Sociétés n° 83 – 2004/1
Contributions
QU’EST-CE QUE
LA « COMMUNICATION ORGANISATIONNELLE »
DANS UN PAYS DE CONTACT ?*
Cleusa Maria ANDRADE SCROFERNEKER
Les différentes approches et perspectives récemment développées cherchent à
démontrer l’importance acquise par la communication organisationnelle face à
la nouvelle scène mondialisée. Le lien commun entre les auteurs est le souci de
définir et de caractériser la communication organisationnelle et l’étendue de son
champ, montrant par là la nécessité de lui attribuer une place importante dans
les organisations.
La communication organisationnelle englobe toutes les formes de communi-
cation utilisées par l’organisation afin de se mettre en rapport et d’interagir avec
ses publics. Selon Riel1, la communication organisationnelle comprend les rela-
tions publiques, les stratégies organisationnelles (public affairs), le marketing
corporatif, la publicité corporative, la communication interne et externe, en
d’autres termes, un groupe hétérogène d’activités de communication tournées
fondamentalement vers les publics ou segments auprès desquels l’organisation
se met en relation et dont elle dépend.
De son côté, Kreps2 perçoit la communication organisationnelle comme un
processus à travers lequel les membres de l’organisation obtiennent les informa-
tions pertinentes et les changements la concernant. Dans la perspective de cet
auteur, la communication organisationnelle accomplit une fonction de source
d’information (data-gathering) pour les membres de l’organisation. L’informa-
* Traduction de Patrícia Chittoni Ramos Reuillard et Pascal Reuillard.
1. Voir RIEL, C., Principles of corporate communication, Hemel Hempstead, Prenntice-
Hall, 1995.
2. Voir KREPS G., Organizational communication : theory and pratice, New York,
Longman, 1990.
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tion se constitue dans la variable intermédiaire unissant la communication à l’or-
ganisation.
Partant du fait que la communication organisationnelle concerne les proces-
sus de communication caractérisant les organisations humaines, Daniels, Spiker
et Papa3 ont identifié trois modèles ou perspectives de communication organisa-
tionnelle : traditionnelle, interprétative et critique.
Le modèle traditionnel est ainsi appelé car il est le plus ancien des trois. Dans
ce contexte, la communication organisationnelle est vue comme une activité
dont le comportement peut être mesuré, standardisé et classifié. Il y a un rapport
entre processus communicationnel et efficacité organisationnelle. Avec ce mo-
dèle peuvent être identifiés deux moments : premièrement, alors que l’organisa-
tion est considérée comme une machine (vision mécaniciste), la communication
organisationnelle est perçue comme un engrenage, un processus mécanique
(machinelike) ; deuxièmement, dans une perspective plus récente, à savoir l’or-
ganisation prise comme système, la communication organisationnelle est un pro-
cessus organique et dynamique. C’est ce modèle qui est prédominant et adopté
par l’Université au sens métaphorique d’organisme – un système vivant.
Le second modèle est le modèle interprétatif, qui voit les organisations comme
des cultures. Dans cette perspective, l’organisation est un phénomène subjectif
et l’action sociale n’est possible que lorsque les personnes peuvent partager des
signifiés subjectifs. La culture organisationnelle est considérée comme un réseau
de signifiés. Les recherches interprétatives essayent de révéler les réalités socia-
lement construites dans les organisations. Elles étudient la communication comme
un processus à travers lequel cette construction sociale se produit, c’est-à-dire les
symboles et signifiés impliquant les différentes formes de comportement organi-
sationnel. L’organisation est également vue comme un espace de négociation
(negociate order), produit de transactions et de discours collectifs.
Ainsi, la perspective interprétative se concentre sur le processus symbolique
qui construit socialement la réalité organisationnelle. Et cette réalité organisa-
tionnelle est socialement construite par l’intermédiaire de la communication ; en
d’autres termes, elle est créée et maintenue à travers l’interaction entre les indi-
vidus.
Alors que la perspective traditionnelle perçoit le monde de l’action sociale,
de l’interaction comme un élément se constituant de comportements observa-
bles et tangibles, la perspective interprétative tente de montrer que la culture est
ce qui se trouve derrière ces comportements manifestes.
Quant au modèle critique, il aborde l’organisation comme un instrument
d’oppression. Son attention porte sur les classes organisationnelles opprimées :
travailleurs, femmes, minorités et autres groupes identifiés comme classes oppri-
mées. Même en admettant le risque de simplification, il est possible d’affirmer
3. Voir DANIELS, T. D., SPIKER B. & PAPA, M., Perspectives on organizational
communication, Dubuque, Brown & Benchmark Publishers, 1997.
