info-patients Info-Patients L’éthique au quotidien Les plus informés sont-ils les mieux soignés ? P. Hautecœur* Très bien et bravo ! pour des essais thérapeutiques, sans aucun résulcette approche préventive l y a encore dix ans, la sclérose en plaques était peu de la médecine avec médiatisée, les traitements de fond n’existaient pas et tat probant. l’espérance un peu folle Globalement, quelle que de voir disparaître à les neurologues préoccupés par cette maladie considérée soit la forme clinique, le terme ces tableaux cli- comme incurable n’étaient pas légion. MacAlpine ne disait-il handicap va tôt ou tard niques étiquetés forme pas : “Celui qui veut briser sa carrière scientifique doit s’aggraver chez la majorité de Charcot et Vulpian. s’intéresser à la SEP” ? Les temps ont changé, l’annonce des sclérosés en plaques Mais n’oublions-nous et réduire progressivedu diagnostic est plus rapide, et la mise en route d’un pas trop rapidement les ment leur autonomie. Ils traitement immunomodulateur de plus en plus précoce. patients affaiblis depuis vont franchir cette barre plusieurs années par À tel point que le dogme inébranlable de la deuxième fatidique du 6,5 à cette maladie ? Eux ne poussée, jusque-là indispensable pour définir avec quasi- l’EDSS leur coupant souffrent plus d’incertitout espoir d’un traitecertitude la maladie, va sans doute imploser d’ici peu, tudes diagnostiques mais ment de fond. Adieu au grand dam de Poser, pour traiter, dès la primobien des conséquences interférons, endoxan, directes et réelles du manifestation, les patients (espérons que tous auront bien novantrone, copaxone ! handicap généré par pluune SEP) dont l’activité IRM sera considérée comme trop Mais n’y a-t-il pour sieurs années de pousautant aucun espoir à intense pour être négligée. sées auxquelles a succédé leur donner ? l’installation insidieuse mais continue des défiEDSS. Aujourd’hui, tout patient peut cits moteurs sensitifs, sphinctériens, avoir accès à des sources d’informav i s u e l s , s e n s o r i e l s e t c og n i t i f s . tions diverses via Internet ou les assoRappelons que, si l’espérance de vie ciations de malades. Il existe souvent n’est pas diminuée pour la très grande L’attitude française actuelle : une inadéquation entre la perception de majorité des patients, environ 50 % trop souvent la résignation la maladie par les patients eux-mêmes, d’entre eux ont perdu leur autonomie Malheureusement, encore trop souvent, via ces médias créant souvent de faux motrice après 15 ans d’évolution et dû les neurologues de l’Hexagone ne raiespoirs, et les informations données par cesser depuis plusieurs années leur sonnent qu’en termes de physiopathologie leur médecin, en général plus réservés activité professionnelle. et de pharmacologie et vont jusqu’à sur les nouveautés. Cette situation est Le paradoxe est que ces patients, soudire : “Je ne peux plus rien pour vous.” source d’incompréhension et d’insatisvent les mieux informés sur la maladie, Cette attitude, reflet d’un monde cartéfaction et crée un climat de suspicion. ses thérapeutiques d’aujourd’hui et ses sien qui ne croit qu’en la pilule miracle, À la fois les plus éclairés et les plus perspectives de demain, ne peuvent est par trop réductrice et oublie la prise atteints, ces patients sont en général les bénéficier (à juste titre sans doute) des en charge globale qui certes est le reflet plus agressifs mais aussi les plus résiinterférons ou du copolymère dès qu’ils de notre incapacité à guérir mais peut gnés sur les perspectives thérapeutiques franchissent la valeur 6,5 de l’échelle rendre des services énormes au patient. qui, globalement, sont plutôt proposées aux formes débutantes. C’est vrai pour L’attitude outre-Atlantique les formes rémittentes avec séquelles La prise en charge est bien différente devenues secondairement progressives, dans un pays comme le Canada, où le encore plus pour les formes d’emblée * Service de neurologie, système de santé est pourtant plus proprogressives auxquelles se sont heurCH Saint-Philibert, Lomme. che du système français que du système tées les vagues protocolaires successives I Les différentes attitudes Act. Méd. Int. - Neurologie (2) n° 3-4, mars/avril 2001 58 info-patients Info-Patients américain. L’accent est mis sur les traitements symptomatiques (douleurs, fatigue, troubles sphinctériens) et sur la prise en charge pluridisciplinaire associant neurologue, rééducateur, infirmière référente spécialisée dans la SEP, psychothérapeute, ergothérapeute, assistante sociale, association de malades. Ainsi, quel que soit le stade de sa maladie, le patient n’est pas abandonné et cela représente sans aucun doute l’un des meilleurs traitements de fond qui soit. pour la collectivité par le biais des différentes prestations, indemnités, allocations versées. La SEP provoque également un retrait de la vie sociale et associative, le handicap confinant