Du placeboaux opioïdes : des alliés à protéger

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éditorial
Du placebo aux opioïdes :
des alliés à protéger
L
e bénéfice antalgique apporté par une substance inerte – le pla­
cebo – intrigue depuis longtemps les cliniciens et les chercheurs.
Deux articles de ce numéro sont consacrés à ce phénomène fasci­
nant, l’un du point de vue des neurosciences et l’autre des sciences humai­
nes. Les deux se rejoignent pour souligner la place centrale des attentes des
patients et de leurs thérapeutes et les effets bénéfiques de la confiance
dans un traitement et dans son prescripteur. L’effet placebo – qui peut de
fait intervenir lors de chaque acte médical – représente ainsi un allié puis­
sant, à protéger.
Les opiacés sont eux aussi des alliés de longue date des algologues.
Or, ils ont récemment attiré une attention renouvelée et souvent critique.
L’année 2010 a vu la parution de nombreux articles concernant leur em­
ploi au long cours chez les patients
«… L’effet placebo représouffrant de douleurs chroniques non
sente ainsi un allié puissant, cancéreuses. Une augmentation de
leur prescription dans cette indication
à protéger …»
est observée dès les années 90, tant
en Europe qu’aux Etats-Unis. Au début des années 2000, l’augmentation
progressive des doses quotidiennes moyennes des opioïdes forts, des
hospitalisations et des décès liés à une intoxication non volontaire ainsi
qu’une augmentation du nombre de patients traités pour une dépen­
dance iatrogène ont allumé des clignotants rouges principalement aux
Etats-Unis. Parallèlement, une augmentation de leur prescription a égale­
ment été observée chez les personnes âgées, en particulier les femmes,
et une étude récente évoque un risque accru de chute et d’infarctus du
myocarde chez les personnes âgées traitées par des opioïdes au long
cours.
Articles publiés
sous la direction
Les effets indésirables des opioïdes sont bien décrits en traitement aigu
ou à moyen terme dans les douleurs cancéreuses par exemple et des stra­
tégies pour les prévenir ou les atténuer ont été développées. Il n’en est
pas de même pour les effets indésirables lors de traitement au long cours.
En effet, leur sécurité dans ces situations pose encore de nombreuses
questions en particulier sur la persistance des effets analgésiques, ainsi
que des effets délétères immunologiques, endocrinologiques et psycholo­
giques.
du docteur
Les méta-analyses et les revues systématiques de la littérature remet­
Valérie Piguet
tent en question leur efficacité antalgique lors d’emploi au long cours en
Service de pharmacologie
et toxicologie cliniques
pointant le nombre élevé de patients stoppant le traitement en cours
Centre multidisciplinaire d’évaluation
d’étude devant une inefficacité et/ou des effets indésirables. Ainsi, les cli­
et de traitement de la douleur
niciens se retrouvent devant le dilemme de décider s’il convient d’aug­
et du professeur
menter leur posologie, de changer d’opioïde ou au contraire de diminuer
leur posologie, voire de les stopper. Un des articles de ce numéro propose
Anne-Françoise
une revue sur les rotations d’opioïdes.
Allaz
Afin d’éviter la mise au ban de ces puissants alliés, plusieurs experts et
Service de médecine interne
de réhabilitation
des instances étatiques étasuniennes réfléchissent aux mesures pouvant
Beau-Séjour
être mises en place pour assurer une prescription et un suivi adéquats.
HUG, Genève
On y retrouve les recommandations connues de longue date, telles une
Editorial
V. Piguet
A.-F. Allaz
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prise en charge multimodale associant d’autres approches modulant le mes­
sage douloureux, un contrat écrit entre un patient et un seul prescripteur
et l’individualisation de la dose. Une nouvelle recommandation décrit un
seuil, déterminé à 120 mg équivalent morphine par jour, à partir duquel
la poursuite de l’augmentation n’est justifiée que sur documentation de
l’amélioration de la douleur et de l’activité ou après un avis par un spé­
cialiste.
Car, sans pour autant banaliser les difficultés liées à leur prescription et
leur usage, l’apport précieux des opiacés doit être défendu. Il est indé­
niable que l’évaluation et la prise en charge de la douleur chronique ont
fait des progrès majeurs ces deux der­
«… il n’est pas question de
nières décennies, et les opioïdes y jouent
revenir en arrière et de limiter un rôle. Ainsi, il n’est pas question de reve­
nir en arrière et de limiter à nouveau leur
à nouveau leur emploi …»
emploi. Pour éviter la survenue d’une dé­
fiance à leur égard, il est nécessaire d’axer nos efforts sur l’amélioration de
leur prescription en déterminant plus précisément quels sont les patients
ou le type de douleurs chroniques non cancéreuses qui bénéficient réel­
lement d’un traitement d’opioïdes ainsi que la définition des critères
d’évaluation de leur efficacité au long cours. Un suivi à long terme incluant
une participation active des patients est indispensable pour apporter des
réponses aux questions soulevées.
D’autres alliés encore sont les approches thérapeutiques de réhabilita­
tion fonctionnelle et les prises en compte attentives des dimensions psy­
chologiques des douleurs chroniques. Elles sont discutées dans ce numéro
à propos des personnes âgées et des patients souffrant de fibromyalgie,
de même que la prise en charge des troubles du sommeil si fréquemment
associés à la douleur.
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