L`illusion du choix thérapeutique

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Tribune de réflexion éthique
Hématologie 2010 ; 16 (4) : 316-7
L’illusion du choix thérapeutique
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The illusion of the therapeutic choice
Jean-Pierre Jouet
Service des maladies du sang,
CHU de Lille ;
et membre de la Commission d’éthique
de la SFH
<[email protected]>
316
Hématologie, vol. 16, n° 4, juillet-août 2010
doi: 10.1684/hma.2010.0487
Tirés à part :
J.-P. Jouet
D
epuis que la médecine existe, même dans ses formes les plus
primitives, depuis qu’un être humain s’est préoccupé de soigner
les maux de ses contemporains, le médecin ou son équivalent
parfois d’ailleurs auto-désigné, a toujours eu un ascendant sur
« son » malade puisque le savoir se situe de son côté et la demande
de l’autre côté. On connaît le rôle des sorciers ou des « hommes médecine »
dans les tribus dites primitives africaines, américaines ou aborigènes. En est-il autrement aujourd’hui dans nos sociétés dites avancées ?
Jusqu’à une période très récente en fait, de l’ordre d’un demi-siècle, la question du
choix du traitement curateur vue par le médecin ou vue par le malade, ne s’est
jamais réellement posée, sauf en termes très tranchés : le traitement, et non « un »
traitement, doit-il ou peut-il être envisagé ou pas. La réponse dépendait, d’une part,
de l’existence de réelles aptitudes de la médecine à guérir la maladie et, d’autre
part, plus souvent sans doute, de la raison du soignant. Si le moyen thérapeutique
n’existe pas, le médecin va-t-il s’engager ou plus exactement engager le malade
dans une aventure incontrôlée, voire incontrôlable, ou au contraire demeurer dans
une sage prudence ? Il est incontestable toutefois que certaines avancées thérapeutiques majeures ont vu le jour parce que des médecins visionnaires ont osé (sans
nécessairement consulter le patient…). Quoi qu’il en soit, l’avis du malade
était d’importance modeste ou, le cas échéant, conditionné à son niveau socioéconomique.
Qu’y a-t-il de si nouveau dans notre société ?
Les progrès de la médecine ont été, au cours des six décennies passées, formidables et presque fulgurants ces dernières années. La techno-science a envahi le
champ de l’art médical, toujours plus innovante, repoussant chaque jour les limites
du faisable et du possible. Elle permettrait presque au malade de toucher parfois
du doigt l’illusion de l’immortalité. Elle permettrait presque au médecin de toucher
parfois du doigt l’illusion d’une puissance quasi divine. Tout, ou presque sera
possible au XXIe siècle. Il n’en demeure pas moins que ces progrès considérables,
y compris dans le domaine des maladies à haute potentialité de mortalité, ont
permis, dans bien des cas, d’élargir les possibilités de traitement, de développer
des alternatives thérapeutiques, accréditant de facto l’idée d’un choix envisageable.
Dans les pays où le niveau de soins est acceptable, les malades, ou plus probablement certains d’entre eux, ont bénéficié de l’ouverture quasi illimitée aux moyens
d’information et du développement considérable des moyens de communication.
Il n’est pas rare de voir arriver nos patients en consultation, assistés d’un volumineux
dossier composé de références obtenues sur la toile, ou même de voir le médecin
demander au patient s’il a consulté Internet à propos de sa pathologie. On peut
bien entendu se poser la question de la pertinence de certaines informations disponibles et de la capacité, pas nécessairement intellectuelle, qu’a le malade à adapter
le flot d’informations à sa situation. L’information au malade est maintenant
un droit que nul ne peut contester. Le médecin avait le devoir d’informer et il en a
maintenant l’obligation. On peut d’ailleurs s’interroger sur la nécessité qu’il y a eu
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à légiférer dans ce domaine. L’information doit porter sur la
maladie, les traitements, leurs effets attendus et inattendus. Je
n’entrerai pas dans le débat sur le degré d’information
à transmettre : faut-il toujours dire toute la vérité à tous les
malades ? La tentation que peut avoir le médecin de « tout
dire » ne peut-elle se confondre avec le désir de se décharger
d’un lourd fardeau, voire de se défausser de toute responsabilité sur l’avenir de ce malade ?
