1 Les dérivés nitrés et apparentés

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Les dérivés nitrés et apparentés
PHARMACOLOGIE
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Les dérivés nitrés et apparentés
En synthèse
Pr Jean‐Luc Cracowski Faculté de médecine de Grenoble V2.1 du 01/06/2011 ; [email protected] http://www.pharmacomedicale.org/ Rappel physiopathologique
La maladie coronarienne est caractérisée par plusieurs présentations cliniques associées à un déséquilibre entre les besoins myocardiques et l’apport en oxygène. Lorsque les besoins myocardiques en oxygène excèdent l’apport en oxygène, un épisode ischémique en résulte. Les traitements existant visent soit à diminuer la consommation, soit à augmenter l’apport, soit les deux. L'angor stable est la manifestation clinique d'un déséquilibre entre les apports et les besoins du myocarde en oxygène, souvent à l'effort, responsable d'une ischémie myocardique transitoire. Ce déséquilibre est le plus souvent dû à une atteinte athéromateuse sténosante des artères coronaires épicardiques. Le syndrome coronarien aigu (SCA) sans sus‐décalage du segment ST (ST‐) correspond aux angors instables et infarctus sous endocardiques des anciennes définitions. Il est l'expression de la souffrance myocardique liée à l'ischémie. Son diagnostic précoce permet d'éviter l'évolution vers le syndrome coronarien aigu avec sus‐
décalage ST (SCA ST+), ou infarctus du myocarde. Il est la manifestation clinique d'une rupture ou d'une érosion d’une plaque artérielle coronaire, responsable d'une thrombose coronaire le plus souvent incomplète. La libération enzymatique ou de protéines de structure cardiomyocytaire (troponine T ou Ic) témoigne de signes de mort cellulaire. La complication du SCA ST‐ est l'infarctus du myocarde. Les dérivés nitrés sont des prodrogues sources de monoxyde d’azote (NO), augmentant les concentrations intracellulaires de GMPc. Ils agissent sur les cellules musculaires lisses, en dilatant préférentiellement les veines par rapport aux artères. Leur effet antiangineux résulte donc à la fois d’une diminution de la consommation en oxygène myocardique et d’une redistribution du débit coronaire. Les dérivés nitrés sont indiqués à titre symptomatique dans l’angine de poitrine. La trinitrine et l’isosorbide dinitrate subissent un important effet de premier passage hépatique expliquant les formes galéniques sublinguales d’action rapide pour le traitement aigu, et transdermique pour le traitement chronique. La prise continue de dérivés nitrés est associée à une diminution très rapide (quelques heures) de l’amplitude de la plupart de leurs effets, c’est le phénomène de tolérance, nécessitant la réalisation de fenêtres thérapeutiques. L’effet indésirable principal fréquent est la survenue de céphalées, et l’hypotension artérielle orthostatique. L’association avec un inhibiteur de phosphodiesterase de type V est formellement contrindiquée.
Le syndrome coronarien aigu (SCA) avec sus‐décalage du segment ST (ST+), correspond à l'infarctus du myocarde à la phase aiguë. Il est défini sur l'ECG par un sus‐décalage persistant du segment ST (en anglais STEMI pour ST‐segment Elevation Myocardial Infarction). Le SCA ST+ correspond à une nécrose ischémique d'une région myocardique en rapport avec une occlusion complète et prolongée d'une artère coronaire. Médicaments existants
La nitroglycérine (également appelée trinitrine) trinitrine est un composé chimique potentiellement explosif (dans sa forme pure sans véhicule) obtenu par nitration du glycérol. Synthétisée en 1846 par Sobrero, ce dernier observa que de faibles quantités placées sur la langue entrainaient des céphalées sévères. Il fut ensuite décrit que la prise empirique sublinguale de la trinitrine permettait de supprimer les crises d’angine de poitrine. Figure 1. ;structure chimique des dérivés nitrés Les nitrates organiques (‐C‐O‐NO2) sont des esters de l’acide nitrique tandis que les nitrites organiques (‐C‐O‐NO) sont des esters de l’acide nitreux. Les nitrates organiques et les nitrites sont collectivement appelés dérivés nitrés (nitrovasodilators), et doivent être métabolisés pour produire du NO (donneurs indirects de NO). 1
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Le tableau indique les médicaments existants, ainsi que la forme galénique disponible, et leur utilisation pour le traitement aigu (action immédiate) ou chronique (action prolongée). D’action immédiate D’action prolongée
Dérivés nitrés
Trinitrine Isosorbide dinitrate Isosorbide mononitrate Apparentés
