É D I T O R I A L Demain, l’angioplastie carotide ● P. Amarenco* P ourquoi chercher un nouveau mode de traitement de la sténose carotide alors que l’on vient à peine de terminer un cycle de 15 ans d’évaluation de la chirurgie de ces sténoses et d’en démontrer l’efficacité ? Pourquoi, après 30 ans de débats entre les tenants d’une médecine “fondée sur les preuves” prônant la nécessité de cette évaluation et ceux se fondant sur leur expérience de l’efficacité de cette chirurgie (match manifestement gagné par la ténacité des premiers), le même genre de débat – pour le moins tendu – surgit-il entre les tenants de la chirurgie et les promoteurs de l’angioplastie carotide ? LA CHIRURGIE CAROTIDE EST EFFICACE, ENTRE DES MAINS EXPERTES Mille neuf cent quatre-vingt dix-huit aura vu la fin des deux études ayant évalué la chirurgie carotide en cas de sténose symptomatique, après un suivi de cinq à huit ans, avec toutes deux des résultats très similaires, ce qui accroît encore la force de leurs conclusions (1). Les sténoses les plus serrées (au-delà de 70 %) bénéficient grandement de la chirurgie (endartérectomie) sans plus aucun doute : le risque à deux ans d’une récidive homolatérale à la sténose passe de 26 % dans le groupe médical à 9 % dans le groupe chirurgie, soit une réduction relative du risque de 65 % et un bénéfice de dix-sept infarctus cérébraux évités pour cent patients traités. Pour les sténoses modérées ou peu serrées ainsi que les sténoses légères, la chirurgie est contre-indiquée. En ce qui concerne les sténoses mesurées entre 70 et 85 % selon la méthode de mesure usuelle (soit entre 50 et 70 % selon la méthode de mesure américaine), les derniers résultats montrent que certaines décisions d’endartérectomie peuvent être délicates à prendre chez le sujet âgé de plus de 80 ans, en cas de diabète, d’accident rétinien, ou encore chez les femmes, car l’effet préventif dans pareils cas n’est pas évident. Dans tous les cas, le geste chirurgical doit être intégré à une prise en charge globale des facteurs de risque, avec traitement d’une hypertension artérielle ou d’une hypercholestérolémie, arrêt d’une intoxication tabagique, exercice physique régulier et contrôle du poids, et être associé à un traitement antiplaquettaire et à un dépistage de la maladie coronaire. Les résultats de la chirurgie carotide, compte tenu d’un risque opératoire faible, sont très satisfaisants. Quel intérêt y aurait il * Service de neurologie, hôpital Lariboisière, Paris. La Lettre du Neurologue - n° 3 - vol. III - juin 1999 donc à développer une technique concurrente comme l’angioplastie, jugée intuitivement risquée puisqu’elle laisse en place le matériel athéromateux et expose théoriquement au risque thrombo-embolique immédiat ? L’ACTE CHIRURGICAL A UNE MORBIDITÉ, MÊME RÉALISÉ PAR DES MAINS EXPERTES Dans l’étude NASCET par exemple, le risque périopératoire d’AVC et de décès était de 5,8 % (1). Il était de 7,5 % dans l’étude européenne ECST. Ces résultats ont été obtenus dans les meilleures conditions techniques et d’expertise neurologique imposées par le protocole de ces études. Une revue systématique de 50 études portant sur le risque périopératoire de 16 000 endartérectomies carotides a montré que le risque combiné de décès et d’AVC variait selon les séries de 1,03 % à 35 % (2). Les études qui ont fait appel à l’expertise d’un neurologue indépendant obtenaient un risque d’AVC (7,7 %) trois fois supérieur à celui que l’on retrouvait dans les études où il était évalué par le chirurgien qui avait pratiqué l’intervention (2,3 %) (2). Un grand nombre d’infarctus cérébraux dus à l’endartérectomie carotide furent donc non diagnostiqués en l’absence d’évaluation neurologique. Le Stroke Council de l’American Heart Association a recommandé que le risque opératoire pour un chirurgien donné soit inférieur à 6 %. Aucun audit externe, périodiquement réactualisé, ne garantit habituellement au patient que son praticien répond réellement à la performance opératoire requise. L’ANGIOPLASTIE CAROTIDE EST FAISABLE, MAIS PAS SANS RISQUE ! L’angioplastie avec stent est désormais un traitement à part entière des sténoses des artères iliaques ou fémorales, coronaires ou rénales, avec des bénéfices et des risques bien évalués et de mieux en mieux maîtrisés, même si la resténose reste une éventualité trop fréquente. L’angioplastie carotide a toujours paru trop risquée jusqu’à ce que quelques pionniers l’introduisent, bénéficiant des améliorations techniques et de l’apparition du stent (ou endoprothèse) posé en première intention (3, 4, 5). Au premier rang des complications redoutées se trouve l’embolie