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que dans cette perspective, les chercheurs se préoccupent à la fois de la structure
sociale et du processus symbolique. Mais l’oppression organisationnelle ne porte
pas uniquement sur la structure sociale ou sur le processus symbolique, elle se
situe aussi dans la relation entre les deux. Dans ce modèle, la communication est
vue comme un instrument de domination. Il s’agit d’une distorsion systématique
de la communication, qui est une action délibérée et continue du processus sym-
bolique visant à coopter les intérêts des employés. Qui a intérêt, par exemple, à
raconter des histoires sur les « héros » fondateurs de l’organisation ? Pour l’ap-
proche critique, les intéressés sont les dirigeants de l’organisation, qui utilisent
ces « histoires » pour impliquer les autres membres de l’organisation.
Goodall Jr. et Einsberg4 présentent de leur côté cinq théories de la commu-
nication organisationnelle : a) comme transfert d’information ; b) comme pro-
cessus transactionnel ; c) comme stratégie de contrôle ; d) comme équilibre entre
créativité et contrainte (constraint) et e) comme espace de dialogue.
Lorsqu’ils parlent de la communication comme transfert d’information, les
auteurs utilisent la métaphore de la « canalisation », à travers laquelle l’informa-
tion passe, « s’écoule » pour passer d’une personne (émetteur) à une autre (ré-
cepteur). C’est la communication asymétrique au sens le plus large.
La communication est généralement utilisée pour transmettre les buts et les
objectifs du sommet aux autres membres de l’organisation. On est en présence
d’un modèle linéaire, simplifié et incomplet, car il incombe à l’émetteur de défi-
nir le signifié des messages en le repassant aux autres.
À l’opposé du modèle précédent, dans lequel un émetteur transmet un mes-
sage à un récepteur qui agit comme un être passif, le modèle transactionnel met
l’accent sur le feedback. Il s’intéresse à la manière dont le message est reçu et
compris, en particulier à travers la manifestation non verbale, qui peut remplacer
le feedback verbal. Autrement dit, il prend en compte le comportement mani-
feste, et pas seulement celui exprimé verbalement.
Le processus du modèle transactionnel diffère fondamentalement du modèle
de transfert d’information parce qu’il s’occupe du signifié du message, comment
il est reçu et compris, à savoir comment le récepteur va déconstruire/construire
le signifié du message reçu.
Dans le modèle de contrôle stratégique, la communication est un outil de
contrôle de l’environnement organisationnel. Ce modèle attribue aux
communicateurs des objectifs multiples en face de situations, c’est-à-dire qu’un
communicateur compétent est celui qui sélectionne adéquatement les stratégies
pour réaliser de multiples objectifs dans l’organisation. Cette approche identifie
comme stratégie d’ambiguïté (strategic ambiguity) le fait que les personnes puis-
sent communiquer, de manière incertaine mais non dénuée de talent, leurs ob-
4. EINSBERG, E. M. & GOODALL Jr. H.L, Organizational communication :
balancing, creativity and constraint, New York, St Martin’s Press, 1997.
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jectifs. À la différence des autres modèles, le contrôle stratégique ignore l’idée
des signifiés partagés sur la base ou la motivation de la communication ; il est
perçu comme un modèle empirique non vérifiable, car le principal objectif de la
communication serait d’organiser l’action. Ce modèle suggère que le monde
organisationnel est composé de communicateurs indépendants, chacun travaillant
au contrôle de son propre environnement, et que les signifiés n’existent que
dans l’esprit des gens.
Par conséquent, dans cette perspective, la position et le pouvoir individuels
acquièrent un sens à travers la communication.
Le quatrième modèle envisage la communication du point de vue de l’équili-
bre entre la créativité et la contrainte. Cette conception se rapproche des théo-
ries sociologiques concernant la relation individu versus société. Ces relations
présentent des tensions entre la macro- et la microperspective. La macropers-
pective conçoit les actions individuelles comme des éléments conditionnés par
les impositions (règles, normes…) de la société et des institutions sociales. Quant
à la microperspective, elle les voit comme une création de la société et de son
système social. La dichotomie s’établit au moment où il est nécessaire à la fois de
maintenir ce qui est institué (et socialement accepté, telles les lois, règles, nor-
mes…) et de promouvoir des changements (vus dans cette perspective comme
une créativité). La communication se pose en médiatrice de ces tensions, elle est
la manifestation matérielle de la contrainte institutionnelle, du potentiel créatif et
du contexte d’interprétation. Dit d’une manière simplifiée, la communication est
l’aiguille de la balance entre la créativité – ce qui pourra être fait – et la contrainte
– ce qui devra être fait.