Quoi qu’il en soit, l’écart du niveau de connaissance entre
malade et médecin s’amenuise progressivement. Qu’en est-il
du niveau du savoir, c’est-à-dire de l’intégration et de l’application des connaissances ? Quand se pose aujourd’hui la
question d’un choix thérapeutique, médecins et malades
sont-ils réellement sur un pied d’égalité ? Il me semble important, pour les deux parties, qu’ils ne le soient pas et que leur
relation soit et demeure asymétrique.
– Le malade doit être informé le plus possible, le mieux
possible, et de la façon la plus adaptée : c’est évident,
c’est aussi la loi.
– Le malade doit avoir une opinion sur les options thérapeutiques proposées : c’est tout aussi évident.
– Le médecin ne doit pas se décharger de la responsabilité
du choix : c’est à lui de dire au malade ce qui, à lui médecin, lui paraît être le mieux, le plus adapté, le plus… le
moins… pour le malade, et seulement pour ce malade particulier. L’un des piliers de l’éthique médicale est, à mon sens,
la responsabilité du médecin face au malade. Cette responsabilité ne doit pas être transférée au patient.
Dans la situation où l’on dispose de deux traitements possibles qui ont chacun leurs avantages et leurs inconvénients,
il existe un fossé entre le fait de dire au malade : « moi,
Docteur, je pense qu’il vous faut ce traitement car… » ou
« quel traitement souhaitez-vous recevoir, car moi, Docteur,
je vous laisse ce choix ? ». Bien entendu le malade a et doit
avoir la possibilité de ne pas suivre le choix du médecin. Mais
le médecin ne doit pas pour autant être contraint de prescrire
un traitement qu’il ne juge pas opportun pour ce malade,
quitte à lui conseiller de solliciter un autre avis médical.
Il est des situations où ni le médecin ni le malade ne sont en
mesure de pouvoir choisir entre deux ou plusieurs traitements
possibles. L’exemple des protocoles thérapeutiques et
singulièrement ceux qui proposent une randomisation est
particulièrement instructif.
Pour une pathologie donnée, il existe un traitement de référence parfaitement connu, maîtrisé, dont on sait les résultats
attendus et une innovation thérapeutique qu’il faut tester et
comparer. Il est scientifiquement admis que seuls les essais
randomisés contrôlés peuvent apporter une réponse à cette
problématique. Les malades qui participent à ces essais
sont protégés par la loi. C’est donc au hasard de décider
du traitement à entreprendre. Bien entendu le médecin est
libre d’inclure ou non les malades dans ces protocoles et le
malade est libre de donner ou non son consentement
« éclairé » après avoir reçu une information « précise et
adaptée » comme l’exige la loi. Il est néanmoins légitime de
se poser trois questions :
– Qu’est-ce qu’un consentement « éclairé », demandé dans
des situations parfois sombres, voire particulièrement dramatiques, obtenu dans des délais nécessairement très courts ?
– Pourquoi le médecin accepte-t-il d’inclure des malades
dans le protocole ? Il n’y a évidemment pas de réponse
unique : par désir de mieux pour le malade ; par pur esprit
scientifique, « pour faire avancer la science » ; par attrait de
la publication scientifique, moteur de la carrière…
– Pourquoi le malade accepte-t-il d’être inclus dans le protocole ? Il n’y a évidemment pas non plus de réponse unique :
parce qu’il a confiance en ce médecin ou en la médecine ;
par désir de plaire au médecin ; par désir de contribuer à
l’avancement de la science ; par goût du risque…
Nous sommes à une époque où la normalisation envahit le
champ sociétal, où la mondialisation règne, où l’information
s’impose en droit, où la relation qui s’établit entre un médecin
et le malade subit nécessairement des bouleversements.
Doit-on pour autant affirmer que médecin et malade sont,
face à la maladie et aux possibilités thérapeutiques que les
progrès techno-scientifiques autorisent, sur un même niveau ?
Les relations entre soignant et soigné sont, resteront et doivent
demeurer asymétriques. Il appartient certes au médecin
d’adapter son discours aux demandes légitimes de la société
actuelle mais l’éthique de son métier implique l’acceptation
d’une responsabilité vis-à-vis du malade et non de lui laisser
l’illusion d’un choix qu’il n’a pas. ■
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Hématologie, vol. 16, n° 4, juillet-août 2010
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