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des XVIIème et XVIIIème siècles qu’avec Stahl
verront jour des interrogations en ce sens, et Kant fut
assurément celui qui exprima cette différence avec le plus de rigueur. Définissant la spécificité du
vivant, il écrit : « Ce principe, qui constitue en même temps la définition des êtres organisés, est le
suivant : un produit organisé de la nature est celui dans lequel tout est fin et aussi réciproquement
moyen. »
Tout d’abord, l’usage ici de l’expression « êtres organisés » n’est pas anodin. La notion
d’organisme a été inventée par Leibniz
, et à lire sa définition, on voit bien que le terme renvoie à un
ordre infiniment subtil des choses entre elles, et cet ordre, faute d’être conçu comme spécifique au
vivant, est du moins opposé à l’artefact. « L’organisme est essentiel à la matière, mais à la matière
arrangée par une sagesse souveraine. Et c’est pour cela que je définis l’Organisme, ou la Machine
naturelle, que c’est une machine dont chaque partie est machine, et par conséquent que la subtilité
de son artifice va à l’infini, rien n’estant assez petit pour être négligé, au lieu que les parties de nos
machines artificielles ne sont point des machines. »
La différence entre l’organisme et l’artefact se
situe à ce niveau que dans l’artefact, le composant n’est jamais qu’un moyen en vue du tout, et
diffère donc togo genere de celui-ci, alors que dans l’organisme, il n’y a pas cette différence. Comme
l’écrit Leibniz : « il faut qu’il y ait de l’organique dans ce qui représente l’organique. » Et comme
l’écrit à son tour Kant : « produit organisé de la nature dans lequel tout est fin et aussi
réciproquement moyen. » Il faut entendre ici que si le tout est fin, les parties qui participent de ce
tout ne le sont pas moins.
Ce rapprochement que nous effectuons entre Leibniz et Kant sur l’émergence de la notion
d’organisme n’est pas si forcé qu’il en a l’air. Nous nous excusons toutefois de nos grandes
insuffisances en la matière. Comme en témoigne la conclusion de ce fameux §66 de la Critique de la
faculté de juger : « Il est toujours possible que, par exemple dans un corps animal, maintes parties
puissent être comprises comme des concrétions d’après de simples lois mécaniques (comme la peau,
les os, les cheveux). Pour autant, force est de toujours juger de manière téléologique la cause qui
procure la matière appropriée, la modifie dans ce sens, lui donne forme et la dépose aux endroits
convenables, en sorte que tout dans ce corps doive être considéré comme organisé et que tout soit
aussi, à son tour, organe dans une certaine relation à la chose elle-même [nous soulignons]. » Une
Georg Ernet STAHL (1659 – 17 34), médecin allemand, est connu pour le développement de la théorie du
phlogistique, qui postulait pour expliquer la combustion l’existence d’une matière nommée phlogiston ; cette
théorie sera réfutée par Lavoisier en 1789. Il est également connu pour sa thèse de l’animisme dont nous
ferons cas plus bas.
Immanuel KANT, Critique de la faculté de juger, §66, Paris, GF, 1995, p. 368.
Du rapport général de toutes choses, A (Akademie-Ausgabe) VI iv, Berlin, 1999, p. 1615 : « Le rapport général
et exact de toutes choses entre elles, prouve que toutes les parties de la matière sont pleines d’organisme. Car
chaque partie de la matière devant exprimer les autres et parmy les autres y ayant beaucoup d’organiques, il
est manifeste qu’il faut qu’il y ait de l’organique dans ce qui représente l’organique. »
Lettre de Leibniz à Lady Masham du 30 juin 1704, in Die philosophischen Schriften, herausgegeben von C. I.
Gerhardt, Berlin : Weidmannsche Buchhandlung, 1875-1890, réed. Hildesheim : G. Olms, 1978, vol. III, p. 356.