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Quadrimed 2014
Cancer, douleur et traitement
C. Mazzocato
Dr Claudia Mazzocato
Service de soins palliatifs
Département de médecine interne
CHUV, 1011 Lausanne
[email protected]
Rev Med Suisse 2014 ; 10 : 245-6
présentation clinique
Une femme de 38 ans, atteinte d’un can­
cer du sein diagnostiqué trois ans plus
tôt, métastatique au niveau osseux, est
actuellement traitée par chimiothérapie
hebdomadaire de Taxol. Elle se plaint de
douleurs lombaires d’apparition récente,
évaluées à 4-5/10 sur l’échelle visuelle
analogique, sans irradiation. L’anamnèse
révèle également des brûlures au niveau
des doigts, à 3/10. L’examen clinique
met en évidence une douleur à l’ébranle­
ment de L3, une hypoesthésie et une
­allodynie de l’extrémité des doigts. Le
bilan scanographi­que révèle une nouvelle
métastase localisée au niveau de L3.
Jusqu’ici asymptomatique, la patiente ne
prenait aucun antalgi­que. Elle est sous
traitement de duloxétine pour un état
­anxiodépressif.
Quel(s) médicament(s) antalgique(s)
pres­crivez-vous à cette patiente ?
un effet antalgique modeste à modéré en
plus de leur action préventive sur les acci­
dents osseux.4 Enfin, les approches non
pharmacologiques, notamment la radiothé­
rapie et la cimentoplastie, doivent être con­
sidérées.
neuropathie périphérique chimio-induite.6
La combinaison de divers agents, y compris
topiques tels que la lidocaïne, est souvent
nécessaire.
Douleurs neuropathiques
Les douleurs neuropathiques toutes ori­
gines confondues sont difficiles à soulager,
30% d’entre elles ne répondant pas à l’ap­
proche pharmacologique. Elles nécessitent
le recours aux opioïdes forts à doses éle­
vées et/ou à divers coanalgésiques, notam­
ment les anticonvulsivants, les antidépres­
seurs tricycliques, les inhibiteurs de la re­
capture de la sérotonine et de la noradrénaline
(IRSNA), la lidocaïne, les corticostéroïdes 5
et, lors de douleurs réfractaires, à l’antalgie
interventionnelle. A ce jour, aucun médica­
ment n’a démontré une efficacité avérée
sur les douleurs consécutives à une poly­
•Une évaluation rigoureuse des diverses
douleurs et de leurs mécanismes est la
pierre angulaire d’une bonne antalgie. Cette
évaluation doit se répéter régulièrement tant
que l’antalgie n’est pas satisfaisante ou les
effets secondaires insuffisamment contrôlés
•La grande majorité des douleurs secon­
daires à un cancer avancé nécessitent des
opioïdes forts. Il n’existe pas un opioïde su­
périeur à un autre en termes d’antalgie ou
d’effets secondaires. Il s’agit de trouver le
médicament le plus efficace avec le meilleur
profil de tolérance. Cela peut nécessiter
­divers essais thérapeutiques (rotation)
•La réponse aux opioïdes forts est varia­
implications pratiques
Fortement recommandé
Douleurs légères
Palier 1
Paracétamol/AINS
Réévaluation régulière de la douleur
cancéreuse. Utiliser des doses de
réserve (entredoses). Si douleur non
contrôlée, passer au prochain palier
Opioïdes faibles
w paracétamol/AINS
Réévaluation régulière de la douleur
cancéreuse. Utiliser des doses de
réserve (entredoses). Si douleur non
contrôlée, passer au prochain palier
Faiblement recommandé
Douleurs légères/
modérées
Palier 2
Fortement recommandé
commentaires
Comme souvent lors de cancer métasta­
tique, les douleurs de cette patiente sont
mixtes, inflammatoires et neuropathiques,
ces dernières dans un contexte de polyneu­
ropathie périphérique chimio-induite.
Douleurs inflammatoires
Les douleurs inflammatoires répondent
bien aux trois paliers de l’OMS, largement
validés.1 Compte tenu de leur caractère
modéré chez cette patiente, un palier deux
ou trois (figure 1) peut être envisagé. A doses
équi-analgésiques, aucun opioïde n’est su­
périeur à un autre en termes d’antalgie ou
d’effets secondaires. Le médicament sera
donc choisi sur la base de ses propriétés
pharmacocinétiques.2 Chez cette patiente,
le tramadol est déconseillé au vu d’un risque
accru de syndrome sérotoninergique, lié à
la prise concomitante de duloxétine.3 Les
antalgiques sont associés à un bisphospho­
nate ou au dénosumab, qui ont démontré
0
Douleurs
modérées/fortes
Modification de la voie d’administration ou rotation à un autre opioïde,
à doses équi-analgésiques.