cérébrale au cours de la procédure, car l’angioplastie consiste en l’écrasement de la sténose et donc sa fracture. Cette dernière expose le cœur lipidique de la plaque, faisant redouter ses conséquences thrombogènes. Le stent améliore le résultat sur la perméabilité et la 101 É D I T O R sûreté du geste, et l’association à un traitement de six semaines par aspirine + ticlopidine ou clopidogrel pourrait réduire considérablement les complications thrombotiques. D’autres risques existent. Outre les complications au point de ponction et l’allergie à l’iode, il y a le risque généré par le guide ou le ballonnet, à l’origine d’occlusions de la carotide par vasospasme, dissection artérielle, thrombose aiguë, ou simplement le risque lié à la chute de la perfusion sanguine après gonflement du ballonnet sur un hémisphère cérébral fragilisé par l’absence de suppléance anastomotique. La dilatation peut être à l’origine d’une bradycardie et d’une hypotension par stimulation du sinus carotide (traitée par injection d’atropine), mais le risque théorique de rupture artérielle semble infime. Parfois l’angioplastie peut être techniquement difficile à réaliser, ou échouer en raison de tortuosités ou de boucles artérielles, soit encore en raison d’une sténose trop serrée que ne peut franchir le guide. Dans certains cas également, le résultat anatomique est mauvais du fait d’une sténose résiduelle trop importante. Le taux de succès dans les études de faisabilité varie cependant de 90 à 100 %, et, au fil des congrès, nous l’avons vu s’améliorer. Comme le soulignent Gaux et coll. dans ce numéro de la Lettre du Neurologue, il est difficile d’estimer actuellement la morbidité globale de l’angioplastie à partir des données disponibles dans la littérature, car celle-ci n’est pas homogène. En premier lieu, il y a une hétérogénéité des techniques utilisées. Au début, c’est à l’angioplastie simple que l’on recourait, puis à l’angioplastie avec stent autoexpansible. Ce matériel endoprothétique a été perfectionné et des techniques de protection vis-à-vis des embolies per-procédure peuvent désormais être utilisées. Les données de la littérature sont aussi inhomogènes en raison de l’exposé des résultats, qui pouvait inclure une sténose carotide interne à son origine et une autre sténose d’artère cérébrale comme celle de l’artère vertébrale, ou encore mêler sténoses carotides symptomatiques et asymptomatiques. En outre, les études de faisabilité ont essentiellement porté, pour les plus sérieuses d’entre elles, sur les contre-indications relatives de la chirurgie, comme une bifurcation trop haute, un état cardiaque jugé trop sévère pour supporter l’acte chirurgical, une sténose radique, une sténose trop longue ou une occlusion controlatérale avec sténoses multiples des artères cérébrales.Tout cela à l’évidence ne pouvait que nuire à l’évaluation de la technique. Nombre de ces estimations du risque pâtissaient aussi du manque d’évaluation indépendante effectuée par des neurologues. Là encore, au fil du temps et des congrès, nous avons vu ce risque diminuer lentement mais sûrement. Rappelons-nous que la morbidité de la chirurgie carotide était importante à ses débuts, dans les années 50-60, avec des chiffres pouvant dépasser 20 %, et puis, la technique s’améliorant, ce risque opératoire est devenu plus acceptable. Les études avec audit neurologique indépendant conduites aux États-Unis (Yadav et coll.) (6) et en Europe (étude CAVATAS) (7) ont montré que ce risque pouvait être voisin du risque opératoire chirurgical. Dans l’étude de Yadav et coll., sur une série consécutive de 107 patients, le risque d’AVC et de décès toutes causes confondues était de 7,9 %, et le risque d’infarctus majeur homolatéral ou de décès était de 1,6 % (6). Sur une série de 231 patients 102 I A L consécutifs, la même équipe rapporte un risque d’infarctus cérébral mineur de 6,2 % et majeur de 0,7 %, à trente jours post-procédure (8). Les auteurs notent que seuls 14 % de leurs patients auraient été éligibles pour une chirurgie carotide (insistant ainsi sur la gravité et la complexité de leurs cas), et que, parmi ceuxci, le risque de la procédure était seulement de 2,7 %. Dans une analyse multivariée, ils ont identifié l’âge élevé et les sténoses longues et multiples comme étant les prédicteurs indépendants de complications per- ou post-procédure (8). L’étude CAVATAS est terminée mais n’est pas encore publiée. Des résultats ont cependant étaient rapportés au mois de juin 1998 à l’European Stroke Conference (7). Il s’agit de la première étude randomisée ayant porté sur 504 patients (251 dans le groupe angioplastie et 253 dans