progressive m e n t l e s p a t i e n t s à d o m i c i l e . L’incidence sur l’entourage n’en est que plus importante, puisque l’état du patient peut conduire à une aide pluriquotidienne dont l’ampleur s’accroît avec le handicap. Les patients concernés La solution : une nouvelle prise en charge Ils représentent in fine la majorité des sclérosés en plaques. En effet, 50 % des malades passent en forme secondairement progressive après dix ans d’évolution, 90 % après 25 ans. Si les formes bénignes sont classiquement dans la proportion de 30 % à 10 ans, elles ne représentent plus que 10 % à 22 ans. Cinquante pour cent des formes d’emblée progressives ont un EDSS à 6 après 10 ans d’évolution et à 8 après 22 ans. Quelle que soit l’évolution, 10 % ont un EDSS à 8 après 10 et 15 ans et dans 34 % des cas après 30 ans. Ils souffrent alors de difficultés motrices, de troubles de la coordination, visuels, neuropsychologiques et sphinctériens. Alors qu’auparavant, ils mettaient en avant à la fois leur crainte d’invalidité mais aussi leurs espoirs dans les thérapeutiques nouvelles, avec le temps, les patients expriment de plus en plus d’agressivité vis-à-vis de la maladie mais aussi de leur médecin. Comme ils le disent, leur maladie les prive autant de leurs jambes que de leurs rêves. Diminués, ils ont perdu toute autonomie et sont totalement dépendants de leur entourage. Le handicap physique est rapidement générateur d’un handicap social. L’atteinte des différentes fonctions entraîne une incapacité de travail, source de perte financière pour le malade et sa famille, mais aussi De plus en plus, la prise en charge des sclérosés en plaques, quel que soit le stade de la maladie, va devenir ambulatoire. Beaucoup des raisons qui poussaient encore à hospitaliser récemment les patients deviennent caduques, puisque les diagnostics, le traitement des poussées ou l’instauration d’un interféron peuvent relever totalement de la compétence et être dans les attributions des neurologues de proximité. En revanche, pour ces patients au stade avancé, affectés dans plusieurs de leurs fonctions, l’approche pluridisciplinaire va très vite devenir incontournable. C’est dire tout d’abord l’importance des réseaux de soins construits autour du patient, regroupant certes les neurologues (libéraux, hospitaliers, universitaires) mais aussi les autres professionnels de la santé impliqués dans la prise en charge globale de la SEP, ainsi que les associations de malades. C’est dire aussi l’importance des consultations pluridisciplinaires permettant, d’une part, d’organiser une prise en charge adaptée des problèmes à la fois sensorimoteurs, thymiques, cognitifs et sociaux et, d’autre part, d’éduquer les patients aux différentes thérapeutiques. Durant quelques heures, les patients, loin d’être délaissés, vont être vus par 59 plusieurs spécialistes : le neurologue, le rééducateur prenant en charge le handicap, la spasticité, les troubles génitosphinctériens – en collaboration éventuellement avec les stomathérapeutes –, la douleur et la fatigue, le psychologue dont le rôle n’est plus à démontrer, l’infirmière spécialisée dans cette maladie et tous ses traitements, l’assistante sociale enfin, en relation avec l’ergothérapeute et d’autres personnes pouvant intervenir directement au domicile afin d’adapter au mieux l’habitat, la salle de bains et les moyens de transport au handicap du patient. Cette consultation peut déboucher sur la programmation d’une “hospitalisation d’un jour”, comme disent les Canadiens, afin de réaliser certaines investigations complémentaires : échographie, examen urodynamique…, de prescrire certaines thérapeutiques, comme la toxine botulique ou le baclofène intrarachidien, de réaliser certains bilans kinésithérapiques spécifiques à la SEP pour la spasticité, l’équilibre ou la motricité, d’éduquer les patients aux autosondages si le syndrome cérébelleux n’est pas trop gênant ou à la neurostimulation transcutanée. Le neurologue de proximité va participer ensuite activement à la mise en œuvre et au suivi des traitements symptomatiques en collaboration avec le médecin généraliste, le kinésithérapeute et l’infirmière. De nombreux symptômes sont tout de même accessibles aux traitements médicamenteux. D’autres peuvent même parfois représenter une épine irritative à la maladie elle-même. Est-il encore tolérable de voir des patients non suivis régulièrement sur le plan urinaire, alors que l’on connaît l’influence des difficultés mictionnelles et des infections qui en découlent irrémédiablement sur les symptômes préexistants et sur la fréquence des poussées ? Est-il encore permis de négliger des symptômes comme la douleur, la fatigue, les troubles sexuels et la dépression, quand on sait à info-patients Info-Patients quel point ils peuvent altérer, dès le début de la maladie, la qualité de la vie ? La coordination devra aussi se faire avec l’ergothérapeute et