Un mauvais souvenir d`enfance

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Un mauvais souvenir d’enfance
● S. Ramirez, S. Hervé*
CAS CLINIQUE
Un homme âgé de 34 ans fut hospitalisé en urgence, au mois de
février 2001, dans le département d’hépatogastroentérologie pour
des rectorragies. Le malade n’avait aucun antécédent médical ou
chirurgical particulier. Son histoire débuta au retour d’un voyage
professionnel au Japon, au cours duquel il avait pris 1 000 mg d’aspirine pour un syndrome fébrile dans un contexte de rhinopharyngite sans autre symptôme associé. Quarante-huit heures plus tard,
il fut brutalement réveillé par de violentes douleurs abdominales en
cadre, suivies de l’émission de rectorragies isolées de faible abondance. La récidive quelques minutes plus tard de ces rectorragies,
associées à deux épisodes de malaises lipothymiques, a motivé la
prise en charge du patient par le SAMU et son hospitalisation.
L’examen clinique à l’entrée dans le service retrouvait un patient
conscient avec un état hémodynamique stable, une tension artérielle à 14/7 et un pouls à 100 par minute. Le patient était en excellent état général, il était apyrétique. L’abdomen était souple,
dépressible et indolore. Aucune masse abdominale anormale
n’était perçue, il n’existait pas d’hépato-splénomégalie. Il n’existait aucun signe d’hypertension portale ou d’insuffisance hépatocellulaire. Le toucher rectal confirmait la présence de sang rouge
avec caillots sans autre anomalie. Le reste de l’examen physique
était strictement normal. Il est à noter que l’interrogatoire ne retrouvait pas de notion de prise de température rectale.
Le cliché d’abdomen sans préparation réalisé aux urgences ne
révélait pas d’anomalie et, en particulier, pas de pneumopéritoine.
Le premier bilan biologique était rassurant, la numération formule
sanguine (hémoglobine = 9,4 mmol/l, hématocrite 45 %), le bilan
hydroélectrolytique et le bilan d’hémostase étant normaux.
Une coloscopie gauche fut donc réalisée en première intention après
une préparation par lavements. Elle retrouva du sang rouge tapissant
la muqueuse jusqu’à l’angle gauche, sans lésion susceptible d’expliquer l’hémorragie. Au cours de l’examen, le patient présenta un nouveau malaise d’allure vagale avec chute tensionnelle et bradycardie
associée. Le contrôle de l’hématocrite dans le service était stable
(45 %) ; cependant, en raison de la récidive des malaises et de l’absence d’anomalie colique gauche, une fibroscopie œsogastroduodénale fut réalisée afin de ne pas méconnaître une hémorragie digestive
haute accessible à un traitement endoscopique. L’examen était strictement normal et ne retrouvait aucune trace de sang. Le patient fut
donc préparé pour une coloscopie longue qui fut réalisée 48 heures
après l’admission. Son hémodynamique était demeurée stable et le
patient n’avait pas présenté de récidive hémorragique. L’examen mené
jusqu’au cæcum ne retrouva aucune trace de sang ni de lésion susceptible d’expliquer l’hémorragie. L’iléon était non vu.
* Service d’hépato-gastroentérologie, CHU de Rouen.
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Le lendemain de cet examen survint un nouvel épisode de rectorragies de grande abondance, associé à une chute tensionnelle à 9/6
avec un pouls à 125 par minute. Le contrôle de la numération formule sanguine en urgence retrouva cette fois une déglobulisation
sévère avec un hématocrite à 22 %. Une artériographie cœliomésentérique fut demandée en urgence après stabilisation hémodynamique du patient par transfusion de culots globulaires et perfusion de macromolécules. L’examen mit en évidence une
extravasation importante de produit de contraste aux dépens des
branches distales de l’artère mésentérique supérieure, située sur les
anses grêles distales (figure 1), faisant fortement évoquer le diagnostic d’hémorragie d’un diverticule de Meckel. Au cours de l’examen, le patient présenta une nouvelle chute tensionnelle suivie d’un
état de choc massif avec perte de connaissance répondant difficilement au remplissage. Considérant l’état clinique du patient qui
présentait des rectorragies massives et un état hémodynamique précaire, la question d’une embolisation en urgence se posa. Cependant en raison des risques qu’aurait représentés une embolisation
sélective du territoire mésentérique supérieur distal chez ce patient
jeune sans antécédents particulier, et après avis des réanimateurs
et des chirurgiens, le patient fut transféré au bloc opératoire pour
une laparotomie en urgence. Le diagnostic d’hémorragie compliquant un diverticule de Meckel fut alors confirmé en peropératoire.