le groupe chirurgie). Le risque à trente jours d’infarctus cérébral invalidant ou de décès était de 6,4 % dans le groupe angioplastie et de 6,3 % dans le groupe chirurgie. Il n’y avait pas de différence, à sept jours, concernant l’incidence des infarctus cérébraux homolatéraux à la sténose. Cette étude souffre cependant de nombreuses critiques tenant aux critères d’inclusion, à la non-consécutivité des patients inclus, à l’incertitude du degré de sténose qui était déterminé à partir de l’interprétation, dans chaque centre, de données ultrasonographiques ou angiographiques aussi imprécises que “ulcération” ou “thrombus mural”, sans qu’aucun essai de standardisation n’ait été réalisé entre les centres. Les cas avec sténoses sévères ou avec suspicion d’ulcération et thrombus mural pouvaient être exclus et opérés en dehors du protocole, biaisant ainsi l’essai CAVATAS au détriment de l’endartérectomie. Les données sont donc très insuffisantes pour affirmer que la chirurgie et l’angioplastie sont deux techniques comparables en ce qui concerne le risque opératoire. L’angioplastie carotide avec stent reste une technique expérimentale pour l’ANAES, qui a estimé, dans ses recommandations datant de 1997, qu’ “il n’y a pas d’indication à l’angioplastie carotide dans les sténoses athéromateuses en dehors des essais thérapeutiques”. Elle ne peut donner lieu à cotation dans le cadre de la nomenclature des actes médicaux (JO du 09/02/97). Des incertitudes persistent également quant au risque à long terme de resténose. Il serait de 5 % pour l’angioplastie avec pose de stent (Yadav et coll.), soit un pourcentage équivalent à ce que l’on peut attendre après endartérectomie (6). ET SI L’ANGIOPLASTIE ÉTAIT AUSSI EFFICACE, MOINS VULNÉRANTE ET MOINS CHÈRE ? Certains avantages de l’angioplastie sur l’endartérectomie carotide sont évidents et permettraient de l’envisager comme une alternative, non pas forcément systématique mais très intéressante, à la chirurgie. Elle prévient la cicatrice cervicale et ses éventuelles complications douloureuses et/ou paresthésiantes, gênantes ou invalidantes, liées à la section d’un tronc nerveux (7,6 % des cas d’endartérectomie). Elle évite un hématome cervical post-opératoire parfois volumineux (2 à 3 % des cas), et surtout l’anesthésie générale ou loco-régionale. Elle permet d’envisager à terme un acte ambulatoire et donc la réduction de la durée d’hospitalisation et des coûts. Elle peut agir sur des stéLa Lettre du Neurologue - n° 3 - vol. III - juin 1999 noses inaccessibles à la chirurgie (par exemple les sténoses trop longues ou multiples siégeant sur les vaisseaux proximaux comme l’artère carotide primitive), et pourquoi pas, dans le futur, sur des sténoses de la terminaison carotide ou de l’artère vertébrale ou sur certaines sténoses hémodynamiques du tronc basilaire. Certains des avantages de l’angioplastie sont particulièrement importants pour les patients les plus fragiles, à haut risque opératoire, ou qui ont une contre-indication pour un acte chirurgical majeur, comme une cardiopathie sévère. Elle permet ainsi de traiter des patients qui, autrement, ne le seraient pas. Le confort opératoire de l’angioplastie est bien meilleur, au point même que, paradoxalement, cela risque de trop banaliser le traitement de la sténose artérielle, l’acte chirurgical ayant une valeur “pédagogique” certaine, souvent extrêmement importante, car il fait prendre conscience à certains patients de la gravité potentielle de leur cas et de la nécessité d’un traitement préventif complémentaire au long cours. La cicatrice est parfois la mémoire qu’a le patient de son accident ischémique cérébral transitoire. Souvent d’ailleurs elle est exhibée avec un peu de la fierté d’un “ancien combattant” ! Certaines indications de l’angioplastie paraissent déjà pouvoir être discutées en première intention, comme le traitement des sténoses radiques ou des resténoses après chirurgie (9). ÉVALUONS-LA ! Comme l’a souligné récemment un groupe d’experts de l’American Heart Association, ce n’est pas parce qu’une technique est disponible qu’elle doit être utilisée avant d’avoir été évaluée, et aucune angioplastie, à de très rares exceptions près, ne devrait être faite en dehors d’essais randomisés approuvés par des comités d’éthique (10). De grandes études randomisées, comparant l’angioplastie avec stent et la chirurgie des sténoses de l’origine de l’artère carotide interne, tentent actuellement de se mettre en place aux États-Unis et en Europe, car, outre la comparaison du risque à trente jours de chacune des procédures, il est impératif de comparer leur efficacité à long terme. À