproliférations liées à l’X (syndrome de Purtilo) + + Forte Causal
Leucoplasie orale chevelue (sida, immunodépression) - + Constante Causal
Carcinome indifférencié de l’estomac - + ~ 50 % Indéterminé
Lymphome T ou NK + - ~ 50 % Indéterminé
Léiomyosarcome du sujet immunodéprimé - - Forte (cellules
musculaires lisses)
Indéterminé
Syndrome hémophagocytaire + - ~ 50 % Causal ?
Maladie chronique active à EBV + + Constante Causal
Association à l’EBV et/ou rôle très discuté
Carcinome du sein - + Faible ???
Sclérose en plaques ? ? ? Auto-immunité ?
VIH : virus de l’immunodéficience humaine ; sida : syndrome de l’immunodéficience acquise ; NK : natural killer.
Infections à virus Epstein-Barr
8-070-K-10
5Maladies infectieuses
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