Nitroprussiate de sodium Molsidomine Nicorandil ‐ Solution pour pulvérisation buccale de 0,15 ; 0,30 et 0,40 mg/dose ‐ Pilule enrobée de 0,15 mg à croquer ‐ Solution pour perfusion IV à 1 mg/ml ‐ Solution pour pulvérisation buccale de 1,25 mg/dose ‐ Solution pour perfusion IV et intracoronaire de 10 mg/ 10ml ‐ poudre et solvant pour perfusion IV Dérivés
nitrés
Dispositif transdermique : 5, 10 et 15 mg/24 h NO
GTP
Inhibiteurs de phosphodiesterases de type V
Guanylate
cyclase
soluble
Cellule
musculaire
lisse
Phospho-diesterases
de type V
Métabolites
inactifs
GMPc
Relaxation
Gélules de 20 mg
Gélules à libération prolongée de 20, 40 et 80 mg Gélules à libération prolongée de 20, 40 et 60 mg Comprimés de 2 et 4 mg Comprimés de 10 et 20 mg Tableau 1. Médicaments existants. Mécanismes d’action des différentes molécules
La molsidomine est un donneur de NO. Le nicorandil est un ester nitrate du nicotinamide. Il possède un double mécanisme d’action : 1‐ Il augmente le taux de GMP cyclique intracellulaire, dû à la présence d'un radical nitré dans sa structure; 2‐Il active l'ouverture des canaux potassiques. Cette activation des canaux potassiques provoque une hyperpolarisation des membranes cellulaires vasculaires entraînant un relâchement des muscles de la paroi artérielle et donc une vasodilatation artérielle. Cette vasodilatation est à l'origine d'une réduction de la post‐charge ventriculaire. Effets utiles en clinique
Les dérivés nitrés sont des prodrogues sources de monoxyde d’azote (NO). L’action des dérivés nitrés est donc liée à leur capacité de formation du radical libre NO. Le mécanisme exact de la dénitration des nitrates organiques pour libérer du NO reste incertain. Une fois produit, le NO active la guanylate cyclase soluble, augmentant les concentrations intracellulaires de GMPc. Dans les cellules musculaires lisses, ceci induit la déphosphorylation des chaines légères de la myosine et diminue la concentration intracellulaire de calcium, entrainant une relaxation musculaire lisse dans de nombreux tissus. Cette action n’est donc pas spécifique au système vasculaire. Les propriétés biochimiques des dérivés nitrés sont similaires à celle du monoxyde d’azote endogène. Plus d’un siècle après la découverte des dérivés nitrés, les enzymes responsables de la biosynthèse de NO ont été découvertes. La biosynthèse endogène de NO est catalysée par une famille d’enzymes appelées les NO‐synthases, qui biotransforment la L‐arginine en L‐
citrulline et NO. Trois isoformes de NO‐synthase ont été décrites, la NO‐
synthase neuronale, endothéliale et inductible. L’importance du NO comme voie de signalisation biologique a conduit à la remise du prix Nobel de médecine/physiologie en 1998 à Robert Furchgott, Louis Ignarro and Ferid Murad. Figure 2 : Mécanisme d’action des dérivés nitrés et des inhibiteurs de phosphodiestérases sur les cellules musculaires lisses
Les dérivés nitrés sont indiqués à titre symptomatique dans différentes situations : L’angine de poitrine. Les dérivés nitrés sont un traitement symptomatique de la crise d’angine de poitrine. Le traitement sublingual soulage la douleur dans les 3 min suivant l’administration. La prise sublinguale répétée n’est pas conseillée, la persistance de la douleur devant amener à appeler le 15. Syndrome coronarien aigu sans sus‐décalage du segment ST. Les dérivés nitrés sont utilisés par voie intraveineuse pour diminuer la douleur, sans effet sur la mortalité. L’administration de dérivés nitrés ne doit pas limiter la prise de bétabloquants et inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine. Infarctus du myocarde. La prescription est limitée à l’association à une insuffisance cardiaque congestive. L’association à un infarctus du ventricule droit doit être évitée du fait de la nécessité de maintenir les pressions de remplissage ventriculaire dans ce contexte. L’insuffisance cardiaque. L’efficacité des dérivés nitrés est liée à la baisse de la précharge, en particulier à la phase aiguë. Ils ne sont plus un traitement de référence dans l’insuffisance cardiaque chronique. 2
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Les dérivés nitrés et apparentés
Pharmacodynamie des effets utiles en clinique