Une résection segmentaire du grêle sur 10 cm emportant le diverticule et une appendicectomie de principe furent réalisées. Le
patient reçut huit culots globulaires au total. Les suites opératoires
furent simples. L’anatomopathologie de la pièce opératoire retrouvait l’origine du saignement au niveau du collet du diverticule mais
notait l’absence d’hétérotopie de muqueuse gastrique (figure 2).
DISCUSSION
Données anatomopathologiques
Le diverticule congénital de l’iléon terminal porte, depuis 1809,
le nom de l’anatomiste et chirurgien allemand Johan Fredrich Meckel qui en fit la première description. On regroupe sous le vocable
unique de “pathologie du diverticule de Meckel” l’ensemble des
manifestations qui résultent de la persistance totale ou partielle du
canal omphalo-mésentérique embryonnaire, habituellement
résorbé. En effet, ce canal omphalo-mésentérique ou canal vitellin, reliant l’intestin primitif à la vésicule ombilicale, disparaît normalement vers le troisième mois de la vie fœtale. Cette involution
peut être incomplète et donner soit une fistule entéro-ombilicale,
soit une bride reliant le diverticule à l’ombilic et pouvant favoriser un volvulus et un étranglement du diverticule, soit un diverticule libre. Il siège sur l’iléon, sur le bord antémésentérique, exactement à l’abouchement de l’artère mésentérique supérieure. Sa
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paroi comprend toutes les tuniques intestinales normales et son collet est habituellement large. Tapissé dans la moitié des cas de muqueuse iléale, il est parfois
le siège d’une hétérotopie de muqueuse gastrique ou même pancréatique. Dans le
cas d’une hétérotopie gastrique, on parle “d’estomac en miniature”. Cette muqueuse
sécrète alors de l’acide qui peut ulcérer la paroi iléale voisine et favoriser douleurs,
hémorragies et infections.
Données épidémiologiques
Le diverticule de Meckel est l’anomalie congénitale la plus commune du tractus
gastro-intestinal humain. Son incidence varie de 0,3 à 3,0 % dans la population
générale, mais une incidence de 2 % est généralement acceptée (1). La plus grande
fréquence du diverticule chez l’homme est reconnue par tous les auteurs et estimée à 65 à 85 % des cas (2). Dans plus de 50 % des cas, les diverticules de Meckel n’ont aucune conséquence pathologique. Cependant, ils peuvent se manifester dans l’enfance ou à l’âge adulte par diverses complications.
Les différents types de complications
Complications occlusives du diverticule de Meckel. Il s’agit du type de complication le plus fréquent puisqu’il représente le quart de l’ensemble des complications
rattachées à un diverticule de Meckel. Le forme la plus fréquente est l’invagination
intestinale aiguë. Cette invagination est initialement iléo-iléale, et le diverticule peut
en constituer la tête après s’être retourné en doigt de gant, ou ne faire que participer
à l’intussusception. La présence d’un diverticule dans le boudin d’invagination ne
modifie pas la présentation clinique classique du tableau d’invagination mais est un
facteur aggravant l’œdème et l’ischémie des tuniques intestinales. La prise en charge
thérapeutique ne diffère pas de celle de toute invagination intestinale aiguë chez
l’enfant. L’échec des tentatives de réduction, par pression hydrostatique ou lavement,
conduit sans attendre à l’exploration chirurgicale, et le plus souvent à une résection
partielle de grêle, s’il s’avère impossible de réduire l’invagination ou s’il existe des
lésions vasculaires sévères.
