Des mots pour la maladie mentale des parents 57
Le contexte est complexe, car il peut s’agir de répondre à des questions
posées directement ou indirectement par l’enfant sur la maladie de sa mère.
Aussi et a contrario, c’est le parent qui peut solliciter le professionnel à pro-
pos de craintes personnelles soit de transmission « héréditaire ou génétique »
de la maladie à ses enfants, soit relatives aux effets négatifs de celle-ci sur
leur développement. En fait, le plus souvent, il s’agit de malaises de nature
différente auxquels se trouve confronté le parent ne pouvant plus cacher,
« interpréter » ou manipuler l’évidence de ses troubles auprès de l’enfant.
Cas clinique : Madame L. souffre d’une psychose maniaco-dépressive cyclo-
thymique depuis sa grande adolescence, d’après les dires de sa propre mère.
Elle a deux filles âgées, au début de notre intervention qui dure depuis trois
ans, de 10 et 4 ans. Elles sont placées en accueil familial depuis l’âge de 7 ans
et 21 mois respectivement, après des placements en pouponnière et en institu-
tion. La mère accueille les enfants chez sa propre mère pour des week-ends et
quelques jours de vacances scolaires. M., la fille aînée, nous demande pourquoi
sa mère dort presque tout le temps pendant les week-ends, pourquoi elle a des
comportements « bizarres », comme des éclats de rire quand elle se dispute
avec la grand-mère, ou encore de l’agitation et des menaces de partir ailleurs,
pourquoi parfois elle annule des week-ends ? Et pourtant M. réveille réguliè-
rement sa mère pour lui donner son traitement et s’occupe de sa petite sœur
depuis des années. Elle a une fonction thérapeutique et d’adulte maternante.
La mère demande des rendez-vous avec le psychologue en dehors de la pré-
sence des enfants. Elle n’en peut plus, les week-ends sont très difficiles pour
elle et les enfants. Elle reconnaît que, si dans la famille on a dit aux enfants
qu’elle était très « fatiguée », cela ne tient plus debout. Madame explique
qu’elle dort pour éviter les conflits avec sa mère devant ses enfants – en effet
sa mère la disqualifie en permanence dans sa fonction parentale –, elle pense
qu’il faut dire la vérité à ses filles en ce qui concerne la conflictualité intergé-
nérationnelle et son état de santé, sa dépression, sa fragilité. Elle ne s’avance
pas encore sur la question de ses tentatives de suicide et hospitalisations
répétitives – qui constituent la cause réelle d’annulations de week-ends –, ni
de ses épisodes délirants, où elle se sent menacée par des personnes de son
entourage, prenant parfois une coloration érotique.
H. Rottman (2001) rappelle que, pour mieux comprendre la « folie » adulte en
tant que fonctionnement parental et ce qu’elle induit dans la relation avec un
enfant, la nosographie n’est pas l’indicateur le plus pertinent. D’où l’intérêt
d’une approche selon les trois axes de la parentalité (la pratique, l’expérience
et l’exercice), dégagés par Houzel et ses collaborateurs (1999), permettant
de prendre en compte la notion de parentalité partielle et de reconnaître les
parties saines, préservées du parent malgré ses troubles psychiques. En effet,
les particularités psychiques parentales ne doivent pas nous faire oublier que
si la relation d’objet avec son enfant est infiltrée par sa pathologie, elle ne
peut y être réduite.
Dialogue 195.indd Sec10:57Dialogue 195.indd Sec10:57 29/03/12 9:25:5629/03/12 9:25:56
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 213.49.83.241 - 04/03/2019 15h02. © ERES
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 213.49.83.241 - 04/03/2019 15h02. © ERES