“ L Stratégie de lutte contre les entérobactéries productrices

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ÉDITORIAL
Stratégie de lutte contre
les entérobactéries productrices
de carbapénémases : et demain ?
Control of carbapenemase-producing enterobacteria:
and tomorrow?
“
L
Sandra
Fournier
CLIN (Centre de coordination
de la lutte contre les infections
­nosocomiales) central AP-HP,
service des maladies infectieuses,
hôpital Saint-Antoine, Paris.
es entérobactéries productrices de carbapénémases (EPC) connaissent
une expansion considérable dans de nombreux pays. En Italie, en 2011, 27 %
des Klebsiella pneumoniae responsables de bactériémies étaient résistantes
à l’imipénem. En France, les épisodes dus à des EPC sont encore sporadiques, même
si quelques épidémies hospitalières ont été décrites. L’Assistance publique-hôpitaux
de Paris (AP-HP) – 38 hôpitaux, 23 000 lits – a été confrontée dès 2004 à la première
épidémie d’EPC en France (1). L’apparition de cas secondaires, malgré les mesures
d’isolement des patients porteurs, a nécessité la mise en place de mesures renforcées
qui ont permis de contrôler l’épidémie : arrêt des transferts des porteurs et des contacts,
regroupement des porteurs, des contacts et des patients indemnes dans 3 secteurs
dédiés distincts, dépistage large des contacts. Fin 2008, l’analyse des premières alertes
aux EPC ayant montré que plus de 80 % des porteurs avaient été hospitalisés à l’étranger,
il a été recommandé aux hôpitaux de l’AP-HP d’isoler et de dépister tout patient
rapatrié d’un pays étranger.
En 2009, des recommandations fondées sur l’expérience acquise lors
des premières épidémies ont été diffusées. Deux éléments sont essentiels pour limiter
le risque épidémique :
➤➤ une prise en charge du patient porteur en précautions complémentaires de type
“contact” accompagnées d’une organisation des soins permettant de réduire le risque
de transmission à d’autres patients (idéalement personnel dédié, à défaut “marche
en avant” pour les soins programmés) ;
➤➤ des mesures appliquées aux patients contacts et adaptées à leur niveau de risque
d’être ou de devenir porteurs (dépistage hebdomadaire des patients dans les unités
touchées par un cas et arrêt des transferts).
L’intervention des équipes d’hygiène, présentes dans chaque hôpital de l’AP-HP,
a été essentielle pour mettre en place ces mesures et les adapter à chaque situation.
Parmi les 140 alertes mettant en jeu une EPC survenues entre 2004 et 2012 à l’AP-HP,
la proportion de celles donnant lieu à une épidémie est passée de 50 % dans
les années 2004-2008 à 10 % depuis 2010. La survenue de cas secondaires est
­significativement liée aux mesures instaurées dans les 48 heures suivant l’admission
d’un patient porteur d’EPC : le risque est minimal si le patient est pris en charge
en isolement et par du personnel paramédical dédié ; il est plus important
si le patient est pris en charge en isolement seul sans personnel dédié ; il augmente
encore si les mesures d’isolement sont mises en place avec retard.
L’expérience acquise dans la gestion des premières alertes et épidémies à EPC
montre ainsi qu’il est possible de limiter leur diffusion en France, et ce d’autant plus
efficacement que les mesures de prévention sont appliquées précocement.
En revanche, l’évolution, sans cesse croissante, de l’incidence des entérobactéries
résistantes aux céphalosporines de troisième génération par bêtalactamase à spectre
120 | La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXVIII - no 4 - juillet-août 2013
ÉDITORIAL
1. Kassis-Chikhani N, Saliba F,
Carbonne A et al. Extended
measures for controlling an
outbreak of VIM-1 producing
imipenem-resistant
Klebsiella pneumoniae
in a liver transplant centre in
France, 2003-2004.
Euro Surveill 2010;15(46).
étendu (BLSE) est inquiétante et montre que nous ne savons pas aujourd’hui
maîtriser la diffusion de ces bactéries, qui, comme les EPC, sont transmises selon
la voie fécale-orale. En ville comme à l’hôpital, l’accent doit être mis sur 2 facteurs
qui amplifient la résistance bactérienne : la transmission croisée et la pression de
sélection par les antibiotiques. Un patient excrétant chaque jour environ 10 milliards
d’entérobactéries dans les selles, source majeure
de diffusion, il est temps de se préoccuper de la gestion des excreta dans
nos hôpitaux, en commençant par bannir l’utilisation des douchettes rince-bassins,
par équiper chaque unité de lave-bassins efficaces, par former et sensibiliser
les personnels. Plus globalement, un effort général d’éducation de la population
mérite d’être fait, en ville, à domicile, à l’école, afin de rehausser le niveau d’hygiène
des mains. À l’hôpital, l’utilisation des produits hydro-alcooliques reste encore très
insuffisante : la friction hydro-alcoolique doit devenir un réflexe avant et après
chaque contact avec un patient. Enfin, la France reste un des pays ayant la plus forte
consommation d’antibiotiques en Europe, que ce soit en ville ou à l’hôpital.
L’indication de chaque a­ ntibiotique devrait être pesée, et réévaluée
systématiquement au troisième jour pour assurer l’arrêt de l’antibiotique inutile,
ou choisir une molécule au spectre plus étroit, adaptée aux résultats des examens
microbiologiques ; la durée de l’antibiothérapie devrait être limitée à 7 jours,
ce qui est suffisant pour traiter la grande majorité des infections.
L’auteur déclare ne pas avoir
de liens d’intérêts.
Il est temps de prendre conscience de l’enjeu que constitue le nouveau péril fécal
représenté par le couple entérobactéries BLSE/EPC et de changer
nos ­comportements en conséquence. Sans cette prise de conscience ­collective,
par les soignants et les patients, à l’hôpital comme dans la communauté, il y a fort
à parier que les EPC auront remplacé les entérobactéries BLSE dans quelques années.
”
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La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXVIII - no 4 - juillet-août 2013 | 121
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