ce jour, nous n’avons que très peu de données sur l’efficacité préventive à long terme de l’angioplastie, alors que nous connaissons l’effet bénéfique de la chirurgie. Pour l’évaluer, seule une approche multidisciplinaire est possible. La revue systématique de la littérature portant sur le risque de l’endartérectomie carotide montre que beaucoup de complications neurologiques de la procédure ne sont pas reconnues par les médecins qui l’ont pratiquée (2). De telles données montrent l’importance d’une expertise clinique neurologique pour la détection des événements indésirables en cas d’angioplastie carotide. L’angioplastie se pratique sans anesthésie, mais demande un examen neurologique fait par un neurologue avant, pendant et après la procédure. Aucun système de monitoring peropératoire ne pourra remplacer l’expertise clinique pour la détection précoce des événements indésirables. Le suivi à long terme doit être conduit par un clinicien dont c’est la spécialité, car il fait partie d’une prise en charge globale du risque artériel, du traitement des facteurs de risque et de la meilleure stratégie antithrombotique. La Lettre du Neurologue - n° 3 - vol. III - juin 1999 NAISSANCE DE LA NEUROLOGIE VASCULAIRE INTERVENTIONNELLE ? L’émergence de cette nouvelle technique de traitement des sténoses des artères cérébrales doit être replacée dans le contexte des nombreuses avancées majeures que le domaine de la neurologie vasculaire a connues ces dernières années, et qui fondent l’émergence et l’avenir de cette jeune spécialité en plein essor. De nouveaux champs immenses de recherche clinique, grâce aux progrès des techniques endovasculaires, s’ouvrent aux neurologues interventionnels de demain, à la fois sur le plan biologique (biologie de la paroi, biologie de l’athérosclérose, de l’hémostase et de la resténose) et sur les plans technique et thérapeutique (évaluation de l’angioplastie, mais aussi traitement thrombolytique intra-artériel, traitement antithrombotique antiplaquettaire par voie orale et par voie veineuse associé au geste d’angioplastie), perspective qui devrait contribuer à stimuler encore le dynamisme, l’intérêt et l’enthousiasme qui animent la neurologie vasculaire. Outre la maîtrise d’une excellente expertise clinique neurologique et des techniques d’ultrasons des artères cérébrales, les neurologues vasculaires de demain devront aussi, comme les cardiologues l’ont fait en leur temps, ajouter à leur arsenal la neurologie interventionnelle, pratiquée au sein d’équipes et de plateaux techniques multidisciplinaires, dans un esprit de collaboration. La neurologie vasculaire, en se structurant, doit être un exemple de spécialité d’organe dans laquelle la prise en charge des patients est multidisciplinaire, à l’image des “stroke centers” américains. ■ R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Barnett H.J.M., Taylor W., Eliasziw M. et coll. for the North American Symptomatic Carotid Endarterectomy Trial Collaborators. Benefit of carotid endarterectomy in patients with symptomatic moderate or severe stenosis. N Engl J Med 1998 ; 339 : 1415-25. 2. Rothwell P.W., Slattery J., Warlow C.P. A systematic review of the risks of stroke and death due to endarterectomy for symptomatic carotid stenosis. Stroke 1996 ; 27 : 260-5. 3. Théron J.G., Payelle G.G., Coskun O. et coll. Carotid artery stenosis : treatment with protected balloon angioplasty and stent placement. Radiology 1996 ; 201 : 627-36. 4. Hurst R.W. Carotid angioplasty. Radiology 1996 ; 201 : 613-6. 5. Brown M.M., Butler P., Gibbs J. et coll. Feasibility of percutaneous transluminal angioplasty for carotid artery stenosis. J Neurol Neurosurg Psychiatr 1990 ; 55 : 238-43. 6. Yadav J.S., Roubin G.S., Iyer S. et coll. Elective stenting of the extracranial carotid arteries. Circulation 1997 ; 95 : 376-81. 7. Brown M.M. for the CAVATAS investigators. Results of the carotid and vertebral artery transluminal angioplasty study (CAVATAS). Cerebrovasc Dis 1998 ; 8 (suppl. 4) : 21. 8. Mathur A., Roubin G.S., Iyer S.S. et coll. Predictors of stroke complicating carotid artery stenting. Circulation 1998 ; 97 : 1239-45. 9. Yadav J.S., Roubin G.S., King P. et coll. Angioplasty and stenting for restenosis after carotid endarterectomy. Initial experience. Stroke 1996 ; 27 : 2075-9. 10. Bettmann M.A., Katzen B.T., Whisnant J. et coll. Carotid stenting and angioplasty. A statement for healthcare professionals from the councils on cardiovascular radiology, stroke, cardio-thoracic and vascular surgery, epidemiology and prevention, and clinical cardiology, American Heart Association. Circulation 1998 ; 97 : 121-3. 103