L’autre complication occlusive possible est l’occlusion par bride. La bride est soit
congénitale, reliquat du canal omphalo-mésentérique, soit acquise au cours de
poussée de diverticulite ; elle est responsable d’occlusion par strangulation ou volvulus d’une ou plusieurs anses intestinales. Enfin, le volvulus du diverticule luimême autour de son pédicule et l’étranglement d’un diverticule de Meckel prolabé dans un sac de hernie inguinale droite (ou hernie de Littre) sont exceptionnels.
● Complications infectieuses. Le diverticule de Meckel peut, de façon similaire à
l’appendice, s’infecter, se gangréner et se perforer. L’infection peut être primitive,
favorisée par la stase ou l’inclusion d’un corps étranger, ou bien se développer au
niveau d’une ulcération muqueuse peptique. Elle peut se compliquer de perforation le plus souvent bouchée par un organe de voisinage, les perforations en péritoine libre étant exceptionnelles. De rares cas de fistulisation au colon ont été décrits.
Cliniquement, le tableau de diverticulite aiguë est semblable à celui de l’appendicite. Le diagnostic est souvent retardé du fait du caractère médian des douleurs, et
il s’agit d’un diagnostic opératoire. L’appendice étant sain, une recherche systématique du reliquat vitellin conduit à la découverte du diverticule et de sa complication. Le traitement est chirurgical avec un résection du grêle pathologique.
Les complications infectieuses peuvent également se manifester sous la forme de
diverticulite chronique, responsables d’épisodes répétés de douleurs abdominales
(surtout chez l’enfant).
Enfin, l’exposition chronique de la muqueuse iléale à la sécrétion acide peut provoquer une ulcération et une sténose iléale, cette iléite terminale pouvant en imposer pour une maladie de Crohn.
●
Figure 1. Extravasation de produit de contraste au
niveau d’une branche distale de l’artère mésentérique
supérieure.
Figure 2. Pièce opératoire : saignement au niveau du
collet, mais absence de muqueuse gastrique.
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● Tumeurs du diverticule de Meckel. De rares observations ont
décrit chez l’enfant des cas isolés de sarcome ou de tumeur carcinoïde. Les symptômes révélateurs étaient aspécifiques : douleurs abdominales, épisodes hémorragiques ou masse palpable
au niveau abdominal. Le fait que ces lésions soient développées
aux dépens d’un diverticule de Meckel est affirmé au cours de
l’examen anatomopathologique de la pièce, et l’étendue de la
résection intestinale est conditionnée par la nature bénigne ou
maligne de la tumeur et son extension.
● Complications hémorragiques. Elles sont classiquement rapportées à une ulcération sur une zone d’hétérotopie gastrique
(25 % des cas) de type fundique, incluse dans la muqueuse du
diverticule. Cependant, ces ulcérations peuvent également survenir en dehors d’une zone d’hétérotopie. La présentation de ces
hémorragies peut être de trois types :
– soit une grande hémorragie intestinale sous la forme de rectorragies avec déglobulisation aiguë et retentissement hémodynamique, parfois associés à un état de choc gravissime. C’était le
mode de révélation chez notre patient ;
– soit une hémorragie a minima, plus souvent précédée qu’accompagnée de douleurs abdominales périombilicales d’intensité
variable, contrastant avec un examen abdominal normal ;
– soit enfin une hémorragie de petite abondance, récidivante à
intervalle variable, distillante, pouvant faire évoquer d’autres
causes d’hémorragies.
Plusieurs moyens diagnostiques peuvent se discuter dans cette
complication. Après avoir éliminé les causes œsogastroduodénales
et coliques par l’endoscopie classique, la stratégie des examens
complémentaires est adaptée à la présentation clinique de l’épisode hémorragique. En période d’hémorragie active, une alternative avantageuse est représentée par l’angiographie cœlio-mésentérique. Elle est d’autant plus contributive que le saignement est
actif, en montrant une extravasation du produit de contraste (flaque
hémorragique) au siège du diverticule. Il existe dans la littérature
d’autres cas similaires à celui que nous rapportons, où l’angiographie a été une aide précieuse là où d’autres explorations, telles
que la scintigraphie, s’étaient révélées non contributives. Elle peut
mettre en évidence la persistance d’une artère vitello-intestinale
dans la plupart des diverticules de Meckel (5).