La principale cible des dérivés nitrés est le système cardiovasculaire, leur effet antiangineux résultant à la fois d’une diminution de la consommation en oxygène myocardique et une redistribution du débit coronaire. ‐ Effets hémodynamiques systémiques : Les dérivés nitrés à faible dose dilatent préférentiellement les veines par rapport aux artères. Cet effet spécifique est imparfaitement compris, mais semble lié à une augmentation de l’activité des systèmes enzymatiques transformant les nitrates en NO dans les veines par rapport aux artères. Cette veinodilatation diminue les volumes télédiastoliques et la précharge ventriculaire, et modifie peu les résistances vasculaires systémiques. Les dérivés nitrés, même à des doses ne modifiant pas la pression artérielle systémique, produisent souvent une dilatation artériolaire de la face et du cou. Ceci explique les flushs du visage, et la dilatation artériolaire méningée explique les céphalées. Des doses plus élevées de nitrates diminuent la résistance artériolaire, d’où hypotension artérielle systémique, avec tachycardie réflexe, pâleur, fatigue et malaise. -
Effets sur la consommation en oxygène myocardique: Les principaux déterminants de la consommation en oxygène myocardique sont la tension pariétale ventriculaire gauche (dépendant de la précharge et postcharge), la fréquence cardiaque et la contractilité ventriculaire. Les dérivés nitrés diminuent à la fois la précharge et la postcharge, du fait de l’effet respectif de dilatation veineuse et artérielle. De ce fait, leur effet net est de diminuer la consommation en oxygène myocardique. -
Caractéristiques pharmacocinétiques utiles en clinique
Les dérivés nitrés sont éliminés après biotransformation hépatique, avec un important effet de premier passage hépatique. Le foie contient des réductases très actives qui vont supprimer les groupes nitrates pour aboutir à des composés inactifs. La trinitrine et l’isosorbide dinitrate ont une biodisponibilité orale très mauvaise (10 à 20 %). Par conséquent, la voie sublinguale qui évite l’effet de premier passage hépatique est la voie de choix pour obtenir un effet rapide. La voie transdermique permet également de s’affranchir de l’effet de premier passage hépatique (trinitrine). Les formes galéniques consistent en un polymère imprégné de trinitrine associé à un adhésif permettant une absorption graduelle et des concentrations stables. Dérivés nitrés
Trinitrine
Demi‐
vie Absorption 1 à 3 min ‐ Instantanée par voie sublinguale ‐ Par voie transdermique, les concentrations plasmatiques obtenues sont constantes entre 2 et 24 heures après l'application. ‐ Biodisponibilité 10 à 20 % par voie orale ‐ Instantanée par voir sublinguale ‐ Biodisponibilité 10 à 20 % par voie orale Pas d’effet de premier passage hépatique Biodisponibilité 100% Isosorbide dinitrate Molsidomine
Autres effets Les dérivés nitrés peuvent relâcher les cellules musculaires lisses de tous les tissus. Le seul effet clinique notable est la relaxation musculaire lisse du tissu digestif : relaxation de l’œsophage et la diminution de sa motilité, et relaxation des canaux biliaires et du sphincter d’Oddi. De nombreuses douleurs thoraciques atypiques liées à un spasme oesophagien ou biliaire peuvent être soulagées par un dérivé nitré de courte durée d’action. 3
30 min Isosorbide mononitrate Apparentés
Nitroprussiate de sodium Nicorandil
Métabolisme
Elimination
Effets hémodynamiques coronaires: Le débit sanguin coronaire augmente par effet vasodilatateur direct. Cet effet est prépondérant sur les troncs épicardiques, des données expérimentales ayant montré que les artères coronaires de plus de 200 µm de diamètre étaient très répondeuses, contrairement à celles de moins de 100 µm. Il existe à la fois un effet vasodilatateur direct puissant au site de sténose, une augmentation des flux collatéraux et une réduction de la pression télédiastolique permettant une meilleure perfusion endocardique. L’autorégulation du débit sanguin coronaire explique aussi que du fait de la diminution de la consommation en oxygène myocardique dans les zones non ischémiées, on observe une baisse du débit sanguin coronaire dans les zones non ischémiques pour une augmentation dans les zones ischémiques, en particulier endocardiques, donc sans augmentation globale du débit sanguin coronaire. Cet effet de redistribution du débit sanguin coronaire n’est pas typique de tous les vasodilatateurs. Le dipyridamole, par exemple, dilate les artères de résistance de façon non spécifique, et n’est pas efficace dans l’angine de poitrine. Dans l’angor, l’effet dilatateur des dérivés nitrés sur la partie spastique des sténoses coronaires n’explique qu’une partie de l’effet aigu bénéfique dans la crise d’angor, lié également à une diminution de la consommation en oxygène myocardique. -
Très brève 1 à 2 h 1 h