Traitement symptomatique des
effets secondaires
Toujours utiliser les doses de
réserve pour les douleurs incidentes
Opioïdes forts w paracétamol/AINS
Effets secondaires
Augmenter les doses d’opioïde chaque
jour sur la base des réserves utilisées
jusqu’au contrôle de la douleur ou
l’apparition d’effets secondaires
• Réévaluer l’intensité de la douleur
et ses causes
• Considérer le type et/ou doses des
coanalgésiques
• Considérer une rotation opioïde (type
d’opioïde ou modalité d’administration)
• Considérer une antalgie interventionnelle
Douleurs
persistantes
Considérer les coanalgésiques, tels que les corticostéroïdes, les anticonvulsivants, les antidépresseurs, les bisphosphonates, etc., à tous les paliers au besoin
Considérer les autres approches :
• Traitement anticancéreux : chimiothérapie, hormonothérapie, radiothérapie externe, radio-isotopes, chirurgie
• Techniques anesthésiologiques, neurolytiques, neurochirurgicales
• Thérapies physiques : vertébroplastie, stimulation électrique transcutanée (TENS), acupuncture, réhabilitation,
physiothérapie
• Prise en charge des autres aspects de la souffrance susceptibles d’aggraver la douleur : autres symptômes
physiques, détresse psychologique, problématiques familiales, sociales, financières, légales, facteurs culturels,
détresse existentielle, spirituelle
Figure 1. Traitement de la douleur cancéreuse
(Modifiée sur la base des recommandations du groupe ESMO : gestion de la douleur cancéreuse7).
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Palier 3
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ble d’un individu à un autre, indépendamment
de la gravité des lésions et du pronostic de
la maladie. Il n’y a pas de «dosage standard»
•Les douleurs neuropathiques sont diffi­
ciles à soulager. En cas d’échec thérapeu­
tique, il est important de référer rapidement
le patient à une équipe de soins palliatifs ou
d’antalgie interventionnelle. Le risque de
chronicisation de ce type de douleurs est
élevé
•Si la douleur oncologique répond géné­
ralement de manière satisfaisante aux trois
paliers recommandés par l’OMS, il ne faut
pas oublier l’apport des coanalgésiques et
des approches non pharmacologiques
•Douleur et souffrance sont étroitement
intriquées. De nombreux autres symptômes
physiques et psychologiques, difficultés fa­
miliales, financières et existentielles peuvent
amplifier l’intensité de la douleur. Il ne s’agit
pas pour autant de psychologiser la dou­
leur mais de prendre en compte les autres
facteurs qui peuvent y contribuer
point controversé
Le palier 2 de l’OMS, faisant appel aux
opioïdes faibles tels que la codéine et le tra­
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madol, est controversé :7
•Des méta-analyses comparant le para­
cétamol ou les AINS aux opioïdes faibles
montrent une différence nulle ou modeste
en termes d’efficacité antalgique
•Des études non contrôlées montrent que
la durée de traitement par opioïdes faibles
ne dépasse pas 30 à 40 jours du fait d’une
antalgie insuffisante. Les opioïdes forts à
faibles doses seraient plus efficaces et tout
aussi bien tolérés en termes d’effets secon­
Bibliographie
1 Azevedo São Leão Ferreira K, Kimura M, Jacobsen
Teixeira M. The WHO analgesic ladder for cancer pain
control, twenty years of use. How much pain relief does
one get from using it ? Support Care Cancer 2006;14:
1086-93.
2 Caraceni A, Hanks G, Kaasa S, et al. European Palliative Care Research Collaborative (EPCRC) ; European
Association for Palliative Care (EAPC). Use of opioid anal­
gesics in the treatment of cancer pain : Evidence-based
recommendations from the EAPC. Lancet Oncol 2012;
13:e58-68.
3 Chassot M, Munz T, Livio F, Buclin T. Syndrome séro­
toninergique : mise au point et revue des cas annoncés
en Suisse. Rev Med Suisse 2012;8:2086-90.
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daires que les opioïdes faibles
•Plusieurs études pointent sur les effets
secondaires du tramadol et ses interactions
médicamenteuses
•L’effet antalgique de la codéine est lié à
sa biotransformation hépatique en morphine
par le cytochrome 2D6. Si celui-ci est inhibé
par des inhibiteurs du CYP ou génétique­
ment absent (7% de la population cauca­
sienne), la codéine est inefficace
4 Zwolak P, Dudek AZ. Antineoplastic activity of zoledronic acid and denosumab. Anticancer Res 2013;33:
2981-8.
5 Vadalouca A, Raptis E, Moka E, et al. Pharmacological treatment of neuropathic cancer pain : A comprehen­
sive review of the current literature. Pain Pract 2012;12;
219-51.
6 Park SB, Goldstein D, Krishnan AV, et al. Chemotherapy-induced peripheral neurotoxicity : A critical analysis.
CA Cancer J Clin 2013;63:419-37.
7 Ripamonti CI, Santini D, Maranzano E, Berti M, Roila
F, on behalf of the ESMO Guidelines Working Group.
Management of cancer pain : ESMO clinical practice guidelines. Ann Oncol 2012;23(Suppl. 7) :vii139-54.
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