Dans le cadre d’une hémorragie peu abondante ou récidivante et
distillante, la scintigraphie au 99m-Tc-pertechnétate est l’examen
de choix dans la recherche d’un diverticule de Meckel, du fait de
la présence fréquente de muqueuse gastrique dans le diverticule.
Sa sensibilité dans la détection de la muqueuse ectopique varie de
75 à 90 %, sa spécificité est de 98 % avec des faux négatifs résultant de la masse insuffisante de tissu gastrique (ou de son absence),
de secrétions excessives, d’une motilité intestinale trop rapide ou
d’un saignement actif (5). En effet, une hémorragie diverticulaire
abondante induit probablement un rapide washout de l’isotope.
D’autres études tempèrent ce défaut de sensibilité, et de nombreux
auteurs recommandent cet examen en première intention du fait
de son caractère peu invasif, facilement réalisable et peu irradiant
(comparé à l’angiographie par exemple) (4). Le transit du grêle
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reste bien évidemment un examen complémentaire potentiellement contributif dans le diagnostic des diverticules de Meckel,
bien qu’il ne puisse être réalisé en période d’hémorragie massive.
Les complications hémorragiques sont favorisées par la prise
d’antiagrégant plaquettaire ou d’anticoagulant, comme dans le
cas que nous rapportons. Certaines études ont exploré un éventuel rôle favorisant de l’infection à Helicobacter pylori (HP) dans
les hémorragies dues aux diverticules de Meckel. HP colonise
majoritairement la muqueuse de type antral et est associé à une
gastrite chronique ainsi qu’à la pathologie ulcéreuse gastroduodénale. Les études ne montraient pas de colonisation des diverticules de Meckel par HP, même dans le cas où l’estomac du
patient était infecté. Ce résultat, mis en parallèle avec la relative
rareté du diverticule de Meckel, va à l’encontre d’un rôle majeur
de HP dans les complications de type hémorragique du diverticule de Meckel (6).
Prise en charge thérapeutique du diverticule de Meckel
La prise en charge chirurgicale d’un diverticule de Meckel compliqué, quelle que soit la complication, ne semble pas souffrir d’exceptions. En revanche, lors de la découverte fortuite d’un diverticule,
la prise en charge reste controversée. Certains proposent l’ablation
systématique des diverticules de Meckel découverts en peropératoire
(2) tandis que d’autres (et cela de façon plus majoritaire) tendent à
penser que l’ablation prophylactique est rarement justifiée (7).
CONCLUSION
Bien que rare, le diverticule de Meckel peut être la cause d’hémorragie massive chez des enfants ou de jeunes patients. Son diagnostic doit être évoqué de façon systématique lorsque les causes
classiques œsogastroduodénales et coliques d’hémorragie ont été
éliminées. En période d’hémorragie active, l’artériographie reste
l’examen de choix, alors que la scintigraphie au 99m-Tc-pertechnétate sera préférée dans le diagnostic des hémorragies distillantes. Le traitement est toujours chirurgical.
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É F É R E N C E S
B I B L I O G R A P H I Q U E S
1. Aktan AO, Gulluoglu BM, Cingi A, Bekiroglu V. Incidence of Meckel’s diverticulum in Turkey. Br J Surg 1997 ; 84 : 683.
2. Mondor H, Lamy M. Étude clinique des ulcères du diverticule de Meckel. J Chir
(Paris) 1933 ; 41 : 533-84.
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5. Poulsen KA, Qvist N. Sodium pertechnetate scintigraphy in detection of
Meckel’s diverticulum : is it usable ? Eur J Pediatr Surg 2000 ; 10 : 228 : 31.
6. Chan GS, Yven ST, Chu KM et al. Helicobacter pylori in Meckel’s diverticulum
with heterotopic gastric mucosa in a population with relatively high H. Pylori prevalence rate. J Gastroenterol Hepatol 1999 ; 14 : 313-6.
7. Soltero MJ, Bill AH. The natural history of Meckel’s diverticulum and its relation to incidental removal. A study of 202 cases of diseased Meckel’s diverticulum
found in King County, Washington, over a fifteen year period. Am J Surg 1976 ;
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