Dans le cinquième modèle suggéré par Goodall Jr. et Einsberg, les organisa-
tions sont vues comme un espace de dialogue. Par dialogue, les auteurs enten-
dent la « communication équilibrée », c’est-à-dire la communication dans laquelle
chaque individu a l’opportunité de parler et d’être entendu.
Dans son ouvrage Cultura empresarial y comunicacíon interna : su
influencia en la gestión estratégica, Lite opère une brève révision de l’évolu-
tion conceptuelle de la communication organisationnelle en en analysant l’ori-
gine, les difficultés et les limites pour son implantation dans une organisation. Il
travaille avec des auteurs tels que W. Chester Redding, considéré comme l’un
des principaux analystes de la communication organisationnelle.
Il met en avant quelques théories ayant marqué les études de la communica-
tion organisationnelle, en prenant comme références deux grandes périodes : de
1900 à 1970 et de 1970 à aujourd’hui. Entre 1900 et 1970, les différents
concepts et théories développés se sont fondamentalement appuyés sur la Doc-
trine Rhétorique Traditionnelle, sur la Théorie des Relations Humaines et sur la
Théorie de la Gestion Organisationnelle. À partir de 1970, les approches théo-
riques se sont plutôt centrées sur la Théorie Moderne ou Empirique, la Théorie
Naturaliste et la Théorie Critique.
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Les objectifs de la théorie moderne ou empirique sont tournés vers le mesurage
et le contrôle, et l’accent est mis sur l’empirisme quantitatif. L’organisation est
prise comme une réalité objective, qui peut être « mesurée ». L’intérêt porte sur
l’efficacité de la communication dans les organisations du point de vue de la
direction (Redding). L’organisation est une machine, ses objectifs et ses finalités
concernent l’accomplissement des buts proposés. Et la communication est un
outil rendant viable l’accomplissement des objectifs et buts organisationnels. En
conséquence, dans cette perspective, la communication représente un modèle
linéaire et mécanique, au même titre que l’engrenage d’une machine.
Dans la théorie naturaliste, on rencontre des études de cas développées par
Redding (Université de Purdue), les théories « rhétoriques » de la communication
organisationnelle (Bormann, Tompkinns et Cheney) et la théorie culturelle de
Pacanowsky et O’Donnell-Turjillo.
Cette théorie s’attache à montrer l’organisation à partir d’une « vérité » qui
est en dehors d’elle, dans la mesure où la réalité organisationnelle est le fruit de
la construction sociale, c’est-à-dire qu’elle est construite historiquement. L’orga-
nisation s’apparente à un organisme ; elle est organique, vue comme idéogra-
phique, représentée à travers des images et perçue comme un être perméable à
son environnement. Elle est donc aussi une entité culturelle spécifique, conçue
comme une communauté unique de langage et d’autres formes d’action symbo-
lique. La communication est partie intégrante de l’organisation dans la mesure
où elle fait l’organisation, c’est-à-dire qu’elle en est la condition nécessaire.
La théorie critique est plus récente. Certains de ses présupposés théoriques
peuvent se rencontrer dans le matérialisme dialectique. Ici, l’organisation est
toujours vue comme une arène de conflits, un champ de bataille – le lieu du
conflit de classes. La réalité organisationnelle est le réflexe de ces « heurts », elle
est perçue comme un « instrument de domination et d’oppression ». Ainsi, la
communication assume le rôle de mécanisme de masquage des réalités matériel-
les de l’organisation. Cette théorie met l’accent sur les aspects idéologiques de la
communication, en l’admettant comme cause d’une fausse conscience entre di-
rigeants et travailleurs.
Pour Restreppo5, la communication dans les organisations doit être com-
prise intégralement, traversant toutes les actions organisationnelles, rendant via-
ble de manière permanente la construction de sa culture et de son identité, ayant
un style propre et des manières de se projeter extérieurement (la construction de
son image). L’auteur considère l’organisation comme des unités d’action collec-
tives, constituées afin d’atteindre des buts spécifiques, et dirigées par un pouvoir
qui établit une forme d’autorité déterminant le statut et le rôle de ses membres.
5. RESTREPPO, J. M., « Comunicación para la dinâmica organizacional. Colombie »,
Signo y Pensamiento, n° 26 (XIV), Universidad Javeriana, Facultad de Comunicación
y Lenguage, 1995, pp. 91-96.
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