Prodrogue, métabolisme hépatique Prodrogue, métabolisme hépatique Prodrogue, métabolisme hépatique 100 % dégradé très rapidement en cyanure au niveau des érythrocytes et des tissus. Prodrogue
75 % Hépatique
Pour la voie transdermique : Après retrait du dispositif, les taux plasmatiques de trinitrine s'abaissent rapidement pour devenir négligeables après 1 heure environ. Rénale et biliaire Tableau 2. Caractéristiques pharmacocinétiques des médicaments existants. Rénale et biliaire Rénale et biliaire Les dérivés nitrés et apparentés
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Sources de la variabilité de la réponse
Cette notion de tolérance a classiquement été observée dans les usines chimiques d’explosifs où des ouvriers exposés à ces composés volatiles décrivaient en début de semaine des céphalées et sensations de malaise disparaissant au cours de la semaine (« Monday disease »). Pendant le week‐end, la tolérance disparaissait, et les symptômes réapparaissaient chaque lundi. En médecine, la prise continue de dérivés nitrés est associée à une diminution très rapide (quelques heures) de l’amplitude de la plupart de leurs effets pharmacodynamiques, quelle que soit la voie d’administration. Cette tolérance (ou tachyphylaxie) est proportionnelle à la dose et la durée de traitement. Le mécanisme de la tolérance n’est pas clair, pouvant mettre en jeu l’inactivation de l’aldéhyde déshydrogénase mitochondriale ; la génération d’anion superoxyde ou la déplétion de groupes sulfhydriles. La meilleure façon de restaurer la réponse thérapeutique est d’interrompre le traitement pendant 8 à 12 heures par jour, permettant de recouvrer l’efficacité. L’habitude est donc d’enlever les patchs transdermiques la nuit. Du fait du problème de possibilité de dépendance (spasmes coronariens et artériels digitaux décrits après l’arrêt), il est plus prudent de ne pas arrêter brutalement les dérivés nitrés. Cette tolérance n’existe pas pour la molsidomine et le nicorandil Effets indésirables Aux doses thérapeutiques : Nature de l’effet indésirable Céphalées
Hypotension orthostatique Mécanisme et conséquences de l’interaction Les inhibiteurs de phosphodiesterase de type V vont augmenter les concentrations intracellulaires de cGMP en inhibant sa dégradation par les phosphodiesterases de type V. L’association à un dérivé nitré qui active la guanylate cyclase soluble est donc synergique et expose à des risques d’hypotension artérielle sévère ou de syndrome coronarien aigu. Il s’agit d’une contrindication absolue. Modérée
à sévère variable
Estimation de la fréquence Fréquent Peu fréquent Vasodilatation modérée
Peu cutanée avec fréquent érythème facial et bouffées de chaleur Tableau 3. Effets indésirables des dérivés nitrés 1. Interactions médicamenteuses : Interactions médicamenteuses Inhibiteurs de phosphodiesterase de type V (sildénafil, tadalafil, vardénafil) Gravité
En savoir plus sur l’effet indésirable Diminue habituellement en cours de traitement, ou en diminuant les doses Se manifeste par des sensations vertigineuses, des lipothymies ou, exceptionnellement de syncopes. Est souvent associée à une tachycardie reflexe Intoxication aiguë et surdosage : L'effet lié au surdosage est l'hypotension artérielle. En cas de surdosage, même sévère, les mesures physiques facilitant le retour veineux suffisent le plus souvent. Surveillance des effets La surveillance des effets pharmacodynamiques est clinique (interrogatoire pour l’effet thérapeutique sur la douleur angineuse, mesure de la tension artérielle). Il n’existe pas d’indication de suivi thérapeutique pharmacologique. Les documents de référence 2. Interactions non‐médicamenteuses : Pas d’interaction non‐médicamenteuse Contre‐indications
Absolues : État de choc, hypotension sévère. Relatives : Cardiomyopathie obstructive. Infarctus du myocarde de siège inférieur avec extension au ventricule droit, à la phase aiguë. Hypertension intracrânienne. -
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La base, en français : le DVD de première année de l’UFR de médecine/pharmacie de Grenoble et le corpus national des enseignants, en français : L1 santé – UE 6 initiation à la connaissance du médicament. Ed Vernazobres‐Greco •
L’ensemble de la pharmacologie sur le web : P2‐D2 : http://www.pharmacomedicale.org/ •
Un excellent livre de synthèse complet, en anglais : Katzung. Basic and Clinical Pharmacology, 11th Edition, Ed PICCIN. •
Le livre de référence plus complexe, en anglais : Goodman & Gilman’s. The pharmacological basis of therapeutics. Ed Mc Graw Hill. Allaitement. 4
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