l’orthophoniste dont le rôle peut être capital : contrôle respiratoire avec coordination de l’apnée puis de la reprise respiratoire, technique de rééducation appropriée aux troubles de la déglutition parfois si dangereux. Bien sûr, le psychologue et même le psychiatre font partie intégrante de cette prise en charge globale et du suivi. Quant à la rééducation, elle doit être adaptée à chaque malade et peut, en tout état de cause, améliorer certains symptômes de façon notable. Mais au-delà de ces considérations plutôt techniques, l’accent doit être mis sur la relation malade-médecin fondée sur la transparence, la vérité et l’information la plus complète possible. Toute divergence entre la perception de la maladie par le patient lui-même et par son médecin peut conduire à une incompréhension. C’est ainsi que les malades sont poussés naturellement à s’orienter vers d’autres horizons et vers les médecines parallèles, dont les arrière-pensées ne sont pas toujours des plus honnêtes. La neurologie ne se résume pas, loin s’en faut, à un examen clinique sensorimoteur même des plus fins, aboutissant à quelques examens complémentaires parfois symbolisés, pour le grand public, par des mots comme ponction lombaire, suivi d’une ordonnance, générant parfois plus d’effets adverses que d’espoirs de soulagement. Le mot interrogatoire devrait être supprimé et remplacé par celui d’entretien ou d’écoute, créant un climat de confiance et surtout apportant le maximum d’informations sur la maladie. C’est aussi le rôle de ces inf ir mières “référentes” d’outreAtlantique prenant une part très importante dans ce domaine. Le programme ACT (Actions for choices in treatment of multiple sclerosis) a été conçu dans ce sens par des neurologues et psychologues anglo-saxons (en collaboration avec les laboratoires Schering). Il va se développer très prochainement en France. Il repose sur un modèle psychologique appelé théorie de l’autorégulation, ou modèle des représentations mentales, dont l’idée générale est que les individus réagissent au monde tel qu’ils le perçoivent et non tel qu’il est ou tel que les professionnels de la santé le voient. Le comportement de tout individu est donc fondé sur ses croyances forgées par l’entourage, les médias, etc. S’ils arrivent à lever la part d’irrationnel qui dicte au patient ses réactions face à la maladie, les médecins peuvent ainsi augmenter les chances de ce dernier d’améliorer sa condition. Avec ACT, le patient est invité à analyser ce qu’il éprouve, à faire le point sur l’état de ses connaissances et de ses besoins en information. Il devient alors acteur de sa prise en charge thérapeutique. Le support de ce programme est un questionnaire structuré en cinq points remis au patient, mais aussi pour partie à l’entourage afin de connaître la façon dont ce dernier perçoit les difficultés et les réactions du proche face à sa maladie. Ce document renseigne sur sa propre perception des termes “sclérose en plaques”, de ses symptômes, des causes possibles de sa maladie, de son évolution à court, moyen et long termes, les conséquences sur sa vie quotidienne et l’efficacité de ses traitements. Les premiers résultats sont très intéressants, car ils montrent l’ampleur des changements que nous allons devoir opérer dans notre façon d’agir pour améliorer la prise en charge par une écoute de qualité et lever toutes les ambiguïtés et incertitudes que nous générons dans l’esprit de nos patients par notre propre comportement, lui-même reflet de notre environnement Act. Méd. Int. - Neurologie (2) n° 3-4, mars/avril 2001 60 par trop scientifique. Ils devraient permettre tout particulièrement d’associer le patient aux propositions et choix thérapeutiques qui lui sont offerts, seuls garants d’une réussite. Environnement et comportement individuel sont étroitement interconnectés, comme nous venons de le voir. C’est pourquoi, quelle que soit la qualité de la relation malade-médecin et des soins prodigués, le soutien de l’entourage familial du cercle d’amis, des associations de malades, voire le dialogue entre patients peuvent également jouer un rôle capital dans cette prise en charge. Ne passons pas pour autant d’un extrême à l’autre et sachons raison garder. Technicité, rigueur scientifique et recherche sont les seules chances d’amélioration. Elles peuvent être très rapidement source de challenges aussi insensés que l’apparition d’un traitement précoce, préventif et efficace à long terme. Simplement elles doivent, pour l’instant, être complétées par une approche plus humaine de cette catégorie de malades plus ou moins bien informés, rarement éclairés mais trop souvent négligés. Tableau. Les éléments de prise en charge. ◆ ◆ ◆ ◆ ◆ ◆ Réseau de soins élargi Consultation pluridisciplinaire Traitements symptomatiques Relation malade-médecin : – écoute, information – participation active du patient à son traitement Associations de malades Famille, amis